Réf. : Cass. civ. 2, 9 mars 2006, n° 04-30.550, CRFPA des barreaux du ressort de la cour d'appel de Pau c/ Urssaf des Pyrénées-Atlantiques, FS-P (N° Lexbase : A5038DNW)
Lecture: 11 min
N6087AKN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. civ. 2, 9 mars 2006, n° 04-30.550, Centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) des barreaux du ressort de la cour d'appel de Pau c/ Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf ) des Pyrénées-Atlantiques, FS-P (N° Lexbase : A5038DNW) Rejet de CA Pau, chambre sociale, 3 juin 2004 Mots-clefs : centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA), fonctionnaires, magistrats, universitaires, assujettissement, cotisations sociales, assiette, rémunération des heures d'enseignement, rémunération des membres des jurys d'examen. Textes concernés : CSS., art. L. 242-1 (N° Lexbase : L9684HEE) ; CSS., art. L. 311-2 (N° Lexbase : L5024ADG) ; C. trav. art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL). Lien base : (N° Lexbase : E9157ASX) |
Faits
Le centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) des barreaux du ressort de la cour d'appel de Pau n'a pas estimé devoir inclure dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale les sommes versées à des fonctionnaires, magistrats ou universitaires, à titre de rémunération de leurs enseignements ou de leur participation à des jurys d'examen. A la suite d'un contrôle, l'Urssaf des Pyrénées-Atlantiques a réintégré dans l'assiette des cotisations sociales dues par le CRFPA, les rémunérations versées aux différentes personnes fonctionnaires participant à l'enseignement dispensé par ce centre. |
Problème juridique
Les fonctionnaires, magistrats ou universitaires participant aux activités d'un centre de formation professionnelle des avocats, doivent-ils être assujettis au régime général de la Sécurité sociale ? Les sommes versées par ce centre, à titre de rémunération des enseignements ou de la participation à des jurys d'examen, doivent-elles être intégrées à l'assiette des cotisations de sécurité sociale ? |
Solution
1. Rejet. 2. "[...] les fonctionnaires, magistrats et universitaires concernés dispensaient leur enseignement aux étudiants du CRFPA dans les locaux dépendant de celui-ci [...] ils étaient contraints de respecter un programme défini par matière, de se conformer à un emploi du temps déterminé à l'avance et d'assurer un contrôle de la formation prodiguée par la tenue d'un cahier et d'une feuille de présence [...]". 3. "[...] les intéressés travaillaient dans un lien de subordination avec le centre, qui avait le pouvoir de donner des directives et d'en vérifier l'exécution [...]". 4. "[...] l'Urssaf ne poursuivait pas le recouvrement de cotisations sociales afférentes aux membres des jurys d'examen, ce dont il résultait que le juge ne pouvait statuer de ce chef [...]". |
Commentaire
Dans le cadre de l'exercice de leur mission de formation des avocats, les centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA) font appel à des intervenants extérieurs occasionnels : avocats, membres des autres professions juridiques ou judiciaires, fonctionnaires, magistrats ou universitaires. Ces différents intervenants sont appelés à exercer deux types d'activités au sein des CRFPA : des activités d'enseignement et la participation à des jurys d'examens. Les rémunérations auxquelles ces activités peuvent donner lieu n'ont pas manqué d'attirer l'attention des organismes de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. La problématique n'est pas nouvelle et a, déjà, également, concerné des centres de formation professionnelle notariale ou encore des écoles de notariat. Dans un arrêt du 9 mars 2006, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur un litige opposant le centre régional de formation professionnelle des avocats des barreaux du ressort de la cour d'appel de Pau (CRFPA de Pau) à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) des Pyrénées-Atlantiques. Plus précisément, le litige concernait l'assujettissement au régime général des intervenants fonctionnaires, magistrats ou universitaires. Cette décision est l'occasion d'une synthèse de la jurisprudence déjà rendue en la matière. De l'arrêt commenté, comme