La lettre juridique n°251 du 8 mars 2007 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances

Lecture: 22 min

N2992BA3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Chronique en droit des assurances. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208976-chroniquechroniqueendroitdesassurances
Copier

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, à compter de cette semaine, un nouveau rendez-vous en droit des assurances. Ainsi, chaque mois retrouvez une sélection de l'actualité en la matière effectuée par Véronique Nicolas, Professeur à la Faculté de droit de Nantes, et Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé). Au sommaire de ce panorama, seront ici abordés, dans une première partie, la loi du 19 février dernier, portant réforme de l'assurance de protection juridique et la sanction d'un assuré n'ayant pas satisfait à son obligation de déclaration du risque, et, enfin, l'étendue de l'obligation d'information à la charge de l'assureur ou du souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe. I - L'assurabilité du risque en matière de protection juridique : loi n° 2007-210, 19 février 2007, portant réforme de l'assurance de protection juridique (N° Lexbase : L4510HUL) ; Cass. civ. 2, 7 décembre 2006, n° 05-19.306, M. Lothar Meissner, FS-P+B (N° Lexbase : A8396DSR)

L'assurance de protection juridique a les honneurs de l'actualité législative. La loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l'assurance de protection juridique poursuit un triple objectif :

- En premier lieu, elle vient corriger certaines règles jugées défavorables aux assurés et comme telles "épinglées" par la Commission des clauses abusives (1). Il est, ainsi, créé un nouvel article L. 127-2-1 du Code des assurances, posant la définition d'un sinistre de protection juridique comme "le refus qui est opposé à une réclamation dont l'assuré est l'auteur ou le destinataire". Cette définition va permettre de lever toute ambiguïté quant au point de départ du délai de déclaration du sinistre, donc quant au moment où est acquise la déchéance conventionnelle du droit à garantie pour cause de déclaration tardive, régie par l'article L. 113-2 (N° Lexbase : L0061AAI) du même code. Dans le prolongement de cette idée, un nouvel article L. 127-2-2 est créé pour réputer non écrite toute clause de déchéance liée à des "consultations ou [...] actes de procédure réalisés avant la déclaration du sinistre". L'alinéa 2 précise, toutefois, que "ces consultations et ces actes ne sont pas pris en charge par l'assureur, sauf si l'assuré peut justifier d'une urgence à les avoir demandés". Les travaux parlementaires éclairent l'esprit de ce texte voulant sauvegarder la liberté pour l'assuré de s'adresser, s'il le souhaite, à un avocat ou à un huissier avant toute déclaration de sinistre à son assureur, à ses frais sauf à justifier d'une situation d'urgence (que le rapport de M. le député Etienne Blanc au nom de la commission des lois (2) illustre par l'hypothèse où l'assuré se constituerait partie civile dans une procédure de comparution immédiate), auquel cas ces frais seraient pris en charge par l'assureur.

