La lettre juridique n°235 du 9 novembre 2006 : Droit financier

[Textes] Refonte des dispositions réglementaires relatives aux OPA (3ème partie)

Réf. : Arrêté du 18 septembre 2006, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L2145HSA)

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N4883ALG

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le 07 Octobre 2010

Impatiemment attendue, la réforme du cadre réglementaire des offres publiques d'acquisition (OPA) vient d'être opérée par un arrêté du 18 septembre 2006, paru au Journal officiel du 28 septembre 2006 (1), portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) . Conçu et adopté dans le sillage de la loi du 31 mars 2006 (loi n° 2006-387, relative aux offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L9533HHK) (2), dont il constitue l'indispensable prolongement, le présent texte poursuit et parachève largement le processus de conformation du droit français à la treizième Directive communautaire sur les OPA (Directive 2004/25, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L2413DYZ) (3). Mais, comme son pendant législatif, il ne s'épuise pas à cette activité de stricte transposition. L'occasion est opportunément saisie de satisfaire à d'autres attentes d'amélioration et de modernisation, récemment exprimées par le "rapport Naulot" sur le renforcement de l'évaluation financière indépendante (4) ou encore le "groupe de travail OPA" mis en place par l'AMF en octobre 2005 (5). Loin de nuire à la cohérence de l'ensemble, les options retenues dans le cadre du pouvoir réglementaire autonome du régulateur se combinent aux exigences communautaires et législatives, pour gommer certains particularismes traditionnels de notre droit des offres publiques et amplifier son exposition aux influences "anglo-saxonnes". (cf. Refonte des dispositions réglementaires relatives aux OPA (1ère partie) N° Lexbase : N4877AL9, et (2ème partie) N° Lexbase : N4879ALB). II - A - (suite)

L'attention est surtout mobilisée par deux autres nouveautés, qu'il convient d'aborder de front en raison de leur interdépendance et de l'impact convergent produit sur le contrôle de l'information.

La première tient à la fusion réalisée des procédures de visa et de recevabilité en une décision unique de l'AMF, baptisée "déclaration de conformité". Majeure assurément, cette réforme réglementaire, réalisée hors de toute contrainte communautaire ou législative, paraît avoir pour elle la force de la logique. Quasiment inscrite dans les gènes de l'AMF, elle ne ferait qu'éliminer de notre droit des OPA une survivance héritée de l'ancienne répartition des compétences entre le CMF, en charge de déclarer "recevables" les projets d'offre publique, et la COB, appelée de son côté à "viser" les projets de note d'information. La fusion des autorités de marché conduisait naturellement à l'unification des procédures d'autorisation, aujourd'hui accomplie. Mais, l'unité institutionnelle pouvant s'accommoder d'une dualité fonctionnelle, c'est en réalité un choix de système qui est, ici, délibérément opéré, relativement aux niveaux et aux types de contrôle, public et privé, auquel il convient de soumettre les projets d'offre publique. Il faut rappeler, à cet égard, que le dispositif précédent de contrôle public de recevabilité revêtait un certain nombre de défauts, dénoncés, depuis quelque temps, par les praticiens. Il avait contre lui de présenter un visage trop hexagonal, en tous cas assez original en Europe -voire au-delà-. Lui était reproché, tout particulièrement, de créer une certaine ambiguïté quant au rôle exercé par l'AMF. De fait, sinon de droit, la décision de recevabilité, prononcée, non seulement au regard des principes généraux et des règles régissant les offres publiques, mais aussi après examen des conditions financières proposées par l'initiateur, pouvait être perçue par le marché comme un jugement favorable porté par l'autorité publique sur le caractère équitable de l'offre, de nature, par conséquent, à impacter positivement la décision des actionnaires sollicités (6). Enfin, cette place centrale occupée par l'intervention publique était critiquée pour ne pas concourir nécessairement à une plus grande responsabilisation des conseils d'administration ou de surveillance des sociétés concernées.

