Réf. : Rapport de la Cour de cassation pour 2005
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N9294AKG
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation avait affirmé que "la bonne foi contractuelle étant présumée, les juges n'ont pas à rechercher si la décision de l'employeur de modifier les conditions de travail d'un salarié (ou de mettre en oeuvre une clause de mobilité) est conforme à l'intérêt de l'entreprise, [...] il incombe au salarié de démontrer que cette décision a, en réalité, été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt, ou bien qu'elle a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle".
Certaines interrogations subsistaient à la lecture de ces décisions.
Les premières concernaient le contenu exact de la notion d'intérêt de l'entreprise et, singulièrement, les comportements de l'employeur qui apparaîtraient contraires à cette exigence.
Le rapport livre, ici, quelques éclaircissements en visant "l'intention d'évincer en fait un salarié de son emploi", c'est-à-dire le détournement de pouvoirs. L'apport est mince, mais il appartiendra aux juges du fond de déterminer d'autres hypothèses concrètes.
Les secondes interrogations concernaient l'attribution du risque de la preuve du caractère abusif de ces mesures. Si la solution semblait conforme au principe de bonne foi contractuelle qui irrigue le droit tout entier, nous avions souligné que la solution pouvait mettre le juge devant une forme de paradoxe dès lors que le litige, lié soit à la mise en oeuvre du pouvoir de direction de l'employeur (changement dans les conditions de travail), soit à la mise en oeuvre d'une clause de mobilité, devait se régler dans le cadre du licenciement, ce qui sera, en pratique, toujours le cas.
La solution retenue dans ces arrêts aboutit, en effet, à faire supporter au salarié le risque de la preuve, le doute devant profiter à l'employeur. Or, lorsqu'il statue sur la cause réelle et sérieuse du licenciement, le juge est obligé de respecter les termes clairs et précis de l'article L. 122-14-3, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5568AC9), en vertu duquel le doute doit profiter au salarié.
Or, sur ce deuxième point, le rapport est malheureusement muet. Nous persistons à penser que si le salarié conteste le bien-fondé de son licenciement, après un refus d'un changement dans les conditions de travail ou d'une clause de mobilité, le doute devra lui profiter, conformément aux règles spéciales qui prévalent en droit du licenciement.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait affirmé que "la responsabilité pécuniaire d'un salarié à l'égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde, même en ce qui concerne le droit à compensation prévu à l'article L. 144-1 du Code du travail".
Nous avions pleinement approuvé cette décision qui rappelle aux employeurs que la compensation constitue un mécanisme de paiement de la dette, et que l'article L. 144-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5778ACY), qui ne concerne que la compensation avec les gains et salaires du salarié, n'a ni pour objet, ni pour effet d'instaurer un mécanisme de responsabilité particulier qui dérogeait à l'exigence d'une faute lourde commise par le salarié pour engager sa responsabilité civile contractuelle.
Sans revenir à proprement parler sur la justification de la solution finalement retenue, la Cour de cassation profite de l'occasion qui lui est donnée pour préciser dans quelles hypothèses la faute du lourde du salarié ne sera pas exigée. Il s'agit des hypothèses dans lesquelles le salarié a encaissé des sommes pour le compte de son employeur, "et plus généralement les choses mises à sa disposition pour les besoins de son activité professionnelle, comme par exemple, une voiture de fonction, un téléphone portable ou un équipement informatique" ; dans ces hypothèses, le salarié est tenu "de les restituer [...] et, en cas de refus, engage sa responsabilité même sans faute lourde" (Cass. soc., 19 novembre 2002, n° 00-46.108, FS-P+B+R sur le deuxième moyen N° Lexbase : A0492A4Y).
Comme nous l'avions indiqué à l'époque, cette différence s'explique par le fait que, dans la première hypothèse, c'est l'exécution de la prestation principale du salarié qui est en cause, alors que, dans la seconde, on se trouve face à une convention accessoire, en l'occurrence un contrat de prêt ou de dépôt, qui ne bénéficie donc pas de l'immunité reconnue au salarié depuis 1958.
Dans cette affaire, la Cour de cassation avait affirmé que "si l'employeur peut porter à la connaissance de ses salariés les emplois disponibles par voie de communication électronique, notamment sur le réseau intranet de l'entreprise, il est tenu, en application de l'article L. 212-4-9 du Code du travail (N° Lexbase : L9588GQ8), de procéder à une diffusion spécifique concernant les emplois pouvant correspondre à la catégorie professionnelle, ou à un emploi équivalent, des salariés à temps partiel souhaitant occuper un emploi à temps complet, ou des salariés à temps complet souhaitant un emploi à temps partiel".
Selon le rapport annuel, "le recours aux nouvelles techniques d'information et de communication est clairement admis par la chambre sous réserve d'assurer une information individualisée du salarié, lui permettant d'exercer dans les meilleures conditions son droit de priorité", reprenant ainsi une différence entre information collective, réalisée par l'accès à l'intranet, et l'information individuelle qui doit nécessairement faire l'objet d'une diffusion ciblée. L'intranet peut donc jouer le rôle d'une large base de données, mais c'est bien encore l'homme, et lui seul, qui demeure débiteur d'une information individualisée.
Dans cette affaire, la Cour de cassation avait admis une entorse au principe "à travail égal, salaire égal", et considéré que "le fait pour un employeur, confronté à la nécessité, pour éviter la fermeture de la crèche par l'autorité de tutelle, de recruter de toute urgence une directrice qualifiée pour remplacer la directrice en congé-maladie".
