La lettre juridique n°224 du 20 juillet 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié protégé

Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-46.009, M. Jean-Louis Barbot c/ SA Saman, FS-P+B (N° Lexbase : A3701DQ7)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

La prise d'acte par un salarié protégé de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul lorsque les torts de l'employeur sont établis. Telle est la solution qui ressort d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 20 juillet 2006. L'affirmation est logique au regard des solutions dégagées depuis 2003 (I). Elle montre toutefois le caractère très artificiel de cette construction purement prétorienne et la nécessité de redéfinir les règles relatives à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié (II).
Résumé

Lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.

Décision

Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-46.009, M. Jean-Louis Barbot c/ SA Saman, FS-P+B (N° Lexbase : A3701DQ7)

Cassation (cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9ème chambre sociale, 29 juin 2004)

Textes visés : C. trav, art. L. 425-1 (N° Lexbase : L0054HDD) et L. 436-1 (N° Lexbase : L0044HDY)

Mots clef : salariés protégés ; rupture du contrat de travail ; prise d'acte par le salarié ; effets ; licenciement nul

Liens base :

Faits

1. M. Barbot, engagé par la société Saman depuis le 21 septembre 1992 et titulaire d'un mandat de représentant du personnel, a pris acte, par lettre du 15 avril 2001, de la rupture de son contrat de travail et saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et violation du statut protecteur.

2. Pour rejeter la demande de M. Barbot en paiement de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur, la cour d'appel après avoir retenu que les faits invoqués par le salarié sont imputables à l'employeur et justifient la rupture du contrat de travail qui doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, énonce que le salarié qui a pris l'initiative d'une telle rupture n'a pas permis à son employeur de respecter les dispositions de l'article L. 425-1 du Code du travail et ne peut solliciter une indemnisation pour violation de son statut protecteur.

Solution

1. "Vu les articles L. 425-1 et L. 436-1 du Code du travail [...] lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission [...] en statuant comme elle l'a fait, après avoir retenu que la rupture était imputable à l'employeur, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

2. "par ces motifs, casse et annule, mais seulement en ce qu'elle a débouté M. Barbot de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement intervenu en violation de son statut protecteur, l'arrêt rendu le 29 juin 2004, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ; condamne la société Saman aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer à M. Barbot la somme de 2 500 euros".

Observations

1 - Une solution prévisible

  • Principes applicables à la prise d'acte

La Cour de cassation a mis sur pied, depuis 2003, les règles applicables à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679 N° Lexbase : A8977C8Y ; n° 01-42.335 N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578 N° Lexbase : A8978C8Z ; n° 01-41.150 N° Lexbase : A8975C8W ; n° 01-40.235 N° Lexbase : A8974C8U, et nos obs., "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK).

Si l'employeur n'est pas en droit de "prendre acte" de cette rupture et doit impérativement procéder au licenciement du salarié, selon les règles applicables en la matière, le salarié peut parfaitement procéder ainsi pour rompre le contrat.

Cette prise d'acte constitue bien un mode à part entière de rupture du contrat de travail. Une fois la décision prise, le contrat est bel et bien rompu et le licenciement qui interviendrait postérieurement est sans effet (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02?41.113, Association Société philanthropique c/ Mme Olimpia Gravouil, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0755DG3 ; et n° 03?45.018, M. Philippe Cot c/ SARL Climb, climatisation et technologies, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0940DGW et nos obs., Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4456ABN ; Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, M. Patrick Edline c/ SARL Imprimerie Mavit-Sival N° Lexbase : A6513DI3, et nos obs., Prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail et renonciation par l'employeur à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5494AIC).

Ce mode de rupture n'est toutefois doté d'aucun régime propre, ce qui est logique dans la mesure où il s'agit d'une création prétorienne qui n'a pas été prévue par le Code du travail. La jurisprudence fait donc application soit du régime de la démission, lorsque les griefs invoqués par le salarié ne sont pas établis, soit du licenciement lorsqu'ils le sont.

Jusqu'à présent, la Cour de cassation n'avait eu à connaître que d'affaires concernant des salariés ne bénéficiant d'aucune protection particulière ; il semblait dès lors logique que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque les torts de l'employeur étaient établis.

On attendait donc de connaître la position de la Cour de cassation lorsqu'un salarié protégé, ou bénéficiaire d'un régime particulier (femme enceinte, salariés victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, par exemple) prend acte de la rupture du contrat de travail. La question se pose d'ailleurs en des termes identiques lorsqu'un salarié protégé demande la résolution judiciaire de son contrat de travail, puisque cette résolution, lorsqu'elle est prononcée, produit également les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03?40.251, SAS Carcoop France c/ M. Michel Buisson et a., FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2739DHW, et nos obs., Le représentant du personnel peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 160 du 24 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2298AIX).

  • Situation en l'espèce

Dans cette affaire, le salarié qui avait pris acte de la rupture du contrat de travail était titulaire d'un mandat de représentant du personnel. Les torts de l'employeur avaient été établis, la discussion devant les juges du fond ne portait que sur l'étendue de l'indemnisation. Le salarié considérait, en effet, que la prise d'acte devait produire les effets d'un licenciement nul, puisque intervenu sans autorisation administrative, alors que l'employeur le considérait comme simplement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L'enjeu financier était important dans la mesure où la nullité du licenciement oblige l'employeur à réparer intégralement le préjudice consécutif à la violation du statut protecteur, singulièrement à verser au salarié une indemnité compensant la perte des salaires courant du jour de la cessation de leur versement jusqu'à l'expiration de la période de protection.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait donné raison à l'employeur et refusé de considérer le licenciement comme nul, au motif que "le salarié qui a pris l'initiative d'une telle rupture n'a pas permis à son employeur de respecter les dispositions de l'article L. 425-1 du Code du travail".

