Réf. : Loi n° 2006-387, 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)
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le 07 Octobre 2010
II - Faciliter les déroulements des offres dans le cadre du droit communautaire (les conséquences internes de l'offre)
Les mécanismes mis en place répondent à un objectif majeur : rendre les offres publiques plus faciles dans un cadre européen. Cet objectif passe par deux voies : faciliter le déroulement des offres en restaurant le pouvoir actionnarial (A) mais, également, en paralysant les mécanismes de défense interne contre les offres (B).
A - Faciliter le déroulement des offres en restaurant le pouvoir actionnarial
On peut difficilement mesurer les enjeux du texte examiné sans en revenir sur l'élaboration de la Directive sur les offres et, notamment, sur certains des obstacles qui se sont élevés face à sa mise en oeuvre. En effet, les Etats membres se sont opposés, assez vigoureusement, sur l'introduction, dans le texte communautaire, de la notion d'"égalité des conditions de jeu" ("level playing field") censée gouverner le droit des offres. Par certains traits, on pourrait penser que cette notion renvoie à certains des principes généraux régissant le bon déroulement des offres publiques. Ces derniers, qui figurent à l'article 231-3 du règlement général de l'AMF , sont, en effet, rattachables, à première vue, aux mécanismes gouvernant le libre jeu des offres et de leurs surenchères, l'égalité de traitement et d'information des détenteurs des titres des personnes concernées, la transparence et l'intégrité du marché et la loyauté dans les transactions et la compétition.
Pourtant, l'introduction de la notion d'égalité dans les conditions de jeu va plus loin qu'une simple synthèse des principes qui se sont progressivement imposés en droit français. D'abord, parce que cette notion s'est développée dans le cadre de l'harmonisation communautaire, ce qui lui donne une dimension supplémentaire et, en tout état de cause, politique. Ensuite, parce que "l'égalité dans les conditions de jeu" emporte, à la différence des principes qui viennent d'être mentionnés et qui relèvent strictement d'une logique boursière, des conséquences sur le fonctionnement interne de la société cible ou, éventuellement, de la société initiatrice qui ferait l'objet de mesures de défenses visant à une contre-offre. Ce principe d'égalité dans les conditions de jeu est, par ailleurs, mis en oeuvre sous l'égide d'un accroissement de la gouvernance, le pouvoir des actionnaires ayant été notablement renforcé, au point de modifier l'équilibre institutionnel dans l'ordre interne à la société.
L'article 9 de la Directive a ainsi été transposé dans la loi qui prévoit qu'en période d'offre, l'assemblée générale doit approuver toute mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre. Ce principe se traduit désormais par les dispositions suivantes, introduites au I du nouvel article L. 233-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L1384HI4) : s'agissant des sociétés dont les actions sont admises à négociation sur un marché réglementé, "le conseil d'administration, le conseil de surveillance, à l'exception de leur pouvoir de nomination, le directoire, le directeur général ou l'un des directeurs généraux délégués de la société visée doivent obtenir l'approbation préalable de l'assemblée générale pour prendre toute mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre, hormis la recherche d'autres offres" (1).
Ainsi, si la défense est possible, elle ne l'est que sous couvert d'une autorisation des actionnaires, sauf si les dirigeants tendent, de façon autonome, à recourir à la surenchère (ce dont l'actionnaire ne saurait que profiter) ou partent à la recherche d'un chevalier blanc (ce qui devrait profiter, en principe, à l'actionnaire, tout en préservant éventuellement une certaine forme de logique industrielle).
Voilà une évolution qui traduit distinctement le déplacement du centre de gravité du pouvoir dans les sociétés anonymes cotées, qui a été initié en 2001 (cf. supra), et qui semble trouver son point d'orgue avec cette loi. En effet, l'actionnaire retrouve, aujourd'hui, dans toutes les phases critiques de la vie de la société, un pouvoir de décision quasi-absolu, les dirigeants se trouvant, désormais, cantonnés, sauf exception, dans un rôle de direction dans le cadre strict des limites que leur ont fixées les actionnaires. En même temps, la liberté statutaire prônée par le législateur s'apparente davantage à un outil visant à conserver l'équilibre entre entreprises, qu'à la possibilité d'aménager statutairement le pouvoir des dirigeants qui apparaît de plus en plus être subordonné à celui des détenteurs du capital. Par ce moyen, on espère que les actionnaires, s'ils trouvent un intérêt financier et/ou stratégique à accepter l'offre, choisissent la solution de ne pas paralyser l'action de son initiateur.
