La lettre juridique n°251 du 8 mars 2007 : Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II

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le 30 Septembre 2011


Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose cette semaine de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Seront abordés, au sein de cette chronique, la sanction du défaut d'impartialité, la question du pourvoi en cassation contre un arrêt de renvoi dont la décision était conforme au premier arrêt de cassation, l'effet suspensif d'une demande d'aide juridictionnelle ou encore la question de l'intervention d'un tiers en appel.





I - Impartialité du juge au-delà des cas de récusation

  • La Cour de cassation revient sur la sanction du défaut d'impartialité en dehors des cas de récusation de l'article 341 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2573ADN) et précise le régime des sanctions consécutives au rejet d'une demande en récusation : Cass. civ. 2, 8 février 2007, n° 05-22.113, Mme Clotilde Quéru, FS-P+B (N° Lexbase : A9550DTU)

Dans cet arrêt, une partie au procès avait sollicité la récusation d'un juge chargé du contrôle des missions d'expertises sans, pour autant, avoir invoqué une cause particulière de récusation prévue par l'article 341 du Nouveau Code de procédure civile. La cour d'appel avait rejeté sa demande et le pourvoi invoquait le fait que l'article 341 précité -qui prévoit limitativement huit cas de récusation- n'épuise pas l'exigence d'impartialité requise de toute juridiction par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (N° Lexbase : L7558AIR).

Effectivement, la Cour de cassation affirme, depuis un arrêt du 28 avril 1998 (1) que les causes de récusation n'épuisent pas l'exigence d'impartialité. La formule demeure floue et la Cour de cassation ne l'a pas précisée. On peut en déduire qu'en dehors des cas prévus à l'article 341 du Nouveau Code de procédure civile, une partie peut alléguer le défaut d'impartialité d'un juge. Ce dernier peut alors choisir de s'abstenir en vertu de l'article 339 (N° Lexbase : L2571ADL) du même code. S'il persiste à exercer sa fonction, sa partialité deviendra alors une cause de nullité procédurale.

Encore faut-il que celui qui invoque la nullité démontre que le magistrat est effectivement partial. C'est ce que rappelle logiquement la Cour de cassation dans son arrêt du 8 janvier 2007. Selon la Haute juridiction : "Mme X n'invoquait non seulement aucune des causes visées à l'article 341 du Nouveau Code de procédure civile, mais aussi aucune autre de nature à faire naître un doute légitime sur l'impartialité".

Le défaut d'impartialité n'est donc pas retenu, faute de preuve. La solution est conforme, non seulement à l'article 9 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW), mais encore à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui considère que l'impartialité du juge se présume (2).

II - Pourvoi en cassation contre un arrêt de renvoi qui s'est plié à l'arrêt de cassation

  • Statuant dans une espèce atypique, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a déclaré irrecevable un moyen de cassation contre un arrêt de renvoi dont la décision était conforme au premier arrêt de cassation : Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 05-11.966, P+B+R+I (N° Lexbase : A0884DTW) et n° 05-17.690, Société La Briocherie c/ Mme Henriette Mestre, veuve Frey, P+B+R+I (N° Lexbase : A0967DTY)

Au fond, dans la première espèce, l'affaire portait sur la validité d'un prêt. La première cour d'appel avait rejeté la demande de nullité du prêt, mais l'arrêt fut cassé par la Chambre commerciale (Cass. com., 28 février 2006, n° 05-11.966, F-D N° Lexbase : A4306DNS). La cour d'appel de renvoi plia et prononça la nullité du prêt en question. Toutefois, entre le premier arrêt de cassation et celui de la cour de renvoi, une décision rendue par l'Assemblée plénière dans une autre affaire était venue contredire la jurisprudence de la Chambre commerciale. Forte d'un arrêt de principe rendu par l'Assemblée plénière, l'une des parties saisissait, une nouvelle fois la Cour de cassation, estimant que dans sa composition la plus solennelle, la Haute juridiction confirmerait la validité du prêt.

L'Assemblée plénière rejette pourtant le pourvoi au motif que "le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d'avoir statué conformément à l'arrêt de cassation qui la saisissait, est irrecevable".

Bien qu'elle paraisse évidente, cette règle n'est énoncée par aucun article du code et la doctrine l'affirme généralement sous la forme d'une évidence (3). Cet arrêt est donc salutaire, car il pose clairement la solution et indique, de façon indirecte, qu'un revirement de jurisprudence ne peut avoir d'incidence sur le cheminement procédural d'une autre affaire.

