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le 07 Octobre 2010
1.1. L'origine du dispositif
Le mécanisme de la valeur locative plancher a, d'abord, été institué pour les immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière par l'article 16-2° de la loi du 29 juillet 1975, instituant la taxe professionnelle, et codifié au 1er alinéa de l'article 1499 A du CGI relatif à la taxe foncière.
Compte tenu de l'article 324 AE de l'annexe III au CGI , qui renvoie à l'article 38 quinquies de la même annexe , le prix de revient est toujours la valeur d'apport, que celui-ci ait été réalisé à la valeur nette comptable ou à la valeur réelle.
Dans les deux cas, pour les biens passibles d'une taxe foncière, quel que soit le mode d'évaluation retenu, le système du plancher fonctionne et il impose de comparer la nouvelle valeur locative, déterminée par la valeur d'apport et le minimum fixé par le législateur, par application d'un coefficient inférieur à 1 à la valeur locative avant l'opération.
Le système du plancher a, ensuite, été étendu, par l'article 19, VI de la loi n° 80-10 du 10 janvier 1980, aux immobilisations non passibles d'une taxe foncière et codifié à l'article 1518 B du CGI . Le législateur a, ainsi, étendu ce système, en particulier, aux biens désignés au 3° de l'article 1469 du CGI .
1.2. Le mécanisme de la valeur locative plancher
Les dispositions de l'article 1518 B du CGI, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 87 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, prévoient que la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements ne peut être inférieure :
1.3. Les opérations concernées
Les opérations, à l'occasion desquelles l'article 1518 B du CGI est susceptible de s'appliquer, sont les opérations d'apports, de scissions, de fusions de sociétés, ainsi que les cessions d'établissements.
Par cession d'établissement, il convient d'entendre, conformément aux dispositions de l'article 310 HA, alinéa 6, de l'annexe II au CGI , deux types de cessions.
Il peut, d'abord, s'agir de la cession d'une installation utilisée par une entreprise en un lieu déterminé. Cependant, la cession de locaux nus ne peut être regardée comme une cession d'établissement au sens de l'article 1518 B du CGI (5).
Il peut, ensuite, s'agir de la cession d'une unité de production intégrée dans un ensemble industriel ou commercial, lorsque celle-ci peut faire l'objet d'une exploitation autonome. En cas de cession d'un établissement muni de tous ses moyens d'exploitation, l'article 1518 B s'applique, donc, à tous les biens meubles ou immeubles, ainsi, vendus.
1.4. Les immobilisations concernées
Les dispositions de l'article 1518 B du CGI s'appliquent, en principe, à toutes les immobilisations corporelles (terrains, constructions, matériels, équipements, biens mobiliers, etc.), quel que soit leur usage (industriel, commercial ou non commercial).
- En pratique, deux types d'immobilisations sont concernés. Le premier type d'immobilisations comprend les immobilisations, dont la valeur locative peut être modifiée lors de leur cession, c'est-à-dire les immobilisations corporelles non passibles d'une taxe foncière (matériels, équipements, biens mobiliers, etc.) lorsque leur valeur locative est évaluée à partir de leur prix de revient (matériels ne faisant pas l'objet d'une location).
Le second type d'immobilisations comprend les immobilisations passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties dans deux cas seulement. Le premier cas concerne les immobilisations, qui sont évaluées d'après leur prix de revient pour l'ancien et pour le nouveau propriétaire. Il en est ainsi lorsqu'il s'agit d'immobilisations industrielles et que l'ancien et le nouveau propriétaire sont soumis aux obligations définies à l'article 53 A du CGI (contribuables imposés d'après le bénéfice réel). Le second cas concerne les immobilisations industrielles dont la cession entraîne un changement de la méthode d'évaluation. Il en est ainsi lorsque l'évaluation d'après le prix de revient n'est retenue qu'à l'égard de l'ancien ou du nouveau propriétaire.
