Réf. : Cass. soc., 15 mars 2006, n° 03-48.027, Société Extand c/ M. René Omarini, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6042DN4)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 15 mars 2006, n° 03-48.027, Société Extand c/ M. René Omarini, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6042DN4) Cassation partielle (cour d'appel, Aix-en-Provence, 9ème chambre, sect. B, 27 octobre 2003) Textes visés : articles 28-I et 30-II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail (N° Lexbase : L0988AH3) Mots clefs : accord de réduction du temps de travail, loi "Aubry I" du 13 juin 1998, sécurisation des accords par la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000, salarié refusant la modification de sa rémunération contractuelle, licenciement pour motif personnel. Lien base : |
Résumé
L'article 30-II de la loi du 19 janvier 2000, qui impose de considérer le licenciement de salariés qui refusent la modification de leur contrat de travail consécutive à l'application d'un accord de réduction du temps de travail, s'applique, y compris à des accords conclus sous l'empire de la loi du 13 juin 1998, dès lors que les stipulations de l'accord sont conformes aux dispositions de la loi du 19 janvier 2000. |
Faits
M. Omarini, qui avait été engagé, le 8 juillet 1988, par la société Extand en qualité de responsable d'exploitation, a été licencié, le 20 décembre 1999, pour le motif suivant : "refus de la modification de votre contrat de travail (diminution de salaire) qui vous a été proposée suite à l'accord 35 heures du 25 juin 1999, intervenu dans notre entreprise du fait de la loi du 13 juin 1998, la participation financière demandée étant nécessaire à l'équilibre financier de l'accord". Il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement, notamment, d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires et d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour condamner l'employeur à payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt attaqué énonce que l'accord de réduction du temps de travail se plaçait sous l'égide de la loi du 13 juin 1998 encore applicable, laquelle n'édicte aucune règle spécifique applicable au cas de refus d'un salarié d'accepter une baisse de son salaire convenue par un accord de réduction du temps de travail. Dès lors, la loi du 19 janvier 2000 n'étant pas applicable, le juge doit fonder sa décision sur les autres textes existants et applicables aux faits de l'espèce. La lettre de licenciement fixe les limites du débat ; la société s'est placée dans le cadre d'un licenciement pour motif économique et le licenciement pour refus de modification du contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse, l'employeur n'invoquant ni ne démontrant la nécessité de maintenir la compétitivité de l'entreprise dans son secteur d'activité, aucune difficulté économique ou mutation technologique ou nécessité de procéder à une restructuration n'étant énoncée dans la lettre de licenciement dont la motivation est par ailleurs imprécise et aucune tentative de reclassement préalable au licenciement n'ayant été effectuée par l'employeur. |
Solution
1. "Vu les articles 28-I et 30-II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000". 2. "Selon l'article 30-II de la loi du 19 janvier 2000, lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail en application d'un accord de réduction de la durée du travail, leur licenciement est un licenciement individuel ne reposant pas sur un motif économique et est soumis aux dispositions des articles L. 122-14 à L. 122-17 du Code du travail ; [...] en vertu des dispositions combinées des articles 28-I et 30-II de la même loi, ce texte est applicable à tout licenciement résultant d'un accord de réduction du temps de travail, que celui-ci ait été conclu en application de la loi du 13 juin 1998 ou de la loi du 19 janvier 2000, à condition que les stipulations de l'accord soient conformes aux dispositions de cette dernière". 3. "En statuant comme elle l'a fait, alors que le licenciement du salarié était consécutif à son refus de la réduction de 2 % de sa rémunération, modification du contrat de travail prévue par l'accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail du 25 juin 1999, la cour d'appel a violé les textes susvisés". 4. "Casse et annule mais seulement en ce qu'il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 27 octobre 2003, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée". |
Commentaire
1. La sécurisation des accords de réduction du temps de travail conclus sous l'empire de la loi "Aubry I"
La loi du 13 juin 1998 (loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH) a programmé la réduction de la durée légale du travail dans les entreprises à compter du 1er janvier 2000, pour les entreprises de plus de vingt salariés, et du 1er janvier 2002 pour les entreprises de vingt salariés et moins. Sauf pour ce qui concerne les salariés payés au Smic, pour lesquels la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 a prévu le maintien des rémunérations antérieures par le biais d'une garantie mensuelle de rémunération, le législateur n'a pas imposé le maintien des salaires en dépit de la réduction de la durée légale de travail. Mais pour inciter les entreprises à assurer le maintien de ces rémunérations, la loi a prévu un dispositif économiquement et juridiquement incitatif. Sur le plan économique, la loi a permis aux entreprises qui décidaient de mettre en oeuvre la réforme par le biais conventionnel de bénéficier d'exonérations de charges sociales destinées à compenser très largement l'abaissement de la durée du travail, et ce afin de favoriser le maintien des rémunérations. Sur un plan juridique, la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 a permis aux entreprises d'échapper aux conséquences les plus gênantes d'un éventuel refus opposé par des salariés à une diminution, soit de leur temps de travail contractuel, soit de leur rémunération contractuelle. S'agissant de la réduction de la durée contractuelle, celle-ci a été considérée par l'article 30-I de la loi du 19 janvier 2000 comme ne constituant pas une modification du contrat de travail, dès lors qu'elle ne serait assortie de la modification d'aucun autre élément essentiel du contrat de travail (C. trav., art. L. 212-3 du Code du travail N° Lexbase : L7966AIU : "la seule diminution du nombre d'heures stipulées au contrat, en application d'un accord de réduction de la durée du travail, ne constitue pas une modification du contrat"). Dans l'hypothèse où la réduction de la durée contractuelle du travail s'accompagnerait de la modification d'un autre élément essentiel du contrat de travail, et on pensera ici logiquement à une réduction de la rémunération contractuelle, la loi du 19 janvier 2000 épargne à l'entreprise la mise en place d'un licenciement pour motif économique et, singulièrement, d'un plan de sauvegarde de l'emploi, en qualifiant ces licenciements de licenciements pour motif personnel soumis aux seules dispositions du livre I du Code du travail (art. 30-II). Ce double dispositif présente un intérêt dans la mesure où il déroge au régime général et prétorien de la modification du contrat de travail. On sait, en effet, que la modification de la durée contractuelle du travail constitue, en principe, une modification du contrat de travail que le salarié est donc en droit de refuser, et que le licenciement de salariés qui s'opposent à la modification de leur contrat de travail, proposée pour faire face à des difficultés économiques, des mutations technologiques ou pour assurer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, est soumis aux règles et procédures du licenciement pour motif économique.