La solution nous avait semblé remarquable dans la mesure où elle montrait le réalisme de la Cour de cassation, soucieuse de permettre aux entreprises de tirer les conséquences des fluctuations du marché de l'emploi, notamment lorsqu'est en cause la sauvegarde de l'entreprise.
Dans le rapport annuel, la Cour de cassation insiste, tout d'abord, sur la volonté de se conformer à la jurisprudence communautaire, et singulièrement à un arrêt rendu le 27 octobre 1993 par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 27 octobre 1993, aff. C-127/92, Dr. Pamela Mary Enderby c/ Frenchay Health Authority et Secretary of State for Health N° Lexbase : A0066AWD) concernant l'égalité de rémunération entre travailleurs masculins et féminins, arrêt qui énonce "qu'il appartient à la juridiction nationale qui est seule compétente pour apprécier les faits de déterminer, en appliquant si nécessaire le principe de proportionnalité, si et dans quelle mesure la pénurie de candidats à une fonction et la nécessité de les attirer par des salaires plus élevés constitue une raison économique objectivement justifiée de la différence de rémunération entre deux fonctions de valeur égale".
Désormais, il conviendra donc d'être extrêmement vigilent dans l'examen de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg dans la mesure où la chambre sociale semble, ici, considérer qu'il suffit que la Cour ait dit pour que la solution soit justifiée en droit interne...
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a considéré comme justifiée l'atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", dans la mesure où la perception par certains salariés d'une garantie mensuelle de rémunération conventionnelle était destinée à éviter la réduction de leur rémunération, à l'occasion de la réduction de la durée légale du travail.
La Cour reprend dans le rapport l'ensemble du "dossier 35 heures" pour justifier la nécessité d'éviter aux salariés recrutés sur une base "39 heures" la baisse de leur rémunération à l'occasion du passage aux 35 heures. Elle ajoute, comme élément supplémentaire de justification, "que, compte tenu des dispositions de l'article 32-VI de la loi Aubry II, une solution contraire aurait abouti à créer une inégalité de traitement entre salariés à temps partiel et salariés à temps complet".
Ce texte dispose que, "sous réserve des dispositions du II, lorsque les salariés dont la durée du travail a été réduite perçoivent le complément prévu au I du présent article ou un complément de même nature destiné à assurer le maintien de tout ou partie de leur rémunération en application des stipulations d'une convention ou d'un accord collectif étendu ou d'une convention ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement, ce complément n'est pas pris en compte pour déterminer la rémunération des salariés à temps partiel telle que définie au troisième alinéa de l'article L. 212-4-5 du Code du travail, sauf stipulation contraire de l'accord collectif".
L'article L. 212-4-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5847ACK) affirme, en effet, le principe de l'égalité de rémunération entre les salariés à temps plein et les salariés à temps partiel, ces derniers devant recevoir une rémunération proportionnelle au nombre d'heures effectuées. Or, l'article 32-VI de la loi Aubry II (N° Lexbase : L0988AH3) exclut de la base de comparaison le complément différentiel de rémunération accordé aux salariés passés aux 35 heures. Les salariés embauchés à temps partiel, postérieurement aux 35 heures, ne percevront donc pas la fraction de ce complément différentiel qui demeure réservée aux seuls salariés embauchés sous l'empire des 39 heures. Si la Cour de cassation avait autorisé les salariés embauchés à temps plein, après le passage aux 35 heures, à bénéficier de la même rémunération que les salariés embauchés sur une base 39 heures, une nouvelle discrimination serait donc apparue entre les salariés embauchés à temps plein, et qui auraient bénéficié également de la GMR par l'application du principe "à travail égal, salaire égal", et les salariés à temps partiel qui s'en trouvent légalement exclus par l'application de l'article 32-VI de la loi du 19 janvier 2000.
La solution maintient donc une différence de traitement justifiée (par le désir de maintenir les rémunérations à leur niveau antérieur) pour prévenir une différence de traitement injustifiée (entre salariés embauchés après passage aux 35 heures, les salariés à temps plein percevant les GMR, les salariés à temps partiel n'y ayant pas droit de manière proportionnelle).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation justifie une différence de traitement entre salariés, sur un critère pourtant fondé sur la nationalité, dans la mesure où "cette inégalité vise non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international".
Nous avions approuvé cette décision, comme toutes les autres d'ailleurs qui permettent à l'entreprise de lutter sur le marché de l'emploi en pratiquant des politiques de recrutement attractives, tout en faisant remarquer que la Cour ne s'était pas arrêtée au critère apparent d'attribution de la prime, fondé sur la nationalité, mais à la cause réelle de son versement, en l'occurrence la volonté d'attirer des chercheurs étrangers.
C'est exactement ce que confirme le rapport. La Cour de cassation précise en effet que le critère d'attribution conventionnel avait en réalité été mal formulé : "il est apparu à la Chambre sociale, comme d'ailleurs au conseil de prud'homme ayant statué en premier ressort, qu'en réalité la formulation de la condition mise à l'octroi d'une prime d'expatriation procédait davantage d'une terminologie maladroite que d'une véritable discrimination fondée sur la nationalité. En effet les termes des accords internationaux et des statuts de la société du synchrotron faisaient clairement apparaître que la seule finalité de l'octroi de cette prime d'expatriation était de compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger et de faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international, ce qui constituait une raison objective étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité".
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