Réf. : Arrêté du 18 septembre 2006, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L2145HSA)
Lecture: 21 min
N4895ALU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 07 Octobre 2010
II - B - Les dispositions modifiées du Règlement général abritant le droit des procédures spéciales d'offre publique recèlent, elles aussi, leur lot de nouveautés. Principaux sujets d'attention, l'offre publique obligatoire et le retrait-exclusion des actionnaires ultra-minoritaires subissent, en particulier, le lifting prescrit en 2004 par les docteurs communautaires. De cette conformation au modèle harmonisé dessiné par la Directive OPA, leur visage en retire de nouveaux caractères, dont on ne sera pas surpris de constater, compte tenu de leur communauté d'origine, qu'ils procèdent d'une logique et d'une inspiration analogues à celles présidant l'ensemble de la réforme.
En matière d'offre publique obligatoire, le changement le plus notable (6) se situe au niveau des modes de détermination du prix. L'intérêt y porté n'est, à vrai dire, que l'écho ou le prolongement de celui suscité par l'une des mesures phares de la loi du 31 mars 2006, qui a consisté à poser ici le principe d'un prix-plancher -fixé objectivement, par référence au prix le plus élevé payé par l'auteur de l'offre dans l'année précédant le dépôt-, assorti cependant de réserves qu'il appartenait au règlement général de l'AMF de définir (C. mon. et fin., art. L. 433-3 I, al. 2 N° Lexbase : L3303HI8).
Jusqu'alors, en effet, notre réglementation se contentait de poser que le débiteur, initiateur forcé, devait libeller son projet d'offre "à des conditions telles qu'il puisse être déclaré recevable par l'AMF" (7) ; et de renvoyer, pour l'appréciation de cette recevabilité, aux dispositions générales imposant à l'autorité de marché l'examen du prix ou de la parité d'échange, "en fonction des critères d'évaluation objectifs usuellement retenus et des caractéristiques de la société visée" (8). Cet alignement du régime de l'offre publique obligatoire sur celui de l'offre publique volontaire, en forme de renvoi réalisé à l'envers, ne manquait pas de surprendre, compte tenu de la disparité de situation résultant d'une offre lancée spontanément et d'une offre légalement imposée qui, seule, requiert évidemment l'instauration de garanties destinées à assurer le sérieux de l'engagement réclamé (9).
Désormais, la rupture juridique est consommée. Elle l'est doublement, peut-on dire, sous l'effet d'un mouvement d'éloignement mutuel, même si la confiance dans les vertus régulatrices du marché semble, ici, servir de principe explicatif commun. Du côté des offres publiques volontaires, tout d'abord, où le contrôle public et direct du prix tend, on l'a vu, à s'effacer au profit de celui de l'information relative au prix, tout au moins en l'absence de conflit d'intérêts (10). Du côté des offres publiques obligatoires, ensuite, où demeure une stricte garantie de prix, mais dont le mécanisme a évolué pour ne plus accorder à l'autorité publique qu'un rôle subsidiaire. Cette évolution, d'origine communautaire, prend sa source à l'article 5 § 4 de la Directive OPA, qui a enjoint aux Etats membres de reconnaître comme "prix équitable" d'une offre publique obligatoire : "le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l'offrant, ou par des personnes agissant de concert avec lui, pendant une période, déterminée par les Etats membres, de six mois au minimum à douze mois au maximum précédant l'offre". Empruntée à une logique plus britannique que française (11) et conforme aux recommandations du rapport "Winter I" (12), cette reconnaissance de principe séduisit, en effet, par ses avantages comparatifs, à savoir : pour les actionnaires de la société visée, celui d'assurer entre eux le respect d'une certaine égalité de traitement, quel que soit le moment de la négociation de leurs titres avec l'acquéreur (ou ses concertistes) ; pour l'offrant, celui de la sécurité juridique et de la prévisibilité, en lui donnant la certitude de ne pas avoir à débourser plus, dans le cadre de l'offre publique, que ce qu'il était disposé à payer antérieurement, tout en lui permettant de participer directement à la détermination du prix de l'offre obligatoire ; pour le législateur communautaire, celui de la simplicité, propre à favoriser l'harmonisation en Europe de réglementations nationales caractérisées jusqu'alors par leur disparité. On sait qu'à l'instar de la Rule 9.5 du City Code on Mergers and Acquisitions, la loi française de transposition du 31 mars 2006 a opté pour une période de référence de douze mois et fait du prix antérieur le plus élevé payé dans cet intervalle un simple minimum, afin, a-t-il été expliqué, de ne pas dissuader les auteurs d'offres publiques obligatoires de proposer des prix plus attractifs (13), mais avec le risque corrélatif que ces ruptures autorisées d'égalité entre actionnaires ne fassent resurgir la menace contentieuse.
