Réf. : Cass. com., 3 octobre 2006, n° 01-03.515, Epoux Chessa c/ Trésorier principal de Vitrolles, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4091DRX)
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le 07 Octobre 2010
Cette répartition entre les deux ordres de juridiction, issue de l'article L. 281 du LPF (N° Lexbase : L8541AE3) dont l'origine est historique, a entraîné une jurisprudence relative à la distinction entre les deux formes d'opposition dont le caractère byzantin n'échappera à aucun juriste.
Ainsi, pour s'en tenir au contentieux lié à la lettre de rappel prévu par l'article L. 255 du LPF (N° Lexbase : L3952ALX), dont la présente décision commentée apporte d'importantes précisions, ce dernier relève de la compétence de l'ordre judiciaire (T. conflits, 13 décembre 2004, n° 3411 Sauveur et Alexandrine Chessa c/ Trésorier principal de Vitrolles, sur renvoi de la Cour de cassation : Cass. com., 7 janvier 2004, n° 01-03.515, FS-D N° Lexbase : A6905DAY).
Par un arrêt du 3 octobre 2006, promis à la plus large diffusion, la Haute juridiction censure partiellement les conseillers de la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 13 décembre 2000, 15ème ch. civ.) quant à la régularité des actes de poursuite relatifs au paiement de l'impôt sur le revenu des époux Chessa, notamment, quant à la régularité de plusieurs avis à tiers détenteur émis à l'encontre des contribuables demandeurs au pourvoi.
Après saisine du juge de l'exécution en contestation de la régularité d'actes de recouvrement émis par le comptable public portant sur plusieurs avis à tiers détenteur, un commandement de payer et un procès-verbal de saisie-vente, les contribuables demandent à la Cour de cassation de se prononcer sur la régularité, en la forme, de ces procédures diligentées par le comptable public à leur encontre : la Haute juridiction prend position, d'une part, quant à la régularité de l'avis à tiers détenteur (1) ; d'autre part, quant aux effets de la caducité d'actes de poursuite au regard de la lettre de rappel adressée préalablement par le comptable poursuivant, lorsque ce dernier intente de nouvelles poursuites à la suite du rejet de la réclamation contentieuse par la juridiction administrative (2).
1. Régularité de l'avis à tiers détenteur
L'avis à tiers détenteur est une mesure de recouvrement spécifiquement fiscale, très utilisée par les comptables publics, car ces derniers peuvent alors s'affranchir du formalisme des actes de procédure civile (1).
Du point de vue du contribuable, l'avis à tiers détenteur (ATD) offre l'avantage d'être une procédure de recouvrement sans frais : de jurisprudence constante, l'envoi d'une lettre de rappel par le comptable poursuivant ne s'impose donc pas (1.1.) ; en revanche, quant à la signature de l'ATD, une distinction doit être opérée selon que l'acte a été signé personnellement par le comptable public ou par voie de délégation (1.2.).
1.1. Avis à tiers détenteur et lettre de rappel
Le premier moyen invoqué par les demandeurs à la cassation porte sur la régularité des avis à tiers détenteur, alors que la lettre de rappel, prévue par l'article L. 255 du LPF, n'a pas été émise.
Ne pouvant pas, en elle-même, faire l'objet d'un recours contentieux dès lors qu'elle ne constitue, en droit, qu'un simple rappel et n'est pas un acte de poursuite per se (CE Contentieux, 1er décembre 1982, n° 28082, M. Maurice Vincent N° Lexbase : A9169AKS), la lettre de rappel doit être considérée comme une phase préalable, en principe obligatoire (2), à la charge du Trésor public dès lors que le comptable envisage des poursuites devant entraîner des frais (3).
Pour autant, l'envoi d'une telle lettre de rappel est une formalité substantielle lors du premier acte de poursuite seulement (CAA Marseille, 3ème ch., 9 novembre 1998, n° 96MA01801, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2723BMS), dont la méconnaissance entraîne la responsabilité de l'Etat (CAA Paris, 2ème ch., 13 octobre 1998, n° 96PA00380, M. Guillet N° Lexbase : A0216AXB) et la décharge de l'impôt (CAA Marseille, 3ème ch., 6 février 2003, n° 98MA02091, Mme Viviane Unia N° Lexbase : A5994C9U).
