Réf. : CJCE, 24 novembre 2005, aff. C-331/04, ATI EAC Srl e Viaggi di Maio Snc c/ ACTV Venezia SpA (N° Lexbase : A6822DLA)
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le 07 Octobre 2010
"1) prix au kilomètre des services indiqués dans les annexes A, B et C du cahier des charges :
- 60 points au maximum
2) prix au kilomètre des services complétant ceux indiqués dans les annexes A, B et C du cahier des charges :
- 10 points au maximum
3) modalités d'organisation et structures d'appui pour l'exécution du service, telles qu'elles découlent du document visé au point 3.10 n° 6 du présent cahier des charges :
- 25 points au maximum attribués par ACTV à son entière discrétion
4) possession d'un certificat de conformité [...] :
- 5 points".
Concernant le critère n° 3, le cahier des charges indiquait, ensuite, que les offres des candidats devaient comporter un rapport descriptif de l'organisation et des structures logistiques et d'appui qui seraient utilisées dans l'exécution de la prestation. Ce rapport devait contenir obligatoirement les indications suivantes :
- les dépôts et/ou zones de stationnement des autobus dont l'entreprise dispose ou dont elle est propriétaire sur le territoire de la Provincia di Venezia (...) ;
- les modalités de contrôle du service assuré et nombre de personnes affectées auxdits contrôles ;
- le nombre de chauffeurs de bus et type de permis possédé ;
- le nombre d'établissements (autres que les dépôts) dont l'entreprise dispose ou dont elle est propriétaire sur le territoire de la Provincia di Venezia (...) ;
- le nombre de personnes affectées à l'organisation des tours du personnel de conduite.
La société "ATI La Linea SpA-CSSA", ainsi qu'un groupement d'entreprises, composé des sociétés "EAC Srl" et "Viaggi di Maio Snc", ont remis une offre dans le cadre de cette consultation.
Postérieurement à la date limite de remise des offres et avant l'ouverture des plis, la commission d'adjudication de la collectivité a décidé de répartir les 25 points attribués au critère n° 3 entre les cinq informations devant figurer dans le rapport que les candidats devaient joindre à l'appui de leur offre. La répartition ainsi décidée était la suivante :
- 1ère information : 8 poins ;
- 2ème information : 7 points ;
- 3ème information : 6 points ;
- 4ème information : 2 points ;
- 5ème information : 2 points.
Le marché a été attribué à la société "ATI La Linea SpA-CSSA", qui a obtenu un total de 86,53 points, le groupement d'entreprises "EAC Srl" et "Viaggi di Maio Snc" n'ayant obtenu qu'un total de 83,50 points. Le groupement a alors attaqué cette décision devant le "tribunale amministrativo regionale", sur le fondement de la violation, notamment, de l'article 36 de la Directive 92/50/CEE du Conseil du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (N° Lexbase : L7532AUI). Cette disposition prévoit que :
"1. [...] les critères sur lesquels le pouvoir adjudicateur se fonde pour attribuer les marchés peuvent être :
a) soit, lorsque l'attribution se fait à l'offre économiquement la plus avantageuse, divers critères variables selon le marché en question : par exemple, la qualité, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, le service après-vente et l'assistance technique, la date de livraison et le délai de livraison ou d'exécution, le prix [...].
2. Lorsque le marché doit être attribué à l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur indique, dans le cahier des charges ou dans l'avis de marché, les critères d'attribution dont il prévoit l'application, si possible dans l'ordre décroissant de l'importance qui leur est attribuée".
Le "tribunale amministrativo regionale" a rejeté la demande du groupement. Celui-ci a alors saisi en appel le "Consiglio di Stato" qui a décidé préalablement d'interroger la Cour de justice des Communautés européennes sur l'interprétation à donner aux dispositions de l'article 36 rappelé ci-dessus. La juridiction demandait alors, notamment :
- si les dispositions visées autorisent le pouvoir adjudicateur à "fixer les critères sur un plan général dans l'avis de marché ou dans le cahier des charges en laissant à la commission d'adjudication le soin de spécifier et/ou de compléter ces critères, si nécessaire, à condition qu'elle le fasse avant l'ouverture des plis contenant les offres et sans innover par rapport aux critères prédéterminés dans l'avis de marché" ;
- si les dispositions visées autorisent le pouvoir adjudicateur à prévoir dans un cahier des charges, pour un critère de sélection, l'attribution de points librement décidée par lui et dans l'affirmative, si une commission d'adjudication peut compléter ou spécifier les critères en attribuant un poids spécifique aux éléments isolés que le cahier des charges prévoyait d'évaluer forfaitairement.
Dans ses conclusions l'Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer proposait de refuser tout pouvoir de ce type à une commission d'adjudication.
L'Avocat général rappelait, tout d'abord, que les Directives communautaires ont pour objectif le développement d'une concurrence ouverte entre les entreprises, essentielle à l'intégration européenne. Cet objectif suppose l'égalité de traitement de tous les candidats aux marchés publics, ce qui implique la définition de critères objectifs de sélection dans le cadre de procédures transparentes. Ceci exclut tout pouvoir arbitraire des pouvoirs adjudicateurs, qui doivent uniquement appliquer les critères prévus par l'avis de consultation ou le cahier des charges, objectivement définis par référence aux textes réglementaires applicables. Déterminés au plus tard dans le cahier des charges, ces critères ne peuvent donc plus, ensuite, être modifiés. L'Avocat général concluait alors à l'absence de "pouvoir créateur" accordé à la commission d'adjudication, qui ne peut qu'appliquer les critères préétablis dans le respect de leur poids respectif ou de leur place dans la hiérarchie, sans aucune faculté d'en ajouter de nouveaux ou d'en supprimer certains.
