Réf. : TGI Paris, 4 avril 2006, n° RG 05/18400, Syndicat Sud Télécom Paris c/ SA France Télécom (N° Lexbase : A6828DPL)
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le 07 Octobre 2010
Ce dispositif n'ayant pas été déclaré auprès de la Cnil et n'ayant donné lieu à aucune information préalable des représentants du personnel, le syndicat Sud Télécom Paris a saisi le juge aux fins de dire que le dispositif d'écoutes téléphoniques était illicite quant aux objectifs poursuivis. De plus, en l'absence de déclaration à la Cnil, il réclamait la suspension de l'application de ce même dispositif dans l'attente de la déclaration auprès de la Cnil et de l'information-consultation régulière du comité d'établissement de la direction régionale de Paris (1). Pour sa défense, la société employeur soutenait que la mise en place des écoutes avait été réalisée "dans une optique de formation des téléopérateurs" et que, partant, elle n'était pas assujettie à déclaration préalable.
Les juges du fond ont partiellement fait droit aux demandes du syndicat, en suspendant l'application du dispositif d'écoutes téléphoniques, dans l'attente de la déclaration auprès de la Cnil et de l'information-consultation régulière du comité d'établissement. Pour ce faire, les juges parisiens ont relevé que le document de synthèse de l'écoute, auquel est affecté un coefficient diminuant ou augmentant le montant de la part variable de ventes, concourt à la détermination de la rémunération. Par suite, "la grille d'écoute constitue ainsi une collecte de données et démontre que les éléments recueillis sont conservés, analysés et utilisés, ce qui constitue une opération rentrant dans le champ d'application de l'obligation de déclaration à la Cnil pour le traitement automatisé de données à caractère personnel". Si la décision du TGI de Paris apparaît, de ce point de vue, justifiée (1), il n'en va pas véritablement de même au regard de l'obligation faite à la société de consulter le comité d'établissement (2).
1. Champ d'application de l'obligation de déclaration à la Cnil
En application de la loi "informatique et libertés" du 6 janvier 1978 (loi n° 78-17, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS), telle que modifiée par la loi du 6 août 2004 (loi n° 2004-801, relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L0722GTW) (2), les traitements automatisés de données à caractère personnel doivent faire l'objet d'une déclaration préalable auprès de la Cnil (loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, article 22) (3). Ce dernier texte est, de manière opportune, venu préciser le champ d'application de la loi en question (v., sur cette réforme, S. Vulliet-Tavernier, Après la loi du 6 août 2004 : nouvelle loi "informatique et libertés", nouvelle Cnil ?, Dr. soc. 2004, p. 1055).
Sont soumis à la loi les traitements de données à caractère personnel dont le responsable est établi sur le territoire français, ou bien recourt à des moyens de traitement situés sur le territoire français (4). Constitue une donnée à caractère personnel, "toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d'identification ou à plusieurs éléments qui lui sont propres. Pour déterminer si une personne est identifiable, il convient de considérer l'ensemble des moyens en vue de permettre son identification dont dispose ou auxquels peut avoir accès le responsable du traitement ou tout autre personne" (loi n° 78-17, article 2, alinéa 2).
Par ailleurs, constitue un traitement de données à caractère personnel, "toute opération ou tout ensemble d'opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, ainsi que le verrouillage, l'effacement ou la destruction" (loi n° 78-17, article 2, alinéa 3).
Eu égard aux précisions qui viennent d'être apportées, le dispositif d'écoutes téléphoniques mis en place par la société France Télécom entrait-il dans le champ d'application de l'obligation de déclaration à la Cnil ?
Le TGI de Paris a répondu par l'affirmative en relevant, rappelons-le, que le document de synthèse de l'écoute, auquel est affecté un coefficient diminuant ou augmentant le montant de la part variable de vente, concourt à la détermination de la rémunération. En outre, et toujours selon les magistrats parisiens, "la grille d'écoute constitue ainsi une collecte des données et démontre que les éléments recueillis sont conservés, analysés et utilisés".
La décision ainsi retenue ne peut qu'être approuvée au regard des dispositions précitées. En effet, on était bien en présence de données à caractère personnel, dans la mesure où les écoutes permettaient à l'employeur de recueillir des informations relatives à des personnes physiques identifiées. En outre, il apparaît, également, que ces données faisaient l'objet d'un "traitement" au sens de l'article 2, alinéa 3, de la loi du 6 janvier 1978.
2. Champ d'application de l'obligation d'information des salariés et de leurs représentants
Ainsi que l'affirme l'alinéa 2 de l'article L. 432-2-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6403AC7), le comité d'entreprise est informé, "préalablement à leur introduction dans l'entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci". En outre, et aux termes de l'alinéa 3 de ce même texte, le comité d'entreprise "est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés".