Par nature, l'assurance d'un prix-plancher ainsi déterminé supposait l'institution de garde-fous, tant son caractère mécanique risquait de produire des résultats peu conformes à l'équité. Là se situe l'apport des nouvelles dispositions réglementaires venues, à l'invite de l'article L. 433-3 I, alinéa 2, du Code monétaire et financier, préciser les conditions dans lesquelles l'AMF "peut demander ou autoriser la modification du prix proposé". Lesdites précisions figurent à l'article 234-6, alinéa 2, du règlement général AMF, où l'on apprend qu'une telle intervention de l'AMF, spontanée ou réclamée, est ouverte : "lorsqu'un changement manifeste des caractéristiques de la société visée ou du marché de ses titres le justifie. Il en va notamment ainsi dans les cas suivants : 1° Lorsque des événements susceptibles d'influer de manière significative sur la valeur des titres concernés sont intervenus au cours des douze derniers mois précédant le dépôt de l'offre ; 2° Lorsque la société visée est en situation de difficulté financière avérée ; 3° Lorsque le prix mentionné au premier alinéa résulte d'une transaction assortie d'éléments connexes entre l'initiateur, agissant seul ou de concert, et le vendeur des titres acquis par l'initiateur au cours des douze derniers mois". Le texte rappelle largement, sans reproduire littéralement, les dispositions de l'article 5 § 4, alinéa 2, de la Directive OPA, et prend soin de coiffer les situations énumérées "exemplativement" d'une clausula generalis. On observe au passage que, si la Directive autorisait une modification directe du prix par l'autorité de marché, la transposition française, législative comme réglementaire, ne conçoit l'intervention de l'AMF que sous la forme d'une "autorisation" -sous-entendu à la baisse- ou d'une "demande" (est-ce une litote ?) -sous-entendu à la hausse- de modification du prix proposé.
Au résultat, dans les hypothèses susmentionnées, où les prix antérieurement payés par l'initiateur sont impropres à servir d'étalons exclusifs dans la mesure de l'égalité entre actionnaires, auxquelles il convient évidemment d'ajouter le cas d'absence totale de transaction de l'initiateur, agissant seul ou de concert, sur la période considérée, l'article 234-6, dernier alinéa, du règlement général AMF dispose que "le prix est déterminé en fonction des critères d'évaluation objectifs usuellement retenus, des caractéristiques de la société visée et du marché de ses titres". Ordinairement ravalée au rang de simple indication figurant dans les notes d'information (14), l'évaluation multi-critères opère, dans ces circonstances particulières, un remarquable retour en force. D'autant plus qu'il s'agit là d'un choix national, la Directive OPA s'étant montrée, à cet égard, relativement ouverte. L'option retenue révèle en conséquence une certaine résistance à la logique de marché, qui eut plutôt conduit à privilégier le recours à une moyenne boursière antérieure, comme en témoigne le récent exemple finlandais (15). Il faut concéder que, selon les cas envisagés, le bien-fondé du recours à une telle moyenne aurait pu prêter à discussion et que l'unité de la méthode de substitution retenue a au moins le mérite de la simplicité (16). Il n'aurait, cependant, pas été inutile d'indiquer clairement si le prix déterminé à partir de l'évaluation multi-critères doit alors définitivement prévaloir sur le prix antérieur le plus élevé ou si celui-ci doit, là aussi, faire office de prix-plancher.