de l'ensemble de la jurisprudence antérieure, il ressort que l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale des personnes ayant des activités d'enseignement au sein des CRFPA, dépend essentiellement d'une appréciation des conditions de fait dans lesquelles s'exercent ces activités (1). La qualité professionnelle des intervenants peut, également, avoir une incidence sur l'assujettissement, selon que ces derniers sont eux-mêmes avocats ou fonctionnaires, magistrats ou universitaires, comme en l'espèce (2). On regrettera que, pour des raisons procédurales, la deuxième chambre civile n'ait pu se prononcer, en l'espèce, sur le problème spécifique de la participation à des jurys d'examen, mais la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de faire connaître sa position en la matière par le passé (3). 1. La primauté des conditions d'exercice des activités au sein des CRFPA Il n'est pas utile de rappeler, ici, que la question de l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale et celle, directement liée, de l'intégration des rémunérations versées à l'assiette des cotisations sociales, relèvent d'une appréciation des conditions de fait dans lesquelles l'activité litigieuse s'exerce. Pour reprendre les termes systématiquement utilisés par la Cour de cassation à ce sujet, la seule volonté des parties est impuissante à soustraire un salarié au statut social qui découle nécessairement des conditions d'accomplissement de son travail (parmi de nombreux autres, on citera seulement le célèbre arrêt "Barrat", Cass. Ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290, SA Ecole des Roches, publié N° Lexbase : A3665ABD ; Cass. Ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-11.647, SA Ecole des Roches, publié N° Lexbase : A5653AAM). Encore convient-il de s'entendre sur ces conditions de fait et c'était, à nouveau, tout l'objet du litige opposant le CRFPA de Pau et l'Urssaf des Pyrénées-Atlantiques. On le sait, depuis 1996, le critère essentiel d'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale est celui de la subordination juridique, l'intégration dans un service organisé par autrui ne pouvant constituer qu'un indice de cette subordination (Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187, Société générale c/ Urssaf de la Haute-Garonne, publié N° Lexbase : A9731ABZ). En l'espèce, le CRFPA faisait valoir plusieurs arguments qui tendaient à remettre en cause l'existence d'un lien de subordination entre lui et les fonctionnaires, magistrats ou universitaires, qui exerçaient des activités d'enseignement en son sein. Tous sont rejetés par la deuxième chambre civile.
Le CRFPA insistait, tout d'abord, sur le fait que le travail au sein d'un service organisé ne peut constituer un indice du lien de subordination que lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. Or, selon le CRFPA, les horaires d'intervention étaient définis par lui, avec l'accord des intervenants. De prime abord, l'argument soulevé par le CRFPA pouvait convaincre, mais une analyse plus approfondie ne permettait guère de le retenir. En effet, comme le retient la deuxième chambre civile, les enseignants étaient contraints de se conformer à un emploi du temps déterminé à l'avance. On voit mal, d'ailleurs, comment il aurait pu en aller autrement, ne serait-ce que pour permettre à l'enseignant de rencontrer ses étudiants, ce qui est bien le minimum ! Dans une précédente décision rendue à propos d'une situation similaire à celle notre espèce (Cass. soc., 12 février 1976, n° 74-13510, Ecole de Notariat de Rennes c/ CPAM Rennes, Urssaf Rennes, publié N° Lexbase : A1299CHL), la Chambre sociale avait, d'ailleurs, eu l'occasion de préciser que "quelles qu'aient été les facilités dont ils jouissaient en vue de concilier leur tâche d'enseignement avec leurs activités professionnelles habituelles, les membres du corps enseignant [...] étaient tenus [...] à des obligations précises d'horaire". La prise en compte des impératifs liés à la profession principale ne saurait empêcher d'écarter la soumission à des horaires d'intervention. La deuxième chambre civile prend également soin de rappeler que les enseignements étaient dispensés dans les locaux du CRFPA.