La substitution d'une déclaration de conformité du projet d'offre aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables (Règl. gén. AMF, art. 231-20) à l'ancienne décision de recevabilité marque ainsi un repli attendu du rôle de l'AMF quant à l'appréciation des conditions financières proposées par les initiateurs d'offres publiques volontaires. Ainsi, hors le cas de dispositions particulières, seule la présence et la suffisance des informations relatives auxdites conditions dans la note d'information entrent naturellement dans le champ d'examen de l'autorité de contrôle, la déclaration de conformité emportant d'ailleurs, ceci sans doute pour répondre à l'exigence légale formulée à l'article L. 621-8 IX du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3299HIZ), visa préalable de la note d'information (Règl. gén. AMF, art. 231-23). Dans cette conception plus anglo-saxonne, reposant sur une correction modérée des mécanismes de marché, la protection des intérêts patrimoniaux des actionnaires des sociétés visées repose essentiellement, outre l'éventuel jeu des offres concurrentes et des surenchères, sur l'information communiquée par les sociétés concernées et l'avis motivé de leur conseil d'administration ou de surveillance -avis facultatif pour le conseil de la société initiatrice (Règl. gén. AMF, art. 231-18), obligatoire pour celui de la société visée (Règl. gén. AMF, art. 231-19)-, censés remédier aux problèmes d'asymétrie d'information existant dans les rapports initiateur/destinataires de l'offre/dirigeants de la société visée (7). Reste à mesurer concrètement l'impact de cette évolution sur la latitude de contestation du prix d'offre, laquelle prenait jusque-là place dans le cadre du recours judiciaire exercé à l'encontre de la décision de recevabilité qu'était appelée à rendre l'autorité de marché (8).

Les limites naturelles d'un tel système d'appréciation des mérites d'une offre publique mènent directement à la seconde innovation annoncée de l'arrêté modificatif, à savoir le recours partiellement obligatoire à l'expertise indépendante (9). Celui-ci est destiné à pallier le risque de sous-évaluation ou de biais dans l'évaluation des titres convoités, qui résulterait, notamment, de l'existence de sources de conflits d'intérêts entre l'initiateur et les dirigeants de la société visée. L'esprit et la finalité en sont parfaitement exposés au nouvel article 261-1, alinéa 1er, inscrit dans un nouveau Titre VI du Livre II du règlement général de l'AMF : "la société visée par une offre publique d'acquisition désigne un expert indépendant lorsque l'opération est susceptible de générer des conflits d'intérêts au sein de son conseil d'administration, de son conseil de surveillance ou de l'organe compétent, de nature à nuire à l'objectivité de l'avis motivé mentionné à l'article 231-19 ou de mettre en cause l'égalité des actionnaires ou des porteurs des instruments financiers qui font l'objet de l'offre". Fait suite une liste de cinq cas de désignation, simplement illustratifs : 1° "la société visée est déjà contrôlée au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce (N° Lexbase : L4050HBM), avant le lancement de l'opération, par l'initiateur de l'offre" ; 2° "les dirigeants de la société visée ou les personnes qui la contrôlent au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ont conclu un accord avec l'initiateur de l'offre susceptible d'affecter leur indépendance" ; 3° "l'actionnaire qui la contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce n'apporte pas ses titres à une offre publique de rachat lancée par la société sur ses propres titres" ; 4° "il existe une ou plusieurs opérations connexes à l'offre susceptibles d'avoir un impact significatif sur le prix ou la parité de l'offre publique considérée" ; 5° "l'offre porte sur des instruments financiers de catégories différentes et est libellée à des conditions de prix susceptibles de porter atteinte à l'égalité entre les actionnaires ou les porteurs des instruments financiers qui font l'objet de l'offre" ; 6° "l'acquisition de la société visée est rémunérée par des instruments financiers mentionnés au 1 ° du I de l'article L. 211-1 du code monétaire et financier (N° Lexbase : L9292HDI) donnant accès ou pouvant donner accès, directement ou indirectement, au capital ou aux droits de vote de l'initiateur ou d'une société appartenant au groupe de l'initiateur, autres que des actions" (10). Eu égard au formulé général du premier alinéa de l'article 261-1, il est à craindre, cependant, que l'absence de caractère limitatif des cas énoncés n'alimente, en pratique, d'interminables discussions et n'entretienne, au détriment des opérateurs, une certaine insécurité juridique (11).