Alors qu'aucun texte n'impose un envoi de la lettre de rappel sous pli recommandé, les contribuables peuvent contester la bonne réception de ladite lettre devant le juge de l'impôt, dès lors que la jurisprudence considère que la charge de la preuve de l'envoi incombe à l'administration (CE Contentieux, 27 novembre 2000, n° 197915, SARL Etablissements Viz N° Lexbase : A6522AY9 ; CAA Paris, 21 avril 1992, n° 91PA00396, Guillet N° Lexbase : A0025AX9) ; cette dernière n'étant pas admise à présenter devant les juridictions des listings informatiques internes à l'administration tendant à démontrer la réalité de l'envoi de la lettre (TA Paris, 2 décembre 2003, req. n° 98-11.498, Biendefeld : Dr. fisc. 2004 comm. 340, Juris-data n° 2003-231875). En l'état de la jurisprudence, il semble que la production de la copie de la lettre par l'administration pourrait, en fonction des éléments produits à l'instance par les parties, être considérée comme un indice sérieux visant à établir l'accomplissement de la procédure imposée par le législateur.
Cette situation a ému un parlementaire manifestement préoccupé du sort réservé aux deniers publics qui découle de décisions rendues par des juridictions souveraines : loin de représenter un "contentieux inutile", la question de la preuve de l'envoi de la lettre de rappel est essentielle au regard des droits de la défense.
A cette interpellation, le ministre de l'Economie et des Finances a répondu qu'il n'était pas dans ses intentions d'adresser la lettre de rappel par courrier recommandé compte tenu du coût pour l'Etat : en effet, sept millions de lettres de rappel sont adressées aux contribuables chaque année (QE n° 9911 de M. Flajolet André, JOANQ 30 décembre 2002 p. 5219, min. Eco., 12ème législature N° Lexbase : L7498BAX).
Pour la Cour de cassation, l'avis à tiers détenteur n'étant pas un acte de poursuite devant donner lieu à des frais, puisqu'il n'est pas énuméré par l'article 1912 du CGI (N° Lexbase : L1858HN7), la lettre de rappel prévue par l'article L. 255 du LPF n'avait pas à être émise.
La jurisprudence de la Haute cour est constante et sans ambiguïté sur ce point (lire nos obs., Contestation de la régularité d'un avis à tiers détenteur qui n'a pas à être précédé d'une lettre de rappel, Lexbase Hebdo n° 202, 16 février 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N4574AKM, note sous Cass. com., 31 janvier 2006, n° 02-16.442, F-P+B N° Lexbase : A6430DM4 ; Cass. com., 5 avril 2005, n° 03-14.336, F-D N° Lexbase : A8671DHM ; Cass. com., 3 novembre 2004, n° 03-10.009, F-D N° Lexbase : A7651DDQ ; Cass. com., 3 mars 2004, n° 02-10.425, F-D N° Lexbase : A4016DBD ; Cass. com., 3 mars 2004, n° 02-16.330, F-D N° Lexbase : A4066DB9 ; Cass. com., 28 janvier 2003, n° 00-18.865, F-D N° Lexbase : A8445A4K ; Cass. com., 28 janvier 2003, n° 00-18.911, F-D N° Lexbase : A8440A4D ; il en est de même concernant la jurisprudence administrative : TA Paris, 10 décembe 1998, n° 96-177, 1ère sect., 2ème ch., Cohen c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, RJF juillet 1999, n° 926).
Par conséquent, l'argumentation invoquée par les époux Chessa était nécessairement vouée à l'échec en l'état de la jurisprudence appliquée strictement par la Cour de cassation.
1.2. Avis à tiers détenteur et signature
Les demandeurs au pourvoi soulevaient l'irrégularité des avis à tiers détenteurs signés mais ne comportant pas le nom du signataire de sorte qu'ils ne pouvaient avoir l'assurance de sa compétence.
La régularité des actes de poursuite des comptables publics, quant à leur signature, a fait l'objet d'un net assouplissement jurisprudentiel : par une décision rendue au début de l'année 2006, la Cour de cassation a développé une jurisprudence, fort critiquée par la doctrine, visant à considérer qu'une signature illisible, sous la mention "comptable du trésor", d'un commandement de payer était valable en droit (lire nos obs., Régularité des actes de poursuites : une sensible évolution jurisprudentielle, Lexbase Hebdo n° 201, 9 février 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N4271AKE, chron. sous Cass. com. 17 janvier 2006, n° 03-13.643, FS-P+B+R N° Lexbase : A5639DMS ; commentaire incisif de la RJF : "Il ne faudrait pas que cette position bienveillante [de la Cour de cassation] incite les agents, fussent-ils des comptables comme en l'espèce, à agir dans un anonymat qu'on peut tenir pour déplorable", RJF avril 2006 n° 464).
