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N9115AKS
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par Compte-rendu réalisé par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Par modèle social, rappelle Mohamed Oulkouir, il faut entendre le droit du travail, la protection sociale (pour l'essentiel, assurance chômage, assurance maladie et assurance vieillesse), ainsi que la formation.
La crise de ce modèle social se manifeste aujourd'hui, en France, de plusieurs manières : un taux de chômage élevé (environ 9,3 % de la population active), une marginalisation croissante du contrat de travail à durée indéterminée (CDI), des difficultés de mise en place de la formation professionnelle et, enfin, des inégalités inhérentes au marché du travail, se traduisant, par exemple, par des disparités salariales entre hommes et femmes ou, encore, par un nombre plus élevé de contrats de travail à temps partiel chez la femme que chez l'homme.
Au final, notre modèle social ne correspond plus à l'évolution des relations de travail. Le CDI représente, aujourd'hui, un refuge contre la précarité alors que, à la fin du XIXème siècle, la logique était toute autre. En effet, le salariat était considéré comme la précarité, à tel point que le parti radical de la IIIème République prônait son abolition pure et simple.
Des garanties ont alors été, peu à peu, mises en place afin de sécuriser ce CDI ; la première évolution marquante est intervenue en 1958, avec l'obligation de respecter un préavis pour congédier un salarié. Ensuite, est apparue l'obligation d'accorder au salarié licencié une indemnité de licenciement puis, en 1973, celle pour l'employeur désireux de licencier un salarié de justifier son acte. Naissait, alors, la théorie de la cause réelle et sérieuse qui doit, aujourd'hui, sous-tendre tout licenciement. Au fil de sa jurisprudence, la Cour de cassation a, ensuite, pris le relais du législateur pour renforcer cette notion de cause réelle et sérieuse et imposer la présence d'éléments objectifs dans tout licenciement.
Or, ce système social étant aujourd'hui en échec, il a fallu réfléchir à des solutions autres, qui ont abouti à l'apparition des fameux CNE et CPE. Ainsi que le souligne Mohamed Oulkouir, le CNE, contrairement aux apparences et aux idées reçues, n'est pas apparu ex nihilo, de la simple succession des deux Premiers ministres, Dominique de Villepin et Jean-Pierre Raffarin. L'idée même du CNE remonte à 1995 et au rapport Boissonnat, lequel proposait, comme solution à la crise du modèle social, l'assouplissement des règles de protection de l'emploi et, partant, la facilitation du licenciement. En bref, de la flexibilité. Or, ces idées, prônées par le Gouvernement en 1995, étaient directement inspirées des instances européennes et, en particulier, de l'OCDE, cette dernière proposant de fluidifier le marché du travail français et de réformer les procédures de licenciement pour motif économique, trop complexes à mettre en oeuvre. En effet, ces procédures sont trop souvent vécues par les employeurs comme des dédales juridiques, conduisant ceux-ci à les éluder et à leur substituer les procédures plus simples de licenciements pour motifs personnels. De là est d'ailleurs né un important contentieux de licenciements pour motifs personnels déguisés, conduisant les juges à procéder à des requalifications en masse en licenciements économiques.
En outre, l'OCDE recommandait, également, la mise en place du contrat de travail unique, partant du constat d'un nombre trop élevé des types de contrats de travail, de nature à complexifier la situation -surtout lorsque les règles de rupture diffèrent d'un contrat à l'autre-.
Ces recommandations de l'OCDE ont conduit à un tournant normatif en 2000. La stratégie de Lisbonne a abouti à la mise en place, en 2005 et 2006, du CNE et du CPE. Il s'agit, pour l'essentiel, de substituer au système de garanties collectives institué par les Trente Glorieuses, un système d'individualisation des relations de travail. Le CNE s'inscrit dans cette logique.
Il convient de rappeler que le CNE s'adresse à toutes les entreprises de 20 salariés au plus. L'effectif est d'ailleurs calculé selon des règles favorables aux petites entreprises, puisque le calcul se fait au jour de la signature du contrat, contrairement à la situation applicable aux élections des représentants du personnel. Par conséquent, un employeur dont l'effectif atteint, par exemple, 19 salariés, peut tout à fait conclure 10 CNE le même jour, même si cela le conduit, ensuite, à excéder la limite des 20 salariés.
L'appréciation de l'effectif se fera au niveau de l'entreprise, et non à celui de l'établissement.