Cette intervention imposée d'un tiers expert constitue une première au sein de la famille des offres publiques volontaires. La réforme est en réalité l'aboutissement d'une réflexion engagée de longue date au sein de la COB, synthétisée au printemps 2005 dans le rapport du groupe de travail présidé par Jean-Michel Naulot, membre du collège de l'AMF. Ce rapport demeure d'une consultation utile tant ses conclusions ont inspiré le nouvel encadrement réglementaire de l'expertise indépendante.

Ainsi, suivant l'une des recommandations du groupe de travail, et contrairement à certaines préconisations doctrinales invitant à une nomination par un tiers (12), c'est à la "société visée" par l'offre publique qu'il incombe de procéder à la désignation de l'expert indépendant (Règl. gén. AMF, art. 261-1). Quant à l'organe social compétent, on observe que le règlement général se montre moins explicite que le "rapport Naulot", lequel pointait directement le conseil d'administration (ou l'organe équivalent pour les sociétés ne revêtant pas la forme anonyme) (13). En termes de gouvernement d'entreprise, il est probable que la présence d'administrateurs indépendants pèsera d'un poids particulier sur cette décision, spécialement dans l'hypothèse où l'initiateur détiendrait le contrôle de la société visée. Impérative pour la société visée, la désignation d'un expert indépendant n'est prévue qu'à titre facultatif du côté de l'initiateur, étant précisé que l'expert nommé dans ces conditions ne s'en trouve pas moins soumis aux mêmes dispositions réglementaires (Règl. gén. AMF, art. 261-3).

Ensuite, si l'agrément de l'expert par l'AMF n'a pas à être requis, comme il l'était autrefois en matière de retrait obligatoire, des garanties sont instituées afin que l'"indépendance" de ce professionnel ne reste un vain mot. Sa présence étant le plus souvent commandée par l'existence de conflits d'intérêts, il semblait logique qu'il n'y fût pas lui-même sujet. D'où l'interdiction faite à l'expert d'"être en situation de conflit d'intérêts avec les personnes concernées par l'offre publique ou l'opération et leurs conseils" (Règl. gén. AMF, art. 261-4 I, al. 1er). Sans que ces éléments puissent être interprétés comme formant une liste exhaustive, on apprend de l'article 1er de l'instruction AMF n° 2006-08 précitée, qu'un expert est considéré en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il : "1° Entretient des liens juridiques ou des liens en capital avec les sociétés concernées par l'offre publique ou l'opération, ou leurs conseils, susceptibles d'affecter son indépendance ; 2° A procédé à une évaluation de la société visée par l'offre publique ou qui réalise l'opération au cours des dix-huit mois précédant la date de sa désignation, sauf si l'évaluation menée dans ce délai intervient dans le cadre d'une mission qui constitue le prolongement de la précédente ; 3° A conseillé l'une des sociétés concernées par l'offre ou toute personne que ces sociétés contrôlent au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce au cours des dix-huit mois précédant la date de sa désignation ; 4° Détient un intérêt financier dans la réussite de l'offre, une créance ou une dette sur l'une des sociétés concernées par l'offre ou toute personne contrôlée par ces sociétés au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, susceptible d'affecter son indépendance". L'habitude pouvant émousser l'esprit d'indépendance, il est encore fait défense à l'expert indépendant d'"intervenir de manière répétée avec le ou les mêmes établissements présentateurs ou au sein du même groupe lorsque la fréquence de ces interventions est susceptible d'affecter son indépendance" (Règl. gén. AMF, art. 261-4 I, al. 2). Une déclaration d'indépendance devra en toute hypothèse être établie par l'expert désigné (Règl. gén. AMF, art. 261-4 II).

D'utiles précisions sont également apportées quant à la mission de l'expert indépendant, en particulier : la durée de celle-ci, variable selon la complexité de l'opération et la qualité de l'information mise à sa disposition, mais qui ne peut en aucun cas être inférieure à quinze jours de négociation (Règl. gén. AMF, art. 262-1 II) ; les diligences attendues de l'expert (instruction AMF n° 2006-08, art. 3) ; et le contenu du rapport d'expertise, qui doit comporter, outre la déclaration d'indépendance susmentionnée, le montant de la rémunération perçue, une description des diligences effectuées, "une évaluation de la société visée ou des actifs concernés et de toutes les contreparties de l'offre ou de l'opération concernée", "une analyse du travail d'évaluation réalisé par le ou les conseils de l'initiateur", et s'achever sur "une attestation qui conclut sur le caractère équitable du prix, de la parité ou des conditions financières de l'offre publique ou de l'opération concernée" (Règl. gén. AMF, art. 262-1 I ; instruction AMF n° 2006-08, art. 2).

