Réf. : Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)
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le 07 Octobre 2010
II - Transposition partielle, mais sans réciprocité, de l'article 11 de la Directive
B - Le "forçage" post-offre
Les articles 18 à 20 de la loi du 31 mars 2006 transposent la fameuse "breakthrough rule" inscrite à l'article 11 § 4 de la Directive. Autant dire qu'il y est question de la neutralisation de dispositifs susceptibles de gêner la prise de contrôle effective de la société cible par l'auteur d'une offre publique réussie (7). Ce "forçage" post-offre, on s'en souvient, avait été théorisé par le groupe d'experts de haut niveau en droit des sociétés (8). Il repose fondamentalement sur l'idée que la légitimité, issue du plébiscite de marché, que représente une réponse massivement favorable à une offre publique (9), ne saurait souffrir de rivale, ni sociale ni contractuelle, et que sa seule expression devrait suffire, en conséquence, à disqualifier toute résistance utile. La voie ainsi dégagée, l'offrant se trouve mis en position d'installer rapidement (10) son emprise sur la société cédée grâce à l'exercice effectif de ses droits d'actionnaire majoritaire. Le procédé est habile, qui autorise, pour reprendre les termes du rapport "Winter I", "un bon compromis entre, d'une part, la nécessité de permettre, pour le moment, la cohabitation de structures de capital et de contrôle différentes résultant des particularités nationales et, d'autre part, celle de permettre et de favoriser le lancement et l'aboutissement d'OPA, aux fins de créer un marché des valeurs mobilières intégré à l'échelle européenne" (11).
Cette interdiction de frustrer l'initiateur triomphant sur le marché des titres d'une victoire complète dans la société, n'emporte qu'une adhésion modérée de la France, à en juger par la loi nouvelle. Celle-ci opte, là aussi, pour une transposition différenciée du texte communautaire, qui lui permet de consacrer juridiquement une mesure de caducité depuis longtemps défendue sur le terrain par les autorités boursières nationales (12) (1), abandonnant à la volonté de chaque société concernée l'adoption de dispositions plus énergiques (2).
1 - Une mesure de neutralisation obligatoire
Parmi les restrictions visées à l'article 11 § 4 de la Directive, la loi du 31 mars 2006 n'en élit qu'une seule pour parer sa neutralisation post-offre d'un caractère impératif : la clause statutaire de plafonnement des droits de vote. Alors qu'un respect strict du principe de proportionnalité eut commandé la paralysie d'autres techniques de déconnexion ou de distorsion du lien capital-pouvoir (13), ce choix exclusif révèle un biais national évident.
Celui-ci trouve une traduction formelle : la simple insertion à l'article L. 225-125 du Code de commerce (N° Lexbase : L1417HIC), qui assortit la traditionnelle faculté de limiter statutairement le nombre de voix dont chaque actionnaire dispose dans les assemblées (14), d'un second alinéa aux termes duquel les effets d'une telle limitation "dans les statuts d'une société qui fait l'objet d'une offre publique et dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé, sont suspendus lors de la première assemblée générale qui suit la clôture de l'offre lorsque l'auteur de l'offre, agissant seul ou de concert, vient à détenir une fraction du capital ou des droits de vote de la société visée par l'offre supérieure à une quotité fixée par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers, au moins égale à celle requise pour modifier les statuts, et dans la limite des trois quarts".
Au fond, l'apport de la réforme demeure relativement contenu, ce qui avait d'ailleurs justifié la recommandation de transposition du "groupe de travail Lepetit" (15). On assiste, plutôt, au couronnement de jure d'une évolution largement entamée de facto.
