La lettre juridique n°207 du 23 mars 2006 : Fiscalité des entreprises

[Textes] PME et imposition des résultats : règle de l'Etat de résidence ou "Home State Taxation"

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par Roland Walter, Professeur associé à l'ESSEC et ancien responsable fiscal d'Air France

le 07 Octobre 2010

Depuis 1957, des avancées fiscales...

Le Traité de Rome aura bientôt 50 ans, d'autres traités ont suivi : Maastricht, Amsterdam, Nice, etc. Où en est la fiscalité ? Des règles communes pour la TVA, avec des aménagements de la sixième Directive (N° Lexbase : L9279AU9) et des projets (règle du guichet unique, modifications de la Directive (CE) 77/799 du Conseil du 19 décembre 1977 concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs de certains droits d'accises et des taxes sur les primes d'assurance N° Lexbase : L9296AUT), quelques dispositions pour les entreprises en matière d'impôts directs (régime mère/filiale, fusions, scissions, apports partiels d'actifs, convention d'arbitrage), aucune avancée en matière d'impôt sur le revenu.
Il est vrai que la règle de l'unanimité, que la plupart des Etats ne veulent pas abandonner pour un vote à la majorité qualifiée, ne facilite pas le travail de la Commission. Ces mesures ont-elles profité aux PME, leur ont-elles permis de s'ouvrir au marché européen ? Mais, pour la fiscalité des PME...

Dans sa communication du 23 décembre 2005 au Parlement européen et au Conseil économique et social européen (Lutte contre les obstacles liés à la fiscalité des sociétés qui affectent les petites et moyennes entreprises dans le marché intérieur - Description d'un éventuel système pilote d'imposition selon les règles de l'Etat de résidence, 23 décembre 2005, COM (2005) 702), la Commission insiste sur le rôle des PME sur le plan économique et sur les freins ayant pour origine la fiscalité : "le problème fondamental est, qu'alors que les PME jouent un rôle prépondérant dans le développement économique de l'Union européenne, leur participation au marché intérieur est considérablement inférieure à celle des entreprises de plus grande taille et ce, notamment, pour des raisons fiscales. Cette situation est source d'inefficacité économique et, par voie de conséquence, réduit le potentiel de l'UE en matière de croissance et de création d'emplois". Toutefois, des actions ont été conduites par la Commission sur les problèmes transfrontaliers, telles que la transmission des PME ou la mise en place prochainement du système de "guichet unique" appelé à faciliter les opérations intracommunautaires en matière de TVA. Néanmoins, il manque un régime adapté pour ces entreprises concernant l'impôt sur les sociétés, leur permettant d'opérer à l'intérieur de l'espace communautaire.

Les freins de nature fiscale...

La législation fiscale communautaire comporte encore de nombreuses lacunes, lesquelles handicapent le développement intracommunautaire des entreprises. Certes, ces difficultés existent pour toutes les entreprises, mais les grandes entreprises arrivent plus facilement à contourner ces obstacles fiscaux. Comme le souligne la Commission dans sa communication de décembre 2005, "les entraves fiscales ont, toutefois, souvent une incidence plus importante sur les PME du simple fait que ces entreprises ont une activité plus réduite et disposent de ressources financières et humaines plus faibles, ainsi que d'une expertise moindre dans le domaine fiscal. Le caractère limité de leur activité restreint, donc, par définition, leurs possibilités de contourner certains obstacles liés à la fiscalité". Ce qui gêne particulièrement les PME, ce sont les coûts de mise en conformité associés à la nécessité de gérer jusqu'à 25 systèmes d'imposition différents, les prix de transfert, l'application des conventions fiscales, ainsi que l'absence de compensation transfrontalière des pertes. A ces questions purement fiscales s'ajoutent les difficultés de financement par des banques, ou établissements financiers, en présence de pertes étrangères non compensables et l'existence, en droit interne, de régimes forfaitaires ou de méthodes simplifiées de détermination des bénéfices, non disponibles pour des entreprises exerçant leur activité depuis un autre Etat membre. L'ensemble n'encourage pas une petite entreprise à aller affronter un marché extérieur.

1. PME : imposition dans l'Etat de résidence ou "Home State Taxation" ("HST")

Pour les grandes entreprises, la Commission travaille sur un système de consolidation des résultats, qui implique des règles communes d'imposition. Mais, sa mise en place ne sera pas immédiate.

