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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
L'article L. 135-2 du Code du travail dispose que "lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord collectif de travail, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables".
Contrairement à la solution qui résulte de l'article L. 134-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5713ACL) en matière d'articulation des conventions collectives et des lois et règlements, article qui figure dans un chapitre traitant de la validité des conventions collectives, la règle posée par l'article L. 135-2 prend place dans un chapitre qui traite de l'application des accords collectifs.
La règle ici posée constitue donc une règle de conflit destinée à trancher la détermination de la règle applicable, et non une condition de validité du contrat de travail. Une clause du contrat de travail moins favorable que la convention collective ne serait donc pas nulle, mais simplement inapplicable tant que l'accord concurrent est plus favorable ; elle pourrait redevenir applicable si la convention collective venait à disparaître ou à être remplacée par des dispositions moins favorables.
Pour qu'un conflit d'application puisse naître, encore faut-il que le contrat de travail contienne des dispositions ayant le même objet que l'accord collectif en cause.
Or, une difficulté naît de la détermination du périmètre du contrat de travail. Lorsque les parties ont passé un contrat écrit, la délimitation du champ contractuel est simplifiée, même si certains éléments de la relation peuvent ne pas avoir donné lieu à la rédaction d'un acte écrit, qu'il s'agisse d'éléments apparus en marge du contrat ou de révisions qui n'auraient pas été consacrées par un avenant formellement conclu. La situation est naturellement plus complexe lorsque les parties n'ont pas conclu d'écrit, ce qui est parfaitement possible dans la mesure où cette formalité n'est pas exigée pour le contrat de travail à durée indéterminée à temps plein.
La doctrine et la jurisprudence ont précisé la liste des éléments qui constituent le socle naturel du contrat de travail, sans préjudice, bien entendu, des prévisions particulières des parties : il s'agit du lieu de travail, de la durée du travail, de la rémunération et des fonctions du salarié.
On sait, cependant, qu'il n'existe pas d'adéquation parfaite entre le contrat, considéré comme negocium (le contrat comme accord de volonté), et le contrat instrumentum (le document contractuel). S'il peut exister du "contractuel" en dehors du document "contrat de travail", comme nous l'avons montré, tout ce qui est dans le contrat de travail n'est pas nécessairement contractuel, au sens où une clause du contrat de travail peut ne pas présenter de caractère normatif mais constituer un simple instrument d'information du salarié, comme cela a été jugé s'agissant de la clause fixant le lieu où s'exécute habituellement le contrat de travail (Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6993CK9 ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6994CKA, lire La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo n° 76 du 19 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7795AAX ; Dr. soc. 2003, p. 884, obs. J. Savatier ; JCP éd. G 2003, II, 10165, note M. Véricel ; D. 2004, p. 89, note C. Puigelier ; RDC 2004, p. 237, obs. J.-P. Chazal, p. 381, note Ch. Radé ; RJS 2004, p. 3, chron. J. Pélissier).
Le problème s'est posé essentiellement pour la rémunération du salarié. Pour certains, la rémunération serait nécessairement contractuelle, même si elle n'a pas été prévue dans le contrat de travail. Dès lors, et ce même lorsque l'employeur se contente de faire application au salarié des dispositions du statut collectif, la rémunération serait nécessairement contractuelle, de telle sorte qu'une modification de la rémunération conventionnelle, à l'occasion de la révision de l'accord, ne pourrait être imposée au salarié sans son accord.
Ce n'est heureusement pas ainsi que la Cour de cassation a entendu la notion de rémunération contractuelle. Pour être contractuelle, la rémunération doit, en effet, avoir été individualisée, soit par le biais d'une clause du contrat de travail, soit, simplement, par l'application particulière que l'employeur en fait au salarié (Cass. soc., 13 novembre 2002, n° 00-44.027, F-D N° Lexbase : A7328A3S et Cass. soc., 13 novembre 2002, n° 00-42.261, F-D N° Lexbase : A7323A3M, lire notre chron., La notion de rémunération contractuelle, Lexbase Hebdo n° 49 du 28 novembre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N4924AAM).
Mais, lorsque l'employeur se contente de faire application au salarié des dispositions de la convention collective relatives à la rémunération des salariés, alors cette rémunération n'est pas contractuelle et le salarié ne peut donc pas s'opposer aux variations induites par les changements intervenus dans le statut collectif (Cass. soc., 10 juin 2003, n° 01-40.985, FS-P sur les quatre premiers moyens N° Lexbase : A7225C84).
Ces principes, qui ont été dégagés essentiellement en matière de rémunération, peuvent être systématisés à l'ensemble des éléments qui composent le socle contractuel. Pour être contractuel, un élément doit avoir été individualisé par les parties, c'est-à-dire différencié des dispositions conventionnelles ayant le même objet.