III - Effet suspensif d'une demande d'aide juridictionnelle

  • La Cour de cassation reproche à une cour d'appel d'avoir statué au fond sans attendre la décision relative à l'aide juridictionnelle : Cass. civ. 2, 18 janvier 2007, n° 06-10.294, M. Jean-Louis Malglaive, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6271DTG)

Un justiciable a relevé appel d'une décision rendue en première instance et a formulé, parallèlement, une demande d'aide juridictionnelle. L'audience devant la cour d'appel étant fixée, le justiciable a sollicité un renvoi dans l'attente de la décision sur sa demande d'aide juridictionnelle. La cour d'appel, considérant que cette demande était dilatoire, a statué sur l'appel.

La Cour de cassation censure cette décision en affirmant : "Qu'en statuant sur l'appel dont elle était saisie, alors que M. X avait sollicité, avant la date de l'audience, l'attribution de l'aide juridictionnelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés". Dans cette espèce, la cour d'appel aurait dû renvoyer l'affaire dans l'attente de la décision du bureau d'aide juridictionnelle, dès lors que la demande d'aide avait été formulée avant la date de l'audience.

La cassation est rendue au visa des articles 2 et 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE). Ces deux dispositions n'indiquent pas que la demande d'aide juridictionnelle a un effet suspensif. Elles prévoient, d'une part, le droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, d'autre part, le droit à l'assistance d'un avocat. C'est donc bien le principe des droits de la défense qui se dissimule derrière cette décision, tel qu'il avait pu être affirmé solennellement par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (4).

Reste à savoir quelle doit être la décision du juge lorsqu'il attend la décision du bureau de l'aide juridictionnelle. Un simple renvoi d'audience apparaît comme une mesure adéquate, mais destinée à être renouvelée. A l'inverse, on peut imaginer que le juge ordonne le sursis à statuer (NCPC, art. 378 N° Lexbase : L2608ADX) dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice (5). La mesure présente l'avantage de suspendre l'instance dans l'attente de la décision sur l'aide juridictionnelle.

IV - Intervention d'un tiers en appel : les circonstances de fait ou de droit modifiant les données juridiques du litige

  • Après l'arrêt d'Assemblée plénière du 11 mars 2005 (Ass. plén., 11 mars 2005, n° 03-20.484, Société Seritel c/ Caisse générale d'assurances mutuelles (CGAM) N° Lexbase : A2721DHA), une décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation donne une illustration des conditions strictes qui permettent de faire intervenir un tiers dans le procès pour la première fois en appel : Cass. civ. 2, 23 novembre 2006, n° 06-10.942, Société Bombardier transports France, FS-P+B (N° Lexbase : A5420DSK)

L'intervention d'un tiers pour la première fois en appel pose un problème au regard, tant du principe du double degré de juridiction, que de l'immutabilité du litige. Ainsi, l'article 555 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2805ADA) précise que les tiers ne peuvent être appelés devant la cour d'appel qu'à la condition que "l'évolution du litige implique leur mise en cause". Cette notion d'évolution du litige, pour le moins confuse, a été précisée par l'Assemblée plénière dans un arrêt du 11 mars 2005 (pourvoi n° 03-20.484, Procédures 2005, com. 118). Selon cet arrêt, "l'évolution du litige impliquant la mise en cause d'un tiers devant la cour d'appel, au sens de l'article 555 du Nouveau Code de procédure civile, n'est caractérisée que par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige".

La notion ayant été précisée, il reste à savoir quelles sont les circonstances de fait et de droit qui modifient les données du litige. L'arrêt du 23 novembre 2006 fournit une illustration intéressante.

En l'espèce, une société avait acquis des wagons construits par un entrepreneur principal et dont le revêtement avait été réalisé par un sous-traitant. Ce revêtement s'est détérioré et l'acquéreur a agi contre l'entrepreneur principal. Le tribunal l'a débouté de sa demande, mais la cour d'appel a infirmé ce jugement et ordonné une nouvelle expertise. Après le dépôt du rapport d'expertise, l'acquéreur a assigné le sous-traitant, mais aussi le fabricant du revêtement en intervention forcée pour la première fois en appel. La cour d'appel a déclaré ces interventions irrecevables.