Enfin, le rapport de l'expert indépendant fait l'objet de communications. Il est présenté par son auteur au conseil d'administration, au conseil de surveillance ou à l'organe compétent de la société concernée (instruction AMF n° 2006-08, art. 3) et se trouve incorporé dans la note d'information en réponse établie par la société visée (Règl. gén. AMF, art. 231-19), ainsi que dans le projet de note d'information de l'initiateur, lorsque celui-ci a procédé à la désignation d'un expert (Règl. gén. AMF, art. 231-18). Aux fins de clarification, il est au reste formellement défendu à la société initiatrice et à la société visée, lorsqu'un expert a été nommé en application de l'article 261-1 du règlement général AMF, d'établir un projet de note d'information conjoint, chacune d'elles étant alors tenue de présenter un document d'information distinct (Règl. gén. AMF, art. 231-13 al. 9). Soumis à l'AMF, le rapport de l'expert indépendant compte pour cette dernière au nombre des éléments à prendre en considération dans le cadre de son examen du projet d'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-21). Aucune déclaration de conformité ne saurait d'ailleurs être prononcée dans un délai inférieur à cinq jours de négociation après le dépôt du projet de note en réponse de la société visée (Règl. gén. AMF, art. 231-20, al. 2).

Autant d'exigences, on le comprend, supposées concourir à la satisfaction du triple objectif assigné à l'expertise indépendante, consistant à éclairer tout à la fois les actionnaires destinataires de l'offre publique sur les mérites de celle-ci, le conseil d'administration (le conseil de surveillance ou l'organe compétent) de la société visée, en vue notamment de l'élaboration de son "avis motivé", et le collège de l'AMF appelé, dans ce cadre particulier, à examiner directement "les conditions financières de l'offre" et non plus seulement, comme au cas ordinaire, l'information portant sur ces conditions.

Notons que ce passage contraint par l'expertise indépendante introduit un élément de complexité dans notre réglementation, par la dualité d'hypothèse qu'il conduit systématiquement à organiser. La chose est évidente en termes de procédure et de calendrier des OPA, où la distinction nouvelle doit être combinée avec la traditionnelle opposition entre offres publiques amicales et offres publiques inamicales.

Ainsi, en l'absence de désignation obligatoire d'un expert indépendant, le schéma se présente de la manière suivante : l'AMF dispose d'un délai de 10 jours de négociation suivant le début de la période d'offre -et non de plus 5 jours comme auparavant- pour délivrer la déclaration de conformité du projet d'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-20, al. 1er) ; la durée de l'offre, longue en procédure normale de 25 jours de négociation, mais prorogée jusqu'à 35 jours de négociation lorsque la société visée n'a pas déposé de note conjointe avec l'initiateur (Règl. gén. AMF, art. 232-2), commence à courir le lendemain de la diffusion de la note d'information établie par l'initiateur (Règl. gén. AMF, art. 231-32) ; en l'absence de note conjointe, condition par définition vérifiée dans le cadre d'une offre inamicale, la société visée doit déposer auprès de l'AMF un projet de note, en réponse au plus tard le cinquième jour de négociation, suivant la publication de la déclaration de conformité de l'AMF (Règl. gén. AMF, art. 231-26, al. 1er) ; l'AMF dispose alors d'un délai de 5 jours de négociation suivant le dépôt du projet de note en réponse pour y apposer son visa (Règl. gén. AMF, art. 231-26, al. dern.).

En revanche, au cas où doit être désigné un expert indépendant en application de l'article 261-1 précité, ce qui interdit, on l'a vu, l'établissement d'une note conjointe, le séquençage s'opère différemment, puisqu'il faut attendre le dépôt du projet de note en réponse de la société visée, effectué au plus tard le vingtième jour de négociation suivant le début de la période d'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-26, al. 1er), pour que la déclaration de conformité du projet d'offre puisse être prononcée par l'AMF, au plus tôt 5 jours de négociation après le dépôt du projet de note en réponse de la société visée (Règl. gén. AMF, art. 231-20 II), et le lendemain de la diffusion de la note en réponse, pour que l'offre soit ouverte (Règl. gén. AMF, art. 231-32).