Au cas particulier, les juges du fond ont constaté que les avis à tiers détenteur étaient bien signés personnellement par le comptable du Trésor de sorte que l'absence du nom du signataire n'emportait pas de conséquences.
En effet, pour la Cour régulatrice, le comptable poursuivant est "[...] suffisamment identifié par l'indication portée en tête de l'acte qu'il s'agissait de la trésorerie de Vitrolles".
En revanche, dans l'hypothèse d'une délégation de signature, les contribuables sont bien fondés à réclamer l'annulation de l'avis à tiers détenteur : les faits rapportés mentionnent que l'un des ATD a été signé pour le compte du comptable du Trésor sans mention de l'existence d'une délégation de signature, du nom et de la qualité du signataire.
Dans ces conditions, les contribuables ne pouvaient identifier l'auteur de l'acte de poursuite et s'assurer de sa compétence.
Par conséquent, la Cour de cassation opère une distinction entre, d'une part, le comptable public qui signe l'acte personnellement et, d'autre part, celui qui agit sur délégation de signature.
Cette précision s'impose tant sur le plan du droit que sur celui de l'équité : le comptable de la DGI ou du Trésor, détenteur d'une prérogative de puissance publique, est l'initiateur des poursuites. A ce titre, il doit en assumer pleinement la responsabilité au regard de la forme adoptée. Cette attitude serait également conforme à l'évolution voulue par le Gouvernement d'une administration fiscale de "service".
2. Lettre de rappel, actes de poursuites et caducité : effet domino
Outre l'avis à tiers détenteur, le comptable public poursuivant peut procéder à la saisie-vente (4) des biens du contribuable dont la mise en oeuvre suppose l'existence d'un titre exécutoire.
Cette procédure, qui comporte une phase de saisie puis une phase de vente, est nécessairement précédée d'une formalité substantielle : le commandement de payer. S'il s'agit d'un impôt recouvré par le comptable du Trésor, le commandement de payer devra être notifié vingt jours après la lettre de rappel, la saisie ne pouvant intervenir qu'après un délai de huit jours (5). S'agissant d'un impôt recouvré par le comptable de la DGI, la mise en demeure vaudra commandement de payer lorsque les poursuites exercées ont lieu par voie de saisie mobilière : à l'issue d'un délai de vingt jours, le comptable pourra alors procéder à la saisie-vente sans autre formalité (6).
Au cas particulier, les époux Chessa ont assorti leur réclamation contentieuse d'un sursis de paiement en application de l'article L. 277 du LPF (N° Lexbase : L8537AEW).
Ce sursis de paiement a suspendu l'exigibilité de l'impôt et mis fin au premier acte de poursuite diligenté par le comptable public.
Mais le rejet de la requête par le tribunal administratif conférait, à nouveau, l'exigibilité des impositions contestées conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE Contentieux, 21 juin 1995, n° 110922, M. Crave N° Lexbase : A4363ANW), étant entendu que l'appel interjeté ne peut emporter d'effet suspensif.
Or, les demandeurs au pourvoi reprochent à la cour d'appel d'Aix-en-Provence d'avoir jugé réguliers le commandement de payer et le procès-verbal de saisie-vente, émis par le comptable du Trésor postérieurement au rejet de leur requête déposée devant le tribunal administratif, alors que ce dernier ne leur avait pas délivré, à nouveau, une lettre de rappel.
S'appuyant sur la lettre même de l'article L. 255 du LPF, les conseillers de la juridiction d'appel ont jugé que la caducité, sans effet rétroactif (7), a frappé l'acte de poursuite mis en oeuvre antérieurement à la demande de sursis de paiement : elle n'a pas atteint la lettre de rappel, car elle est un préliminaire à l'acte de poursuite et ne se confond pas avec ce dernier.
Au contraire, pour la Cour de cassation, la caducité (8) du premier acte de poursuite devant donner lieu à des frais imposait au comptable public l'obligation d'émettre, à nouveau, une lettre de rappel à l'intention des contribuables et ce préalablement aux nouveaux actes de poursuite.
Appliquée au recouvrement de l'impôt, l'acte de poursuite initialement valable, est devenu caduc, en état de non-valeur, dès lors que les impositions ont cessé d'être exigibles du fait de la demande de sursis de paiement.
Dès lors qu'une nouvelle lettre de rappel n'a pas été adressée préalablement aux nouveaux actes de poursuite entrepris postérieurement par le comptable public, ces derniers sont irréguliers.
La Cour de cassation consacre à nouveau, par cette décision, le caractère substantiel de la lettre de rappel.
Frédéric Dal Vecchio
Juriste-fiscaliste
Chargé d'enseignement à la Faculté de Droit de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
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