Il est donc particulièrement important de circonscrire le champ d'application temporel de l'article 30, issu de la loi du 19 janvier 2000 et, singulièrement, de déterminer si cette loi s'applique à des accords de réduction du temps de travail conclus avant l'entrée en vigueur de la loi. Un premier constat s'impose. L'article 30 en cause ne précise pas à quels accords il s'applique et la logique voudrait qu'il ne fasse référence qu'aux accords conclus sur le fondement de la loi nouvelle et non sur le fondement de la loi "Aubry I". C'est précisément pour assurer la stabilité des situations juridiques que la loi du 19 janvier 2000, comme l'a fait également la loi du 17 janvier 2003 (art. 16) (loi n° 2003-47, 17 janvier 2003, relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi N° Lexbase : L0300A9Y), a pris soin d'inscrire, dans son article 28, deux principes de sécurisation des accords "Aubry I", de telle sorte que ces accords puissent être valablement réputés conclus par application de la loi nouvelle et ouvrir, ainsi, droit à l'ensemble des droits et avantages nouvellement mis en place. Le I de ce texte valide les accords de réduction du temps de travail "Aubry I" qui seraient contraires à cette loi mais qui seraient conformes à la loi "Aubry II". Il s'agit, ici, d'accords ayant anticipé sur la réforme, ce qui était, d'ailleurs, encouragé par les pouvoirs publics qui comptaient bien sur les expérimentations conventionnelles pour préparer la nouvelle loi. Le II de ce texte assure, pour sa part, la survie des accords conformes à la loi "Aubry I" mais contraires à la loi "Aubry II", à l'exception toutefois des clauses contraires aux dispositions des articles L. 212-5 (N° Lexbase : L3815DCB) et L. 212-5-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3823DCL) issus de l'article 5 de la loi du 19 janvier 2000 (régime des heures supplémentaires). C'est bien l'application de cet article 28-I qui justifie, ici, la solution, irréprochable sur le plan juridique. 2. L'application immédiate de la loi du 19 janvier 2000
Dans cette affaire, l'entreprise avait conclu un accord "Aubry I" qui avait anticipé sur les évolutions à venir, consacrées par la loi "Aubry II". Cet accord faisait partie des 15 % n'ayant pas maintenu les rémunérations antérieures, puisqu'il prévoyait une réduction de 2 % de la rémunération des salariés. L'un d'entre eux avait donc opposé son contrat de travail à l'employeur et refusait cette modification de sa rémunération contractuelle. Il avait, alors, été licencié par application des dispositions de l'article 30-II de la loi du 19 janvier 2000, c'est-à-dire selon la procédure applicable aux licenciements pour motif personnel. Or, c'est l'applicabilité de ces dispositions que contestait le salarié ; il prétendait que le droit commun devait s'appliquer et que l'employeur aurait dû procéder à un licenciement pour motif économique. Comme il ne l'avait pas fait, il devait donc être considéré comme ayant été licencié sans procédure et réclamait des dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse. L'argument, qui avait convaincu les juges du fond, se heurte à la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse, sur ce point, au double visa des articles 28-I et 30-II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 et affirme, au contraire, que l'employeur avait eu raison de faire application de la procédure particulière prévue par l'article 30-II de la loi du 19 janvier 2000.
La solution doit être en tout point approuvée, que l'on considère tant le principe de sécurisation des accords, de l'article 28, que les règles applicables au licenciement des salariés ayant refusé une modification de leur contrat de travail de l'article 30. En premier lieu, la Cour de cassation fait, ici, produire son plein effet au principe de sécurisation des accords "Aubry I". Elle respecte, ainsi, la volonté du législateur mais assure, également, la continuité de l'application des conventions collectives en dépit du changement rapide de législation. Rappelons-le, l'article 28-I était destiné à conforter les accords d'anticipation conclus sous l'empire de la loi "Aubry I" ; il semblerait, par conséquent, injuste que les partenaires sociaux aient été invités à anticiper sur la loi à venir et qu'ils soient, ensuite, indirectement sanctionnés en voyant leurs efforts ruinés par l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. En second lieu, l'application immédiate de l'article 30-II sauvegarde les intérêts de l'entreprise qui se trouve légalement dispensée de mettre en oeuvre les procédures du livre III du Code du travail. Ce faisant, elle démontre que le salarié qui refuse que lui soient appliquées les dispositions d'un accord de réduction du temps de travail, sous prétexte qu'il s'agirait d'une modification de son contrat de travail, gêne considérablement le processus initié dans l'entreprise de passage "collectif" aux 35 heures. En refusant la modification de son contrat de travail, le salarié limite, ainsi, la portée de l'accord de réduction du temps de travail pour des raisons essentiellement égoïstes. Il n'est, alors, pas choquant que son licenciement soit prononcé pour motif personnel, et non pour motif économique. |
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