- L'article 1518 B du CGI vise les seules immobilisations corporelles qui sont directement concernées par l'opération d'apport, de scission, de fusion de sociétés ou par la cession d'établissement et dont la valeur locative était imposée au moment de l'opération, à la taxe foncière sur les propriétés bâties et/ou à la taxe professionnelle selon le cas (6).
Il s'agit, en fait, d'écarter l'interprétation selon laquelle les dispositions de l'article 1518 B du CGI ne permettraient pas de taxer les immobilisations acquises ou créées postérieurement à l'opération tant que la valeur locative de l'ensemble des immobilisations de l'établissement restait inférieure à la valeur locative plancher.
Sont, donc, seules visées par les dispositions de l'article 1518 B du CGI les immobilisations, qui sont directement concernées par les opérations visées à cet article (c'est-à-dire celles qui ont fait l'objet d'un transfert de propriété dans l'acte d'apport, de fusion, de scission ou de cession) et dont la valeur locative a été retenue au titre de l'année précédant l'opération, ce qui signifie que leur valeur locative doit avoir été imposée à la taxe professionnelle ou à la taxe foncière au titre de l'année précédant l'opération (7).
1.5. Les immobilisations exclues du champ d'application de la valeur locative plancher
Restent en dehors du champ d'application de l'article 1518 B du CGI les biens acquis ou construits l'année de l'opération (année N) et, le cas échéant, l'année précédente (année N-1) et antépénultième (année N-2) en ce qui concerne la taxe professionnelle (8), de même que les immobilisations en cours d'exonération temporaire l'année de l'opération (année N-1) (9).
1.6. La règle de la valeur locative plancher s'applique distinctement pour les terrains, constructions, équipements et biens mobiliers
Pour les opérations réalisées depuis 1993, la règle de la valeur locative plancher s'applique distinctement pour chacune des catégories d'immobilisations suivantes : terrains, constructions, équipements et biens mobiliers. Le deuxième alinéa de l'article 73 de la loi 92-1476 du 30 décembre 1992 précise, en effet, que cette comparaison doit être effectuée distinctement pour ces trois catégories d'immobilisations. Cet article confirme, mais pour les seules opérations intervenues à compter de 1993, la doctrine administrative (10), le nombre de catégories d'immobilisations étant, toutefois, ramené à 3 au lieu de 4.
Concrètement, lorsque le prix d'acquisition est un prix global, il y a lieu de le ventiler entre les différentes catégories d'immobilisations, soit à partir des renseignements fournis dans l'acte, soit proportionnellement au prix de revient indiqué, pour chacune des catégories de biens, dans les documents comptables ou fiscaux du redevable (11).
1.7. La valeur locative plancher doit être revalorisée chaque année
La valeur locative plancher retenue en application de l'article 1518 B du CGI doit être revalorisée chaque année par application des coefficients de majoration forfaitaire prévus à l'article 1518 bis du CGI (12). L'application des coefficients prévus à l'article 1518 bis du CGI est, en effet, de portée générale et s'applique à toutes les valeurs locatives retenues comme base d'imposition à la taxe foncière, quelles que soient leurs modalités de calcul (13).
Qu'elle soit calculée à partir de leur valeur d'apport ou de cession, ou bien dans les conditions prévues à l'article 1518 B du CGI, la valeur locative des immobilisations passibles d'une taxe foncière acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements est majorée des seuls coefficients de majoration forfaitaires fixés à l'article 1518 bis du CGI, dont la date de référence est postérieure à la date de la mutation.
2. Les modifications apportées par les dispositions de l'article 87 de la loi de finances pour 2006
2.1. Le cas des opérations réalisées au sein d'un groupe
Les dispositions de l'article 87 de la loi de finances pour 2006 instituent une valeur locative plancher spécifique pour les opérations réalisées entre sociétés membres d'un groupe. Elles prévoient que la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements ne peut être inférieure à 90 % de son montant avant l'opération (au lieu de 80 % dans le cas général), lorsque cette opération est réalisée entre sociétés membres d'un groupe au sens de l'article 223 A du CGI , c'est-à-dire d'un groupe fiscalement intégré.