Pour finir sur les défenses anti-OPA, constatons que si l'apport de la réforme est, délibérément, modeste, il vient malgré tout livrer d'intéressants compléments au dispositif issu de la loi du 31 mars 2006 (14).

L'un d'entre eux tient à la précision des seuils de neutralisation des mesures susceptibles de gêner la prise de contrôle effective de la société cible par l'auteur d'une offre publique réussie. La fixation s'opère dans le sens attendu. C'est ainsi "plus de la moitié du capital ou des droits de vote de la société visée" que l'initiateur de l'offre, agissant seul ou de concert, devra détenir à l'issue de celle-ci pour obtenir : la suspension des effets "des restrictions statutaires à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société", ou ceux "de toute clause d'une convention conclue après le 21 avril 2004 prévoyant des restrictions à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société", lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-44) ; de même que la suspension des "droits extraordinaires de nomination ou révocation des administrateurs, membres du conseil de surveillance, membres du directoire, directeurs généraux, directeurs généraux délégués, détenus par certains actionnaires" (Règl. gén. AMF, art. 231-45).

Quant à la suspension obligatoire des effets de la limitation statutaire des droits de vote lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre, c'est bien le seuil des "deux tiers du capital ou des droits de vote" qui est finalement retenu (Règl. gén. AMF, art. 231-43). Si l'article L. 225-125, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L1417HIC), inspiré de la directive OPA, autorisait une quotité minimale "égale à celle requise pour modifier les statuts, et une limite des trois quarts", la fraction des deux tiers était à vrai dire la seule présentant une certaine pertinence en droit français des sociétés. On observe, néanmoins, que c'est non pas les deux tiers mais "plus des deux tiers", que devront détenir l'initiateur et ses concertistes ; et qu'au regard de la base de calcul, contrairement à l'invite communautaire, c'est un double dénominateur (en capital ou en droits de vote) qui est adopté, jurant un peu avec le contenu politique de la quotité retenue.

Des nouvelles dispositions relatives aux défenses, on attendait surtout des précisions concernant la procédure de contestation de l'équivalence des mesures, renvoyée aux soins de l'AMF par l'article L. 233-33, alinéa 1er, du Code de commerce. L'attente était compréhensible puisqu'il s'agissait de la mise en oeuvre de la fameuse "clause de réciprocité", généreusement définie par la loi du 31 mars 2006 et permettant, rappelons-le, à une société française cible française d'échapper aux règles de neutralisation directoriale énoncées à l'article L. 233-32 du Code de commerce, au cas où ses titres feraient l'objet d'une offre publique émanant d'une entité non soumise aux mêmes dispositions, parce qu'étrangère et en particulier extra-communautaire, ou à des "mesures équivalentes".

Désignée par le législateur comme l'autorité chargée de trancher les différends qui ne manqueront de surgir à cette occasion, l'AMF détermine les règles de son intervention dans un article unique numéroté 231-42. On y apprend que : "Toute personne qui conteste l'équivalence des mesures mentionnées à l'article L. 233-32 du code de commerce transmet simultanément à l'AMF et à la société visée les moyens et les documents sur lesquels elle fonde sa contestation. À compter de la réception de ces documents, la société visée dispose d'un délai de dix jours de négociation pour faire part à l'AMF de ses observations. L'AMF rend sa décision dans un délai de cinq jours de négociation à compter de la réponse de la société visée. L'AMF peut demander toute justification et information complémentaire. Le délai est alors suspendu. Il recommence à courir à réception des éléments requis. L'AMF rend publique sa décision".

Malgré la retouche apportée pour tenir compte des résultats de la consultation de place sur le projet, la construction du texte continue, semble-t-il, de souffrir d'une certaine ambiguïté. Si la référence à "toute personne" témoigne, en effet, d'une certaine neutralité au regard de l'auteur de la contestation, la suite du texte laisse curieusement à penser que la société visée n'est pas considérée comme demandeur principal à cette action, alors pourtant qu'elle figure logiquement au premier rang de ceux qui auraient intérêt à contester l'équivalence aux dispositions de l'article L. 233-32 du Code de commerce des mesures adoptées par l'initiateur, tout au moins dans le cadre d'une offre inamicale. Dans un tel contexte, n'aurait-il pas mieux valu demander à l'initiateur de déclarer ab initio s'il considère appliquer des mesures équivalentes à celles prévues à l'article L. 233-32, ouvrant ainsi la voie de la contestation aux différents intéressés et spécialement à la société visée ? En toute hypothèse, il est possible éprouver quelque inquiétude quant à l'aptitude du mécanisme proposé à favoriser la résolution rapide de tels différends.