S'agissant des PME, la Commission envisage un autre concept, au moins à titre temporaire, conçu dès 2001, par deux universitaires, les Professeurs Malcolm Gammie et Sven-Olof Lodin, concept repris et approfondi par les techniciens de TAXUD (Taxation et Union douanière) : le "Home State Taxation" ou "l'imposition selon l'Etat de résidence". La Communication de décembre 2005 en donne la définition suivante : "le concept d'imposition selon les règles de l'Etat de résidence repose sur l'idée d'une reconnaissance volontaire des règles fiscales. Il signifie que les bénéfices d'un groupe de sociétés exerçant des activités dans plus d'un Etat membre sont calculés selon les règles d'un seul régime d'imposition des sociétés, à savoir celui de l'Etat de résidence de la société mère ou du siège social du groupe (sociétés principales). Les PME désireuses de créer une filiale ou un établissement stable dans un autre Etat membre auraient, donc, la possibilité de se conformer uniquement aux règles fiscales qui leur sont, déjà, familières [...] ; en conséquence, le concept pourrait utilement être mis à l'essai dans le cadre d'un système pilote réservé aux PME intéressées et aux Etats membres ayant des assiettes fiscales comparables". Les Etats membres souhaitant mettre en application, dans un système pilote, cette nouvelle structure d'imposition pourraient, tout en limitant les risques de pertes en matière de recettes budgétaires, recourir à un accord bilatéral ou multilatéral, de préférence complétant les conventions fiscales existantes, ou créer une nouvelle convention multilatérale.

1.1. Système pilote, modalités d'imposition

Les règles d'imposition des PME selon le principe de l'Etat de résidence pourraient être appliquées à titre expérimental et de manière optionnelle pendant cinq ans, de 2007 à 2011, au sein d'un système pilote. Ce projet, déjà, conçu en 2003 a été revu et approfondi à ce jour. Les règles en seraient complexes :

- on entendrait par "Etat de résidence" le pays dans lequel la société mère directe ou indirecte ou la société à laquelle l'établissement stable appartient (siège social), selon le cas, a sa résidence fiscale ;
- l'"Etat d'accueil" serait celui où la filiale a sa résidence fiscale ou celui dans lequel l'établissement stable est situé ;
- le "groupe de l'Etat de résidence" serait le groupe de sociétés ou la société avec des établissements stables participant au système pilote ;
- la "société principale" serait celle qui dirige le groupe de l'Etat de résidence responsable du fonctionnement du système pilote ;
- la définition des PME serait celle retenue habituellement au niveau communautaire selon le nombre de salariés, le chiffre d'affaires et/ou le total du bilan ;
- le système pilote ne devrait retenir que les petites et moyennes entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés ;
- il est improbable que les PME, dont le siège social est situé dans un pays tiers, souhaiteraient participer au système pilote, de même que les PME possédant des participations indirectes dans d'autres PME via des pays tiers ;
- les Etats membres pourraient inclure dans le projet les sociétés de personnes et les entreprises individuelles opérant à l'échelle internationale, de même que les sociétés hybrides ou transparentes, mais cela ne paraît pas souhaitable car pouvant conduire à des opinions divergentes quant à l'application des conventions fiscales. Dans tous les cas, "seules les sociétés de personnes exerçant des activités commerciales lucratives devraient être autorisées à participer au système pilote" ;
- l'"Etat de résidence d'un groupe de PME" serait celui dans lequel la société principale a sa résidence fiscale ; en cas de doute ou de double résidence, on retiendrait le siège de direction effective ou le centre de direction et de contrôle. En cas de difficulté, les administrations fiscales devraient s'entendre pour déterminer l'Etat de résidence. Les règles d'imposition des sociétés de l'Etat de résidence s'appliqueraient à la société principale, à ses filiales et aux établissements stables situés dans les Etats membres participants ;
- les sociétés principales participant au système pilote ne pourraient choisir, dans les Etats membres du périmètre retenu, les filiales ou les établissements stables éligibles qui feraient partie du groupe de l'Etat de résidence : ces structures seraient toutes retenues ou ne le seraient pas ;
- pour participer au système pilote, les entreprises existantes devraient avoir leur résidence fiscale dans l'Etat de résidence depuis au moins deux ans ;
- les dépassements du chiffre d'affaires fixant le seuil de PME, les fluctuations inhabituelles de celui-ci, un changement dans l'actionnariat, les fusions-acquisitions qui n'affectent pas les éléments fondamentaux du système pilote, ne devraient pas remettre en cause nécessairement la participation au système pilote, mais tout changement de l'Etat de résidence d'une société participante pourrait être impossible pendant la période d'application du système pilote et le transfert de la résidence fiscale de la société principale devrait entraîner la fin de sa participation ;
- si les exercices fiscaux de la société principale ne coïncident pas avec ceux d'un membre du groupe de l'Etat de résidence, la société principale devrait tenir la comptabilité nécessaire pour que les administrations fiscales puissent évaluer la demande de participation ;
- toutes les opérations effectuées à l'intérieur du groupe de l'Etat de résidence entre la société principale, ses filiales, ses établissements stables ou des membres du groupe comme des apports d'actifs, devraient être traitées conformément aux règles fiscales nationales de l'Etat de résidence.