L'argument n'a pas convaincu la Cour de cassation qui casse, au visa des articles L. 425-1 et L. 436-1 du Code du travail, et affirme au contraire que "lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission".

  • Une solution prévisible

La solution semble logique compte tenu des orientations prises par la Cour de cassation depuis 2003. L'autonomie de la prise d'acte ne se vérifie, en effet, qu'au stade de la rupture du contrat de travail. Lorsqu'il s'agit de statuer sur ses effets, la Cour de cassation fait application soit du régime de la démission, soit de celui du licenciement.

Dès lors que les griefs contre l'employeur sont fondés, les règles du licenciement s'appliquent, que le salarié soit d'ailleurs ou non protégé. Il est donc logique que la Cour de cassation applique les règles propres aux salariés protégés lorsque c'est l'un d'entre eux qui prend acte de la rupture de son contrat de travail. La prise d'acte produit alors tous les effets d'un licenciement, c'est-à-dire qu'il convient d'analyser la situation comme si le salarié avait été licencié. Or en l'espèce ce "licenciement" n'a pas été, par hypothèse, autorisé ; il s'agit donc d'un licenciement nul. CQFD.

2 - Une solution contestable qui illustre les dérives de la jurisprudence relative à la prise d'acte

  • Une fausse analogie

Si la solution semble logique, tout au moins au regard des solutions mises en place depuis 2003, elle n'est pas totalement satisfaisante tant elle repose sur une fausse analogie.

Il semble légitime de considérer que l'employeur qui a commis des fautes doit assumer les conséquences de la rupture du contrat de travail et que la prise d'acte fondée sur des griefs avérés produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il s'agit effectivement d'un problème de fond et d'une analyse des motifs de la rupture du contrat de travail.

Mais cette logique ne peut pas être "exportée" à tout le régime du licenciement, et singulièrement pas à la sanction de la violation des règles de procédure, qu'il s'agisse de la convocation à l'entretien préalable, des éventuelles procédures conventionnelles, de la notification du licenciement et, bien entendu, du régime d'autorisation administrative pour les salariés protégés. Il est en effet extrêmement paradoxal de "reprocher" à un employeur de ne pas avoir respecté des procédures de licenciement tout en constatant qu'il n'a ni voulu la rupture, ni décidé de la mettre en oeuvre.

La solution retenue dans cette décision nous semble très artificielle dans la mesure où elle conduit à considérer comme nul, pour défaut d'autorisation administrative, le prétendu licenciement du salarié qui avait en réalité décidé seul de rompre le contrat de travail.

  • La nécessaire révision de la jurisprudence sur la prise d'acte

L'application de la jurisprudence sur la prise d'acte aux salariés protégés montre ainsi les limites des solutions dégagées depuis 2003, ainsi que leur caractère très excessif. Il suffit, en effet, aujourd'hui que l'employeur ait commis des fautes pour que le salarié puisse prendre acte de la rupture et obtenir des dommages et intérêts comme s'il avait été licencié.

Or, il nous semble qu'il conviendrait de se montrer beaucoup plus exigeant pour déclencher l'application du régime du licenciement. Non seulement l'employeur doit avoir manqué à l'une de ses obligations essentielles, mais il nous semble que ces manquements devraient être d'une gravité telle qu'ils rendent le maintien du salarié dans l'entreprise impossible, autrement que le salarié a été contraint à démissionner ou à prendre acte ; la prise d'acte devrait donc apparaître comme l'ultime décision à prendre.

La faute de l'employeur doit donc s'apparenter à une faute grave appréciée avec une rigueur comparable à celle qui existe pour établir la faute grave du salarié. Certaines circonstances sont évidentes, telles les violences physiques, le harcèlement, les manquements graves à l'obligation de sécurité, etc.. Mais pour d'autres types de faute, comme des retards dans le paiement de salaires ou de primes, il nous semble que l'on pourrait exiger du salarié qu'il mette en oeuvre d'autres moyens pour se voir rétabli dans ses droits, et singulièrement qu'il saisisse préalablement le conseil de prud'homme d'une demande en paiement avant de prendre acte de la rupture du contrat de travail.

Certes, nous comprenons bien le souci d'efficacité qui anime la Cour. Mais nous pensons qu'elle a été trop loin dans sa recherche d'une meilleure protection du salarié, au mépris de toute logique, comme en témoigne cet arrêt en date du 5 juillet 2006. De nombreux salariés s'engouffrent aujourd'hui dans la brèche et profitent d'un incontestable effet d'aubaine pour prendre acte de la rupture de leur contrat de travail, au moment où ils ont déjà retrouvé un emploi, en visant des "fautes" commises par l'employeur qu'ils avaient pourtant supportées jusque là.

L'employeur qui commet des fautes doit bien entendu être condamné à réparer le préjudice causé, comme toute personne. Mais la requalification systématique de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire désormais en licenciement nul, nous semble très excessive tant que n'aura pas été vérifiée la nécessité dans laquelle se trouvait le salarié de quitter l'entreprise.

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