Réf. : Cass. crim., 20 mars 2007, n° 06-86.269, L'Assedic d'Alsace, F-P+F+I (N° Lexbase : A9503DUI)
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le 07 Octobre 2010
Cass. crim., 20 mars 2007, n° 06-86.269, L'Assedic d'Alsace, F-P+F+I (N° Lexbase : A9503DUI)
Les juges du fond doivent rechercher si l'activité exercée par un chômeur, alors qu'il percevait le revenu de remplacement, lui permettait d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi, conformément aux dispositions de l'article L. 351-1 du Code du travail. |
1. Incitation à l'exercice d'une activité professionnelle
Le bénéfice d'une activité réduite au profit des chômeurs indemnisés s'inscrit, en premier lieu, dans un corpus de règles issues du régime d'assurance chômage (1). Le principe du cumul entre allocation de chômage et revenu tiré d'une activité professionnelle est au coeur des débats sur le retour à l'emploi, ce que les sociologues et économistes désignent sous l'expression d'"intéressement" (2).
Les partenaires sociaux ont modifié le régime juridique du cumul du salaire avec un revenu de remplacement, tel que fixé par la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004 (3). Le salarié privé d'emploi qui exerce une activité occasionnelle ou réduite dont l'intensité mensuelle n'excède pas 110 heures (136 heures au titre des deux dernières conventions d'assurance chômage de 2001 et de 2004) perçoit l'allocation d'aide au retour à l'emploi, sous réserve qu'il conserve, après avoir perdu une partie de ses activités, une ou plusieurs autres activités salariées lui procurant une rémunération n'excédant pas 70 % des rémunérations brutes mensuelles perçues avant la perte d'une partie de ses activités, ou qu'il reprenne, postérieurement à la perte de ses activités, une activité salariée lui procurant une rémunération n'excédant pas 70 % des rémunérations brutes mensuelles prises en compte pour le calcul de l'indemnisation (conv. 1er janvier 2001 N° Lexbase : L4594AQ9, règl., art. 37 ; conv. 1er janvier 2004 N° Lexbase : L1532DPG, règl., art. 37 ; conv. 18 janvier 2006 N° Lexbase : L4571HI7, règl., art. 41 ; sur ce sujet, v., M. Gurgand, Activité réduite : le dispositif d'incitation de l'Unédic est-il incitatif ?, Travail et emploi, n° 89, janvier 2002, p. 81).
L'allocation est intégralement cumulable avec les revenus tirés de l'activité occasionnelle ou réduite conservée. Son montant est déterminé sur la base d'un salaire de référence composé des rémunérations de l'emploi perdu (conv. 1er janvier 2001, règl., art. 38 ; conv. 1er janvier 2004, règl., art. 38 ; conv. 18 janvier 2006, règl., art. 41). L'allocation est partiellement cumulable avec les revenus tirés de l'activité occasionnelle ou réduite reprise. Les allocations cumulables sont déterminées à partir d'un nombre de jours indemnisables au cours d'un mois civil égal à la différence entre le nombre de jours calendaires du mois et le nombre de jours correspondant au quotient des rémunérations brutes mensuelles par le salaire journalier de référence. Pour les allocataires âgés de 50 ans et plus, ce quotient est affecté d'un coefficient de minoration égal à 0,8 (conv. 1er janvier 2001, règl., art. 39 ; conv. 1er janvier 2004, règl., art. 39 ; conv. 18 janvier 2006, règl., art. 43). Le service de l'allocation est assuré pendant 15 mois (18 mois au titre des deux dernières conventions d'assurance chômage de 2001 et de 2004) dans la limite de la durée d'indemnisation applicable en matière d'assurance chômage (conv. 1er janvier 2001, règl., art. 40 ; conv. 1er janvier 2004, règl., art. 40 ; conv. 18 janvier 2006, règl., art. 44).