1.2. "HST", système pilote, calcul et répartition des bénéfices

Le système pilote ne porterait que sur les impôts sur les sociétés. La TVA, les droits d'accise, l'ISF, les droits de succession, les impôts locaux ne seraient pas retenus dans le schéma. "Le système pilote ne doit avoir aucune influence indirecte sur la perception des autres impôts autres que l'impôt sur les sociétés". Si des difficultés apparaissaient au niveau du calcul de l'impôt dans l'Etat de résidence, une comptabilité spécifique devrait être tenue au niveau de l'Etat d'accueil. On peut retenir, à titre d'exemple, les avantages extra-salariaux comme les avantages en nature conduisant à des sur-impositions ou à des sous-impositions.

Par ailleurs, tous les secteurs d'activité ne pourraient entrer dans le champ d'application du système pilote, soit parce que les PME dans ces secteurs seraient peu nombreuses, soit parce qu'ils seraient encore exclusivement nationaux. La Commission propose de ne pas accueillir, lorsque les groupes de l'Etat de résidence réalisent plus de 10 % de leur chiffre d'affaires dans les transports maritimes, les secteurs des services financiers, des banques et des assurances, d'exploitation et du commerce de gaz et de pétrole, ainsi que celui des activités agricoles (sylviculture et pêche comprises).

En outre, lorsque la société principale aura déterminé le bénéficie global du groupe, la répartition entre les différentes unités interviendrait en fonction des critères suivants : masse salariale, nombre de salariés, chiffre d'affaires, les actifs, et ce pour les bénéfices comme pour les pertes. "Il est recommandé d'utiliser la part de chaque Etat membre concerné dans la masse salariale totale (50 %) et dans le chiffre d'affaires global (50 %) de l'entreprise participante comme formule de répartition".

Enfin, les règles anti-abus des Etats des différents membres du groupe resteraient applicables à l'égard des Etats membres non participants et des pays tiers.

1. 3. "HST" et opérations internationales

Les dispositions des conventions fiscales signées par les différents membres du groupe de l'Etat de résidence ne devraient pas s'appliquer aux opérations effectuées entre les membres de ce groupe. En revanche, elles devraient continuer de s'appliquer "aux aspects du traitement fiscal qui ne sont pas concernés par le système pilote". En fait, les membres d'un groupe participant au système pilote "devraient se voir appliquer la convention fiscale de leur Etat d'accueil, mais pour leurs revenus imposables établis selon les règles de l'Etat de résidence".

Les revenus de source étrangère des membres du groupe générés dans des pays tiers ou dans des Etats membres ne participant pas au système pilote devraient être pris en compte selon les règles normales. Aussi, ils devraient être ajoutés aux revenus du membre du groupe concerné après répartition de la base d'imposition. 

Dans certaines hypothèses, des problèmes d'application des clauses de non-discrimination des conventions en matière de double imposition, tant à l'égard des Etats membres non participants qu'à l'égard des pays tiers devraient se poser, étant donné que les entreprises d'un même Etat devraient faire l'objet d'un traitement différent selon qu'elles participent ou non au système pilote. Leur résolution exigerait un accord formel avec chaque signataire des conventions concernée quant à l'interprétation de cette clause dans le contexte du système pilote.

Les règles nationales relatives à la fixation des prix de transfert ne devraient plus s'appliquer au sein du groupe de l'Etat de résidence. En effet, celui-ci devrait se voir appliquer les règles de l'Etat de résidence, y compris dans les autres Etats membres concernés.

Quant aux retenues à la source, aux paiements de dividendes et aux procédures associées pour des opérations effectuées entre membres du groupe de l'Etat de résidence, ce sont les règles de cet Etat qui devraient s'appliquer à tous les membres du groupe. Pour les dividendes payés à des actionnaires minoritaires, on devrait appliquer les règles de l'Etat d'accueil.