Ces dispositions s'appliquent aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2006.
2.2. La reprise des actifs d'une entreprise en difficulté
Dans sa rédaction actuelle, l'article 1518 B du CGI prévoit que, pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2005, la valeur locative des immobilisations corporelles reprises à une entreprise faisant l'objet d'une procédure de redressement judiciaire conformément à l'article L. 621-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4127HBH) ne peut être inférieure à 50 % de son montant avant l'opération (au lieu de 80 % dans le cas général), pendant la procédure et dans les deux années suivant la clôture de celle-ci.
Les dispositions de l'article 87 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 modifient ces règles, pour ce qui concerne les opérations réalisées depuis le 1er janvier 2006. Elles prévoient que la valeur locative plancher de 50 % s'applique pour les opérations de reprise d'immobilisations prévue par un plan de cession ou comprises dans une cession d'actifs en sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire, jusqu'à la deuxième année suivant celle du jugement ordonnant la cession ou autorisant la cession d'actifs en cours de période d'observation.
Ces dispositions tiennent compte de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT) qui institue, notamment, une procédure de sauvegarde des entreprises et élargissent le champ d'application de la valeur locative plancher de 50 % aux actifs cédés dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire. Par ailleurs, elles modifient le décompte de la période d'application de ce régime dérogatoire en se référant au jugement ordonnant la cession et non plus au jugement de clôture de la procédure.
Il résulte, en outre, du présent article que ces règles particulières ne s'appliquent pas en présence d'opérations réalisées entre sociétés membres d'un groupe intégré, la valeur locative plancher restant dans ce cas fixée à 90 %.
3. La compatibilité du mécanisme de la valeur locative plancher avec les dispositions de l'article 1469 du CGI : l'avis du 28 octobre 2005
Par un avis du 28 octobre 2005 (CE, avis, 9° et 10° s-s., 28 octobre 2005, n° 279961, SA Camif Catalogues c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2811DLP), le Conseil d'Etat a répondu à la question que lui avait posée le tribunal administratif de Lille et qui était de savoir quelles étaient les écritures comptables "normales" auxquelles il y avait lieu de se référer pour les besoins de l'application de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI (15), en cas d'immobilisations apportées à leur valeur comptable.
1.1. Le Conseil d'Etat relie la notion de "prix de revient" qui figure à l'article 310 HF de l'annexe II au CGI, à la notion de "valeur d'origine" mentionnée à l'article 38 quinquies de l'annexe III au CGI (16)
L'avis du Conseil d'Etat combine ces deux articles en liant le texte spécifique à la taxe professionnelle à celui qui énonce la règle comptable. Il aligne ainsi, par ailleurs, le régime des immobilisations visées au 3° de l'article 1469 du CGI sur celui qui s'applique à celles soumises aux 1° et 2° du même article (biens passibles d'une taxe foncière et biens amortis sur plus de trente ans) pour lesquels l'article 324 AE de l'annexe III au CGI indique expressément que leur "prix de revient" est la "valeur d'origine pour laquelle les immobilisations doivent être inscrites au bilan en conformité de l'article 38 quinquies de la présente annexe". Le Conseil d'Etat interprète, donc, les dispositions de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI comme conçues pour raccrocher les valeurs locatives aux valeurs comptables.
2.2. Dans le cas d'une fusion réalisée à la valeur comptable, le prix de revient des immobilisations apportées n'est pas la valeur d'origine des immobilisations dans les comptes de la société apporteuse (17), mais la valeur nette comptable ayant le caractère de valeur d'apport pour la société recevant ces immobilisations
La formulation retenue par le Conseil d'Etat invalide la position adoptée par l'administration, selon laquelle il convenait, en cas d'opération réalisée à la valeur comptable, de revenir à la valeur d'origine constatée dans les écritures de l'entité apporteuse. Cette position aboutissait à cette conséquence surprenante que, pour déterminer le "prix de revient" de la bénéficiaire de l'apport, il était nécessaire de remonter au "prix d'origine" acquitté par l'apporteuse. La rédaction de l'avis marque, donc, bien que le "prix de revient", pour la bénéficiaire d'un apport, ne saurait être, contrairement à ce que faisait valoir l'administration, identique au "prix de revient" de l'apporteuse, avant l'opération. Les opérations de fusion et assimilées sont l'occasion d'une réestimation des immobilisations et la position de l'administration conduisait à ignorer cette réévaluation, ainsi que la réalité de l'opération, attestée par le traité d'apport, selon lequel le mode de valorisation était la valeur nette comptable.