Le CRFPA avançait, ensuite, un argument relatif au contenu des enseignements. En effet, selon lui, les enseignants étaient "totalement libres et indépendants dans la définition du contenu de leur enseignement". Renvoyant à la liberté d'enseignement, l'argument pouvait, à première vue, paraître convaincant et attrayant mais il semble, en réalité, très excessif : comment soutenir que les enseignants chargés de préparer leurs étudiants au passage d'un examen précis sont totalement libres et indépendants dans la définition du contenu de leur enseignement ? Certes, l'enseignant reste libre dans les modalités de délivrance de son enseignement, dans ses options pédagogiques, mais le programme de cet enseignement est, lui, assez strictement encadré. Il n'est guère permis de douter qu'une trop grande liberté et indépendance (sic) conduiraient à des réactions des étudiants et, rapidement, du centre. La deuxième chambre civile ne manque pas de le souligner, en relevant que les fonctionnaires, magistrats ou universitaires "étaient contraints de respecter un programme défini par matière".
Le troisième argument du CRFPA contestait l'existence d'un pouvoir disciplinaire à l'égard des enseignants. Plus précisément, le CRFPA estimait qu'à ce propos, la cour d'appel s'était contentée d'un motif hypothétique en ne retenant que l'éventualité de sanctions au cas où les intervenants ne respecteraient pas le contenu de l'enseignement ou les horaires, "sans toutefois caractériser effectivement l'exercice par le Centre d'un quelconque pouvoir hiérarchique, et encore moins disciplinaire". L'argumentation était astucieuse : on sait que, classiquement, l'un des éléments de définition de la subordination juridique réside dans la possibilité, pour l'employeur, d'exercer un pouvoir disciplinaire, c'est-à-dire de sanctionner les manquements fautifs du salarié à ses obligations. Ainsi, en l'absence d'un tel pouvoir, l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale peut être discuté. Mais, la condition posée par la jurisprudence, à cet égard, ne réside pas dans l'exercice effectif d'un tel pouvoir : en effet, cette dernière considère que c'est la possibilité de l'exercice d'un tel pouvoir qui seule importe. Or, même si une procédure disciplinaire spécifique n'est pas prévue, il ne fait guère de doute que l'enseignant ne respectant pas les horaires fixés ou les programmes pourrait voir sa collaboration aux activités du Centre remise en cause. En l'espèce, la deuxième chambre civile estime l'argument surabondant, mais dans une affaire concernant une école de notariat, la Chambre sociale a eu l'occasion de rappeler que "même si le contrôle de l'établissement ne s'exerçait que d'une manière occasionnelle, voire théorique, sur l'activité des enseignants, celle-ci n'échappait pas à tout droit de regard de l'école, dont le conseil d'administration avait toute latitude pour mettre fin aux fonctions d'un intervenant qui ne respecterait pas dans son enseignement le programme national" (Cass. soc., 18 octobre 1990, n° 88-12.363, Ecole de notariat de Lyon et autres c/ Caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPAM) de Lyon N° Lexbase : A4333ACH). La réunion des conditions de fait justifiant un assujettissement au régime général de la Sécurité sociale ne faisait guère de doute en l'espèce, notamment au regard d'une jurisprudence assez bien établie à propos des professeurs ou formateurs occasionnels. Mais une autre donnée aurait pu interférer sur l'issue du litige : celle de la qualité professionnelle des intervenants. 2. L'incidence de la qualité professionnelle des intervenants On l'a dit, le litige portait, ici, sur le cas d'intervenants fonctionnaires, magistrats ou universitaires. En l'espèce, la qualité professionnelle des intervenants n'est pas mise en avant par le CRFPA, mais elle peut, parfois, influer sur les litiges similaires à celui commenté en l'espèce. En effet, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que les avocats exerçant une activité d'enseignement professionnel et de formation, dans les centres de formation professionnelle des avocats, ne devaient pas être assujettis au régime général de la Sécurité sociale, cette activité constituant une obligation liée aux activités de la profession, imposée dans l'intérêt supérieur de celle-ci, et ne pouvant donc être exercée qu'à titre libéral (v., notamment, Cass. soc., 16 novembre 1988, n° 86-11.957, Caisse primaire d'assurance maladie de Paris c/ Centre de formation professionnelle des barreaux du ressort, publié N° Lexbase : A3922AGD). Il convient de remarquer que la Cour de cassation retient la même solution pour les autres professions juridiques ou judiciaires. Ainsi, la Chambre sociale a jugé que des notaires exerçant des activités d'enseignement au sein d'un centre de formation professionnelle notariale ne sauraient relever du régime général de la Sécurité sociale (v., notamment, Cass. soc., 6 octobre 1994, n° 92-12.164, Urssaf de la Côte-d'Or c/ Centre de formation professionnelle notariale de Dijon N° Lexbase : A0958AB4). Dans tous ces cas, l'absence d'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale est retenue sur le fondement des règles présidant à l'exercice de chacune des professions et, notamment, celle qui prévoit que les centres de formation professionnelle fonctionnent par la collaboration de la profession, collaboration qui constitue une obligation liée aux autres activités de la profession. On remarquera, d'ailleurs, que la Cour de cassation retient, au contraire, l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale des notaires exerçant des fonctions d'enseignement au sein des écoles de notariat, établissements distincts des centres de formation professionnelle des notaires (v., notamment, Cass. soc., 18 octobre 1990, n° 88-12.363, Ecole de notariat de Lyon et autres c/ Caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPAM) de Lyon N° Lexbase : A4333ACH). En revanche, et assez logiquement, les membres d'une profession juridique ou judiciaire exerçant une activité d'enseignement dans un centre de formation professionnelle relevant d'une autre profession que la leur sont assujettis au régime général de la Sécurité sociale, leur activité d'enseignement ne correspondant alors pas à une obligation issue du statut de leur profession. Sur le fondement d'un raisonnement très voisin, le cas des fonctionnaires est traité de la même manière par la Cour de cassation. En effet, cette dernière retient, depuis longtemps, que les fonctionnaires, magistrats ou universitaires, sont assujettis au régime général de la Sécurité sociale pour leurs activités d'enseignement (sous réserve du respect des conditions de fait d'assujettissement) au sein des centres de formation professionnelle des professions juridiques ou judiciaires (en ce sens, v., notamment, Cass. soc., 18 octobre 1990 et Cass. soc., 6 octobre 1994, précités). Cette dernière décision apporte quelques précisions d'importance : le fait que les centres de formation professionnelle en cause soient des établissements d'utilité publique placés sous l'autorité du Garde des Sceaux ne permet pas de les assimiler à des établissements publics. 3. La participation aux jurys d'examen Le CRFPA de Pau faisait, enfin, grief à la cour d'appel de Pau d'avoir dit que les membres des jurys d'examen devaient être assujettis au régime général de la Sécurité sociale. La réponse de la deuxième chambre civile est, sur ce point, purement procédurale. Constatant que l'Urssaf des Pyrénées-Atlantiques ne poursuivait pas le recouvrement de cotisations sociales afférentes aux rémunérations des membres des jurys d'examen, la Cour de cassation énonce que la cour d'appel de Pau ne pouvait statuer de ce chef. Cependant, la deuxième chambre civile déclare le moyen irrecevable. En effet, elle rappelle que le prononcé sur des choses non demandées ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation, mais seulement une irrégularité relevant des articles 463 (N° Lexbase : L2702ADG) et 464 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2703ADH). Même si la deuxième chambre civile n'a pas eu l'occasion de le faire en l'espèce, rappelons qu'à propos des membres de jurys d'examen, la Cour de cassation a déjà été amenée à statuer. Ainsi, dans une décision relative aux membres d'un jury d'examen sanctionnant la formation délivrée au sein d'un centre de formation professionnelle notariale, la Chambre sociale a retenu que ces personnes sont désignées conjointement par le Premier président de la cour d'appel et le Procureur général, que leur intervention est occasionnelle et que, tant le programme que les modalités de l'examen, sont fixés par une autre autorité que le centre, ce qui conduit à considérer que la participation à ce jury est exclusive de tout lien de subordination vis-à-vis du centre (v. Cass. soc. 6 octobre 1994, précité). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:86087