La Cour de justice des Communautés européennes a, cependant, adopté une position diamétralement opposée.
La Cour a rappelé, tout d'abord, sa jurisprudence antérieure qui affirme que les critères d'attribution des marchés doivent être expressément mentionnés dans l'avis de consultation ou le cahier des charges et doivent respecter les principes de non-discrimination, de transparence et d'égalité de traitement, ce dernier principe s'appliquant aussi bien lors de la préparation des offres que lors de leur évaluation (CJCE, 17 septembre 2002, aff. C-513/99, Concordia Bus Finland Oy Ab, anciennement Stagecoach Finland Oy Ab c/ Helsingin kaupunki N° Lexbase : A3655AZE) ; CJCE, 18 octobre 2001, aff. C-19/00, SIAC Construction N° Lexbase : A3808DPQ). La Cour a indiqué, ensuite, que le principe d'égalité de traitement des candidats implique que tous les éléments examinés par le pouvoir adjudicateur pour évaluer les offres et, si possible, leur importance relative soient connus des candidats au moment de la préparation de leurs offres.
La Cour a conclu, alors, que les Directives européennes "ne s'opposent pas à ce qu'une commission d'adjudication accorde un poids spécifique aux sous-éléments d'un critère d'attribution établis d'avance, en procédant à une ventilation, entre ces derniers, du nombre de points prévus au titre de ce critère par le pouvoir adjudicateur lors de l'établissement du cahier des charges ou de l'avis de marché", sous réserve du respect de certaines conditions. Celles-ci sont au nombre de trois :
- cette décision ne modifie pas les critères d'attribution du marché définis dans le cahier des charges ou dans l'avis de marché ;
- cette décision ne contient pas d'éléments qui, s'ils avaient été connus lors de la préparation des offres, auraient pu influencer cette préparation ;
- cette décision n'a pas été adoptée en prenant en compte des éléments susceptibles d'avoir un effet discriminatoire envers l'un des soumissionnaires.
Cette position de la Cour est surprenante, à plusieurs titres.
D'une part, en effet, ce pouvoir reconnu à la commission d'adjudication pourrait être source de contentieux et l'espèce examinée par la Cour en est un exemple. Il y a là, en effet, l'apparition d'un pouvoir quasi normatif de principe reconnu à la commission d'adjudication, particulièrement discutable. En France, dans les collectivités territoriales, par exemple, la commission d'appel d'offres est une émanation de l'organe délibérant de la collectivité, dont l'existence traduit les principes de démocratie locale. Il ne s'agit donc pas d'une assemblée de techniciens ou de spécialistes. Or, la détermination du poids respectif de divers sous-critères relevant d'un domaine technique suppose une connaissance de ce domaine, de ses principes, de son contexte, de ses enjeux, de ses spécificités... permettant de distinguer les éléments importants des éléments mineurs et d'apprécier leur importance les uns par rapport aux autres. Une telle décision semblerait relever plus naturellement des services techniques de la collectivité que de la commission d'adjudication.
D'autre part, dans l'espèce examinée par la Cour, les éléments relatifs au critère n° 3 figurant dans le cahier des charges de la collectivité de l'ACTV Venezia étaient des "informations" devant figurer dans l'offre des candidats et n'étaient pas identifiés spécifiquement comme des "sous-critères". Naturellement, ce sont ces informations qui ont permis d'apprécier la valeur de chaque offre au regard du critère évoqué, mais cette absence de spécification est, somme toute, quelque peu équivoque.
Enfin, si les conditions n° 1 et n° 3 fixées par la Cour n'appellent pas de commentaire particulier car elles sont classiques en droit des marchés, la condition n° 2, en revanche, laisse perplexe. En effet, on peut s'interroger sur les cas où, en pratique, la pondération de sous-critères est sans influence sur la préparation des offres. Dans l'espèce examinée par la Cour, par exemple, l'attribution de 21 points sur 25 aux trois premiers sous-critères aurait très certainement conduit les candidats à concentrer leurs efforts sur ces sous-critères au détriment des deux derniers. Ainsi, l'influence que la pondération des sous-critères aurait pu avoir sur la préparation des offres, si elle avait été connue antérieurement, est évidente. La décision de la commission d'adjudication doit, donc, être annulée ainsi que l'attribution du marché. En pratique alors, seule l'attribution d'un nombre de points identique, ou presque, aux différents sous-critères annoncés serait sans influence sur la préparation des offres, mais il y a fort à parier que cette hypothèse sera rare puisqu'elle retire beaucoup d'intérêt à la pondération des sous-critères car, en effet, elle ne peut consacrer la primeur de l'un ou de plusieurs d'entre eux.
Dans ce contexte, la voie ouverte par la Cour de justice des Communautés européennes est très étroite ; elle pourrait, en outre, se révéler délicate en pratique.
Marie-Hélène Sanson
Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale
(1) Le raisonnement est transposable à la commission d'appel d'offres du Code des marchés publics français.
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