- En deuxième lieu, elle entend mettre fin à certaines pratiques des assureurs dans la gestion "interne" des sinistres de protection juridique (c'est-à-dire par leurs juristes salariés), en accordant une place accrue aux avocats dont la présence est imposée, au nom d'un principe d'égalité (intellectuelle ?) des armes, dès la phase amiable lorsque l'adversaire de l'assuré est lui-même conseillé à ce stade liminaire par un avocat. Il n'est donc plus question de se satisfaire de la présence d'un avocat dans la seule phase contentieuse. Le rapport précité de M. Blanc justifie cette nouvelle règle, consignée dans un article L. 127-2-3, outre par ce principe d'égalité des armes, par les exigences déontologiques applicables aux avocats mais non aux juristes des sociétés d'assurance protection juridique et en soulignant que la mesure répond au souci d'apporter à l'assuré "la garantie d'un conseil impartial, indépendant des intérêts de l'assureur, là où le recours au juriste risque de protéger avant tout les intérêts de la société d'assurances ou de l'entreprise mutualiste qui l'emploie". Le Code des assurances comportait pourtant déjà des règles destinées à prévenir ou régler tout conflit d'intérêts (C. assur., art. L. 127-2 et s. N° Lexbase : L0117AAL et art. L. 322-2-3N° Lexbase : L0362AAN) : contrat distinct ou séparé (du reste des garanties d'un contrat multirisques) ; service distinct au sein de la compagnie d'assurance multibranches ou société spécialisée distincte de son éventuelle "société mère" ; recours à l'arbitrage en cas de divergence de vues entre l'assuré et l'assureur sur la suite à donner à un dossier. Toutes ces règles n'ont visiblement pas été jugées suffisantes... En outre, malgré l'affirmation d'un libre choix de son avocat par l'assuré (C. assur., art. L. 127-3 N° Lexbase : L0118AAM), les parlementaires ont entendu contrecarrer les pratiques des assureurs considérées comme contournant, dans les faits, le principe énoncé. Chacun sait que les assureurs de protection juridique ont constitué des "réseaux" d'avocats auprès desquels les honoraires sont négociés. Les assurés n'ayant pas de conseil attitré sont invités à solliciter un avocat "partenaire" pour assurer leur défense. Cette situation sert, a priori, l'intérêt de l'assuré en ce que la négociation des honoraires permet sans doute d'atteindre moins facilement le "plafond" de garantie. Cependant, cette pratique instaure une distinction entre avocats "dans le réseau" et ceux "hors réseau", qui peut être jugée attentatoire au principe de libre concurrence et à celui d'indépendance de l'avocat, pivot de la déontologie de cet auxiliaire de justice. La réforme consiste à insérer à l'article L. 127-3 un nouvel alinéa ainsi rédigé : "L'assureur ne peut proposer le nom d'un avocat à l'assuré sans demande écrite de sa part". Finies les démarches incitatives... Finies, également, les négociations d'honoraires entre assureur et avocat. Un nouvel article L. 127-5-1 dispose que "les honoraires de l'avocat sont déterminés entre ce dernier et son client, sans pouvoir faire l'objet d'un accord avec l'assureur de protection juridique".

- En troisième lieu, le législateur entend solliciter davantage l'assurance de protection juridique. En termes économiques, et pour une bonne gestion des deniers publics, rien n'est pire qu'une garantie d'assurance dont l'assuré s'ignore titulaire (en raison de son inclusion dans un contrat multirisques) et qui obtient une aide juridictionnelle (totale ou partielle). La loi du 19 février 2007 consacre donc un principe de subsidiarité de l'aide juridictionnelle, l'article 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE) étant modifié par ajout d'un alinéa aux termes duquel "l'aide juridictionnelle n'est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique ou d'un système de protection".

L'ensemble de ces mesures a provoqué une très vive réaction des assureurs qui, dans un communiqué de presse commun de la FFSA (Fédération française des sociétés d'assurance) et du GEMA (Groupement des mutuelles d'assurance) (3), estiment que la remise en cause de leur gestion de ces assurances, notamment par la présence de l'avocat dès la phase amiable et par la condamnation des interventions négociées des avocats, va se traduire nécessairement par une substantielle augmentation des primes d'assurance de protection juridique, "à des niveaux de prix inabordables pour une grande partie des assurés ; progressivement un engorgement des tribunaux avec des affaires de faibles montants, que les assureurs ne pourront plus régler eux-mêmes ; à plus long terme, la disparition de l'assurance de protection juridique dans notre pays et par conséquent un recul de la possibilité offerte au plus grand nombre d'accéder au droit à des conditions peu onéreuses". Le message est clair : la réforme servirait davantage les intérêts des avocats que ceux des consommateurs (et professionnels), le souci de promouvoir une meilleure protection des assurés serait contre-productif sur un plan économique. Bel exercice d'analyse économique du droit... Reste à apprécier si la présence d'un avocat dès la phase amiable, jugée plus coûteuse que le règlement du dossier par un salarié de la compagnie d'assurance, ne sera pas d'une plus grande efficacité. La réforme aurait un coût, mais ce serait le prix à payer pour un accès au droit plus qualitatif. La FFSA et le GEMA dénient implicitement cet argument en vantant l'efficacité de leurs services dans le règlement amiable des dossiers : "les assureurs de protection juridique reçoivent chaque année 300 000 dossiers, leurs services réussissent à en régler 70 % à l'amiable, et prennent en charge financièrement plus de 80 000 procédures devant les tribunaux pour lesquelles des avocats sont sollicités". Dans ce contexte, quel sera l'avenir de l'assurance de protection juridique ?

