La lettre juridique n°251 du 8 mars 2007 : Sécurité sociale

[Jurisprudence] Accident du travail : où va-t-on ?

Réf. : Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-13.771, M. Gérard Gruner, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2849DU3)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Peut-on imaginer des entretiens d'embauche conduits avec la présence d'un médecin psychiatre ? Cette question, incongrue il y a quelques jours, devient pertinente eu égard à la jurisprudence rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 22 février 2007. Le contexte de cette affaire illustre parfaitement la large publicité à laquelle est destinée cette décision. Dans cette affaire, un salarié en maladie pour dépression avait tenté de mettre fin à ses jours à son domicile. La caisse avait accepté de prendre en charge cet acte au titre de la législation sur les accidents du travail. Contestant l'opposabilité de cette décision, l'employeur avait saisi le juge. Il aurait certainement dû s'abstenir car, non seulement, la Cour de cassation vient confirmer le caractère professionnel du suicide dans ce cas mais, encore, vient mettre à la charge de l'employeur une faute inexcusable. Une telle solution surprenante s'expose à la critique à plus d'un titre.


Résumé

Un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu'il est survenu par le fait du travail. L'employeur étant tenu d'une obligation de sécurité de résultat, toute violation de cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable.

Le suicide d'un salarié est un accident du travail dû à une faute inexcusable de l'employeur dans la mesure où il est établi que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures pour l'en préserver.

Décision

Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-13.771, M. Gérard Gruner, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2849DU3)

Rejet (CA Angers, chambre sociale, 8 février 2005)

Textes concernés : CSS, art. L. 411-1 (N° Lexbase : L5211ADD) ; CSS, art. L. 452-1 (N° Lexbase : L5300ADN).

Mots-clefs : accident du travail ; qualification ; suicide ; reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ; accident survenu par le fait du travail ; faute inexcusable de l'employeur.

Liens bases :  ; .

Faits

Un salarié a tenté de mettre fin à ses jours à son domicile alors qu'il se trouvait en maladie depuis un mois pour syndrome anxio-dépressif.

La caisse de Sécurité sociale a qualifié son geste d'accident professionnel et a retenu la faute inexcusable de l'employeur. La cour d'appel a déclaré opposable à l'employeur la décision de la caisse relative à la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle. Elle a, en outre, retenu la faute inexcusable de l'employeur et l'a condamné à réparer les préjudices subis par le salarié.

Solution

1. Rejet

2. "Mais attendu qu'un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu'il est survenu par le fait du travail".

3. "Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat, et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsque l'employeur avait, ou aurait dû avoir, conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver".

4. "Et attendu que les énonciations de l'arrêt selon lesquelles l'équilibre psychologique de M. Alain avait été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement de M. Gruner, caractérisant le fait que l'employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que M. Gruner avait commis une faute inexcusable".

Observations

1. Qualification d'accident du travail du suicide survenu par le "fait du travail"

  • Définition de l'accident du travail

L'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale institue une présomption d'imputabilité de l'accident au travail qui permet au salarié accidenté, victime d'un accident remplissant les critères prévus par le législateur, d'être dispensé de la preuve du caractère professionnel de l'accident. Ce texte dispose qu'"est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeur ou chefs d'entreprise".

Traditionnellement, la jurisprudence exigeait qu'une lésion soit apparue de manière soudaine sur le lieu et pendant le temps de travail. Originairement stricte, les critères et leur réunion ont été assouplis par la jurisprudence au fil des décisions.

  • Assouplissement des critères

D'un côté, la Cour de cassation est venue supprimer l'exigence de soudaineté de la lésion corporelle privilégiant, ici, l'existence d'une lésion indépendamment du moment de son apparition.

Elle considère, en effet, que "constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci" (Cass. soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, M. Albert X c/ Caisse primaire d'assurance maladie CPAM du Gard et autres, publié N° Lexbase : A6375A7A ; lire les obs. de Ch. d'Artigue, La nouvelle définition de l'accident du travail, Lexbase Hebdo n° 66 du 10 avril 2003 - édition sociale N° Lexbase : N6867AAL).

D'un autre côté, les juges sont venus assouplir la seconde exigence de lieu et de temps de travail, à laquelle ils ont substitué la notion de subordination et, singulièrement, le fait pour le salarié de se trouver à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles.

Cet assouplissement a permis de qualifier d'accident de travail, l'accident survenu à un salarié en mission (Cass. soc., 19 juillet 2001, n° 99-20.603, Mme Monique Salomon c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Lyon, publié N° Lexbase : A2490AUR ; Dr. soc. 2001, 1022, obs. Prétot ; Cass. soc., 12 décembre 2002, n° 01-20.516, Société Etablissements J. Verger et Delporte c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Seine et Marne, FS-P N° Lexbase : A4275A44) comme celui survenu à un salarié sous astreinte (Cass. civ. 2, 2 novembre 2004, n° 02-31.098, Electricité de France (EDF), service national c/ M. Jean-Marc Sposito, FS-P+B N° Lexbase : A7604DDY ; lire nos obs., L'union consacrée de l'astreinte et de la présomption d'accident du travail, Lexbase Hebdo n° 143 du 18 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3568ABR). C'est ce critère de subordination, traditionnellement déterminant de l'application de la présomption, qui se trouve écarté dans la décision commentée.

  • Espèce

Le salarié n'était pas, en effet, au moment de sa tentative de suicide, sur son lieu de travail puisqu'il était chez lui, arrêté depuis un mois pour maladie. Il était donc difficile de considérer que le salarié se trouvait dans ce cas sous la subordination de son employeur.