Toujours en matière de défense, on ne manquera pas non plus de relever au sujet des interventions que, dans le cadre d'une procédure normale d'offre publique, la société visée peut effectuer sur le marché de ses titres de capital (ou donnant accès à son capital), la reconnaissance explicite, bien qu'allusive, d'une mesure anti-OPA. A l'interdiction de telles interventions, pourfendues à l'alinéa 1er de l'article 232-17 du règlement général, une exception s'évince du second alinéa, qui autorise la société visée par une offre réglée intégralement en numéraire à "poursuivre l'exécution d'un programme de rachat d'actions dès lors que la résolution de l'assemblée générale qui a autorisé le programme l'a expressément prévu et, lorsqu'il s'agit d'une mesure susceptible de faire échouer l'offre, que sa mise en oeuvre fait l'objet d'une approbation ou d'une confirmation par l'assemblée générale".

La disparité de traitement entre programmes de rachat selon leur potentiel défensif peut se revendiquer de l'article L. 233-32 III du Code de commerce, qui conduit à soumettre l'efficacité des décisions susceptibles de faire échouer une offre publique adoptées "à froid", à la ratification d'une assemblée générale des actionnaires réunie "à chaud" (15). On s'étonne cependant de l'absence de référence à l'hypothèse d'une mise en jeu de la "clause de réciprocité", dont l'effet est précisément d'écarter, au cas d'espèce, la nécessité d'une telle réunion "à chaud" des actionnaires. Compte tenu de la distinction implicite entre l'objet et l'effet de la poursuite de l'exécution du programme de rachat en cours d'offre, on s'interrogera également sur la satisfaction du procédé aux conditions du safe harbour défini par la Directive "abus de marché" et son Règlement d'application (16).

Directement connectée à la mise en oeuvre de défenses en cours d'offre, signalons, enfin, la révision du dispositif autorisant l'initiateur à renoncer à son opération en cas de modification de la consistance de la société visée pendant l'offre, afin, comprend-on à demi-mots, d'intégrer la nouvelle arme de dissuasion des offres publiques hostiles consacrée par la loi du 31 mars 2006, reposant sur l'attribution de bons de souscription d'actions, familièrement appelés "bons d'offre" (17). C'est ainsi qu'aux termes de l'article 232-11 du règlement général, la renonciation sollicitée par l'initiateur peut être autorisée par l'AMF lorsque la société visée, en raison des mesures qu'elle a prises, voit sa consistance modifiée non seulement "pendant l'offre", mais aussi "en cas de suite positive de l'offre"... (18)

Pour la quatrième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N4895ALU).