Les travaux parlementaires, s'appuyant sur un ouvrage de référence (4), ont souligné l'importance croissante de cette assurance. Les statistiques sont à cet égard révélatrices : "Avec une progression annuelle des cotisations de plus de 8 % depuis cinq ans, l'assurance de protection juridique connaît un développement important. Elle couvre plus d'un milliard d'euros, dont 95 % sont gérés par des sociétés d'assurances, et 5 % par des entreprises mutualistes. 45 % des ménages français ont souscrit un contrat, contre 35 % en 1995" (5). La progression ne va-t-elle être stoppée nette par la réforme ? A notre sens, les fruits de la réforme dépendront de l'attitude des avocats. S'ils font "exploser" les coûts pour les assureurs, ceux-ci réagiront en augmentant les primes et/ou en abaissant les plafonds de garantie, d'où un surcoût pour l'assuré devant régler (s'il est en capacité de le faire...) le surplus à son avocat (qui trop embrasse, mal étreint !). Si le transfert s'opère à un coût raisonnable, les seules "victimes" seront les juristes salariés des compagnies d'assurance, qui devront se "reclasser" en postulant dans les cabinets d'avocats...

Ce contexte législatif mouvementé ne doit pas occulter le travail jurisprudentiel qui oeuvre à préciser les règles qui régissent le contrat d'assurance de protection juridique. A cet égard, l'arrêt du 7 décembre 2006 souligne le rôle des délais de carence, filtres utiles pour maintenir au contrat son caractère aléatoire, donc l'assurabilité du risque. Cette technique est utilisée par le législateur lui-même qui, en matière d'assurance en cas de décès, prévoit l'inassurabilité temporaire du suicide de l'assuré (cf. délai d'un an mentionné à l'article L. 132-7, al. 1er N° Lexbase : L9842HEA ; toutefois, les alinéas 3 et 4 de ce même article impliquent la couverture du risque dès la souscription du contrat pour les contrats groupe "emprunteurs" souscrits par les établissements de crédit et destinés à financer l'acquisition du logement principal de l'assuré dans la limite d'un plafond légal). Les assureurs usent également de ce procédé, en complément des franchises "pécuniaires". Le délai de carence, délai conventionnel de non-assurance en cas de survenance du risque au cours dudit délai, joue ainsi le rôle d'une "franchise temporelle". Ce type de clauses est particulièrement nécessaire en matière de protection juridique. Il faut, ici, prévenir l'hypothèse où un assuré (malhonnête) s'assurerait pour un risque qu'il sait déjà réalisé, hypothèse qu'on ne confondra pas avec celle du risque dit "putatif", risque "en l'aléa duquel les parties ont cru de bonne foi" alors qu'objectivement il était déjà réalisé, qui demeure "assurable", encore qu'on ait vu des juges du fond user du pouvoir que leur a octroyé la Cour de cassation d'analyser souverainement l'aléa du contrat d'assurance pour s'y opposer... (6). En l'espèce, le contrat litigieux stipulait que, "en protection exploitation, l'existence du différend porté en justice, ne doit pas avoir été connue par l'assuré avant la date d'effet de l'adhésion de l'entreprise, et la première convocation en justice y afférent doit avoir été reçue au moins soixante jours après la souscription du contrat". Les conditions particulières de cette garantie spécifique au sein du contrat d'assurance de protection juridique litigieux reposent donc sur une double condition : outre l'ignorance de l'existence d'un différent antérieur à la conclusion du contrat, est insérée une condition en forme de délai de carence : pour constituer un sinistre couvert, il faut vérifier que le fait générateur du sinistre, consistant en "la remise d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire révélant l'engagement des poursuites [ne soit pas] intervenu moins de soixante jours après la souscription du contrat". Or, le tribunal de commerce saisi en premier et dernier ressort avait hâtivement conclu à l'absence d'assurance, retenant "que le litige opposant M. X... et la société Ost est antérieur à la date de signature du contrat avec la société Judicial ; qu'en matière d'assurance, il ne peut être pris en charge un sinistre antérieur à la prise d'effet du contrat". Passons brièvement sur l'affirmation selon laquelle "en matière d'assurance, il ne peut être pris en charge un sinistre antérieur à la prise d'effet du contrat", formule qui se veut la traduction de "l'aléa est l'essence du contrat d'assurance" impliquant la nullité d'un contrat d'assurance dépourvu d'aléa. Mais on n'oubliera pas que c'est une nullité relative qui s'est imposée ici en jurisprudence (7), donc que rien n'empêche, le cas échéant, l'assureur de ne pas soulever le bénéfice d'une telle nullité, ce qui peut avoir des conséquences pour des tiers responsables de dommages causés antérieurement à la conclusion du contrat mais couverts en conscience par l'assureur (une sorte de clause de reprise du passé connu !) contre lesquels l'assureur agirait par voie subrogatoire, ces tiers ne pouvant exciper de la nullité du contrat (8) !

