Réf. : Arrêté du 18 septembre 2006, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L2145HSA)
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N4877AL9
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le 07 Octobre 2010
Le volume de ces textes interdit d'en faire, ici, une relation complète, qui serait au surplus inutile compte tenu de l'effort témoigné de préservation d'un certain nombre d'acquis. Légère, cette présentation n'a d'autre ambition que de braquer le projecteur sur les principales innovations annoncées ou repérées. Par souci de clarté, elle épousera l'ordre retenu par le règlement général, auquel il ne sera dérogé qu'à des fins pédagogiques.
I - En amont du dépôt de l'offre publique, le regard se porte essentiellement sur les dispositions destinées à préciser les conditions dans lesquelles, aux termes de l'article L. 433-1 V du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3301HI4), "toute personne, dont il y a des motifs raisonnables de penser qu'elle prépare une offre publique, peut être tenue de déclarer ses intentions à l'Autorité des marchés financiers". Ces précisions réglementaires apportées au nouveau dispositif légal de dévoilement des intentions, inspiré de celui prévu par la Rule 2 du City Code on Takeovers and Mergers britannique, étaient fort attendues compte tenu des enjeux qui y sont attachés et des difficultés prévisibles de mise en oeuvre. Il serait audacieux de soutenir qu'en l'état actuel des choses, elles apparaissent de nature à dissiper les inquiétudes.
S'agissant spécialement du fait générateur de l'obligation déclarative, l'article 222-22 du règlement général AMF énonce que, "sans préjudice des dispositions de l'article 222-7, en particulier lorsque le marché des instruments financiers d'un émetteur fait l'objet de variations significatives de prix ou de volumes inhabituelles, l'AMF peut demander aux personnes dont il y a des motifs raisonnables de penser qu'elles préparent, seules ou de concert au sens de l'article L. 233-10 du code de commerce (N° Lexbase : L6313AIN), une offre publique d'acquisition, d'informer, dans un délai qu'elle fixe, le public de leurs intentions. Il en est ainsi, notamment, en cas de discussions entre les émetteurs concernés ou de désignation de conseils, en vue de la préparation d'une offre publique".
Nul besoin de faire l'exégèse du texte pour comprendre l'embarras que peut susciter le recours multiplié à des standards flous ("significatif", "inhabituel", "raisonnable"), à des substantifs au contenu juridique indéterminé ("discussion", "préparation") ou à des hypothèses simplement exemplatives ("en particulier", "notamment"). Se révèlent par là les limites juridiques de l'exercice consistant à rechercher au plus tôt les éléments d'une information utile au marché (et à la société cible).
Cela admis, le texte interpelle aussi le lecteur par ses silences : à propos de la prise en compte de l'action de concert, l'absence de renvoi à la définition de la notion propre aux situations d'OPA, inscrite par la loi du 31 mars 2006 à l'article L. 233-10-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L1396HIK) ; ou encore, contrairement au mécanisme institué par le City Code on Mergers and Acquisitions, l'absence d'indications particulières quant aux obligations qui peuvent, à ce titre, incomber à la société cible, dans la mesure où les intentions dévoilées ne présentent pas nécessairement de caractère "inamical".