Comme on le sait, l'autorité boursière française s'était attaquée, dès les années 1980, à l'utilisation défensive, pour ne pas dire au détournement, du plafonnement statutaire des droits de vote dans les sociétés cotées (16). Devant la montée des offres publiques hostiles, un certain nombre de ces sociétés, à l'actionnariat relativement éclaté, avait eu l'idée, en effet, d'exploiter à des fins de préservation du contrôle social ce mécanisme originellement conçu comme un moyen d'égaliser le pouvoir entre associés et d'éviter l'écrasement des minoritaires (17). On imagine sans peine le caractère dissuasif, pour un éventuel initiateur, d'une stipulation qui lui interdirait d'exercer sur le plan politique une influence à la mesure de l'investissement financier réalisé pour acquérir la majorité du capital. Impuissante à interdire, dans le principe, des limitations du droit de vote expressément validées par le législateur, la Commission des opérations de bourse s'était, alors, efforcée d'intervenir auprès des émetteurs concernés pour obtenir d'eux, à tout le moins, une certaine modération. Elle recommandait, en particulier, la généralisation de clauses dites de caducité automatique, prévoyant la disparition du plafonnement au cas où un actionnaire viendrait à acquérir une fraction très importante du capital social, ne devant pas, selon elle, excéder le "contrôle majoritaire utilisé en droit boursier" (18). L'impact de cette recommandation fut cependant mitigé, les émetteurs visés acceptant d'abandonner les seuils envisagés, qui culminaient à 90 %, sans les abaisser en-deçà des deux tiers (19).
La loi du 31 mars 2006, si elle a le mérite de juridiciser cette "doctrine" de la COB, puis de l'AMF, fait donc preuve d'une ambition mesurée en optant pour un seuil minimal en capital ou en droits de vote que le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ne pourra fixer en-deçà de celui requis pour modifier les statuts, soit pratiquement les deux-tiers, ni au-delà des trois-quarts, pourtant prévus par la Directive à titre minimal. S'agissant du quantum, aucun autre seuil à l'intérieur de cette fourchette n'étant pertinent en droit français, il y a de fortes chances que le choix de l'AMF se porte sur celui des deux-tiers. La non-inscription délibérée dudit seuil dans la loi facilitera, néanmoins, une éventuelle adaptation (20). Quant à la base de calcul, on se demande s'il n'eut pas été préférable, en termes de cohérence et de sécurité juridiques, de s'inspirer davantage du texte communautaire qui se réfère au seul "capital assorti de droits de vote", plutôt que de retenir un double dénominateur (en capital ou en droits de vote) pour renvoyer ensuite à une quotité qui n'a de sens que politique. Concentré sur la question des seuils, on regrettera, au passage, que le législateur n'ait pas cru bon de saisir l'occasion qui se présentait pour aplanir quelques difficultés d'interprétation de l'article L. 225-125, alinéa 1er, du Code de commerce, dont il n'est pas absolument certain, au regard de sa nature dérogatoire, qu'il possède toute la générosité que la pratique se montre prompte à lui reconnaître.
2 - Deux mesures de neutralisation optionnelle
Les articles 19 et 20 de la loi du 31 mars 2006 visent à satisfaire à l'obligation communautaire d'autoriser les sociétés, dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, à prévoir statutairement la suspension automatique, en cas d'offre réussie, des "restrictions aux droits de vote au transfert de titres et au droit de vote visées à l'article 11 paragraphes 2 et 3" (21), ainsi que des "droits extraordinaires des actionnaires concernant la nomination ou la révocation de membres de l'organe d'administration ou de direction prévus dans les statuts de la société visée".
Le premier introduit dans le Code de commerce un article L. 233-38 (N° Lexbase : L1390HIC), selon lequel, "les statuts d'une société dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé peuvent prévoir que les effets des restrictions statutaires à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société ainsi que les effets de toute clause d'une convention conclue après le 21 avril 2004 prévoyant des restrictions à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société sont suspendus lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre lorsque l'auteur de l'offre, agissant seul ou de concert, vient à détenir, à l'issue de celle-ci, une fraction du capital ou des droits de vote supérieure à une quotité fixée par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers, sans pouvoir atteindre le seuil prévu par le dernier alinéa de l'article L. 225-125", tandis que le second y ajoute un article L. 233-39 (N° Lexbase : L1391HID), disposant que "les statuts d'une société dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé peuvent prévoir que les droits extraordinaires de nomination ou révocation des administrateurs, membres du conseil de surveillance, membres du directoire, directeurs généraux, directeurs généraux délégués, détenus par certains actionnaires sont suspendus lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre lorsque l'auteur de l'offre, agissant seul ou de concert, détient à l'issue de celle-ci une fraction du capital ou des droits de vote supérieure à une quotité fixée par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers".