L'essentiel réside ici dans l'énoncé de l'antériorité du sinistre par rapport à la conclusion du contrat avec l'assureur. Mais la solution n'est en rien motivée, le tribunal de commerce ne prenant la peine de démontrer ni la connaissance par l'assuré du litige avant "la date d'effet de l'adhésion au contrat" ni l'existence d'un acte introductif d'instance délivré pendant le délai de carence ou, a fortiori, antérieur à la formation du contrat... La cassation pour manque de base légale semblait toute offerte, mais les Hauts magistrats y voient plus, censurant aux motifs d'une violation des articles L. 127-1 du Code des assurances et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). C'est vraisemblablement parce qu'une assignation avait été délivrée postérieurement au délai de carence... Et c'est donc bien juger qu'opérer par censure, car dès lors que ce trouve remplie cette condition liée au respect du délai de carence, elle renforce la présomption d'ignorance par l'assuré de tout litige antérieur à la conclusion du contrat, supposant, pour renverser cette présomption, la démonstration d'une véritable collusion entre l'assuré et le tiers, qui se seraient entendus pour retarder le déclenchement de toute procédure à la prise d'effet de la garantie. La carence n'était donc pas que dans le délai, elle gisait ici dans la motivation des juges du fond, impropre à satisfaire aux exigences des conditions particulières du contrat non plus qu'à celles de la logique !

Sébastien Beaugendre,
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes,
membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)

II - Pas de pitié pour l'assureur n'ayant pas élaboré un questionnaire complet et précis : Cass. civ. 2, 15 février 2007, n° 05-20.865, M. Gérald Attia, FS-P+B (N° Lexbase : A2138DUQ)

Les arrêts sanctionnant l'assuré pour ne pas avoir satisfait son obligation de déclaration du risque sont, hélas, légion devant les premiers juges. Le constat atteste de la véracité des statistiques, notamment de celles de l'agence ALFA (Agence de Lutte contre la Fraude à l'Assurance), démontrant que la fraude à l'assurance n'est pas en voie de régression, loin sans faut. Mais s'agissant de questions de faits relevant du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, il est logique que la Cour de cassation ait moins l'occasion d'avoir à connaître de ce type de contentieux. De plus, cette situation pourrait provenir du fait que les assureurs ne sollicitent plus autant qu'autrefois -tout au moins dans certaines branches d'assurance- que l'assuré remplisse un questionnaire détaillé. Pourtant, la Cour suprême demeure, assez souvent, conduite à trancher ce type de litige et contrainte à répéter des principes et règles acquises, ce qui explique qu'elle ne juge pas bon de publier cette masse de décisions répétitives.

