La lettre juridique n°224 du 20 juillet 2006 : Domaine public

[Evénement] Code général de la propriété des personnes publiques

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par Compte-rendu réalisé par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public

le 07 Octobre 2010

Instauré par l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 (N° Lexbase : L3736HI9), le Code général de la propriété des personnes publiques est applicable depuis le 1er juillet 2006 (pour une présentation d'ensemble de ce texte, lire Christophe de Bernardinis, Réforme du Code général de la propriété des personnes publiques, Revue Lexbase de Droit Public, n° 8 du 15 juin 2006 N° Lexbase : N9451AKA).
A l'occasion d'un déjeuner-travail organisé par le Cabinet Jeantet Associés, le Professeur Yves Gaudemet, Professeur à l'Université de Paris II, et Monsieur Jacques Arrighi de Casanova, Président de la première sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sont revenus sur les points importants de cette réforme à laquelle ils étaient associés.
  • Redéfinition du domaine public (immobilier)

Le Code procède à une redéfinition du domaine public. Comme l'indique J. Arrighi de Casanova, la nouvelle définition constitue la réponse aux critiques sur l'hypertrophie de la notion du domaine public, résultant, notamment, de la jurisprudence "Le Béton" du Conseil d'Etat (CE Contentieux, 19 octobre 1956, n° 20180, Société 'Le Béton' c/ Office National de la Navigation N° Lexbase : A3283B84). En effet, les définitions législatives du domaine public, telles qu'issues du Code du domaine de l'Etat et du Code civil, avaient conduit la jurisprudence à y inclure tous les biens affectés à l'usage direct du public ainsi que les biens affectés au service public avec, en facteur commun, le critère de l'aménagement spécial. En est résulté une hypertrophie du domaine public conduisant à une application trop étendue, quant à l'objet, des règles de la domanialité, règles qui, par ailleurs, étaient conçues comme trop contraignantes en ce qu'elles s'opposaient à certains assouplissements, accommodements, tels que la constitution de servitudes, qui pourtant, selon J. Arrighi de Casanova, "n'auraient pas été inconcevables".

Le choix opéré par les rédacteurs du code, qui se trouve à l'article L. 2111-1 du nouveau Code général de la propriété des personnes publiques, dépossède le juge de sa fonction normative en donnant la définition du domaine public immobilier. Il en ressort que "sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public". A priori, cette définition ressemble fortement à l'ancienne définition jurisprudentielle. Le critère normalement réducteur de l'aménagement spécial ne concerne que l'affectation au service public et non pas les biens affectés à l'usage direct du public. Mais, comme J. Arrighi de Casanova l'explique, tout espace ouvert au public n'est pas pour autant un bien affecté à l'usage du public, au sens de cette disposition. Par conséquent, pour les espaces simplement ouverts au public, cette définition ne devrait pas impliquer une extension du domaine public.

Le coeur de l'innovation, même si elle est discrète, se situe, s'agissant des biens affectés à l'usage du service public, dans l'expression "pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public", et donc, plus simplement, d'un aménagement spécial.

En réalité, cette redéfinition vient consacrer l'exclusion du domaine public des bureaux de l'administration.

L'ordonnance du 19 août 2004 avait réglé le sort des bureaux de l'Etat en prévoyant, en son article premier, que "les biens immobiliers à usage de bureaux, propriété de l'Etat ou de ses établissements publics, à l'exclusion de ceux formant un ensemble indivisible avec des biens immobiliers appartenant au domaine public, font partie du domaine privé de ces personnes publiques" (ordonnance n° 2004-825 du 19 août 2004, relative au statut des immeubles à usage de bureaux et des immeubles dans lesquels est effectué le contrôle technique des véhicules et modifiant le code du domaine de l'Etat N° Lexbase : L0884GTW). En cela, la nouvelle définition implique un "resserrement" du domaine public.

En introduisant les mots "pourvu qu'ils fassent l'objet", les rédacteurs de l'ordonnance ont, ici, entendu condamner la théorie du domaine public virtuel, développée par la doctrine et certains praticiens à partir d'un arrêt du Conseil d'Etat de 1985 (CE Contentieux, 6 mai 1985, n° 41589, Association Eurolat Crédit Foncier de France N° Lexbase : A3186AMX). Dans cette affaire, était en cause un montage contractuel mis en place par un EPCI sur un terrain faisant a priori partie du domaine privé d'une collectivité locale, qui avait conclu une opération de partenariat avec des opérateurs privés pour construire une maison de retraite (le support de cette opération étant un bail emphytéotique) et d'où il résultait qu'à terme cette maison serait le siège d'un service public ; par conséquent, l'ensemble immobilier, et notamment l'immeuble à construire, serait aménagé à cette fin. Le Conseil d'Etat a considéré que cet ensemble contractuel formait un ensemble indivisible et quelle qu'ait été l'affectation certaine à un service public et la réalisation d'aménagements spéciaux, il était impossible de le réaliser à travers un contrat dans lequel étaient reconnus des droits réels (emphytéotiques) sur des biens qui relèveraient du domaine public. Donc, selon J. Arrighi de Casanova, par l'expression "pourvu qu'ils fassent l'objet", il faut entendre "pourvu qu'ils fassent l'objet effectivement", et non pas "qu'ils soient destinés plus tard à faire l'objet".