Les aides sociales et autres revenus de remplacements accordés aux bénéficiaires de minima sociaux peuvent les dissuader de reprendre un emploi (phénomène que les économistes désignent sous le vocable de "trappe à l'inactivité"). C'est pourquoi le législateur et le pouvoir réglementaire ont aménagé, depuis la fin des années 1990, un régime juridique des minima sociaux pour qu'ils deviennent moins désincitatifs. Le décret n° 2005-1054 du 29 août 2005 (N° Lexbase : L8541HBX) a, ainsi, créé une prime exceptionnelle de retour à l'emploi en faveur de certains bénéficiaires de minima sociaux.
La loi du 23 mars 2006 (loi n° 2006-339 du 23 mars 2006, pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux N° Lexbase : L8128HHI) (C. trav., art. L. 322-12 N° Lexbase : L3146HID) (4) s'est attachée à inciter le retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux par la création de nouveaux mécanismes dits d'intéressement. Ceux-ci autorisent un cumul partiel des allocations (servies au titre de l'un des minima sociaux) avec des revenus d'activité en cas de reprise d'emploi. L'objectif est de lutter contre le phénomène de trappe à la pauvreté. Trois décrets relatifs à la prime de retour à l'emploi, à la prime exceptionnelle de retour à l'emploi ainsi qu'à la prime forfaitaire due au titre de l'allocation de parent isolé, signés le 27 septembre 2006, rendent véritablement opérationnels ces trois nouveaux mécanismes d'"intéressement" (décret n° 2006-1197 relatif à la prime de retour à l'emploi et aux primes forfaitaires dues à des bénéficiaires de minima sociaux N° Lexbase : L2558HSK ; décret n° 2006-1198 du 29 septembre 2006 portant diverses dispositions relatives à la prime forfaitaire due au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion et de l'allocation de parent isolé N° Lexbase : L2559HSL ; décret n° 2006-1199 relatif à la prime exceptionnelle de retour à l'emploi N° Lexbase : L2560HSM).
Le décret n° 2006-1197 a prévu que la prime de retour à l'emploi, d'un montant de 1 000 euros, est versée aux bénéficiaires de certaines allocations lors de la reprise d'une activité professionnelle qui doit être exercée pendant quatre mois consécutifs. Il détermine les modalités d'octroi de cette prime, ainsi que celles des primes forfaitaires. Il contient, également, des dispositions relatives à l'allocation de parent isolé et à la prime forfaitaire qui leur est due, ainsi qu'à la rupture des contrats d'insertion-revenu minimum d'activité (Cirma) ou des contrats d'avenir des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés. Le décret n° 2006-1198 a complété les modalités d'octroi de la prime forfaitaire due au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion et de l'allocation de parent isolé. Enfin, le décret n° 2006-1199 a remplacé l'article 1er du décret n° 2005-1054 du 29 août 2005 (N° Lexbase : L8541HBX) (5).
2. Sanctions du chômeur exerçant une activité professionnelle
Le non-respect par le chômeur des différentes obligations qui pèsent sur lui (rechercher un emploi, ne pas rechercher à obtenir frauduleusement des allocations) déclenche plusieurs sanctions, pénales, civiles et administratives.
Il faut rappeler que le droit pénal organise deux types de sanctions. Est passible d'une amende de 3 750 euros quiconque aura fait de fausses déclarations ou fourni de fausses informations pour être inscrit ou demeurer inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi (C. trav., art. L. 361-2 N° Lexbase : L9385HEC). Le fait de bénéficier frauduleusement ou de tenter de bénéficier frauduleusement des allocations d'aide aux travailleurs privés d'emploi, y compris la prime instituée par l'article L. 351-20 (N° Lexbase : L3101HIP), des allocations visées à l'article L. 322-4 (N° Lexbase : L6519DIB) et de la prime instituée par l'article L. 322-12 (N° Lexbase : L3146HID) est passible d'une amende de 4 000 euros. En cas de récidive, ce montant est porté au double (C. trav., art. L. 365-1 N° Lexbase : L3102HIQ). Les modifications apportées par la loi n° 2006-339 du 23 mars 2006 (préc.) relative à la fraude à l'assurance chômage, à l'allocation d'insertion, à l'allocation équivalent retraite et aux régimes particuliers d'indemnisation, ainsi que la fraude aux allocations versées par le fonds national pour l'emploi (FNE) sont sensibles, car le fait de bénéficier ou de tenter de bénéficier frauduleusement d'une des allocations d'indemnisation du chômage était puni de 3 750 euros d'amende, cette peine pouvant être assortie d'un emprisonnement de deux mois. La loi n° 2006-339 du 23 mars 2006 modifie donc l'article L. 365-1 du Code du travail (préc.) pour aligner ses dispositions sur celles retenues pour le RMI et l'ASS : l'amende prévue en cas de fraude s'élève à 4 000 euros, le double en cas de récidive. La même peine s'applique en cas de fraude à la prime de retour à l'emploi et aux primes forfaitaires d'intéressement.