Dernièrement, elle a, cependant, décidé d'assurer une publicité à un arrêt sans concession vis-à-vis de l'assureur, conformément à la lettre et l'esprit de la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1009 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D) sur ce point : l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 février 2007. Celui-ci présente un double intérêt : il est l'occasion de réaffirmer ce que la Cour de cassation a décidé depuis longtemps sans qu'elle le réitère sans cesse ; mais il se situe aussi dans un contexte peu fréquent. En effet, les sanctions ou absence de sanctions pour fausse déclaration intentionnelle sont nombreuses en assurances de dommages, avec les "oublis" de déclarer que le fils jeune conducteur n'est pas un conducteur occasionnel, mais en réalité principal, ou pire, que le véhicule assuré n'est pas une vieille guimbarde de quatre chevaux, mais une superbe automobile rutilante dont le nombre de chevaux dépassent amplement le nombre de doigts des deux mains... Il ne s'agissait pas non plus, en assurances de personnes, de ces déclarations où l'assuré ne se souvient plus qu'il est atteint, depuis des années, d'une pathologie lourde...

Le cadre de l'arrêt concernait un contrat de placement de sommes d'argent, dans le cadre de l'un de ces contrats d'assurance vie tels qu'ils fourmillent aujourd'hui. En effet, en mars 2000, deux personnes physiques, messieurs A. et S. donnent à une société de gestion de portefeuilles mandat de gérer une partie de leur patrimoine. Constatant, par recoupement, que les relevés de compte qu'ils recevaient présentaient des anomalies, ils demandent à leur mandataire des explications qu'il est incapable de leur fournir. Ils exigent alors de cette société de gestion de portefeuille qu'elle leur restitue les sommes versées, ce qu'elle ne peut faire. Elle reconnaît même, par courrier d'octobre 2002, que les sommes correspondantes ne sont pas disponibles sur les comptes ouverts par les dépositaires. Assignée en paiement, la société est placée en redressement judiciaire en mars 2003. Or, entre temps, elle avait conclu un contrat d'assurance de responsabilité professionnelle avec Axa. Par conséquent, n'ayant visiblement pas récupéré l'intégralité de leurs créances, messieurs A. et S. assignent Axa en paiement.

La cour d'appel, non seulement, ne fait pas droit à leur requête, mais elle prononce la nullité du contrat d'assurance souscrit par la société de gestion de portefeuille. Elle constate que la conclusion du contrat d'assurance est intervenue en avril 2001, avec effet d'ailleurs rétroactif en mars 2001, alors que la société avait déjà été informée de l'action engagée à son encontre par le conseil de discipline de la Commission des opérations de bourse. Or, l'entreprise s'était bien gardée d'informer l'assureur de cette situation. La cour d'appel de Paris en déduit qu'en s'abstenant de communiquer une information aussi capitale, la société avait agi de manière délibérée, dans le but de tromper l'assureur. En droit civil, son attitude se serait analysée en un dol par réticence sanctionné par la jurisprudence au moyen de la nullité. En droit des assurances, l'article L. 113-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0064AAM) permet de parvenir à la même solution. Utilisé par la cour d'appel, la Cour de cassation reprend le texte du Code des assurances dans son visa, mais pour en faire une autre utilisation, c'est-à-dire pour en démontrer les limites.

La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel parce que l'assureur ne peut pas prétendre à la mise en oeuvre de ce texte, corollaire de la règle énoncée par l'article L. 113-2, 2° du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI). Ce dernier énonce que l'assuré "est obligé de répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge". Mais, derrière cette formulation qui apparaît stricte à l'égard de l'assuré, est à peine dissimulée, si l'on raisonne a contrario, une disposition rigoureuse vis-à-vis de l'assureur. En effet, il incombe à ce dernier de poser les questions qui lui semblent fondamentales pour apprécier le risque qu'il envisage d'accepter d'assumer. S'il ne le fait pas, il ne peut ensuite se plaindre de quoi que ce soit. Telle est la leçon à retirer de cet arrêt.

