Réf. : CJCE, 9 février 2006, aff. jointes C-226/04 et C-228/04, La Cascina Soc. coop. arl, Zilch c/ Ministero della Difesa,e.a. et Consorzio G. f. M c/ Ministero della Difesa, La Cascina Soc.coop. arl (N° Lexbase : A7246DMC)
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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
I. Le pouvoir de l'Etat d'assouplir les critères d'exclusion
La Cour de justice estime, d'abord, que, dans la mesure où l'article 29 de la Directive 92/50/CEE précitée utilise l'expression "ne pas avoir rempli ses obligations", il revient à l'Etat de préciser le contenu et la portée des obligations en question et les conditions de leur accomplissement. En effet, la Directive laisse aux Etats le pouvoir de ne pas appliquer ces causes d'exclusion ou de les interpréter de manière plus souple et, ainsi, d'admettre plus largement la participation des entreprises aux procédures de passation. Cela ne signifie pas, pour autant, que la marge de manoeuvre des Etats soit totale.
Bien évidemment, les Etats n'ont pas le pouvoir de prévoir d'autres causes d'exclusion que celles prévues par la Directive. Surtout, si les Etats ont la faculté de ne pas appliquer ces critères d'exclusion ou de les assouplir, ils restent tenus par les principes communautaires de transparence et d'égalité qui s'appliquent indépendamment de l'existence, ou non, d'une Directive (CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-470/99, Universale-Bau AG, e.a. c/ Entsorgungsbetriebe Simmering GmbH N° Lexbase : A3727A4S, Rec., p. I-11617). Mais n'y a-t-il pas, alors, une certaine contradiction dans le raisonnement de la Cour de justice, dans la mesure où l'exclusion des entreprises "mauvais payeurs" a, justement, dans le droit des marchés publics, pour objectif de garantir le principe d'égalité en évitant qu'elles tirent un avantage concurrentiel du non-paiement des impôts ou des cotisations sociales ?
De ce premier pouvoir reconnu à l'Etat découle celui de déterminer le moment auquel l'entreprise doit s'être acquittée de ses obligations.
II. Le pouvoir de l'Etat de déterminer le moment auquel l'entreprise doit s'être acquittée de ses obligations
Puisque le législateur communautaire n'a pas entendu définir la formule "avoir rempli ses obligations", "il appartient donc aux règles nationales de déterminer jusqu'à quel moment ou dans quel délai les intéressés doivent avoir effectué les paiements correspondant à leurs obligations" (n° 31), étant entendu que, pour satisfaire aux exigences du principe de transparence, ces règles doivent être clairement définies à l'avance.
Les articles 43 et 44-1 précités du Code des marchés publics prévoient, pour leur part, que les entreprises candidates doivent, au 31 décembre de l'année précédent le lancement de la consultation, avoir payé leurs impôts, leurs cotisations ou bien encore leur contribution aux fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés. Sont également considérées en situation régulière, les personnes qui se sont acquittées de leur obligation avant la date du lancement de l'opération, en l'absence de toute mesure coercitive de recouvrement, ou qui ont constitué des garanties suffisantes.
Reste, toutefois, à déterminer si la Cour de justice entend admettre la possibilité d'une régularisation a posteriori.
III. La faculté reconnue à l'entreprise de régulariser a posteriori sa situation
La Cour estime, d'abord, qu'un simple début de paiement, la preuve de l'intention de payer ou la preuve de la capacité de régularisation ne sont pas suffisants car serait alors méconnu le principe d'égalité entre les soumissionnaires.
Toutefois, l'entreprise peut être admise à concourir si elle bénéficie d'une mesure d'amnistie, de clémence fiscale ou bien encore d'un arrangement administratif qui lui fait bénéficier d'un échelonnement ou d'un allégement de dettes. La preuve d'une telle situation doit toutefois être rapportée avant la date limite fixée pour le paiement des impôts et cotisations. De manière analogue, le tribunal administratif de Lyon avait jugé, sous l'empire de l'ancien Code des marchés publics, que la candidature ou l'offre ne peut être prise en considération qu'à la condition formelle que ces attestations aient été produites, au plus tard, le jour de la date limite de remise des candidatures ou des offres (TA Lyon, 6 février 2005, n° 39-02-01).
Enfin, la Cour reconnaît que l'Etat a la faculté de déterminer si l'introduction d'un recours contre les constatations des autorités compétentes en matière fiscale ou sociale a pour effet d'obliger le pouvoir adjudicateur à considérer que l'entreprise est en règle avec ses obligations. Il faut évidemment que ce recours soit intenté avant la date limite fixée pour le paiement des impôts et cotisations. Mais la Cour admet que l'Etat ne peut pas totalement méconnaître les effets d'un tel recours, sauf à violer le droit au juge qui est un droit fondamental protégé par l'ordre juridique communautaire et qui s'impose aux Etats. On ne saurait être moins clair !
Bref, dans cet arrêt, la Cour s'efforce de concilier les exigences communautaires en matière de marchés publics et la marge de manoeuvre des Etats dans les domaines de la fiscalité et des cotisations sociales. Les réponses apportées ne sont donc pas toujours très nettes. Le souci de l'équilibre ne doit pas conduire au jugement de Salomon...
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