Ce n'est d'ailleurs pas ce qui a déterminé la solution de la Cour de cassation confirmant le caractère professionnel de cet accident. Pour cette dernière, en effet, un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu'il est survenu "par le fait du travail". En retenant ce critère, elle vient encore élargir le champ des accidents du travail qui englobe, cette fois, tout accident ayant une origine même partiellement professionnelle.

Cette partie de la solution, bien qu'a priori surprenante, n'en demeure pas moins une application littérale de l'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale. Même si, en pratique, elle semble difficilement concevable, elle trouve des fondements théoriques. Plus contestable, en revanche, est la seconde partie de la solution qui vient mettre, dans ce cas, une faute inexcusable à la charge de l'employeur

2. Une solution hautement critiquable

  • Reconnaissance logique du suicide comme accident du travail

Le fait de reconnaître le suicide comme accident du travail n'est pas totalement nouveau. Un tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) avait eu l'occasion de se prononcer sur cette question (Tass Epinal, n° 218/99, 28 février 2000, Madame Chantal Rousseaux c/ CPAM des Vosges N° Lexbase : A4423DUD). Dans cette affaire, les juges avaient considéré que, lorsqu'il est établi que c'est "à l'occasion du travail" que la tentative de suicide a eu lieu, l'accident est qualifié d'accident du travail.

La différence entre cette affaire et celle commentée est, cependant, de taille. Certes, dans les deux espèces, les conditions de travail infligées au salarié l'avaient amené à tenter de se suicider mais, dans la première affaire (celle jugée par le Tass des Vosges), la tentative de suicide avait eu lieu alors que la salariée était au travail. L'emploi par les juges du Tass des termes "accident survenu à l'occasion du travail", aurait pu laisser croire que, là encore, le critère de subordination avait été déterminant de la solution.

Ce n'est toutefois pas l'élément qui avait justifié la qualification d'accident du travail du suicide. Si on lit la décision, c'est, en effet, le fait que le geste de la salariée ait été en relation directe avec son travail, dans lequel elle était harcelée psychologiquement, qui avait emporté cette qualification. Singulièrement, et comme le souligne le Tass, le fait que ces conditions de travail "déplorables" l'aient poussée à passer à l'acte. Le rattachement de la qualification d'accident du travail au lien entre l'accident et le travail, plus qu'à son lieu, trouve ici sa confirmation.

Il trouve d'ailleurs son fondement directement dans l'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale. Ce texte qualifie, en effet, d'accident du travail tout accident survenu "à l'occasion ou par le fait du travail", laissant un champ large à la qualification d'accident du travail permettant d'y faire entrer toutes les lésions trouvant une origine même non exclusivement professionnelle.

Il est admis que le suicidaire commet l'irréparable "dans le but d'échapper à une situation psychologique qu'il considère intolérable" (Olivia Gulli, Reconnaissance jurisprudentielle du harcèlement moral au travail, Jurisprudence sociale Lamy, n° 66, 19 octobre 2000), situation qui peut effectivement avoir une origine professionnelle.

Il suffira donc désormais que le salarié démontre que son accident est survenu par le fait de son travail, en l'absence de subordination, pour bénéficier de sa prise en charge au titre de la législation des accidents du travail et maladies professionnelles. Malgré ses inconvénients pratiques (puisque l'employeur ne pourra jamais montrer le contraire), cette partie de la solution s'expose moins à la critique que la seconde partie qui vient confirmer que cet accident du travail résulte d'une faute inexcusable de l'employeur.

  • Caractère inexpliqué de la qualification de faute inexcusable de la faute de l'employeur

Depuis 2002, la Cour de cassation donne une nouvelle définition de la notion de faute inexcusable (Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0773AYB). Elle met, ainsi, à la charge de l'employeur une obligation de sécurité de résultat et elle considère que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable "lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver". Cette obligation de sécurité de résultat, originairement dégagée en matière de maladie professionnelle (Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, préc.), a rapidement été étendue aux accidents (Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4836AYR). Jusqu'alors, cette obligation de sécurité semblait limitée au cercle professionnel et, singulièrement, était destinée à protéger les salariés "dans l'exécution de leur prestation de travail".

Or, ici, quelle obligation de sécurité l'employeur a-t-il violé ?

On craint de voir arriver, dans cette décision, l'automaticité de la qualification de faute inexcusable en cas d'accident professionnel. Qualification qui n'a pas lieu d'être dans toutes les hypothèses, notamment lorsque le salarié ne se trouve pas, au moment de l'accident, sur son lieu de travail.

Si, en effet, l'employeur peut prendre des mesures lorsque ses salariés sont sur leur lieu de travail, il semble difficile de le rendre débiteur de la même obligation de résultat, qui plus est, s'agissant de ses salariés qui se trouvent à leur domicile.

C'est pourtant ce que vient dire la Cour de cassation lorsqu'elle décide que, dans la mesure où l'employeur savait que l'état de son salarié résultait d'une dégradation de leurs relations professionnelles, il y a lieu de considérer que l'employeur avait connaissance du danger auquel le salarié était exposé et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver... Mais, comment pouvait-il éviter que le salarié commette son acte ? En engageant une garde malade ? En le faisant "hospitaliser" ? Ou en s'occupant de lui personnellement ? Il semble difficile de voir, ici, une faute inexcusable puisque l'employeur pouvait difficilement préserver son salarié de ce qui aller lui arriver, à moins d'avoir été personnellement averti par le salarié de son intention de mettre fin à ses jours. Mais, là, le problème ne se situe plus sur le terrain professionnel.

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