La solution peut apparaître drastique ; elle s'inscrit pourtant dans l'objectif poursuivi par la réforme de la loi du 31 décembre 1989. Chacun sait que ce texte a voulu substituer aux déclarations spontanées des assurés qui étaient exigées des assureurs, un système dit de déclaration encadrée. Avant cette réforme, il appartenait à l'assuré d'estimer quelles informations pouvaient être utiles à l'assureur. Il devait deviner, en quelque sorte, les éléments qui seraient importants pour l'assureur de connaître. Or, l'assuré n'étant pas, le plus souvent, un juriste et encore moins un spécialiste de la matière dans ses enjeux techniques, il lui était difficile de remplir son obligation de manière satisfaisante. Chacun se souvient aussi que le législateur avait effectué ce constat qu'il était tout aussi délicat de déceler l'assuré de bonne foi, ignorant ces considérations, de celui qui, au contraire, avait volontairement caché une donnée essentielle. Par conséquent, la loi avait imposé et impose toujours à l'assureur d'élaborer, en termes clairs et précis, le questionnaire auquel l'assureur soumet l'assuré.

L'inconvénient du système, tout le monde l'a bien compris, est qu'appliqué à la lettre, il peut interdire à l'assureur de soulever une dissimulation quelconque de la part de son assuré s'il a omis de lui poser une question directe sur le point faisant débat. En l'espèce, il n'avait pas demandé à la société de gestion si elle avait déjà fait l'objet d'une action quelconque par la Commission des opérations de bourse. Là où le bât blesse aussi, c'est que de telles décisions ne peuvent qu'inciter les assureurs à constituer des questionnaires d'une longueur infinie afin d'être certains de n'omettre aucune donnée. Les assurés se plaindront, ensuite, de devoir remplir des pages et des pages de questions plus indiscrètes ou tout au moins introspectives les unes que les autres, encore que des limites légales existent.

L'objectif, ici aussi, fut sans doute de protéger ainsi les véritables victimes des circonstances de fait, à savoir les deux dépositaires de primes élevées en vue de leur placement. Mais, il constitue l'occasion, pour la Cour de cassation, de rappeler les rigueurs de la règle de l'article L. 113-2, 2° du Code des assurances à l'égard de l'assureur lui-même. Le droit spécial disposant de sa règle spéciale avec la sanction correspondante, n'est pas le droit commun où il suffit de démontrer l'existence de manoeuvres, d'une réticence dolosive, bref d'un dol. Pour autant, il est des informations dont l'importance pour l'assureur ne peut échapper à quiconque. En l'espèce, qu'une entreprise puisse taire la situation dans laquelle est se trouvait laisse quelque peu songeur, pour employer un euphémisme. Nul doute que dans d'autres circonstances que celles de la disparition de l'entreprise dans le cas présent, l'assureur, après avoir été tenu du sinistre considéré, aurait procédé à la résiliation du contrat d'assurance dans les plus brefs délais.

Véronique Nicolas,
Professeur à la Faculté de droit de Nantes

III - Nouveaux refus de sanctionner la prétendue absence d'obligation d'information de l'assureur envers l'assuré : Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 05-19.700, M. Liberto Lopez, FS-P+B (N° Lexbase : A6827DTZ)

L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 25 janvier 2007, s'il n'est pas en lui-même juridiquement complexe, présente l'intérêt de s'inscrire dans le sens d'un infléchissement -que l'on semble pouvoir détecter- vers moins de sévérité à l'égard de l'étendue de l'obligation d'information à la charge de l'assureur ou du souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe.