S'agissant des emplois concernés, est visée toute nouvelle embauche dans l'entreprise, à l'exception des emplois saisonniers, ainsi que des emplois où il est d'usage de ne pas recourir au CDI.
En outre, le CNE est un contrat écrit, cet écrit devant d'ailleurs préciser qu'il s'agit d'un CNE.
Enfin, le CNE peut succéder immédiatement à un contrat de travail à durée déterminée (CDD) ou à un contrat de travail temporaire (CTT), sans que soit due l'indemnité de précarité. La durée du CDD ou du CTT n'entre pas, quant à elle, dans la période de consolidation de 2 ans du CNE, qui obéit, on le sait, à des règles de rupture simplifiées.
En effet, pendant cette période de consolidation, faussement qualifiée dans l'opinion publique de "période d'essai", les règles de rupture du CNE dérogent largement au droit commun de la rupture du contrat de travail. La rupture se matérialisera par une simple lettre recommandée avec accusé de réception, et aucune indemnité de licenciement ne sera due au salarié évincé de l'entreprise. D'ailleurs, la rupture n'a pas à être motivée. Il sera possible pour un employeur de rompre un CNE en raison des difficultés économiques qu'il rencontre, sans respecter les règles de la rupture pour motif économique.
Si le salarié rompt de lui-même le CNE, il ne doit pas respecter de préavis, sauf stipulation contraire du contrat de travail.
Enfin, si le contrat est rompu au cours de la période de consolidation, l'employeur doit verser au salarié une indemnité égale à 8 % du montant total de la rémunération brute due au salarié depuis la conclusion du contrat. Cette indemnité n'est, toutefois, pas due en cas de faute grave du salarié. En outre, à cette indemnité s'ajoute une contribution de l'employeur aux Assédics, égale à 2 % de la rémunération brute due au salarié depuis le début du contrat. Ces sommes sont exonérées de cotisations de sécurité sociale, de CSG et de CRDS.
Précisons, pour conclure sur la rupture du CNE, que si le salarié a commis une faute, l'employeur doit respecter la procédure disciplinaire prévue par les articles L. 122-40 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L5578ACL). Il vaut mieux, ainsi que le conseille Mohamed Oulkouir, ne jamais justifier cette rupture, au risque pour l'employeur de devoir démontrer qu'elle repose bien sur une cause réelle et sérieuse. Cela ne signifie pas, pour autant, que le salarié sera démuni de tout recours juridique ; s'applique un certain nombre de règles protectrices, telles que la législation sur la femme enceinte, la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles, les règles de l'inaptitude à l'emploi.... De plus, le salarié peut toujours recourir à la notion d'abus de droit pour contester une rupture abusive de la période de consolidation. Par une décision du conseil de prud'hommes de Longjumeau du 20 février 2006 (conseil de prud'hommes, Longjumeau, 20 février 2006, R.G n° 05/00974, M. Peyroux N° Lexbase : A5277DNR, et les obs. de Ch. Willmann, Contrat nouvelles embauches : un nouveau contrat de travail ou une réforme du droit du licenciement ?, Lexbase Hebdo n° 207 du 23 mars 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5993AK8), un employeur a été lourdement condamné sur ce terrain là pour avoir rompu de manière abusive un CNE pendant ladite période de 2 ans.
Si, à l'heure actuelle, on dispose encore de peu de recul sur le CNE, quelques décisions de jurisprudence méritent d'être relevées. On se souviendra, notamment, de l'arrêt du Conseil d'Etat rendu le 19 octobre 2005 (CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283471, Confédération générale du travail et autres N° Lexbase : A9977DKQ, et les obs. de Ch. Willmann, Le Conseil d'Etat valide le contrat nouvelles embauches, Lexbase Hebdo n° 188 du 3 novembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N0289AKW), et par lequel la Haute juridiction administrative se prononçait en faveur du caractère raisonnable de la période de consolidation au regard de la Charte sociale européenne. Le Conseil constitutionnel a, quant à lui, également estimé que ce délai de 2 ans était conforme à notre Constitution (Cons. const., décision n° 2005-521 DC, du 22 juillet 2005, loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi N° Lexbase : A1642DKZ). Seul le conseil de prud'hommes de Longjumeau a tranché en faveur du caractère non raisonnable de ce délai au regard de la convention n° 158 de l'OIT.
Peut être, d'ailleurs, la Cour de cassation rendra-t-elle un avis sur la question dans les prochains mois ?
