La lettre juridique n°224 du 20 juillet 2006 : Collectivités territoriales

[Evénement] Questions au sénateur Yves Détraigne et à l'avocat Guy Pécheu sur le droit d'expression des élus majoritaires et minoritaires dans le bulletin municipal

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[Evénement] Questions au sénateur Yves Détraigne et à l'avocat Guy Pécheu sur le droit d'expression des élus majoritaires et minoritaires dans le bulletin municipal. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208480-evenementquestionsausenateuryvesdetraigneetalavocatguypecheusurledroitdexpressiondes
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le 07 Octobre 2010

Le 7 mars dernier était publiée, au Journal officiel de l'Assemblée nationale, la réponse à une question de François Calvet, député UMP des Pyrénées-orientales, relative au droit d'expression des élus d'opposition dans le bulletin municipal (1). Le député s'interrogeait sur le droit en vigueur face à l'absence de dispositions dans le règlement intérieur du conseil municipal. Après avoir rappelé que le droit d'expression des conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale dans les communes de 3 500 habitants et plus est reconnu par l'article L. 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L6475A7X), qui prévoit un espace réservé à cet effet dans les bulletins d'information générale diffusés par la commune, le ministre de l'Intérieur souligne que, dans l'hypothèse où le règlement intérieur n'apporterait pas de précision sur les modalités de l'exercice du droit d'expression des élus minoritaires, cela ne paraît pas faire obstacle à ce que le responsable de la publication du bulletin municipal attribue un espace d'expression aux élus de l'opposition. La question n'est, cependant, pas isolée. Nombreux sont, en effet, les députés ou sénateurs à s'interroger sur le droit d'expression des élus dans le bulletin municipal. Et si l'article L. 2121-27-1 du CGCT le réglemente, ses dispositions restent trop larges pour répondre précisément à toutes les interrogations qu'il peut soulever : le maire peut-il censurer certains articles ? Les élus de l'opposition ont-ils un droit d'expression dans les suppléments au bulletin municipal ? Les conseillers municipaux appartenant à la majorité ont-ils également droit à un espace réservé ? C'est dans ce contexte que le sénateur UDF Yves Détraigne a déposé, le 2 novembre dernier, une proposition de loi visant à garantir le droit d'expression de tous les élus. Le sénateur de la Marne et maire de Witry-lès-Reims a accepté de revenir sur celle-ci (I). L'occasion pour nous de faire le point, avec Guy Pécheu, avocat et élu local à Carrières-sous-Poissy, sur le droit existant (II).


I. Droit d'expression de tous les élus locaux dans le bulletin municipal : questions à Yves Détraigne, sénateur de la Marne et maire de Witry-lès-Reims

Lexbase : Vous êtes l'auteur d'une proposition de loi déposée en novembre dernier visant à garantir le droit d'expression de tous les élus locaux. Comment est née l'initiative d'une telle proposition ?

Sénateur Détraigne : A l'origine, j'ai été saisi de cette question par un conseiller municipal d'une ville de mon département, qui s'interrogeait, à la suite de la remarque faite par un membre de l'opposition, pour savoir si le droit d'expression des élus locaux, tel que prévu par la loi relative à la démocratie de proximité (loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité (N° Lexbase : L0641A37), était ouvert à toutes les composantes de l'équipe municipale ou seulement réservé à l'opposition.

Le texte de l'article L. 2121-27-1 du Code Général des Collectivités Territoriales parlant d'espace "réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale" et étant muet sur le droit d'expression des conseillers de la majorité, j'ai alors posé une question orale à madame Marie-José Roig, ministre déléguée aux Collectivités locales, afin qu'elle me précise l'interprétation qui devait être donnée de cette disposition législative (2).

La ministre m'a alors confirmé que, comme l'avait précisé un jugement du tribunal administratif de Dijon en 2003 (3), cette disposition ne faisait pas obstacle à ce que les pages des publications municipales créées à cet effet soient également ouvertes aux conseillers de la majorité municipale.

Or, un jugement du tribunal administratif de Rouen intervenu, deux ans après celui de Dijon, a contredit celui-ci en indiquant que conformément au texte de loi, l'espace de libre expression était réservé uniquement aux élus minoritaires.

Face à ces interprétations contradictoires et soucieux de permettre à l'ensemble des élus d'un conseil municipal d'accéder à ce moyen d'expression, j'ai donc déposé une proposition de loi modifiant en ce sens les articles concernés afin de lever toute ambiguïté.