Pour autant, cette disposition ne semble pas devoir aboutir à un changement significatif des mécanismes relatifs à la pratique des offres, ainsi qu'en atteste la réglementation de l'AMF qui était applicable antérieurement. En effet, le règlement général de l'AMF limitait déjà ces pouvoirs, dans son article 231-36, en interdisant aux dirigeants d'accomplir, durant toute la période de l'offre, d'autres actes que ceux relevant de la gestion courante, sauf ceux qui avaient été expressément autorisés par l'assemblée générale. Dans le cas contraire, les dirigeants, conduits à prendre des mesures excédant le domaine de la gestion courante, devaient en aviser l'Autorité, cette dernière faisant connaître, en tant que de besoin, son avis sur la possibilité de prendre ou non l'acte qui lui était déféré. Quant à cet avis, il était rendu après examen de la conformité de l'acte aux principes généraux des OPA qui figurent au titre III du livre II du règlement général de l'AMF, cette dernière étant plus particulièrement vigilante quant au respect du "libre jeu des offres et de leurs surenchères" (article 231-3 du règlement général de l'AMF). Dans les faits, donc, les dirigeants des sociétés ont toujours été conduits à agir avec circonspection, soit en questionnant l'AMF au préalable, soit en obtenant l'autorisation de l'assemblée générale des actionnaires. C'est ainsi que la possibilité, qui semblait leur être offerte, au regard du droit des sociétés, de conduire une politique de défense de façon autonome s'est avérée, jusqu'à présent, être purement hypothétique en raison de l'édiction, par l'autorité de marché, de règles strictes de gouvernance.
Pourtant, même si la transposition de la Directive ne change rien au déroulement de l'offre, elle permet -à notre sens- de rétablir un équilibre normatif que l'irruption d'une règle visant les marchés financiers, dans le fonctionnement des sociétés cotées, avait quelque peu perturbé. En effet, à raisonner par rapport au directeur général de la société anonyme, celui-ci voit ses pouvoirs légalement définis. Il tient de la loi des pouvoirs propres et l'article L. 225-51-1, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L2183ATZ) dispose, à ce titre, qu'il assume sous sa responsabilité la direction générale de la société et se trouve investi, aux termes de l'article L. 225-56 I, alinéa 1, du même code (N° Lexbase : L5927AID), des pouvoirs les plus étendus pour agir "en toute circonstance au nom de la société". Quant à leurs limitations, ils ne sauraient résulter, selon les textes (et on peut s'appuyer à cet égard sur les dispositions de l'article L. 225-56 I, alinéa 3, du Code de commerce) que de stipulations statutaires ou d'une décision du conseil d'administration. Avec le recul que donne, désormais, l'édiction des nouvelles dispositions, la question se pose de savoir comment, compte tenu de la nécessité de respecter la hiérarchie des normes, le règlement général de l'Autorité des marchés financiers a pu prendre le pas sur les dispositions du Code de commerce concernant les pouvoirs des dirigeants. La question appelle une réponse d'ordre pratique : c'est volontairement -spontanément, ou contraints en pratique à le faire- que les dirigeants se sont soumis aux prescriptions du droit des marchés financiers.
On est, en revanche, en mesure de s'interroger sur la solution juridique qu'il aurait fallu apporter à un éventuel contentieux dans lequel un dirigeant, ou une société, aurait contesté le caractère impératif du règlement général de l'AMF venant en concours avec une disposition d'ordre public. Sur ce point, au moins, la transposition de la Directive vient vider cette problématique de toute sa substance.
Il reste, pour terminer sur le point de la situation des actionnaires, à souligner que le pouvoir actionnarial n'a pas été conçu dans la réforme comme un pouvoir absolu et que la loi prévoit, au contraire, le renforcement du mécanisme de retrait obligatoire. A côté de la protection du minoritaire, garantie par les nouveaux procédés d'établissement de prix ainsi que par l'obligation pour la société initiatrice de proposer une offre sur la totalité du capital, la loi simplifie, pour l'initiateur de l'offre ayant mené à bien son opération, les mécanismes de retrait obligatoire qui lui permettent de racheter de force les titres des actionnaires minoritaires. En effet, l'ancienne procédure, codifiée à l'article L. 433-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8897DNT) imposait à l'offrant, avant de pouvoir imposer aux minoritaires de céder leurs titres, de procéder à une offre publique de retrait (OPR). Désormais, le retrait obligatoire devient possible sans qu'il soit besoin de lancer une offre publique de retrait. En ce sens, l'article L. 433-4 du Code monétaire et financier est complété par un III et un IV ainsi rédigés : "III. - [...] le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe également les conditions dans lesquelles, à l'issue de toute offre publique et dans un délai de trois mois à l'issue de la clôture de cette offre, les titres non présentés par les actionnaires minoritaires, dès lors qu'ils ne représentent pas plus de 5 % du capital ou des droits de vote, sont transférés aux actionnaires majoritaires à leur demande, et les détenteurs indemnisés" (2).