La question se posait de savoir si l'expertise sollicitée par la cour d'appel avait fait apparaître de nouvelles circonstances susceptibles de justifier une intervention forcée pour la première fois en appel. La Cour de cassation répond par la négative en considérant que "dès le début du litige, l'acquéreur des wagons avait invoqué des malfaçons du revêtement intérieur et mis en cause la qualité des produits utilisés et la pose de ces produits, la cour d'appel a retenu à bon droit que, dès cette époque, la responsabilité des sociétés Julien et Max Perles était susceptible d'être mise en cause et que la seconde expertise ne pouvait donc justifier leur intervention forcée pour la première fois en cause d'appel".

La solution est assez stricte. Selon la Cour de cassation, la responsabilité éventuelle du sous-traitant et du fabricant aurait dû conduire l'acquéreur à assigner devant le juge de première instance tous les auteurs potentiels du dommage sans attendre le résultat d'une expertise établissant avec plus de certitude les responsabilités.

Cette conception stricte de l'évolution du litige permet de limiter l'atteinte au double degré de juridiction, mais elle contraint le demandeur à ouvrir une nouvelle procédure contre ceux qui n'ont pu être appelés dans la première.

V - Nullité pour vice de forme d'un commandement d'avoir à libérer les locaux

  • Le défaut d'indication, dans le commandement, de la date à partir de laquelle les locaux devront être libérés constitue un vice de forme au sens de l'article 114 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L1950ADL) : Cass. civ. 2, 8 février 2007, n° 05-20.936, M. Jean-Louis Collin, FS-P+B (N° Lexbase : A9532DT9)

Dans cet arrêt d'espèce, un juge des référés avait ordonné l'expulsion de deux occupants sans titre d'un local à usage d'habitation. Conformément à l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : L4664AH9), le délai de deux mois traditionnellement accordé aux occupants avant de quitter les lieux avait été supprimé par le juge. Un huissier avait alors signifié cette ordonnance aux occupants en délivrant commandement d'avoir à libérer les locaux "immédiatement et sans délai". Les occupants ont alors demandé au juge de l'exécution la nullité de l'acte d'huissier au motif que le commandement d'avoir à libérer des locaux doit contenir, à peine de nullité, l'indication de la date à partir de laquelle les locaux devront être libérés (article 194 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 N° Lexbase : L9125AG3).

La cause de nullité textuelle était ici incontournable. Par la mention "immédiatement et sans délai", l'huissier avait entaché son acte d'un vice. Encore fallait-il savoir quelle était la nature de la nullité encourue.

La Cour de cassation répond clairement à cette question en affirmant que "le défaut d'indication, dans le commandement, de la date à partir de laquelle les locaux devront être libérés constitue un vice de forme". Cette précision est essentielle puisque les occupants qui sollicitaient la nullité du commandement devaient alors démontrer que le vice frappant l'acte leur avait causé un grief (NCPC, art. 114, al. 2). La Cour de cassation relève, au contraire, que les occupants sans titre "n'avaient été effectivement expulsés que plus de quinze jours après la signification du commandement d'avoir à libérer les locaux " et elle en déduit que " l'irrégularité n'avait pas causé de grief aux occupants".

Cet arrêt donne le sentiment que la mention du délai d'expulsion dans le commandement n'a pas pour finalité d'informer les occupants (en l'espèce, le délai de quinze jours n'était pas indiqué dans l'acte) mais plutôt de contraindre le propriétaire des lieux à accorder le délai qui a été précédemment retiré par le juge. L'article 194 du décret du 31 juillet 1992 contredirait ainsi la lettre de l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991. Solution étrange pour un texte réglementaire qui est censé appliquer la loi et non la contredire.

Etienne Vergès,
Agrégé des facultés de droit,
Professeur à l'Université de Grenoble II


(1) Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 96-11.637, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A2196ACC), JCP éd. G, 1999, II, 10102.
(2) CEDH, 23 juin 1981, Req. 00006878/75, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique (N° Lexbase : A3823AU7), série A, n° 43.
(3) Cf. toutefois, J. Heron, Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, 3ème éd. Montchrestien, 2006, p. 696, note 138.
(4) Ass. plén. 30 juin 1995, n° 94-20.302, M. X c/ Conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (N° Lexbase : A5729CKE), Dalloz 1995, juris., p. 513.
(5) Par ex. Cass. civ. 1, 16 juin 1987, n° 85-17.200, Société de caution mutuelle des professions immobilières et foncières (SOCAF) c/ Société anonyme G et J Saulais, syndic des copropriétaires de l'immeuble sis à Paris, 104, boulevard Arago (N° Lexbase : A8301AAP), Bull. Civ. I, n° 196.

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