Hélas, serait-on tenté de dire, les précisions réglementaires s'arrêtent là, limitées strictement au renvoi législatif. On peut le regretter tant le législateur s'est montré elliptique sur cette question pourtant essentielle. Le lecteur restera donc sur sa faim et maints problèmes sont en attente de résolution. Rien n'est dit, par exemple, de l'application du principe et des dérogations posées face à une offre publique obligatoire prenant la forme d'une OPE ou d'une offre complexe, comme autorisée par l'article 5 § 5 de la Directive OPA. On ne peut que constater, à cet égard que le domaine de l'option en numéraire obligatoire (17) est loin de couvrir tous les cas de figure envisageables. A moins de déduire des termes de l'article 234-6, l'obligation pour l'initiateur de proposer systématiquement une option, voire une contrepartie exclusive, en numéraire. De même, un silence coupable est gardé sur l'application du principe et des dérogations en présence d'une pluralité de catégories de titres de capital ou donnant accès au capital ; ou, simplement, sur les modalités concrètes de détermination du prix de référence, son calcul, sa preuve, le lieu des négociations prises en considération etc. Sans parler de certaines curiosités rédactionnelles de l'article L. 433-3, alinéa 2, du Code monétaire et financier, purement et simplement reproduites à l'article 234-6 du règlement général : la prise en compte du prix le plus élevé "payé par l'initiateur, agissant seul ou de concert", là où il aurait été plus avisé, et conforme à la Directive, de viser le prix le plus élevé payé "par l'initiateur ou les personnes agissant de concert avec lui" ; ou encore, n'y insistons pas, l'omission de préciser que le prix à retenir est le prix payé pour les mêmes titres et par titre... Quitte à s'en inspirer, il n'aurait pas été malvenu de tirer davantage de l'expérience britannique.
Terminant, comme il se doit, par les procédures de retrait, à présent détaillées aux articles 236-1 et suivants du règlement général AMF, un mot sera dit de leur champ d'application international, en raison d'hésitations persistantes. De fait, l'appréhension de celui-ci suppose une combinaison délicate de dispositions de qualité inégale, générales et spéciales, législatives et réglementaires, internes et communautaires, ne permettant pas toujours d'aboutir à des conclusions parfaitement assurées (18).
Du côté du retrait obligatoire, il paraît en ressortir une inapplicabilité de principe des règles matérielles françaises aux titres d'une société étrangère admis aux négociations sur un marché réglementé français. La solution ne prête guère à discussion lorsque le "siège statutaire" de la société est établi hors d'un Etat membre de la Communauté européenne (CE) ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), puisque inscrite directement et sans équivoque à l'article 231-1, alinéa 3, du règlement général AMF. Elle paraît s'imposer également aux sociétés dont le "siège" se trouve sur le territoire d'un Etat membre de la CE ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'EEE, en vertu de l'article L. 433-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3304HI9), qui borne l'habilitation du règlement général AMF aux seules procédures de retrait portant sur les titres d'"une société dont le siège social est établi en France". La relation implicitement établie entre la procédure de retrait obligatoire et les "questions relevant du droit des sociétés", au sens de l'article 4 § 2 e) de la Directive OPA, dans la mesure où s'il s'agirait avant tout d'une procédure dérogatoire permettant l'exclusion d'actionnaires, actuels ou potentiels (19), d'une société à capital fixe, ne semble pas même pouvoir autoriser une distinction entre ces sociétés étrangères selon que leurs titres sont ou non admis sur le marché réglementé de l'Etat membre de leur siège social. Il n'est pas sûr, en pratique, qu'une solution aussi radicale se révèle toujours satisfaisante (20).