En l'espèce, le pourvoi formé par l'Assedic d'Alsace (partie civile) contre l'arrêt de la cour d'appel, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de M. C. du chef, notamment, de fraude aux prestations de chômage, ne partageait pas l'analyse des juges du fond, selon lesquels l'intéressé n'avait qu'un rôle d'exécutant sans aucun pouvoir de décision. Il ne peut, donc, être considéré comme gérant de fait : pendant cette période, il n'était pas encore engagé par la société N.. L'enquête ne permet pas de prouver qu'il exerçait une activité rémunérée occulte et frauduleuse, il y a donc lieu d'entrer en voie de relaxe, également de ce chef.
L'Assedic invoquait, au contraire, le principe selon lequel toute activité professionnelle, salariée ou indépendante, rémunérée ou non, est incompatible avec la recherche effective et permanente d'un emploi, et donc, est exclusive du bénéfice des allocations d'assurance-chômage. En retenant que M. C. n'a pas été engagé par la société N., de novembre 2000 à mai 2001, et qu'il n'aurait pas exercé pendant cette période une activité rémunérée, occulte et frauduleuse, après avoir constaté qu'il avait occupé des fonctions d'exécutant, au sein de cette société, et qu'il avait lui-même embauché Mme L. comme secrétaire, la cour d'appel qui n'a pas recherché si cette activité n'était pas de nature à mettre celui qui s'y livrait dans l'impossibilité de rechercher un autre emploi, a déduit un motif inopérant. La Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, s'est rangée aux arguments développés par l'Assedic. M. C. a reconnu, alors qu'il était chômeur indemnisé, qu'il avait procédé à l'embauche d'une salariée et s'était occupé des démarches à accomplir en vue de l'immatriculation de l'établissement français de la société. Aussi, il appartenait aux juges du fond de rechercher si l'activité exercée par le prévenu, alors qu'il percevait un revenu, lui permettait d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi, conformément aux dispositions de l'article L. 351-1 du Code du travail (préc.).
L'analyse faite la Chambre criminelle de la Cour de cassation de la fraude aux allocations chômage est inédite et très intéressante : la fraude aux allocations chômage du chômeur en activité, en qualité de dirigeant d'une société (dirigeant de fait ou de droit, dirigeant à temps plein ou à temps partiel) n'est retenue que si cette activité est incompatible avec le noyau dur de la qualité de chômeur indemnisé, l'obligation de rechercher un emploi. La doctrine de la Chambre criminelle pourrait se synthétiser ainsi : le chômeur n'est pas pénalement sanctionnable si l'activité de dirigeant est compatible avec une recherche d'emploi ; mais la relaxe de fraude aux prestations d'assurance chômage ne peut être prononcée si le chômeur dirigeant d'entreprise consacre l'exclusivité de son temps et énergie à la société qu'il dirige, et néglige d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi.
La nouveauté tient précisément à cette condition (effectuer des actes positifs de recherche d'emploi) que les textes ne contiennent pas (C. trav., art. L. 365-1, préc.) et que jusqu'à présent, la jurisprudence ne mentionnait pas. Il faut rappeler que la loi de cohésion sociale (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49) avait légèrement modifié le régime juridique de la recherche d'emploi (6). La radiation pour défaut de recherche d'emploi doit être fondée sur un défaut d'actes positifs de recherche d'emploi et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise. De plus, au sens de la loi de cohésion sociale, le défaut dans la recherche d'emploi tient compte de la situation personnelle et familiale du demandeur d'emploi ainsi que, désormais, des aides à la mobilité qui leur sont proposées.