Lexbase : Vous soulignez, dans l'exposé des motifs, que les articles L. 2121-27-1, L. 3121-24-1 (N° Lexbase : L6485A7C) et L. 4132-23-1 (N° Lexbase : L6487A7E) du Code général des collectivités territoriales, tous trois introduits par l'article 9 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité, sont sources de nombreux contentieux au sein des collectivités locales. Nous avons déjà eu l'occasion de nous pencher sur l'article L. 2121-27-1, pouvez-vous nous définir les articles L. 3121-24-1 et L. 4132-23-1 et nous expliquer en quoi ils sont sources de difficultés pour les collectivités locales.

Sénateur Détraigne : Les articles L. 3121-24-1 et L. 4132-23-1 du CGCT étendent les dispositions prévues pour l'expression des conseillers municipaux aux groupes d'élus des conseils généraux et régionaux mais sans les réserver aux élus minoritaires contrairement aux conseils municipaux.

En revanche, ces dispositions ne permettent pas aux élus n'appartenant à aucun groupe de s'exprimer. C'est pourquoi il m'a semblé utile de modifier également ces articles afin d'indiquer que le droit d'expression est ouvert à tous les élus qu'ils soient, ou non, réunis en groupe.

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler le contenu de votre proposition et ses principales dispositions ?

Sénateur Détraigne : Cette proposition de loi comprend quatre articles. Les trois premiers modifient la rédaction actuelle des articles L. 2121-27-1, L. 3121-24-1 et L. 4132 -23-1 du CGCT.

Afin de clarifier expressément le contenu du Code général des collectivités territoriales en matière de droit d'expression des élus, je propose, en effet, de créer dans les bulletins d'information générale, quel qu'en soit le support, un espace réservé à l'expression de toutes les tendances politiques de l'assemblée.

Si cette proposition risque de contrarier ceux qui souhaitent que les pages d'expression politique soient réservées aux élus de l'opposition, je crois, au contraire, que l'équité commande que toutes les tendances puissent disposer des mêmes moyens de s'exprimer. Dans mon département, un certain nombre de collectivités ont d'ailleurs choisi cette solution.

Le quatrième article traite de la communication au sein des groupements de communes afin d'y appliquer les mêmes dispositions. En effet, les intercommunalités se développant et gérant de plus en plus de compétences par rapport aux communes, il semble normal que les règles d'expression politique y soient les mêmes que dans les communes.

Lexbase : Le contexte juridique entourant le droit d'expression des élus locaux reste, à l'heure actuelle, encore obscur. Certes, la loi relative à la démocratie de proximité marque un premier pas, votre proposition en amorçant un second, subsiste, cependant, l'impression d'une certaine appréhension à légiférer en la matière. Comment expliquer cette "timidité" législative ?

Sénateur Détraigne : Je pense que cette "timidité législative" s'explique principalement par la crainte que le développement de la libre expression des diverses composantes d'une assemblée locale conduise à sa politisation. En réalité, quand on sait comment fonctionne le conseil municipal d'une petite commune et que 75 % des communes de notre pays ont moins de 1 000 habitants, le risque de dérive me paraît limité.

Lexbase : Auriez-vous d'autres propositions qui permettraient de clarifier le droit existant ?

Sénateur Détraigne : En matière de communication et de droit d'expression, j'ai projeté de déposer un texte réglementant les "spams politiques". En effet, si, depuis la promulgation de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (4), l'utilisation d'adresses de courriers électroniques dans les opérations de prospection commerciale est subordonnée au recueil du consentement préalable des personnes concernées, rien, en revanche, n'interdit véritablement les opérations de "prospection politique". Je diffuse moi-même une lettre électronique mensuelle rendant compte de mes activités, mais à chaque envoi, le destinataire peut demander sa résiliation du listing de diffusion.

Concernant des propositions permettant de clarifier plus généralement le droit existant en matière de collectivités locales, je suis l'auteur d'une proposition de loi tendant à étendre aux membres d'un établissement public de coopération intercommunale ayant reçu délégation le régime indemnitaire et la protection pénale des conseillers municipaux délégués (5) et d'une proposition de loi visant à encadrer la participation des communes au financement des écoles privées sous contrat d'association (6).