Pour autant, en l'absence d'offre publique d'acquisition, l'ancienne règle demeure, qui veut que le retrait obligatoire ne puisse être mis en oeuvre qu'après qu'une offre publique de retrait ait été lancée.
B - Faciliter le déroulement des offres en paralysant les clauses anti-OPA
Au-delà de la situation de l'actionnaire, reconsidérée dans sa double dimension d'acteur des offres publiques et de destinataires des règles de gouvernance, l'ouverture plus large des sociétés de l'Union européenne aux offres publiques s'accompagne d'une autre série de dispositions qui touche au droit des sociétés. Celles-ci ont pour objet la suspension des mécanismes mis en place par l'aménagement du fonctionnement interne de la personne morale ou par l'aménagement du droit de vote. Comme nous l'avons déjà souligné la semaine précédente, dans la première partie de cette étude, un important volet de ce texte concernant les défenses anti-OPA a été commenté récemment par M. Pietrancosta dans ces colonnes et nous ne saurions que renvoyer, sur ce point, aux développements particulièrement approfondis de l'auteur.
Il demeure, qu'au-delà de l'aménagement des défenses de la société-cible, les instances communautaires avaient surtout pour objectif, en repensant le cadre des mécanismes de défense, de mettre en oeuvre la notion d'"égalité de traitement entre entreprises". A ce titre, il s'agissait, dans une des versions intermédiaires du texte communautaire, de réduire la liberté statutaire des sociétés en matière de lutte contre les offres et d'autoriser exclusivement une défense conventionnelle -circonstancielle dirons-nous, par opposition à statutaire- contre les OPA. Ainsi, les sociétés auraient été, dans ce projet, traitées sur un pied d'égalité, puisqu'elles auraient toutes été vulnérables à une offre et, au plan des pouvoirs en matière de défense, les décisions auraient été de la compétence de principe de l'assemblée générale. Que penser de cette toute puissance accordée à l'actionnaire ? Des voix se sont élevées en doctrine (3) pour souligner que la solution consistant à conférer à l'actionnaire un pouvoir aussi grand en période d'OPA faisait de lui le seul juge du bien fondé de l'offre et, surtout, de l'intérêt social, ce qui ne semblait pas souhaitable. In fine, cette version du projet a été abandonnée au profit d'un encadrement juridique laissant une plus large part au rôle des autres acteurs des offres.
Ce débat -actionnaire versus autres parties prenantes de l'entreprise- ressurgira, sans doute, tant le mécanisme des offres semble, parfois, ne reposer que sur une logique financière mais, en ce domaine, le débat sur le pouvoir actionnarial, a semble-t-il abouti à ce que le législateur s'imprègne de l'idée (4), qu'en principe, une OPA ne peut nuire à l'actionnaire. Cette conviction étant profondément ancrée au moment de la transposition, cette dernière a été d'autant plus aisée que la vulnérabilité des sociétés aux offres a été largement atténuée à l'issue des négociations entre Etats membres. Le texte définitif de la Directive n'a, en effet, imposé qu'un mécanisme optionnel de gel des défenses anti-OPA qui s'est traduit, en droit interne, par l'introduction d'une inopposabilité volontaire de ces défenses pour les sociétés concernées.