L'évolution est trop récente et timide pour qu'il puisse en être tiré des conclusions définitives. Toutefois, il est permis de se demander si la Cour de cassation ne commence pas à être confrontée à des pratiques de plus en plus fréquentes de la part des assurés qui se prétendent mal informés alors qu'ils disposaient des moyens ou éléments pour l'être. En d'autres termes, le prononcé de sanction pour non-respect de l'obligation d'information de l'assureur envers l'assuré n'est pas sans limites.

Dans cet arrêt les faits ne sont pas en eux-mêmes originaux. Un chef d'entreprise a souscrit plusieurs contrats d'assurance de groupe décès-invalidité pour garantir trois prêts. Mais, comme très souvent également, les contrats d'assurance ne sont pas identiques : deux comportent une garantie de base, le troisième comprend, lui, en plus, une assurance incapacité de travail. Postérieurement à la conclusion de ces contrats, le chef d'entreprise est placé en invalidité de deuxième catégorie. L'assureur accepte alors de prendre en charge l'un des prêts accordés, mais non les deux autres. L'assuré conteste la décision.

Les arguments développés, pour classiques qu'ils étaient, n'en paraissaient pas moins a priori justes et fondés. Ainsi, l'assuré rappelait que la banque, souscripteur du contrat d'assurance de groupe, est tenue d'une obligation d'information et de conseil qui ne s'achève pas avec la remise de la notice. Les décisions rappelant cette règle sont nombreuses. Parmi les dernières figure l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 5 juillet 2006 (9). L'assuré prétendait aussi que la banque avait créé une apparence trompeuse de garantie plus étendue qu'elle ne l'était en réalité, formule jurisprudentielle bien connue également (10). Il convient d'ajouter que le montant des cotisations d'assurance sollicitées par la banque, souscripteur du contrat d'assurance de groupe, étaient plus élevés que ceux indiqués dans la notice explicative d'assurance. Néanmoins, le tort de l'assuré fut de n'effectuer une déclaration de sinistre que pour le prêt faisant l'objet de la garantie la plus étendue, sans viser les autres contrats.

La Cour de cassation refuse, tout d'abord, de considérer que l'existence de contrats d'assurance dont l'étendue des garanties n'était pas le même résultait d'une erreur de la banque. En effet, il faut reconnaître qu'il n'est pas rare, en pratique, de rencontrer de telles hypothèses, voulues par les assurés eux-mêmes, surtout pour des prêts de plus modestes montants, et ce dans le but de payer un montant de cotisations moins élevé. Ensuite, la Cour suprême relève que les garanties apparaissaient toutes clairement l'une après l'autre, et que notamment figurait en gros caractères la mention claire et précise que l'assurance emprunteur comprenait une garantie de base et des garanties complémentaires. Or, ces éléments d'information étaient mentionnés dans l'extrait des conditions générales dont l'assuré reconnaissait avoir eu connaissance. Surtout, la Cour de cassation déduit de l'unique déclaration de sinistre de l'assuré qu'il avait parfaitement compris que seul l'un des contrats comportait la garantie complémentaire.

Pour conclure, deux remarques s'imposent.

D'une part, la Cour de cassation semble moins favorable au prononcé systématique de sanctions pour mauvaise information ou conseil de la part de l'assureur ou du souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe. Une évolution semble s'amorcer depuis quelques arrêts en droit des assurances de personnes tout au moins. Ainsi, dans un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 5 juillet 2006 (11), la Cour de cassation refuse de faire droit à une femme qui, après s'être fait verser, par son employeur, 8 millions de francs (environ 1 219 592 euros) sur un contrat d'assurance vie ayant été requalifié de donation indirecte, prétendait ne pas avoir reçu une information suffisante de la part de l'assureur sur les conséquences fiscales du contrat. Selon la Cour suprême, l'obligation de l'assureur ne peut pas s'étendre à des circonstances qui excèdent le cadre de l'opération d'assurance qu'il propose. Une solution proche vient également d'être adoptée dans un arrêt en date du 21 décembre 2006 (Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 05-13.634, F-D N° Lexbase : A0897DTE).