Du côté des offres publiques de retrait, la mise à l'écart du droit français domine également, même si elle ne s'impose pas avec autant de vigueur, ce qui oblige à distinguer. S'agissant des sociétés dont le "siège" est établi sur le territoire d'un Etat membre de la CE ou partie à l'accord sur l'EEE, l'incompétence des règles françaises matérielles semble légalement posée (C. mon. et fin., art. L. 433-4). Elle apparaît, ainsi, calée sur la solution retenue pour le retrait obligatoire, alors pourtant que la Directive OPA ne l'exigeait pas aussi nettement et invitait plutôt à nuancer selon le degré d'intimité des liens entretenus avec les règles du droit des sociétés (art. 4 § 2, e), et que le règlement général AMF, par sa rédaction évasive, pourrait entretenir le doute lorsque la société étrangère concernée n'est pas cotée sur un marché réglementé de l'Etat membre de son siège social (Règl. gén., art. 231-1 et 236-1 et s.) (21). Quant aux sociétés dont le "siège statutaire" est situé hors d'un tel Etat, le même règlement général ne se préoccupe que d'exclure leur soumission aux règles françaises relatives à l'"offre publique obligatoire" (Règl. gén., art. 231-1, al. 3), ce qui laisse à l'AMF la possibilité de leur ouvrir la voie de l'offre publique de retrait dans les hypothèses où celle-ci ne revêt aucun caractère contraignant pour l'initiateur (arg. C. mon. et fin., art. L. 433-1 III).
A l'inverse, on comprend que les règles relatives au retrait obligatoire ou aux offres publiques de retrait s'appliquent aux sociétés françaises quand bien même les titres de celles-ci ne seraient pas admis aux négociations sur un marché réglementé français, dès lors, est-il cependant précisé, qu'ils le sont sur un marché réglementé d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen (C. mon. et fin., art. L. 433-4 ; Règl. gén., art. 236-1 et s.).
En droit interne, c'est sans conteste le retrait obligatoire qui fait l'objet du plus substantiel remaniement. La réforme ne réalise rien moins que le découplage du retrait obligatoire et de l'offre publique de retrait, imposé par la treizième Directive communautaire (art. 15) et transposé par la loi du 31 mars 2006 (C. mon. et fin., art. L. 433-4 III). Désormais, en effet, la première opération ne situe plus dans une relation de dépendance nécessaire et unilatérale vis-à-vis de la seconde ; elle n'en est plus un simple appendice (22). Certes, le retrait obligatoire peut bien encore se situer dans le sillage d'une OPR. Mais cette étape intermédiaire ne constitue plus un passage obligé, du fait de l'ouverture à l'auteur d'une offre publique ne présentant pas la nature d'une OPR, d'un accès direct à la procédure d'exclusion des titulaires ultra-minoritaires de titres de capital, qu'il peut emprunter jusqu'à expiration d'un délai de trois mois à compter de la clôture de son offre. D'où l'introduction au sein du Chapitre VII du Titre III du Livre II du règlement général, qui demeure consacré au sujet, d'une division de ses dispositions en deux sections organisant, pour l'une, "le retrait obligatoire à l'issue d'une offre publique de retrait" (Règl. gén., art. 237-1 et s.), et pour l'autre, "le retrait obligatoire à l'issue de toute offre publique" (Règl. gén., art. 237-14 et s.). A l'évidence, cette dualité d'hypothèse de retrait obligatoire et cette subdivision réglementaire, dont on constatera d'ailleurs qu'elles ne s'épousent pas parfaitement, ne contribuent pas significativement à la simplicité et la lisibilité du dispositif, occasionnant même quelques interrogations irritantes, notamment, dans l'articulation des opérations ou des procédures de contrôle.
Ainsi, conduit à organiser procéduralement la diversité de situations envisageables dans le cadre du nouveau régime, le règlement général AMF procède à une distinction, dont l'article 217-16 fournit la clé, basée principalement sur la nécessité ou non d'une nouvelle déclaration de conformité délivrée par l'AMF.
Au cas général -à tout le moins présenté comme tel-, l'AMF est appelée à se prononcer sur la conformité du projet de retrait obligatoire. Ratione temporis, le contraste apparaît avec la réglementation jusque-là applicable, qui pour l'essentiel situait l'intervention de l'autorité de marché au moment du projet d'offre publique de retrait, sur lequel le retrait obligatoire se greffait nécessairement. Pour le reste, les traits antérieurs de la procédure se retrouvent, sous réserve d'adaptations : l'initiateur fournit, à l'appui de son projet de retrait obligatoire, "une évaluation des titres de la société visée, effectuée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d'actifs, tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l'existence de filiales et des perspectives d'activité" (Règl. gén., art. 237-16 II, al. 1er) ; un expert indépendant est désigné, à la demande désormais de la société visée (Règl. gén., art. 261-1 II) ; et un projet de note d'information est établi, soumis au visa de l'AMF et porté à la connaissance du public (Règl. gén., art. 237-16 II, al. 2).