C'est ainsi que le nouvel article L. 233-35 du Code de commerce (N° Lexbase : L1387HI9), prévoit l'inopposabilité volontaire, dans le cas ou celle-ci figurerait dans les statuts de la société cible, des restrictions contractuelles au transfert d'actions de ladite société (sous réserves qu'elles aient été conclues après l'adoption de la Directive). Le nouvel article L. 233-36 du Code de commerce (N° Lexbase : L1388HIA), toujours dans le cas ou les statuts de la société-cible les prévoiraient, permet la levée des restrictions contractuelles à l'exercice des droits de vote ; l'article L. 233-37 du même code (N° Lexbase : L1389HIB), également nouveau, régit de la même façon les restrictions statutaires à l'exercice des droits de vote : elles peuvent être levées volontairement. Reste que le nouveau principe d'égalité des offres est moins souple qu'il n'y paraît puisque si l'option est ouverte aux sociétés -dans la loi du moins (cf. infra)- durant la période d'offre, il n'en va pas de même si l'offre réussit. En effet, dans ce cas, la suspension des pouvoirs politiques ne peut être laissée à la discrétion de la société-cible qui pourrait priver l'initiateur des fruits de son opération. En conséquence, à la suite d'une offre réussie, les éventuelles restrictions statutaires à l'exercice des droits de vote sont automatiquement suspendues, cette disposition étant insérée à l'article L. 225-125 du Code de commerce (N° Lexbase : L1417HIC).
Ceci étant posé, les termes de la loi ne préjugent pas de la future pratique juridique des offres, puisque les dispositions législatives qui viennent d'être évoquées doivent être analysées à l'aune d'autres textes, qui émanent de l'Autorité des marchés financiers, d'Euronext, voire de dispositions déjà existantes dans le Code de commerce.
En effet, ce mécanisme de suspension des dispositions statutaires ne fait que matérialiser une doctrine de l'AMF qui repose sur une position de fond en matière d'offre publique, position tendant à faire disparaître la plupart des procédés imaginés par des sociétés-cibles pour faire échec à une OPA. Les économistes, dont l'influence sur le droit boursier peut difficilement être contestée, soulignent, en effet, l'importance de cette perméabilité du capital aux participations externes. Ils démontrent, notamment, que l'offre d'un concurrent ou d'un investisseur constitue indirectement une menace pour les dirigeants et les contraint -en théorie- à offrir aux actionnaires des gains significatifs, en termes de valorisation de l'action pour les dissuader de répondre de façon positive à l'offre (5).
C'est ainsi que l'article 231-6 du règlement général de l'AMF prévoit la suspension, en période d'offre, des clauses statutaires d'agrément. Par ailleurs (mais, sur ce point, on ne peut évoquer la nature réglementaire stricto sensu de ces sujétions), s'agissant des clauses de préemption ; ce sont les règles de marché Euronext qui stipulent que ces clauses ne peuvent figurer dans les statuts des sociétés admises sur un marché réglementé. Il est, en revanche, possible de les introduire par la voie d'un pacte d'actionnaires, c'est-à-dire au moyen d'une technique purement conventionnelle.
Quant à ces pactes, même si leur paralysie n'est pas évoquée au plan infra-législatif, ils font, selon l'article 231-5 du règlement général de l'AMF, l'objet d'une obligation d'information à l'occasion d'une OPA. Cette obligation est remplie par l'insertion, dans la note d'information, des clauses prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions, ainsi que la publication de toute clause susceptible d'avoir une incidence sur l'appréciation de l'offre publique ou son issue. Reste, enfin, à souligner que la loi dispose, déjà, en faveur des mécanismes de transparence puisque l'article L. 233-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L6314AIP) impose la transmission, à tout moment, à l'émetteur et à l'AMF, chargée d'en assurer la publicité, des clauses des conventions comportant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions cotées. Sont, ainsi, concernées les clauses de préférence et de préemption portant sur au moins 0,5 % du capital ou des droits de vote de l'émetteur. La suspension des effets de ces clauses n'est prévue qu'en cas d'absence de transmission à l'autorité.
Ainsi, on se convaincra aisément de la difficulté à considérer l'ensemble des dispositions de la loi comme n'étant pas de nature obligatoire dans le cadre d'offres publiques réalisées sous l'égide du droit interne. Au-delà des contraintes légales, l'encadrement juridique des marchés semble être à même de conduire à une égalité de traitement entre les entreprises. En définitive, le caractère optionnel des clauses de défense anti-OPA ne vise qu'à permettre le rétablissement d'une égalité de traitement entre les entreprises européennes et les sociétés américaines qui, elles, peuvent légalement mettre en place des mécanismes internes de défense. Ce déséquilibre, amplement souligné lors des débats parlementaires, risque, toutefois, de devoir être considéré comme étant obsolète, car à l'heure où nous mettons sous presse, alors que la fusion entre Euronext et le New-York Stock Exchange vient d'être annoncée, tout concourt à aboutir -à terme- à une harmonisation globale de la pratique des offres publiques.
Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
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