Les juges du fond ayant, en l'espèce, constaté que le dispositif d'écoutes téléphoniques constituait un traitement automatisé de données à caractère personnel exigeant une déclaration auprès de la Cnil, il s'en inférait automatiquement une obligation d'information préalable du comité d'entreprise, préalablement à l'introduction de ce même dispositif dans l'entreprise.
Les juges parisiens sont, cependant, allés plus loin, exigeant l'information et la consultation du comité. C'est dire que, pour eux, et encore que cela ne soit pas véritablement démontré, ce dispositif d'écoutes constituait, également, un moyen de contrôle des salariés au sens de l'alinéa 3 de l'article L. 432-2-1. Il est pour le moins difficile de nier ce fait, le dispositif en cause permettant et étant destiné à surveiller les propos des salariés. On aurait, cependant, aimé que les juges soient, ici, un peu plus précis, dans la mesure où l'employeur soutenait que ce dispositif d'écoutes avait été mis en place dans une optique de formation des téléopérateurs (5).
En admettant que le dispositif d'écoutes constituait un moyen de surveillance des salariés, sa mise en place exigeait l'information et la consultation préalable du comité d'entreprise. Il convient de relever qu'était, ici, concerné le comité d'établissement, dont on sait qu'il a les mêmes attributions que les comités d'entreprises, dans la limite des pouvoirs confiés aux chefs de ces établissements (C. trav., art. L. 435-2 N° Lexbase : L6446ACQ). L'employeur n'ayant pas respecté son obligation, il pouvait être demandé au juge de prononcer la suspension de la décision de l'employeur, alors même qu'elle était déjà entrée en vigueur (6). Ajoutons que l'employeur aurait, encore, pu être passible de poursuites pénales pour délit d'entrave. Enfin, et comme la Cour de cassation a pu l'affirmer, il résulte de la combinaison des articles 16, 27 et 34 de la loi du 6 janvier 1978, 226-16 du Code pénal (N° Lexbase : L4476GTX), L. 121-8 (N° Lexbase : L5450ACT) et L. 432-2-1 du Code du travail, qu'à défaut de déclaration à la Cnil d'un traitement automatisé d'informations nominatives concernant un salarié, son refus de déférer à une exigence de son employeur impliquant la mise en oeuvre d'un tel traitement ne peut lui être reproché (Cass. soc., 6 avril 2004, n° 01-45.227, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8004DB3, lire les obs. de Ch. Radé, L'entreprise, espace privé d'exercice des libertés publiques, Lexbase Hebdo n° 116 du 15 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1239ABI).
Ainsi que l'affirme l'article L. 121-8 du Code du travail, "aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat à un emploi" (7). Procédant de l'exigence de transparence et de loyauté, ce texte interdit les procédés de surveillance des salariés mis en place à leur insu. Il en résulte que les éléments de preuve recueillis de cette façon ne seront pas jugés recevables par les tribunaux. En revanche, si les salariés ont été avertis, l'écoute de leur conversation téléphonique est licite et peut constituer la preuve de leurs manquements professionnels (Cass. soc., 14 mars 2000, n° 98-42.090, M. Dujardin c/ Société Instinet France, publié N° Lexbase : A4968AG4).
Pour en revenir à l'espèce sous examen, le dispositif d'écoutes téléphoniques permettait, ainsi qu'il l'a été vu précédemment, une collecte d'informations personnelles. Celui-ci aurait donc dû être porté à la connaissance des salariés concernés. Tel ne semble pas être le cas, les juges relevant que "la seule affirmation selon laquelle les salariés ont été informés oralement n'est pas probante". Cette précision conduit à affirmer que l'employeur a tout intérêt à procéder à une information écrite des salariés afin de se ménager une preuve de cette dernière.
Au total, on est conduit à constater que la mise en oeuvre d'un procédé de contrôle ou de surveillance des salariés, conduisant au traitement de données personnelles, implique le respect par l'employeur d'une triple obligation : déclaration auprès de la Cnil, information et consultation des représentants du personnel et information individuelle des salariés. Le respect de ces exigences, que l'on qualifiera de "formelles", ne garantit pas, toutefois, la licéité du dispositif en cause. Il faut, encore, que celui-ci soit conforme aux prescriptions de l'article L. 120-2 du Code du travail (v., en ce sens, TGI Paris, 19 avril 2005, n° RG 05/00382, Comité d'entreprise d'Effia Services c/ Fédération des Syndicats Sud Rail N° Lexbase : A0577DI9, lire notre chron., De l'illicéité d'un système de "badgeage" par empreintes digitales, Lexbase Hebdo n° 167 du 12 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4025AIW). La conciliation des droits et libertés des salariés et du pouvoir de direction de l'employeur est à ce prix et on ne peut que s'en féliciter.
Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
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