Il est dérogé à cette procédure lourde dans les situations définies à l'article 237-16 I du règlement général. Celui-ci supprime, en effet, le passage par la déclaration de conformité "dans l'un des deux cas suivants" -entendons dans l'un ou l'autre des cas suivants- "et à condition que le retrait obligatoire comporte le règlement en numéraire proposé lors de la dernière offre : 1° Le retrait obligatoire fait suite à une offre publique soumise aux dispositions du chapitre II ; 2° Le retrait obligatoire faire suite à une offre publique pour laquelle l'AMF a disposé de l'évaluation mentionnée au II de l'article L. 433-4 du code monétaire et financier et du rapport de l'expert indépendant mentionné à l'article 261-1". L'allégement se ressent également au plan de l'information, puisqu'il revient alors simplement à l'initiateur d'informer l'AMF de son intention de mettre en oeuvre le retrait obligatoire et de publier un communiqué (Règl. gén., art. 237-16 III).
Tels qu'on les comprend, les deux cas de dispense susvisés procèdent de logiques différentes. Le second peut s'expliquer par le souci d'éviter l'imposition d'exigences redondantes lorsque le retrait obligatoire s'inscrit dans la continuité d'une offre publique déjà assortie de garanties équivalentes, typiquement une offre publique de retrait. Le premier est plus original, dans la mesure où il permettrait, à l'inverse, d'aboutir à la mise en oeuvre d'un retrait obligatoire sans recourir à l'évaluation multi-critères spéciale mentionnée à l'article 237-16 II et, possiblement, sans le détour par l'expertise indépendante prévue à l'article 261-1. Illustrant à nouveau l'esprit de faveur pour le marché, qui anime la réforme, la justification de l'exemption reposerait en l'espèce sur le succès de l'offre publique initiale, qui a recueilli au bas mot 95 % de réponses favorables, de la part de destinataires représentant plus de la moitié du capital ou des droits de vote de la société visée (23). Ce véritable plébiscite actionnarial du prix proposé par l'initiateur suffirait, en d'autres termes, à légitimer le rachat forcé subséquent du reliquat des titres aux mêmes conditions. Il y a là une simplification bienvenue par rapport au droit antérieur dont l'application conduisait, parfois, à un enchaînement artificiel d'offres publiques intermédiaires réalisées à contrepartie constante. Support de cette volonté évidente de garantir aux intéressés une égalité de traitement patrimonial, en dépit de la différence de leur situation, on aura pris soin de relever la mise en facteur, dans les deux cas susvisés, de la condition ordonnant que le retrait obligatoire comporte le même règlement en numéraire que celui proposé dans le cadre de la dernière offre publique.
La perspective d'une dispense de déclaration de conformité incitera sans doute un initiateur qui aurait l'intention (24) de faire suivre, le cas échéant, son offre publique d'un retrait obligatoire, à satisfaire ab initio aux conditions énoncées à l'article 237-16 I. Auteur d'une OPE, il prendra soin d'assortir son offre d'une option en numéraire (25). Auteur d'une offre publique non soumise à la procédure normale (notamment offre publique simplifiée ou garantie de cours), il fera procéder à l'évaluation et à l'expertise indépendante requises (26) Ce faisant, il pourrait toutefois se heurter à quelques difficultés. La première tient à la rédaction de l'article 237-16 I 2°, spécialement au renvoi opéré à "l'évaluation mentionnée au II de l'article L. 433-4 du code monétaire et financier", qui pourrait laisser à penser, compte tenu du champ limité de cette disposition législative, que cette dispense de déclaration de conformité ne trouve à s'appliquer qu'en matière d'offres publiques de retrait. Une lecture ouverte du texte n'est toutefois pas impossible, qui consisterait à exiger, dans les autres catégories d'offres, une évaluation présentant les mêmes garanties que celles imposées dans le cadre d'une OPR. Une seconde difficulté tient au régime international du retrait obligatoire qui, comme on l'a vu (27), pourrait provoquer une déconnexion, en présence d'une société visée étrangère, entre le droit national applicable à une offre publique et le droit national applicable au retrait obligatoire, susceptible de rompre l'égalité de traitement des actionnaires concernés.