A l'heure où les employeurs hésitent à signer des CNE, où l'immense chantier de la recodification du Code du travail est sur les rails, où les débats autour du CPE sont apaisés et où ceux sur le contrat unique sont d'actualité, on peut s'interroger sur le sort de notre modèle social.
Alors que le CNE "agonise" devant les conseils de prud'hommes et que la CFDT monte au créneau pour anéantir, au cas par cas, ce contrat, en prenant en charge les frais de procédure des salariés désireux d'attaquer leur CNE devant les juges prud'homaux, on peut penser, avec Mohamed Oulkouir, que le devenir de ce type de contrat est étroitement lié aux mesures que prendra le Gouvernement : renforcement de la flexibilité ou retour à l'équilibre. Mais, comme le souligne Mohamed Oulkouir, la flexibilité ne suffit pas, à elle seule, pour relancer l'emploi. Il suffit, pour s'en rendre compte, de prendre l'exemple des situations internationales. Le modèle danois, dénommé "flexicurité", qui allie flexibilité et sécurité, est, selon Mohamed Oulkouir, très efficace. Ce modèle, qui repose sur une certaine souplesse du contrat de travail, apporte aux salariés une sécurisation de leurs trajectoires. Les salariés danois, très mobiles par nature, ne bénéficient que d'une faible protection contre le licenciement mais, en contrepartie, perçoivent des indemnités de chômage très importantes et ce, pendant 4 ans. Cette situation leur permet de rechercher activement un emploi, et l'aide à la recherche d'emploi est confiée à des entreprises privées. En outre, le système de formation dont bénéficient ces chômeurs est ambitieux et offre des perspectives importantes de retour à l'emploi.
Le système français, tel qu'il résulte notamment du CNE, est insatisfaisant en ce qu'il ne permet pas l'individualisation des droits à la protection sociale. En effet, notre système repose encore sur la notion d'ayant droit et, par exemple, le jeune en rupture avec sa famille pourra se voir refuser une bourse d'études au motif que ses parents ont des revenus suffisants. Il en va de même pour l'époux ou l'épouse qui ne travaille pas et qui dépend donc entièrement de son conjoint en matière de protection sociale.
Les propositions visant à remédier à cette situation ont été nombreuses ; toutes visaient à instaurer plus de souplesse et à diminuer le risque de contentieux. On se souviendra, par exemple, du contrat d'activité proposé par le rapport Boissonnat en 1995. Ce contrat d'activité consistait à attacher le salarié non pas à une entreprise, mais à un bassin d'activités. Ensuite, un système de sous contrats devait rattacher plus spécifiquement ledit salarié à une entreprise du bassin. Ce système, très délicat à mettre en oeuvre, n'a jamais vu le jour.
Le Medef a, quant à lui, prôné la mise en place du contrat de projet dans le cadre de la "refondation sociale". Ce système était fondé sur un accroissement de la négociation collective et sur un système de contrat à la tâche, prenant la forme d'un CDD assoupli. Un contrat de projet resté à l'état de projet et qui n'a, lui non plus, jamais reçu une quelconque consécration législative. Enfin, le contrat unique, consistant à unifier totalement tous les contrats de travail et à instaurer un seul type de contrat de travail pour toutes les entreprises, est, selon Mohamed Oulkouir, une idée plus intéressante que les précédentes. Notamment, le montant de l'indemnité de licenciement serait fixé en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et ce dernier ne pourrait pas saisir les juges prud'homaux au moment de la rupture. On devine déjà, cependant, en filigrane, les difficultés pratiques induites par un tel contrat, au regard des incompatibilités de telles mesures avec notre législation.
Un tel système, pour être viable, devrait, selon Mohamed Oulkouir, avoir pour corollaire une réforme en profondeur du service public de l'emploi et de l'assurance chômage. Cela implique donc d'aller plus loin que ce qui a été déjà fait via la loi "Borloo", dite de cohésion sociale (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49) (recours aux entreprises privées pour le placement des chômeurs). De plus, il faudrait renforcer le système de formation professionnelle en permettant, par exemple, la "transférabilité" des droits acquis au titre du Dif. En outre, le salarié devrait pouvoir conserver le bénéfice de toute sa carrière lorsqu'il change d'entreprise, qu'il s'agisse de ses droits à congés payés, du bénéfice de son ancienneté... En un mot, il faut attacher les droits à la personne du salarié.
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