L'interprète est aussi, et peut-être surtout, amené à regretter l'ambiguïté de l'articulation entre ce pouvoir reconnu à l'AMF, et à sa seule initiative (7), de partir en quête d'informations et le devoir d'information permanente, mâtiné d'une faculté de différé pour raison de confidentialité, auquel l'article 222-7, alinéa 1er, du règlement général soumet "toute personne qui prépare, pour son compte, une opération financière susceptible d'avoir une incidence significative sur le cours d'un instrument financier ou sur la situation et les droits des porteurs de cet instrument financier", au premier rang desquelles figurent logiquement les OPA (8). De fait, la réserve de ce devoir général d'information, liminairement opérée par l'article 222-22, ne se laisse pas commodément appréhendée. Du renvoi au premier alinéa de l'article 222-7, on comprend que le devoir d'information permanente continue de trouver application alors même que ne seraient pas constatées des variations significatives de prix ou de volumes inhabituelles, ce dont on pouvait difficilement douter. Plus équivoques apparaissent, en revanche, le sens et la portée du renvoi -implicite mais nécessaire en l'absence de distinction expresse ou logique- au second alinéa de l'article 222-7, qui autorise, rappelons-le, un différé d'information lorsque "la confidentialité est momentanément nécessaire à la réalisation de l'opération" et que l'intéressé "est en mesure de préserver cette confidentialité". La ligne de partage entre la faculté de maintenir confidentielle une opération en préparation et l'obligation de dévoiler ses intentions à l'AMF et au public, autrement dit la démarcation, la combinaison ou la hiérarchie éventuelle de ces deux intérêts légitimes et juridiquement protégés, ne se dessine pas très nettement. Si l'on souhaite défendre l'idée d'une conciliation et d'un traitement à parité de ces deux impératifs contradictoires, l'on est tenté de soutenir que les conditions cumulativement énoncées à l'article 222-22 (le constat d'anomalies de marché et l'existence de rumeurs laissant à penser qu'une OPA est en cours de préparation...) semblent manifester par elles-mêmes l'impossibilité, serait-elle objectivement constatée, dans laquelle se trouve le candidat initiateur de préserver la confidentialité de son opération. Mais, l'on peut, aussi, être tenté d'opérer une distinction entre la rumeur résultant d'une faille dans le dispositif de secret mis en place par l'initiateur et la rumeur provoquée par un tiers à des fins stratégiques purement personnelles et dont l'objet principal serait d'obliger au dévoilement d'éventuelles négociations dont rien n'a encore filtré mais qui sont simplement suspectées ou anticipées. On pressent bien la difficulté qu'il y aura dans tous les cas à détecter l'origine de la rumeur et à identifier clairement le cercle de ceux qui l'ont instillée puis amplifiée : entourage de l'initiateur mal contraint par les mesures de confidentialité ou autres protagonistes ayant motifs à tester l'existence d'une future offre.
Il reste, sur ce terrain délicat, à s'en remettre à la sagacité de l'AMF, à la prudence dont elle fera preuve dans l'usage de ce qui n'est pour elle qu'une faculté, afin de ne pas se laisser instrumentaliser au profit d'un camp particulier, car l'AMF aura bien à tenir des missions différentes qui pourraient facilement devenir contradictoires (9). Assurer la transparence de marché certes, mais simultanément tenir son rôle d'arbitre impartial en période préparatoire à l'offre, comme en période d'offre, chargé de veiller à ce que les parties en présence observent le principe de loyauté.
S'agissant du régime et des conséquences de la déclaration, il est indiqué que les intéressés saisis par l'AMF sont tenus, dans un délai fixé par celle-ci, d'informer le public de leurs intentions (Règl. gén. AMF, art. 222-22, al. 1er). Cette information prend la forme d'un "communiqué soumis préalablement à l'appréciation de l'AMF et dont l'auteur s'assure de la diffusion effective et intégrale" (Règl. gén. AMF, art. 222-22, al. 2).
Si, par ce communiqué, les intéressés déclarent avoir l'intention de déposer un projet d'offre, l'AMF fixe alors la date à laquelle ils doivent : soit publier un communiqué portant cette fois sur les caractéristiques du projet d'offre (comprenant les conditions financières du projet d'offre, les accords pouvant avoir une incidence sur sa réalisation, la participation détenue dans l'émetteur concerné, les éventuelles conditions préalables au dépôt du projet d'offre et le calendrier envisagé), soit déposer un projet d'offre (Règl. gén. AMF, art. 222-23).