L'absence de toute prévision des parties concernant l'un de ces éléments ne signifie pas, alors, que les contractants ont entendu écarter ces dispositions ; ainsi, ce n'est pas parce que le contrat de travail ne prévoit pas de clause de non-concurrence que les parties ont entendu soustraire le salarié à l'obligation conventionnelle de non-concurrence.
Cette solution est logique dans la mesure où l'article L. 135-2 du Code du travail dispose que les clauses de l'accord collectif "s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables". Ces dispositions s'entendent nécessairement d'une volonté exprimée des parties, et non simplement présumée.
En conclusion, doivent être considérées comme contractuelles toutes les clauses du contrat de travail, à l'exception des clauses simplement informatives, ainsi que tous les éléments essentiels de la relation de travail dès lors qu'ils ont été individualisés par les parties.
En dehors de ces hypothèses de contrariété, contrat de travail et convention collective peuvent s'articuler.
2. Complémentarité du contrat de travail et de la convention collective
Introduit par la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), l'article L. 135-7 du Code du travail (N° Lexbase : L4701DZ7) fait désormais obligation à l'employeur de remettre au salarié, "au moment de l'embauche [...] une notice d'information relative aux textes conventionnels applicables dans l'entreprise ou l'établissement".
La loi n'impose pas la remise au salarié des textes mêmes, mais simplement des éléments d'identification du ou des textes applicables dans l'entreprise, qu'il s'agisse d'accords interprofessionnels, de branche ou professionnels, ou, encore, des accords d'entreprise. Cette limitation résulte d'une interprétation a contrario du troisième alinéa du II de l'article L. 135-7 du Code du travail, qui ne prévoit la communication du texte intégral qu'au personnel dans son ensemble, dans un endroit clairement identifié de l'entreprise, ou sur son intranet, où chaque salarié devra pouvoir se rendre ou le consulter.
Cette notice est clairement identifiée comme devant informer le salarié ; elle ne saurait donc fonder une quelconque intégration des normes conventionnelles applicables dans l'entreprise dans le contrat de travail du salarié (pour une solution comparable, s'agissant d'une brochure informant les salariés sur les usages applicables dans l'entreprise : Cass. soc., 11 janvier 2000, n° 97-44.148, M. Loussier c/ Société IBM France, publié N° Lexbase : A4891AGA, Dr. soc. 2000, p. 833, chron. M. Véricel). Ce dernier n'en conservera donc le bénéfice, par le biais du maintien des avantages individuels acquis, qu'en cas de dénonciation ou de mise en cause du ou des accords, non suivi de la conclusion d'un accord de substitution dans les 12 mois suivant (C. trav., art. L. 132-8 N° Lexbase : L5688ACN).
Le Code du travail ne précise pas les risques auxquels s'exposent les entreprises qui manqueraient à cette obligation, et on peut hésiter sur la position qui sera adoptée par la Cour de cassation. Au pire, celle-ci pourrait considérer que les dispositions conventionnelles concernées sont inopposables au salarié. Au mieux, elle pourrait condamner l'entreprise à verser, le cas échéant, au salarié, des dommages-intérêts en raison du préjudice que lui aurait causé cette carence. Or, on sait que la mention de la convention collective applicable dans l'entreprise doit également figurer sur le bulletin de salaire, ainsi que faire l'objet d'un affichage, de telle sorte que le respect de ces obligations pourrait "rattraper" l'oubli de la notice.
Quoi qu'il en soit, la prudence s'impose ici et les entreprises ont tout intérêt à respecter les dispositions de l'article L. 135-7 du Code du travail dans la mesure où, comme nous l'avons vu, la remise de la notice ne présente, en définitive, aucun risque.
Cette information légale obligatoire ne paraît toutefois pas suffisante dès lors que l'employeur entend opposer au salarié les obligations professionnelles que la convention collective pourrait faire peser sur lui. Alors que l'application de l'adage "nul n'est censé ignorer la loi" semblait pourtant s'y opposer, la jurisprudence a considéré que l'information du salarié sur l'existence d'obligations pesant sur lui, par application de la convention collective, était nécessaire pour prétendre ultérieurement en faire application ; cette solution a été, notamment, affirmée s'agissant de la période d'essai conventionnelle (Cass. soc., 29 mars 1995, n° 91-44.562, Société Pierre Ucko c/ M. Perrin, publié N° Lexbase : A0914ABH, Dr. soc. 1995, p. 454, rapport J.-M. Desjardins).
Certes, la Cour de cassation a précisé que cette information n'avait pas à être nécessairement délivrée par écrit, mais il apparaît, en pratique, nécessaire au moment de faire signer au salarié un document par lequel il reconnaît avoir été informé de ses obligations conventionnelles.