J'ai également cosigné la proposition de loi tendant à protéger les noms des collectivités locales sur Internet (7) de mon collègue, le sénateur Philippe Arnaud. Ce texte a été débattu en séance publique au Sénat, le 22 juin 2004 et est depuis, en attente sur le bureau de l'Assemblée nationale. Je me suis également associé à la proposition de loi du sénateur Christian Gaudin modifiant l'article L. 1411-5 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8319AAD) afin de permettre la participation d'agents territoriaux aux réunions de la commission d'examen des offres de délégation de service public (8).

II. Responsabilité du maire et droit d'expression de l'opposition dans la publication du bulletin municipal : questions à Guy Pécheu, avocat et élu local à Carrières-sous-Poissy

Lexbase : Commençons peut-être par une présentation sommaire du bulletin municipal : quelle vocation a-t-il ? Son contenu et sa publication sont-ils réglementés ?

Maître Pécheu : Le bulletin municipal se présente généralement comme un ouvrage de mise en valeur, par l'équipe majoritaire, de ses réalisations. La loi sur la démocratie de proximité a rééquilibré l'information en ouvrant un espace d'expression aux élus n'appartenant pas à la majorité. J'ai appris récemment que 45 % des communes de 5 000 à 10 000 habitants n'appliqueraient pas ce droit, ce qui me paraît énorme, et sans doute regrettable (Gazette des Communes, avril 2006).

Lexbase : L'article L. 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales, introduit par l'article 9 de la loi n° 2002-276, relative à la démocratie de proximité, impose de réserver dans le bulletin municipal un espace d'expression aux conseillers d'opposition. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette disposition ? Est-elle également applicable au site internet d'une commune ?

Maître Pécheu : Sur un plan général, la mesure mérite d'être saluée, mais, comme je l'indiquais, il n'est pas certain qu'elle soit véritablement entrée dans les moeurs. Il faut savoir que les élus des groupes minoritaires peinent encore à accéder réellement aux documents communicables les plus basiques, et ils doivent souvent se contenter du minimum quasi-automatique, c'est-à-dire, la seule information mise à leur disposition pour les séances du conseil municipal : c'est peu, et c'est court, au regard de l'activité globale d'une municipalité. Le conseil municipal n'a que des compétences très limitées. Il faut une pugnacité sans faille à l'élu minoritaire pour aller au-delà et se lancer dans des questions ne relevant pas strictement du conseil municipal, mais qui intéresseront le chroniqueur-élu-minoritaire, et son lecteur.

L'article 2121-27-1 indiquant que la disposition s'applique "quel que soit le support", il y a lieu de considérer qu'elle s'applique au site internet. C'est le sens d'ailleurs des réponses ministérielles (9). Ici, encore, et en parcourant la toile, on peut douter que dans la pratique, les élus locaux puissent réellement exercer ce droit.

Lexbase : Dans l'hypothèse où un article de ces mêmes conseillers serait diffamatoire à l'égard de tiers, est-ce que la responsabilité du maire, lorsqu'il est directeur de la publication du bulletin municipal, peut être engagée au titre de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse (N° Lexbase : L7589AIW) ? Quelle est, alors, la responsabilité des auteurs des articles ?

Maître Pécheu : Je ne vois aucune dérogation particulière ni dans la loi de 1881 sur la presse, ni dans les autres textes, qui exonèrerait le maire de ses responsabilités pénales lorsqu'il est directeur de publication du bulletin municipal. Le maire et les élus-auteurs seraient, donc, sans doute, sur le plan pénal, co-responsables des propos injurieux ou diffamatoires ainsi diffusés. J'ai, certes, vu une réponse ministérielle s'orientant en sens inverse, mais tant que la jurisprudence ne se sera pas prononcée, cette réponse ministérielle me paraît dépourvue de fondements pertinents. Il y aurait ici un véritable danger pour la démocratie locale et on ne saurait admettre que le débat politique local dégénère en infractions à la loi sur la presse. A cet égard, le danger que vous évoquez est en réalité, des deux côtés, car ce sont parfois les élus du groupe majoritaire, qui seront tentés de commettre l'infraction... De nombreuses municipalités ont en effet décidé d'ouvrir également un espace d'expression aux élus de la majorité.

Lexbase : Le maire peut-il décider de ne pas publier certains écrits ? Sur quels fondements ?