D'autre part, et quoique l'on en puisse en penser, on ne peut que constater combien la Cour de cassation demeure attachée au respect d'un certain formalisme. Tant que les exigences formelles d'information de l'assuré ont été respectées, aucune sanction n'a lieu d'être. Pour autant, on ne prétendra pas non plus que celle-ci n'est pas sensible aux caractéristiques de la personne de l'assuré. Ce dernier, chef d'entreprise est peut-être moins l'objet d'attention, fut-elle modeste et réduite, de la part des magistrats. Loin d'être le profane absolu, incapable de lire et comprendre un contrat, il dispose des moyens intellectuels pour mesurer la portée et les limites des engagements pris par son cocontractant. L'examen d'autres arrêts ultérieurs pourra confirmer ou infirmer cette impression peut-être excessive.

Véronique Nicolas,
Professeur à la Faculté de droit de Nantes


(1) Cf. recommandation n° 02-03 du 21 février 2002 relative aux contrats d'assurance de protection juridique, BOCCRF du 30 mai 2002.
(2)Rapport n° 3661.
(3) Là-dessus, cf. les divers documents mis en ligne sur le site internet de la FFSA.
(4) Bernard Cerveau, L'assurance de protection juridique, Eyrolles, 2006.
(5) Rapport de M. Etienne Blanc, précité.
(6) Là-dessus, cf. J. Kullmann, obs. sous Cass. civ. 1, 7 juin 2001, n° 98-21.477, M. Marc Plotton c/ Compagnie Rhin et Moselle assurances françaises (N° Lexbase : A5321ATA), RGDA 2001, p. 675 ; cf. toutefois, pour la "reprise en main" du contrôle notionnel de l'aléa, cf. Cass. civ. 1, 4 novembre 2003, n° 01-14.942, Société Azur assurances c/ syndicat des copropriétaires l'Acropole I - II, F-P+B (N° Lexbase : A0644DA4), Bull. Civ. I, n° 175 ; JCP éd. G, 2004, I, 137.
(7) Depuis Cass. civ. 1, 9 novembre 1999, n° 97-16.306, Groupement français d'assurances et autre c/ compagnie Auxiliaire et autres (N° Lexbase : A5219AW9), Resp. civ. et ass. 2000, Chronique n° 2, obs. H. Groutel.
(8) C'était rigoureusement la situation jugée dans l'arrêt précité du 9 novembre 1999.
(9) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-12.603, n° 05-12.603, M. Gilbert Amour, FS-P+B (N° Lexbase : A3749DQW), Bull. civ. II, n° 184, p. 176 ; voir également : Cass. civ. 2, 15 décembre 2005, n° 04-13.896, n° 04-13.896, M. Alain Prechal c/ Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME), FS-P+B (N° Lexbase : A9983DLC), Bull. civ. II, n° 325, p. 286 ; Cass. civ. 2, 13 janvier 2005, n° 03-17.199, Société générale c/ Mme Denise Lebouchard, épouse Flauraud, FS-P+B (N° Lexbase : A0232DGP), Bull. civ. II, n° 4, p. 3 ; Cass. civ. 2, 3 juin 2004, n° 03-13.896 (N° Lexbase : A4405DUP), Bull. civ. II, n° 261, p. 221 ; Cass. civ. 1 19 décembre 2000, n° 98-15.101, Epoux X c/ Banque nationale de Paris (N° Lexbase : A2100AIM), Bull. civ. I, n° 325, p. 211 ; Cass. civ. 1, 2 février 1994, n° 91-12.251, Banque populaire du Nord c/ Consorts Baudet et autre (N° Lexbase : A5722AHE), Bull. civ. I, n° 39, p. 31.
(10) Voir, notamment, Cass. civ. 2, 13 janvier 2005, précité.
(11) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-13.580, Mme Bernadette Pajak, FS-P+B (N° Lexbase : A3757DQ9), Bull. civ. II, n° 183, p.175.

newsid:272992