Par ailleurs, le Professeur Y. Gaudemet relève, à propos des dispositions "sous réserve de dispositions législatives spéciales", qu'elles traduisent le fait que le domaine public reste à la discrétion du législateur, et qu'il lui appartient d'opérer les arbitrages nécessaires (cf. exemple des bureaux). Autrement dit, il n'y a pas d'enracinement constitutionnel de la domanialité publique.

Enfin, les mots "biens lui appartenant" viennent réaffirmer l'exigence de la propriété d'une personne publique, laquelle est la première condition de la domanialité publique. Le Professeur ajoute qu'il doit, plus précisément, s'agir de la pleine propriété, c'est-à-dire qu'un même bien, avec la même affectation, selon qu'il est détenu en pleine propriété, ou en copropriété, par une collectivité locale ou par l'Etat, fera partie, ou non, du domaine public.

Par ailleurs, interrogé sur la question de savoir si les EPIC sont visés à l'article L. 1 du code définissant son champ d'application, J. Arrighi de Casanova répond par l'affirmative. En effet, entrent dans le champ du code les personnes publiques suivantes : Etat, collectivités territoriales et leurs groupements, et les établissements publics, quels qu'ils soient. Il précise que, volontairement, n'ont pas été mentionnées "les personnes publiques", dans la mesure où depuis quelques années, sont apparues des personnes publiques ayant un statut indépendant (exemple de la Banque de France : statut de personne publique mais n'est pas établissement public ; de même pour l'autorité des marchés financiers). Ces personnes publiques ne rentrent pas dans le champ du code, mais leurs dispositions spéciales y font renvoi. De même, les groupements d'intérêt public sont des personnes publiques constituant un statut sui generis. Ils ne rentrent donc pas dans le champ du code ; en revanche, aucune disposition n'y fait renvoi.

  • Changement du régime d'affectation

Le Professeur Y. Gaudemet rappelle que le régime de la domanialité publique est un régime d'affectation, non de propriété, et qu'il s'applique exclusivement aux propriétés publiques. Il a pour objet de corriger l'exercice des attributs de la propriété, dans la mesure exigée par ce régime d'affectation. Il ne s'agit donc pas d'un régime de propriété auquel se substituerait un régime de la domanialité publique. La propriété demeure, avec l'ensemble des attributs du droit de propriété, et, pour les besoins de l'affectation, pendant la durée d'affectation, ce régime de droit public (alors que les questions de propriété relèvent du droit privé) vient paralyser ou corriger certains attributs du droit de propriété dans la mesure où ceux-ci seraient contraires à ce régime d'affectation.

Cette logique, retenue par le code, traduite par la présentation du régime de la domanialité au titre de la gestion, et non au titre de l'acquisition des biens, est une logique permettant la valorisation. Autrement dit, l'affectation d'un bien et sa soumission à un régime de domanialité publique n'écartent pas l'exercice de ces attributs du droit de propriété (questions de valorisation, de richesse), ou plus exactement, ne les écartent que dans la mesure nécessaire à ce critère d'affectation, et pour la durée de cette affectation.

La conséquence ultime de cela se situe dans la durée limitée de la domanialité publique : lorsque l'affectation cesse, la domanialité publique devrait cesser. A cet égard, le code conserve un système de déclassement explicite, c'est-à-dire un acte récognitif de la désaffectation.

En revanche l'affectation, pendant qu'elle s'applique, ne doit paralyser l'exercice des attributs du droit de propriété (c'est-à-dire le droit de vente, le bénéfice de l'accession...), que dans la mesure du strict nécessaire à l'affectation.

Tout cela emporte deux grandes conséquences vis-à-vis des voisins, d'une part, et des occupants du domaine public, d'autre part.

1. Vis-à-vis des voisins :

Pour permettre aux opérations de se développer sur le terrain du droit privé sans que cela ne gêne l'affectation, le Conseil d'Etat, a admis depuis longtemps la constitution des servitudes réelles sur le domaine public, sous réserve de la compatibilité avec l'affectation. Le code, de façon très claire, à travers l'article L. 2122-4, consacre la possibilité, pour les voisins, de constituer des servitudes réelles dès lors que celles-ci sont compatibles avec l'affectation de la domanialité.

C'est une conséquence nécessaire, déjà admise par la pratique, notamment la pratique notariale. Il ne s'agit donc pas d'une nouveauté mais d'une clarification.

2. Vis-à-vis des occupants du domaine public :

Quel que soit leur titre d'occupation, la jurisprudence ancienne du Conseil d'Etat reconnaissait aux occupants la qualité de quasi-propriétaire, c'est-à-dire la qualité de propriétaire, pendant la durée d'occupation.