Maître Pécheu : Pour l'heure, et hormis les éventuelles atteintes à la vie privée, je ne vois pas d'autres fondements possibles à un refus de publication du maire que ceux prévus par la loi de 1881, et donc ce qui concerne les propos injurieux ou diffamatoires. Mais, ce n'est pas seulement pour lui, une possibilité, c'est une obligation, à charge toutefois pour lui, d'informer l'élu suffisamment tôt pour qu'il puisse faire connaître ses objections.

Lexbase : Quels sont, alors, les recours possibles pour l'élu "censuré" ?

Maître Pécheu : L'élu censuré dispose d'un recours devant le tribunal administratif en annulation de la décision du maire le censurant, et il peut également en demander la suspension. Mais la loi datant de février 2002, les premières jurisprudences ne sont pas encore connues, sauf peut-être par les cercles étroits d'initiés. Cela pose à l'évidence, un problème de sécurité juridique, car un élu, davantage encore qu'un justiciable lambda, n'aime pas avoir à se lancer dans des procédures dont l'issue serait trop incertaine.

Lexbase : Ce droit d'expression doit, en période électorale, revêtir un sens particulier. Doit-il se combiner avec les dispositions de l'article L. 52-1 du Code électoral (N° Lexbase : L2760AAH) qui interdisent, dans les six mois précédant une élection générale, toute campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin ?

Maître Pécheu : Ici encore, les dispositions combinées des textes ne sont pas très claires, et on ne sait pas dans quel sens vont désormais statuer les juridictions puisque jusqu'à présent celles-ci s'attachaient à ce que les bilans ne soient pas "polémiques". Pour éviter les contentieux, un certain nombre de mairies suspendront peut-être purement et simplement le bulletin municipal pendant toute cette période, ce qui règlerait le problème de manière radicale. Mais si le bulletin paraît, les élus de la minorité doivent pouvoir continuer de s'y exprimer conformément à la loi. D'ailleurs, à propos des plaquettes de bilans de mi-mandat édités par la mairie, un jugement du tribunal administratif de Lyon (16 juin 2006, ville de Saint Chamand) vient opportunément de rappeler que les élus de l'opposition ont la possibilité de s'y exprimer.

Lexbase : A défaut, le règlement intérieur ne peut-il pas prévoir, pour cette période, les règles applicables à l'expression des élus, qu'ils appartiennent ou non à la majorité ?

Maître Pécheu : Comme je le disais, rien n'interdit aux majorités de s'exprimer dans une tribune qui leur est ouverte, et elles le font dans de nombreuses municipalités qui l'organisent. Pour autant, le règlement intérieur ne peut pas déroger à l'article L. 52-1 du Code électoral, donc, la question pourra se poser de savoir ce qu'il faudra entendre dans un tel contexte par "campagne de promotion publicitaire".



Propos recueillis par Fany Lalanne
SGR - Droit public


(1) QE n° 72477 de M. Calvet François, JOANQ 23 août 2005, p. 7933, réponse publ. le 7 mars 2006, p. 2500, 12e législature (N° Lexbase : L2886HK4).
(2) QOSD n° 0657S de M. Yves Détraigne, JO Sénat 9 février 2005, p. 763, réponse publ. le 9 mars 2005, p. 1338, 12e législature (N° Lexbase : L2875HKP).
(3) TA Dijon, du 27 juin 2003, n° 021277, M. Lendzwa et autres C/ Commune de Genlis (N° Lexbase : A4783DQ9).
(4) Loi n° 2004-575, 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC).
(5) Proposition de loi n° 304 (2004-2005) (19 avril 2005).
(6) Proposition de loi n° 284 (2005-2006) (30 mars 2006).
(7) Proposition de loi n° 309 (2003-2004) (12 mai 2004).
(8) Proposition de loi n° 304 (2004-2005) (19 avril 2005).
(9) En ce sens, voir, par exemple, QE n° 21427 de M. Jean Louis Masson, JO Sénat 26 janvier 2006, p. 201, réponse publ. le 16 mars 2006 p. 787, 12e législature (N° Lexbase : L2881HKW). Le ministre soutient, ainsi, que "si le site internet de la ville offre une diffusion régulière d'informations sur les réalisations et la gestion du conseil municipal', en vertu du droit que leur reconnaît la loi, les conseillers minoritaires doivent y avoir une tribune d'expression. L'exercice de ce droit est organisé par le règlement intérieur du conseil municipal, un espace pouvant être réservé soit aux conseillers à titre individuel, soit aux groupes d'élus".

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