Il est vrai que l'autonomie relative conquise par le retrait obligatoire accroît d'autant le risque de rupture d'égalité. Il suffirait pour cela que l'initiateur d'une offre publique choisisse de ne se soumettre aux conditions du retrait obligatoire qu'au seul moment de sa mise en oeuvre. Une offre publique d'échange pourrait ainsi être suivie d'un retrait obligatoire en numéraire ou, tout au moins, pourvu d'une option en numéraire. En cas d'offre publique d'achat, un écart entre le prix d'offre et l'indemnisation des investisseurs exclus pourrait ressortir du recours à des procédures d'évaluation et d'expertise plus exigeantes au moment du retrait obligatoire. Il est cependant permis de penser que la discipline de marché et l'intérêt bien compris des initiateurs d'offres publiques rendront de telles situations marginales et que, sauf événements nouveaux, les contreparties prévues dans le cadre des retraits obligatoires s'aligneront pratiquement sur celles proposées lors des offres publiques les précédant immédiatement, dont elles subiront naturellement la force d'attraction.
Alain Pietrancosta*
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier
(1) JO n° 225 du 28 septembre 2006, p. 14210. Sur le projet de règlement, v. O. Douvreleur, C. Uzan, Projet de modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : vers un renouveau du droit des offres publiques d'acquisition ?, Bull. Joly Bourse et produits financiers, juin 2006, p. 275-291.
(2) V. I. MacElhone, C. Maison-Blanche, Les récentes réformes en matière d'offres publiques induites par la loi du 31 mars 2006, Fusions & Acquisitions, mars-avril 2006, p. 30 ; RDBF, mai-juin 2006, p. 40, chron. H. Le Nabasque et P. Portier ; J.-B. Lenhof, Aspects de droit des sociétés de la réforme sur les offres publiques d'acquisition, Lexbase Hebdo n° 217, du 1er juin 2006 - édition affaires, (première partie) (N° Lexbase : N9036AKU), et (seconde partie) (N° Lexbase : N9296AKI) ; J.-F. Biard, Les nouvelles dispositions du droit des offres publiques en France, Option Finance, 10 juillet 2006, n° 891, p. 34-38 et in La lettre Vernimmen.net, n° 48, juin 2006 ; C. Malecki, La loi du 31 mars 2006 relative aux OPA et l'information des actionnaires et des salariés, Recueil Dalloz, 28 septembre 2006, n° 33, p. 2314-2318.
(3) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin., septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier, F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 2004/5, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec, 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(4) V. not. A. Pietrancosta, Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises, Lexbase Hebdo n° 211, du 19 avril 2006, et n° 212 du 26 avril 2006 - édition affaires, première partie (N° Lexbase : N7263AK9), deuxième partie (N° Lexbase : N7294AKD), troisième partie (N° Lexbase : N7295AKE), quatrième partie (N° Lexbase : N7386AKR) et cinquième partie (N° Lexbase : N7390AKW), et RTDF 2006/1, p. 5-18, spéc. n° 3, p. 7
(5) Groupe présidé par C. Favre et D. Hoenn, membres du collège de l'AMF.
(6) Ceux qui espéraient du règlement général un strict encadrement de l'amendement "Renault-Nissan" -consistant à subordonner la recevabilité d'une OPA-E, volontaire ou obligatoire, lancée sur une société cotée sur un marché réglementé français à la démonstration qu'une OPA-E "irrévocable" et "loyale" est ou sera initiée sur les titres de chaque société, française ou étrangère, cotés sur un marché réglementé français ou étranger, et détenus à plus d'un tiers par la première société visée, dès lors qu'ils constituent de celle-ci un actif essentiel (C. mon. et fin., art. L. 433-3 IV)-, seront déçus par les dispositions minimalistes qui lui sont consacrées (v. Règl. gén., art. 231-13, 231-18, 8°) ; v. F. Barrière, OPA obligatoire sur une filiale (étrangère) de la cible initiale : du patriotisme économique teinté d'hégémonie juridique ?, Option Finance, n° 901, 9 octobre 2006, p. 38, qui émet au passage un doute sur la légalité de l'extension de l'offre publique accessoire aux titres donnant accès au capital de la société détenue.