La solution retenue par le Conseil d'Etat est, donc, à l'avantage des contribuables. En pratique, elle permet de ne pas défavoriser les opérations réalisées à la valeur comptable pour lesquelles l'administration imposait un retour à la valeur brute, en général supérieure à la valeur d'apport.
3.3. La solution retenue par le Conseil d'Etat a été motivée par le souci de préserver la spécificité du mécanisme de la valeur locative plancher
Les dispositions de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI n'ont, en effet, pas pour objet de neutraliser les effets d'une opération de fusion ou assimilée réalisée à la valeur nette comptable sur les bases d'imposition à la taxe professionnelle. Elles sont seulement destinées à relier les règles de détermination des bases de la taxe professionnelle aux règles comptables.
En refusant de lire ces dispositions comme pouvant renvoyer à la valeur d'origine chez la société apporteuse, le Conseil d'Etat a exclu qu'elles puissent avoir un effet neutralisant, c'est-à-dire qu'elles puissent empêcher que des opérations de restructuration apportent aux entreprises l'aubaine d'une réduction de leur charge de taxe professionnelle, ce dans la mesure où le seul but du législateur est de limiter, via le mécanisme de la valeur locative plancher, la réduction des bases résultant de ces opérations.
Le législateur ayant par ces dispositions limité l'impact de la réduction des bases d'imposition pouvant résulter d'opérations de fusion ou assimilées réalisées à la valeur nette comptable, le Conseil d'Etat a, donc, considéré que rien ne justifiait de faire jouer aux dispositions de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI un rôle pour lequel elles n'avaient pas été conçues.
De fait, la position adoptée par l'administration conduisait à rendre inapplicable les dispositions de l'article 1518 B du CGI. En effet, la référence, en cas de fusion ou opération assimilée opérée à la valeur nette comptable, à la valeur d'origine figurant au bilan de l'apporteuse conduisait à rendre inapplicable le mécanisme du plancher. Comme l'a relevé le Commissaire du Gouvernement L. Vallée dans ses conclusions sous l'avis précité (18), "le plancher est, en pareil cas, égal aux 4/5ème de 16 % de la valeur d'origine constatée au bilan de l'apporteuse. Si l'on suit la thèse du ministre, la nouvelle valeur locative est constituée par 16 % de cette même valeur d'origine. Or, il est rare que 16 % d'un montant soit inférieur à 80 % de 16 % de ce même montant. Dire, aujourd'hui, qu'en cas d'apport à la valeur nette comptable le prix de revient qui détermine la valeur locative est la valeur d'origine chez l'apporteuse aboutit, donc, à ce que la règle du plancher ne soit jamais applicable dans un tel cas. Vous priveriez, donc, en partie d'effet la précaution expressément prise par le législateur pour limiter la réduction des bases d'imposition pouvant résulter des opérations de fusion ou assimilées".
Ainsi, contrairement à ce qu'il en est en matière d'impôt sur les sociétés, le législateur n'a instauré aucun régime de neutralité des fusions ou opérations assimilées en matière de taxe professionnelle. Il a, donc, seulement entendu limiter la réduction des bases résultant de ces opérations.
En refusant d'interpréter les dispositions de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI comme ayant pour objet et pour effet de neutraliser l'impact, sur les bases d'imposition à la taxe professionnelle, d'une fusion réalisée à la valeur nette comptable, le Conseil d'Etat a, dès lors, préservé l'intérêt et la spécificité du mécanisme de la valeur locative plancher prévu par les dispositions de l'article 1518 B du CGI.
Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice
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