La lettre juridique n°251 du 8 mars 2007 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Evaluation de titres de sociétés non cotées : absence de prise en compte de l'intérêt du donataire

Réf. : Cass. com., 6 février 2007, n° 05-12.939, Directeur général des impôts, F-P+B (N° Lexbase : A9488DTL)

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

le 07 Octobre 2010

Alors que, pour déterminer la valeur de titres d'une société holding, la cour d'appel avait retenu que cette valeur s'apprécie du point de vue de l'intérêt qu'en tire le donataire, la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 6 février 2007, censure l'arrêt rendu au motif que la limite apportée par le donateur à la liberté de disposer des titres donnés n'affecte pas leur valeur vénale réelle. On sait que, comme pour les biens immobiliers, la valeur de titres de sociétés non cotées se détermine en tenant compte de tous les éléments permettant d'obtenir un chiffre aussi proche que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu de l'offre et de la demande. Cependant, à la différence des immeubles, où il est déduit de ce principe que c'est une étude du marché effectif qui permet de cerner la valeur, en l'absence de mutations antérieures portant sur les mêmes titres que ceux à évaluer, l'administration considère que la recherche de la valeur vénale implique le recours à la combinaison de méthodes. Ainsi, la valeur des parts d'une société doit être établie en tenant compte, non seulement de la valeur mathématique obtenue par actualisation de la valeur de l'actif comptable de la société, mais également de la valeur de productivité tirée de l'importance du bénéfice et de la valeur de rendement établie par capitalisation du dividende (QE n° 06616, de P.-C. Taittinger, réponse publiée au JO Sénat du 19 août 1982, p. 3858 ; QE n° 26720 de J.-P. Balligand, réponse publiée au JOAN du 28 janvier 1991, p. 299 N° Lexbase : L5940HUK).

1. La valeur vénale de titres s'entend d'une valeur objective...

La valeur, au jour de la transmission à titre gratuit, de titres non cotés en bourse doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir une évaluation aussi proche que possible de celle qu'aurait déterminé le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel à cette date (Cass. com., 19 avril 2005, n° 03-19.890, F-D N° Lexbase : A9624DHW). Ainsi, lorsque sont constatées des transactions antérieures sur les titres de la même société, le prix auquel ces transactions ont été conclues est un critère prépondérant. Mais, c'est à la condition qu'elles soient contemporaines, environ moins de deux ans, et qu'elles aient été conclues dans des conditions équivalentes. Une distinction doit être opérée, par exemple, selon que l'opération permet ou non au cessionnaire de prendre le contrôle de la société. En l'absence de comparaison avec des titres similaires, il convient de combiner plusieurs méthodes financières, sans s'en tenir à la seule valeur mathématique. Ainsi, quand bien même l'activité de la société consistait en la gestion de son patrimoine, la valeur des actions ne se réduit pas à la valeur du patrimoine social traduite par la valeur mathématique (Cass. com., 23 avril 2003, n° 99-19.901, F-D N° Lexbase : A7618BSX). Les méthodes financières tiennent compte de la valeur de rendement, comme par exemple, la méthode du "cash flow" ou la marge brute d'autofinancement. Par ailleurs, doivent être prises en considération les perspectives d'avenir de l'entreprise dans la mesure où il s'agit d'éléments connus à la date de la transmission (Cass. com., 21 mai 1996, n° 94-20.517, M. Roland Bracoud c/ M. le directeur général des Impôts, inédit au bulletin N° Lexbase : A1231CYA).