Au titre de l'action en répétition d'indu, à l'initiative de l'Assedic, le juge civil a ainsi eu l'occasion de rappeler que le mandat social de PDG est une activité professionnelle exercée à temps plein, dans un but intéressé, de ce fait incompatible avec la qualité de chômeur indemnisé. La jurisprudence admet que l'absence de rémunération ne fait pas obstacle à la répétition de l'indu (7). La charge de la preuve que la détention de parts de société est bien en sommeil pèse sur l'intéressé, à défaut de quoi la qualification juridique d'activité professionnelle sera retenue (8).
La jurisprudence se prononce dans le même sens, excluant le cumul de qualité de chômeur indemnisé avec celui de PDG. Mais, la détention de parts sociales ne saurait, en soi, être un obstacle à la recherche d'un emploi (9). La société n'ayant eu aucune activité en l'absence de tout marché, l'intéressé a effectivement consacré tout son temps à la recherche d'un emploi. De même, la Cour de cassation retient le principe selon lequel constituent des actes positifs de recherche d'emploi les démarches en vue de la création d'une entreprise (10).
L'absence de rémunération n'implique pas, en soi, qu'une activité ne soit pas intéressée : c'est pourquoi, les juges en tirent la conséquence que de telles activités peuvent revêtir une nature professionnelle, et par là même, devenir incompatibles avec la qualité de chômeur indemnisé, conformément aux prescriptions conventionnelles (conv. 1er janvier 2001, règl., art. 34 ; conv. 1er janvier 2004, règl., art. 34 ; conv. 18 janvier 2006, règl., art. 33). Réciproquement, le caractère désintéressé de certaines activités les soustrait au régime de l'activité professionnelle, incompatible avec la qualité de travailleur privé d'emploi. Il en va ainsi du gérant bénévole de SCI, la Cour de cassation ayant décidé que le fait d'être gérant bénévole de sociétés civiles n'implique pas, nécessairement et en soi, l'exercice d'une activité professionnelle interdisant la recherche effective et permanente d'un emploi (11). La question, délicate, revient à apprécier si l'activité en cause était exercée de façon continue et habituelle ou simplement occasionnelle et quel type d'avantages le chômeur en a tirés (existence d'une relation de subordination, activités exercées en échange d'avantages en nature).
Dans le cadre de l'exclusion du bénéfice du revenu de remplacement prononcée par le DDTEFP, les juges administratifs se montrent aussi sévères pour les chômeurs-gérants de sociétés (hypothèse du gérant de fait). Dans un arrêt du 17 novembre 1997 (CE Contentieux, 17 novembre 1997, n° 159494, M. Lonchampt N° Lexbase : A5071ASM), le Conseil d'Etat prend soin de relever que l'intéressé était le gérant d'une société dont il possédait la quasi-totalité des parts sociales : il doit être, dès lors, regardé comme ayant occupé de façon habituelle, dans une entreprise commerciale, un emploi. L'exclusion du bénéfice du revenu de remplacement pouvait à bon droit être prononcée, alors même que le versement d'une rémunération ne serait pas établi.
Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Rouen
Décision
Cass. crim., 20 mars 2007, n° 06-86.269, L'Assedic d'Alsace, F-P+F+I (N° Lexbase : A9503DUI) Rejet (CA Colmar, ch. corr., 14 juin 2006) Textes visés : C. trav., art. L. 365-1 (N° Lexbase : L3102HIQ) ; C. pr. pén., art. 593 (N° Lexbase : L3977AZC) Mots-clefs : fraude aux allocations de chômage ; recherche d'emploi Liens bases : (N° Lexbase : E1434ATB) ; (N° Lexbase : E1434ATB). |
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