2. Mise en place du système pilote

La Commission privilégie le mécanisme des conventions fiscales pour la mise en place du système pilote. Les Etats membres impliqués devraient engager des négociations pour élaborer et conclure des accords bilatéraux ou, de préférence, multilatéraux. Les accords bilatéraux pourraient prendre la forme d'un protocole additionnel à la convention fiscale applicable en matière de double imposition et les accords multilatéraux devraient être conclus dans le cadre d'une convention intergouvernementale. Les Etats, s'ils le souhaitent, pourraient, aussi, bénéficier de l'aide de la Commission ou de l'assistance du programme "Fiscalis".

La société principale devrait faire uniquement une déclaration dans l'Etat de résidence pour le groupe. Les administrations des autres Etats concernés devraient recevoir des copies de cette déclaration avec les annexes utiles (bilans, comptes de résultats, etc.). L'essentiel de la charge administrative reposerait, ainsi, sur la société principale. La supervision du système pilote seraient celles de l'assistance mutuelle et de la coopération administrative dans l'UE.

Le système pilote devrait, à titre expérimental avoir une durée de cinq ans (peut-être du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011). La participation d'une société devrait l'engager pour la totalité de cette période de cinq ans.

Dans sa communication de décembre 2005, la Commission précise que le Parlement européen s'est montré favorable à l'idée de l'imposition selon les règles de l'Etat de résidence, l'invitant à développer le concept. Le Conseil économique et social européen a indiqué que le projet pilote serait une solution pour les activités transfrontalières des PME.

Pendant l'été 2004, un questionnaire a été envoyé aux entreprises intéressées dans les différents Etats membres. Un compte rendu sommaire a été publié le 18 janvier 2005. "[...] Les réponses ont révélé que les PME de l'UE soutiennent cette initiative et sont très intéressées par une participation à ce système pilote éventuel. Cependant, compte tenu du faible taux de réponse à ce questionnaire, les résultats ne peuvent être considérés comme étant significatifs d'un point de vue statistique". En effet, d'après les résultats communiqués par TAXUD, on a : 168 réponses pour l'Allemagne, 8 pour la Pologne, 1 pour le Danemark, la France, le Luxembourg, la Slovaquie, le Royaume-Uni et un pays tiers sans référence. Aucune réponse pour la Suède, la Finlande, l'Espagne, la Grèce et les nouveaux Etats membres : l'Estonie, Chypre, la Hongrie, etc. A la question "souhaitez-vous participer au système pilote ?" : 99 réponses positives, 91 négatives. Quant aux réponses en fonction de la taille de l'entreprise : 63 étaient des entreprises de grande taille, dont 31 étaient favorables au système pilote ; sur 85 entreprises moyennes, 45 ont répondu être favorables ; sur les 44 réponses des petites entreprises, seules 23 se sont montrées intéressées.

Les Etats membres, consultés en 2004, ont fait preuve de peu d'enthousiasme. D'après TAXUD, "il faut bien admettre que ces consultations ont suscité un important scepticisme général". Les raisons exposées : l'existence d'entraves fiscales transfrontalières spécifiques aux PME n'est pas fondée ; tout système pilote entraînerait d'importants problèmes administratifs et juridiques et, notamment, des discriminations. A ces arguments, la Commission a répondu que, le système étant volontaire, on ne peut empêcher les Etats qui le souhaitent de passer des accords bilatéraux ou multilatéraux. Déjà, deux Etats auraient signé un protocole joint à leur convention de non double imposition, qui prévoit une dérogation aux règles de l'établissement stable pour certaines de leurs régions frontalières.

Devant ces difficultés, et cette note de présentation ne fera pas état des critiques techniques nombreuses, que l'on peut formuler (en particulier, la complexité due à l'existence simultanée de plusieurs régimes d'imposition, accentuée par la possibilité d'opter ou non), la Commission a précisé que l'imposition des PME selon les règles de l'Etat de résidence "ne constitue pas une solution fiscale systématique à long terme", l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ou ACCIS) ne devant intervenir que plus tard. Dès lors, l'approche sous forme du système pilote à titre expérimental devrait être utilement explorée par les Etats membres. Toutefois, la Commission semble perplexe quant à la mise en place du système pilote et du "HST". Celle-ci est "consciente que la grande majorité des Etats membres n'est, actuellement, pas convaincue par l'idée. Elle estime, toutefois, que les inquiétudes justifiant cette attitude critique peuvent être levées. En outre, selon toute vraisemblance, seuls les Etats membres ayant des assiettes fiscales sensiblement analogues conviendront d'appliquer un tel système. L'approche proposée ne constitue, en définitive, qu'une initiative pragmatique et modeste visant à mobiliser le potentiel de croissance des PME, raison pour laquelle elle ne devrait pas être entravée par des considérations purement administratives".

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