Alain Pietrancosta*
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier


(1) JO n° 225 du 28 septembre 2006, p. 14210. Sur le projet de règlement, v. O. Douvreleur, C. Uzan, Projet de modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : vers un renouveau du droit des offres publiques d'acquisition ?, Bull. Joly Bourse et produits financiers, juin 2006, p. 275-291.
(2) V. I. MacElhone, C. Maison-Blanche, Les récentes réformes en matière d'offres publiques induites par la loi du 31 mars 2006, Fusions & Acquisitions, mars-avril 2006, p. 30 ; RDBF, mai-juin 2006, p. 40, chron. H. Le Nabasque et P. Portier ; J.-B. Lenhof, Aspects de droit des sociétés de la réforme sur les offres publiques d'acquisition, Lexbase Hebdo n° 217, du 1er juin 2006 - édition affaires, (première partie) (N° Lexbase : N9036AKU), et seconde partie (N° Lexbase : N9296AKI) ; J.-F. Biard, Les nouvelles dispositions du droit des offres publiques en France, Option Finance, 10 juillet 2006, n° 891, p. 34-38 et in La lettre Vernimmen.net, n° 48, juin 2006 ; C. Malecki, La loi du 31 mars 2006 relative aux OPA et l'information des actionnaires et des salariés, Recueil Dalloz, 28 septembre 2006, n° 33, p. 2314-2318.
(3) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin., septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier, F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 2004/5, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec, 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(4) V. not. A. Pietrancosta, Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises, Lexbase Hebdo n° 211, du 19 avril 2006, et n° 212 du 26 avril 2006 - édition affaires, première partie (N° Lexbase : N7263AK9), deuxième partie (N° Lexbase : N7294AKD), troisième partie (N° Lexbase : N7295AKE), quatrième partie (N° Lexbase : N7386AKR) et cinquième partie (N° Lexbase : N7390AKW), et RTDF 2006/1, p. 5-18.
(5) Groupe présidé par C. Favre et D. Hoenn, membres du collège de l'AMF.
(6) V. réc. J.-F. Biard, préc. note 1.
(7) Notons qu'en matière d'offres concurrentes et de surenchères libellées autrement qu'en numéraire, il appartient toujours à l'AMF d'apprécier si les projets présentés emportent une "amélioration significative des conditions proposées aux porteurs des titres visés" (Règl. gén. AMF, art. 232-7, al. 2).
(8) V. not. C. Baj, Offre d'acquisition : contestation et détermination du prix, Dict. Joly Bourse ; A. Viandier, OPA, OPE..., éd. F. Lefebvre, 2004, n° 941 ; D. Schmidt, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n° 205 ; T. Bonneau, F. Drummond, Droit des marchés financiers, Économica, 2005, n° 712 ; A. Pietrancosta, in Ingénierie financière, fiscale et juridique, sous la dir. de Ph. Raimbourg et M. Boizard, Dalloz, 2006, n° 72-74.
(9) V. C. Le Breton, L'expert indépendant : le tiers avec lequel il faut désormais compter, Option Finance, 16 octobre 2006, n° 902, p. 32-33 ; D. Ledouble, Sécurité financière : le retour des corporations, RTDF 2006/1, p. 34-37 ; F. Basdevant, Le recours à un expert indépendant en cas de conflits d'intérêts, RDBF, mai 2006, p. 101 ; H. de Vauplane, L'évaluation financière indépendante, nouvelle protection des actionnaires ?, Banque, juillet 2005, n° 671, p. 98-100 ; A. Marraud Des Grottes, Les nouveaux contours de l'évaluation financière indépendante, Option Finance, 9 mai 2005, n° 833, p. 35-37.
(10) Ajoutons le cas particulier prévu à l'article 261-2 du règlement général AMF, qui concerne une augmentation de capital réservée avec une décote par rapport au cours de bourse supérieure à la décote maximale autorisée en cas d'augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription.
(11) Pour un cas d'application, v. la demande de l'AMF adressée à Euronext, en vue de la désignation par celle-ci d'un expert indépendant appelé à examiner les conditions du rapprochement avec le New York Stock Exchange, Le Figaro, 27 octobre 2006 ; Les Echos, 30 octobre 2006, p. 33..
(12) V. not. D. Schmidt, op. cit. n° 233, p. 236.
(13) Rapport préc. p. 8., C. Motol, L'AMF élargit le rôle des administrateurs, Option finance n° 903 du 23 octobre 2006.
(14) V. City Code on Mergers and Acquisitions, Notes on Rule 2.4).
(15) V. A. Pietrancosta, Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises, art. préc. n° 4.
(16) Article 8 de la Directive 2003/6, du 28 janvier 2003 (N° Lexbase : L8022BBQ), précisé par le Règlement d'application n° 2273/2003, du 22 décembre 2003 (N° Lexbase : L0410DNI) ; et règlement général AMF, art. 631-5 à 631-10.
(17) V. not. C. Clerc, Les bons d'offre au coeur de la transposition de la directive OPA, RTDF 2006/1 ; A. Couret, Les bons d'offre (article 12 de la loi n ° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition), Recueil Dalloz Sirey, 18 mai 2006, n° 20.
(18) V. A. Pérès, J.-F. Louit, Nouvelle donne en matière de défense anti-OPA, Les Échos, 2 novembre 2006, p. 12.


* L'auteur tient à remercier chaleureusement Catherine Maison-Blanche pour sa relecture attentive et ses précieuses observations.

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