Le découpage communautaire est donc respecté, même si la copie n'est pas parfaite et emprunte à l'original quelques-uns de ses défauts.
Concernant l'article L. 233-38 du Code de commerce, d'aucuns pourront, par exemple, douter de l'utilité réelle d'autoriser expressément les sociétés à assortir les éventuelles restrictions que leurs statuts apportent à l'exercice du droit de vote d'une mesure de caducité qu'elles sont déjà libres d'adopter à titre général et qui leur est imposée dans le cas particulier du plafonnement des droits de vote. S'il paraît évident que l'autorisation légale se justifie davantage pour les restrictions extra-statutaires à l'exercice du droit de vote, en raison de l'atteinte susceptible d'être portée par la société émettrice à la force légale des conventions ayant celui-ci pour objet, on répondra au sujet des clauses statutaires, que le champ de l'option se veut plus large que celui de l'obligation. Plus large, d'abord, pour la nature des restrictions visées, qui ne se réduisent pas aux clauses de plafonnement visées à l'article L. 225 -125, alinéa 1er, du Code de commerce, mais comprennent l'ensemble des limitations auxquelles fait référence l'article L. 233-37 du même code (22). Plus large, ensuite, pour le seuil de caducité, dont la logique voudrait qu'il soit placé à un niveau inférieur à celui imposé en application de l'article L. 225-125, alinéa 2, du Code de commerce, tout au moins pour ce qui concerne le plafonnement statutaire des droits de vote. Comme il l'a été indiqué au cours des travaux parlementaires, le règlement général de l'AMF fixerait opportunément la limite basse de ce seuil au niveau de la majorité requise pour l'adoption de résolutions d'assemblée générale ordinaire. Au jeu des différences, on ajoutera l'absence, à l'article L. 233-38 du Code de commerce, de renvoi aux restrictions statutaires et conventionnelles au transfert de titres, pourtant visées par le texte communautaire. Ou bien encore la réduction des effets de la suspension des restrictions à l'exercice des droits de vote, à la seule première assemblée générale de la société visée, alors que la Directive ne retient littéralement cette limitation qu'au cas de suppression du droit de vote multiple, non transposé en droit français, pour les raisons évoquées plus haut.
Du côté de l'article L. 233-39 du Code de commerce, l'attention s'arrête principalement sur ces "droits extraordinaires de nomination ou révocation des administrateurs, membres du conseil de surveillance, membres du directoire, directeurs généraux, directeurs généraux délégués, détenus par certains actionnaires" dans la société visée. La raison en est que, comme l'ont relevé les travaux parlementaires, "du point de vue de la législation française, la notion ne correspond pas à une catégorie juridique spécifique" (23). Elle apparaît, en effet, comme un pur produit d'importation communautaire, qui tendrait à recouvrir, en pratique, "toute hypothèse de droit qui octroie, à l'actionnaire en cause, un pouvoir plus important, quant au choix et/ou à la révocation des dirigeants sociaux, que celui que lui confère par principe, au sein des assemblées de la société, sa participation au capital". Ont été cités, à titre d'exemples : "un droit de consultation préalable reconnu à certains actionnaires avant toute nomination ou révocation de telle catégorie de dirigeant" (24) ; ou encore certains avantages politiques attachés à des actions de préférence (25). Si le point a été peu relevé, il convient d'ajouter qu'à la différence de l'article 11 § 4 de la Directive, il n'est pas distingué à l'article L. 233-39 du Code de commerce selon la source de ces "droits extraordinaires", qui pourraient donc provenir d'accords extra-statutaires. L'étroit encadrement légal des pouvoirs de nomination et de révocation des dirigeants sociaux réduit considérablement, cependant, les espaces d'épanouissement de tels dispositifs (26). On terminera en soulignant l'absence de toute référence à la forme commanditale, encore utilisée -aux dernières nouvelles- par quelques sociétés françaises cotées en bourse ! On ne s'en étonne plus, hélas, tant cette ignorance traverse notre droit boursier des sociétés.
Alain Pietrancosta
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier
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