Il semble, également, possible d'utiliser le contrat de travail signé par le salarié (à défaut de signature par ce dernier son contenu ne lui serait pas opposable : Cass. soc., 2 avril 1998, n° 95-43.541, Société Safeti c/ M. Fassier, publié N° Lexbase : A2550ACG), comme le support de cette information.
C'est ici qu'il convient de se montrer extrêmement prudent. Une formule maladroite pourrait, en effet, laisser penser que ces obligations ont été directement contractualisées par les parties. Certes, cette intégration dans le champ contractuel est de nature à rassurer l'employeur qui pourrait craindre qu'elles ne disparaissent à l'occasion d'une révision de l'accord.
Mais, elle peut également lui jouer un mauvais tour en cas de révision de l'accord qui lui serait plus favorable. Ainsi, si l'accord collectif applicable dans l'entreprise au moment du recrutement du salarié prévoit une période de préavis de démission d'un mois, et que le contrat reprend telle quelle cette durée dans le contrat de travail, lorsque l'accord vient à être révisé pour allonger la période à 2 mois, le salarié pourra revendiquer l'application de la durée contractuelle d'un mois pour s'opposer à l'application de la nouvelle durée conventionnelle moins favorable.
Pour éviter pareille contractualisation des obligations conventionnelles du salarié, il convient, par conséquent, de se montrer extrêmement vigilant lors de la rédaction des clauses du contrat de travail. Doivent être proscrites toutes les clauses reprenant les obligations conventionnelles, mais sans référence à la convention collective qui en constitue le support. En revanche, certaines formules peuvent être utilisées, qui soulignent la simple valeur informative de la clause ; le contrat de travail pourra ainsi indiquer que "pour information, et conformément aux dispositions de la convention X aujourd'hui applicable dans l'entreprise, le salarié devra respecter, en cas de démission, un préavis d'une durée de X mois".
Il est également possible de renvoyer en annexe du contrat, ou dans une clause clairement identifiée, l'information du salarié sur ses obligations conventionnelles. Cette clause pourra alors rappeler la convention collective applicable dans l'entreprise par application des dispositions légales en vigueur et, qu'à ce titre, le salarié est soumis aux diverses obligations qu'elle contient.
Il est également possible de jouer sur l'articulation du contrat de travail et de la convention collective applicable. Ainsi, le contrat de travail peut valablement prévoir le principe d'une obligation de non-concurrence imposée au salarié et renvoyer, pour son régime, aux dispositions du statut conventionnel (Cass. soc., 10 mars 2004, n° 02-40.108, F-P+B N° Lexbase : A4929DB8, lire nos obs., La contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence peut ne pas être stipulée si elle est prévue par la convention collective, Lexbase Hebdo n° 112 du 18 mars 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0924ABT).
On peut aussi envisager la possibilité d'une révision de la clause contractuelle pour tenir compte des évolutions du statut collectif, autrement dit d'une clause d'adaptation du contrat de travail.
On sait, en effet, que la Cour de cassation annule les clauses de révision unilatérale du contrat de travail, mais admet que certains éléments de la rémunération contractuelle puissent varier dès lors que cette variation dépend d'éléments objectifs indépendants de la seule volonté de l'employeur (Cass. soc., 16 juin 2004, n° 01-43.124, FS-P N° Lexbase : A7322DC8 notre chron., Les clauses de variation sur la sellette, Lexbase Hebdo n° 126 du 24 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2074ABG).
Or, un changement intervenu dans le statut collectif nous semble constituer un tel élément objectif susceptible de justifier valablement une révision des dispositions contractuelles.
L'employeur pourrait alors reprendre dans le contrat de travail une obligation prévue par la convention collective, et s'assurer ainsi qu'une révision du statut collectif n'entraînerait pas la disparition de cette obligation, puisqu'elle serait reprise par le contrat, tout en se réservant une faculté d'adaptation de la clause pour suivre certaines évolutions du statut collectif qui lui serait plus favorable.
Reprenons l'exemple du préavis de démission, mais on pourrait également illustrer notre propos par l'obligation de non-concurrence. Si la convention collective prévoit un préavis d'un mois, le contrat de travail peut valablement poser comme principe que le salarié sera soumis à un préavis d'un mois ; un préavis d'une durée supérieure serait, en toute hypothèse, inopposable au salarié, par application de l'article L. 135-2 du Code du travail. Le contrat peut également prévoir que cette durée pourra être allongée en cas d'augmentation de la durée conventionnelle.
L'intérêt d'une telle clause est évident. Parce qu'elle figure dans le contrat de travail, elle subsistera si le support conventionnel venait à être remis en cause. Mais, si la convention collective évolue dans un sens plus favorable à l'employeur, alors la clause d'adaptation du contrat permettra au contrat de travail de suivre les évolutions du statut.
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