Plus récemment, dans les années 1980, le sentiment s'est répandu que le principe d'inaliénabilité était incompatible avec la reconnaissance de droits réels à ces occupants. Ceci impliquait pour ces derniers, notamment pour le financement des investissements, qu'ils étaient privés de la surface financière que constitue le droit de propriété.

Un certain nombre de textes est venu remédier à ce problème. Ainsi, la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 permet aux collectivités locales et leurs établissements publics, de consentir sur leur domaine public des baux emphytéotiques, sous certaines conditions (CGCT, art. L. 1311-2 N° Lexbase : L7343HIS). De façon un peu plus large et s'agissant du domaine de l'Etat, la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994, complète le Code du domaine de l'Etat (articles L. 34-1 à L. 34-9 N° Lexbase : L2104AA8), et étend la possibilité de constituer des droits réels sur le domaine public de l'Etat et de ses établissements publics. De même, d'autres textes sont venus compléter cette démarche énumérative visant à reconnaître des droits réels à l'occupant. Le dernier en date, l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004, sur les contrats de partenariat (N° Lexbase : L2584DZQ), prévoit ainsi que "le titulaire du contrat a, sauf stipulation contraire de ce contrat, des droits réels sur les ouvrages et équipements qu'il réalise. Ces droits lui confèrent les prérogatives et obligations du propriétaire, dans les conditions et les limites définies par les clauses du contrat ayant pour objet de garantir l'intégrité et l'affectation du domaine public".

L'apport du code est considérable sur ce point, puisqu'il consacre le retour à la règle initiale d'origine jurisprudentielle. Il ne s'agit pas d'une conquête ou d'une nouveauté, mais il marque la fin de cette démarche approximative.

Ainsi, pour l'Etat du moins et ses établissements publics, le code pose le principe à l'article L. 2122-6, dont l'alinéa 1er dispose que "le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat a, sauf prescription contraire de son titre, un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre".

L'alinéa suivant prévoit, alors, que ce droit réel en fait un propriétaire à durée limitée :

"Ce droit réel confère à son titulaire, pour la durée de l'autorisation et dans les conditions et les limites précisées dans le présent paragraphe, les prérogatives et obligations du propriétaire.

Le titre fixe la durée de l'autorisation, en fonction de la nature de l'activité et de celle des ouvrages autorisés, et compte tenu de l'importance de ces derniers, sans pouvoir excéder soixante-dix ans".

Lors de la rédaction du texte, le problème s'est posé de l'extension de ce principe aux collectivités locales. En l'état, rien n'est prévu, mais le Professeur Gaudemet indique que le code est amené à être complété sur ce point.

Donc, pour les collectivités territoriales, les règles sont les suivantes :

1. elles peuvent accorder des droits réels (baux emphytéotiques), mais il s'agit d'une démarche positive (loi de 1988) (alors que pour l'Etat, cette possibilité est accordée de plein droit) ;
2. cette faculté est conditionnée par la réalisation d'un projet ("en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public ou, jusqu'au 31 décembre 2007, liée aux besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales ainsi que d'un établissement public de santé ou d'une structure de coopération sanitaire dotée de la personnalité morale publique ou, jusqu'au 31 décembre 2010, liée aux besoins d'un service départemental d'incendie et de secours") (CGCT, art. L. 1311-2 nouveau N° Lexbase : L7343HIS) ;
3. l'article L. 1311-8 du CGCT l'exclue pour le domaine public naturel (N° Lexbase : L7351HI4).

  • La valorisation des droits réels

Le droit réel ainsi conféré à l'occupant domanial en fait un propriétaire. Encore fallait-il régler la façon dont il allait valoriser son droit réel, c'est-à-dire le faire circuler, le céder, le loger dans un crédit-bail, l'hypothéquer. En l'état antérieur au texte, le problème de la circulation du droit réel n'était réglé que par la loi du 25 juillet 1994 pour les droits réels sur le domaine de l'Etat. Là encore, le code est venu généraliser le mode de circulation du droit réel tel que prévu par ce texte. Il en découle que le titre peut circuler, la propriété peut être valorisée, à condition :

- d'informer le propriétaire domanial ;
- lui reconnaître une faculté d'opposition, cette faculté devant être conditionnée par le fait que le droit d'opposition ne peut s'exercer que pour la sauvegarde du titre et dans l'intérêt du domaine public.

  • Les procédures d'attribution des contrats de crédit-bail

Concernant les procédures d'attribution des autorisations d'occupation du domaine public, la question relative à l'obligation de procéder à une mise en concurrence préalable s'est posée à cette occasion. Elle aurait pu être résolue mais il n'en est rien. J. Arrighi de Casanova reste même sceptique quant à une solution apportée par le décret d'application.

En tout état de cause, les opérateurs prendraient de grands risques en déduisant du silence du code, la conclusion que rien ne s'applique et qu'ils peuvent continuer à accorder des autorisations sans aucune mise en concurrence préalable. Le silence du code témoigne simplement du fait que la définition des procédures de mise en concurrence n'entre pas dans le cadre de son objet.

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