2. ...qui interdit la prise en compte de l'intérêt du donataire

En décidant que les droits de succession ne pouvaient porter que sur les biens tels qu'ils étaient reçus par les bénéficiaires de la transmission, la Cour de cassation avait ouvert une brèche dans la doctrine administrative selon laquelle l'article 761 du CGI (N° Lexbase : L8122HLE), qui précise que, pour la liquidation des droits de succession, les immeubles sont estimés d'après leur valeur vénale réelle à la date du décès, devait s'interpréter comme imposant une évaluation juste avant cette transmission, puisque c'est le décès qui constitue le fait générateur de l'impôt (Cass. com., 19 octobre 1999, n° 97-15.255, M Laurent c/ Direction générale des Impôts N° Lexbase : A3424AUD). De cette décision, les auteurs en avaient déduit qu'il pouvait être considéré que, l'évaluation d'un bien s'effectuant compte tenu de son état dans le patrimoine de l'héritier ou du donataire, la valeur à retenir pour l'assiette des droits devait prendre en considération la situation créée par la transmission. Cependant, l'administration, considère, s'agissant, par exemple, d'une indivision résultant d'une transmission entre vifs à titre gratuit, que la situation indivise des donataires résultant de la transmission est sans incidence sur la valeur (instruction du 9 septembre 2004, BOI n° 7 G-6-04 N° Lexbase : X3818ACE). Ce qui a été confirmé par le juge (Cass. com., 7 juin 2006, n° 03-20.228, F-D N° Lexbase : A9374DPU). Autrement dit, il y aurait lieu de distinguer selon que la transmission est ou non subie. Lorsque la transmission est subie, ce qui est le cas d'un décès, il serait permis de prendre en considération la situation qui résulte involontairement de ce décès. En revanche, il découle tant de la doctrine que de la jurisprudence, que lorsque la transmission est volontaire, comme c'est le cas des donations, mutations entre vifs, les atteintes créées par le donateur ne seraient pas prise en compte. Ainsi, la limite apportée à la liberté de les aliéner n'affecte pas la valeur d'actions de sociétés cotées (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 00-16.786, FS-P N° Lexbase : A6877DAX). Il est vrai que, dans ce cas particulier, c'est l'article 885 T bis du CGI (N° Lexbase : L8850HLD) qui s'applique, le litige portant sur l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune. Or, cette disposition stipule que les valeurs mobilières cotées sur un marché sont évaluées selon le dernier cours connu ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition.

Dans l'affaire ayant donné lieu à la décision du 6 février, le litige portait sur la valeur d'actions d'une société holding ayant fait l'objet d'une donation entre époux. Dans l'acte, le donataire s'interdisait formellement d'aliéner et de nantir les droits sociaux donnés, à peine de nullité des aliénations et des nantissements et de révocation de la présente donation. Après avoir énoncé que "la valeur d'un titre d'une société non cotée s'apprécie du point de vue de l'intérêt qu'en tire l'acquéreur ou le donataire" la cour d'appel avait validé l'évaluation retenue par les parties en prenant en compte le fait, d'une part, que le donataire était actionnaire minoritaire, d'autre part, que les actions ne rapportaient aucun dividende et n'avaient pratiquement pas vocation à en rapporter (CA Poitiers, 30 décembre 2004, n° 03/04024). En décidant ainsi, la cour d'appel a, selon la Haute juridiction, entaché son arrêt de défaut de base légale au regard de l'article L. 17 du LPF (N° Lexbase : L5557G4L), selon lequel l'administration a le pouvoir de rectifier l'évaluation d'un bien lorsque cette évaluation paraît inférieure à la valeur vénale réelle. Selon le pourvoi, cette valeur s'entend d'une valeur objective du bien à la date de la mutation, correspondant à une valeur de marché, du point de vue d'un acheteur quelconque et exclusive de toute prise en compte des considérations intéressant la personne du bénéficiaire de la mutation. Il convient, donc, de distinguer la valeur subjective du bien, dépendante de la situation et de l'intérêt du donataire des contraintes juridiques, non dépendantes de ce dernier, comme l'existence d'une clause d'agrément en cas de cession des actions données et la libre révocabilité des donations entre époux qui avaient été effectivement prise en compte par le service lors de son évaluation. Tout comme le fait que la valeur de rendement de société était considérée comme nulle.

Cette décision s'inscrit dans la droite ligne de celles qui tirent comme conséquence de la définition de la valeur vénale réelle, comme une valeur objective, l'absence de prise en compte d'éléments subjectifs. Ainsi, il a déjà été jugé que la charge fiscale, pesant sur le donataire en raison de la donation, ne pouvait affecter la valeur des actions données, cette charge étant personnelle à l'acquéreur (Cass. com., 14 février 2006, n° 03-18.742, F-D N° Lexbase : A9791DML).

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