Au regard du droit des offres publiques, cette déclaration positive emporte des effets contrastés. Sa publication déclenche la mise à feu d'une batterie d'obligations (Règl. gén. AMF, art. 222-24) : celles inscrites dans la section 10 du Chapitre Ier du Titre III à l'adresse "des dirigeants, des personnes concernées et de leurs conseils", spécialement le devoir de "vigilance particulière dans leurs déclarations" (Règl. gén. AMF, art. 231-36 et s.) ; celles, énoncées dans la section suivante relative au "contrôle des opérations d'offre publique", renfermant certaines obligations de déclaration d'opérations d'achat et de vente effectuées sur les titres concernés par l'offre publique (Règl. gén. AMF, art. 231-38 et s.), ainsi que "les dispositions relatives aux interventions sur le marché des titres concernés par une offre publique" (Règl. gén. AMF, art. 232-14 et s.). Rien n'est dit, en revanche, ce que l'on peut regretter, du rang pris par une offre publique annoncée de la sorte mais non encore déposée, vis-à-vis, notamment, de projets concurrents annoncés voire déposés dans l'intervalle. Il n'en reste pas moins que, de manière générale, l'anticipation des effets attachés à l'ouverture de la période d'offre a vocation à demeurer limitée, dans la mesure où la déclaration d'intention n'en constitue pas le dies a quo. C'est ainsi qu'en matière de défenses anti-OPA, ladite déclaration ne saurait marquer le point de départ des règles de neutralisation directoriale (10).
Les personnes ayant procédé à une déclaration d'intention négative, auxquelles sont assimilées celles qui ont émis une intention positive mais ensuite méconnu l'obligation qui en découlait en vertu de l'article 222-23, ne peuvent, "pendant un délai de six mois à compter de leur déclaration ou de l'échéance du délai mentionné au dernier alinéa de l'article 222-23, procéder au dépôt d'un projet d'offre, sauf si elles justifient de modifications importantes dans l'environnement, la situation ou l'actionnariat des personnes concernées, y compris l'émetteur lui-même" (Règl. gén. AMF, art. 222-25, al. 1er). Au cours de cette période, lesdites personnes se voient même interdire de "se placer dans une situation les obligeant à déposer un projet d'offre". De surcroît, se trouvent-elles tenues, au cas où elles viendraient "à accroître d'au moins 2 % le nombre de titres de capital et donnant accès au capital ou aux droits de vote de l'émetteur concerné qu'elles possèdent" (11), d'en faire immédiatement la déclaration et d'indiquer "les objectifs qu'elles ont l'intention de poursuivre jusqu'à l'échéance de ce délai" (Règl. gén. AMF, art. 222-25, al. 2). La lettre et l'esprit du texte portent, ici, à écarter les franchissements de seuils purement passifs.
Eu égard à la complexité des situations de fait susceptibles d'advenir, d'aucuns pourront s'étonner de cette réductibilité juridique forcée à l'une des deux branches de l'alternative posée : être prêt à déclarer une intention positive et à s'engager sur la voie de l'offre ; ou bien être conduit à déclarer une intention négative et souffrir les sujétions temporaires y afférentes. Même si, dans le premier cas, le projet d'offre peut être assorti de "conditions préalables" et que, dans le second, des éléments nouveaux peuvent provoquer la caducité de l'interdiction du dépôt d'un projet d'offre, on peut se demander s'il n'aurait pas été opportun d'envisager, à l'instar de la solution du City Code on Mergers and Acquisitions, la situation intermédiaire de personnes n'ayant pas encore arrêté leur décision, ce qui aurait eu le mérite d'éviter aux intéressés placés dans cette zone grise d'incertitudes de devoir procéder à une déclaration d'intention positive qui risque de ne pas être suivie d'effet. On mesure, à cet égard, l'importance du délai introduit dans le texte final de l'article 222-22, délai qui permettra à l'AMF et aux personnes interrogées de définir mutuellement le moment de la communication. De fait, dans l'entrelacs de ses missions, l'AMF, moins protégée que son homologue britannique par l'esprit de club, peut effectivement craindre au cas de communication jugée trop précoce, fragilisant, notamment, le plan de négociation d'un initiateur potentiel, ou trop tardive, risquant de causer un préjudice à la société cible ou à ses actionnaires, que sa responsabilité ne se trouve invoquée (12).
Pour la deuxième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N4879ALB).
Alain Pietrancosta*
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier
* L'auteur tient à remercier chaleureusement Catherine Maison-Blanche pour sa relecture attentive et ses précieuses observations.
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