(7) Règl. gén. AMF, ancien art. 234-2.
(8) Règl. gén. AMF, ancien art. 231-23.
(9) V. not. A. Viandier, OPA, OPE..., éd. F. Lefebvre, 2004, n° 941 et s. ; C. Baj, Offre d'acquisition : contestation et détermination du prix, Dict. Joly Bourse ; J.-J. Daigre, Le prix des offres publiques, RDBF, mars-avril 2002, p. 55.
(10) V. les propos de B. de Juvigny, rapportés par B. de Roulhac, "L'AMF milite pour un maximum de transparence dans son dispositif de gestion des rumeurs", L'Agéfi, 11 octobre 2006, p. 9 ; A. Pietrancosta, Lexbase Hebdo n° 211 et 212, préc..
(11) V. The City Code on Takeovers and Mergers, Rule 9 § 5.
(12) Rapport du Groupe d'experts de haut niveau en droit des sociétés sur des questions liées aux offres publiques d'acquisition, Bruxelles, 10 janvier 2002, p. 49 et s.
(13) V. not. H. Novelli, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan, Assemblée nationale, 1ère lecture, n° 2750, Document mis en distribution le 15 décembre 2005.
(14) Règ. gén. AMF, art. 231-18 ou 261-1, auxquels il n'est pas expressément dérogé au cas d'OPO lancée au prix le plus élevé payé antérieurement.
(15) V. A. Sailakivi, Finland : markets - takeovers - mandatory bids - exemptions - regulatory arrangements - implementation of directive 2004/25, I.C.C.L.R. 2006, 17(10), N90 -92.
(16) Comp. la Rule 9.5 du City Code on Takeovers and Mergers.
(17) Comp., avec le pouvoir d'initiative reconnu à la société cible par la Rule 2 du City Code on Mergers and Acquisitions.
(18) V. spéc. C. Maison-Blanche, Extension de la compétence territoriale de l'Autorité des Marchés Financiers concernant le contrôle des offres publiques d'acquisition : apports de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie et de la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition, RTDF, 2006/1, p. 134-143.
(19) Rappelons que, depuis la loi du 1er mars 2006, le retrait obligatoire peut porter sur "les titres donnant ou pouvant donner accès au capital". La leçon n'est hélas que partiellement tirée de l'expérience (v. not. l'offre publique Marionnaud), dans la mesure où le double seuil requis par l'article 237-1 du règlement général peut encore déboucher sur une situation dans laquelle l'auteur du retrait obligatoire ne sera pas en mesure d'assurer définitivement la fermeture du capital social.
(20) En ce sens, on lira avec intérêt le document accompagnant la récente offre publique d'échange de Gemalto N.V. visant les titres de Gemplus international S.A., p. 39.
(21) V. en ce sens le document d'offre publique Gemalto N.V. préc.
(22) A. Pietrancosta, Offres publiques de retrait et retrait obligatoire, Dictionnaire Joly Bourse et Produits financiers, n° 63.
(23) Condition d'application de la procédure normale régie par le Chapitre II du Titre III.
(24) Laquelle devra faire l'objet d'une déclaration dans le premier document d'offre.
(25) Condition du retrait obligatoire, imposée par la loi (C. mon. et fin., art. L. 433-4 III).
(26) V. en ce sens, la première OPA simplifiée nouvelle réglementation, visant les actions de la société Airox initiée par Kendall (période de l'offre du 24 octobre 2006 au 13 novembre 2006 inclus) ; ou encore, l'offre publique réalisable par garantie de cours sur les titres de la société PagesJaunes initiée par Mediannuaire, déposée le 24 octobre 2006.
(27) V. AMF, Consultation publique sur le projet de règlement général relatif aux offres publiques et à l'expertise indépendante, 25 avril 2006, p. 3.
* L'auteur tient à remercier chaleureusement Catherine Maison-Blanche pour sa relecture attentive et ses précieuses observations.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:94895