La lettre juridique n°206 du 16 mars 2006 : Fiscalité internationale

[Le point sur...] Le Traité CE à l'épreuve de la confrontation fiscale : l'impact incontournable sur la fiscalité directe des libertés fondamentales du Traité (2ème partie)

Lecture: 17 min

N5613AK4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] Le Traité CE à l'épreuve de la confrontation fiscale : l'impact incontournable sur la fiscalité directe des libertés fondamentales du Traité (2ème partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208184-lepointsurletraitecealepreuvedelaconfrontationfiscalelimpactincontournablesurlafisca
Copier

par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

La dimension, désormais, européenne de la gestion de la fiscalité par le contribuable s'illustre dans l'invocation de ses droits garantis plus par le Traité instituant la Communauté européenne (Traité CE), au regard de la jurisprudence la plus récente, que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH), dont l'applicabilité à la fiscalité se trouve, pour un temps, remise en cause (voir, Jean-Marc Priol, Convention européenne des droits de l'homme à l'épreuve de la confrontation fiscale : l'impact incertain de la CESDH circonscrit à la matière fiscale (1ère partie), Lexbase Hebdo, n° 193 du 8 décembre 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N1760AKE).
A la différence des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui visent les droits attachés à la personne (distinguant les droits substantiels des droits processuels), celles du Traité CE visent essentiellement des droits économiques.
Les dispositions en question ont un effet direct, sont directement invocables en droit interne et sont supérieurs à celui-ci par application des dispositions de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R).
Qu'en est-il en matière fiscale de l'application desdites dispositions, notamment, à la fiscalité de l'entreprise ? Quelle est leur efficacité ? L'objectif de l'Union européenne (UE) est d'accroître sa compétitivité économique d'ici à 2010 et, pour ce faire, sa réalisation passe, notamment, selon la Commission européenne, par la suppression des nombreux obstacles fiscaux aux activités économiques transfrontalières dans le marché intérieur (Communication de la Commission du 24 novembre 2003 COM - 2003 - 726, un marché intérieur sans obstacles liés à la fiscalité des entreprises : réalisations, initiatives, en cours et défis restant).

A défaut d'action politique en ce sens des Etats membres, la suppression de ces obstacles fiscaux résulte de plus en plus fréquemment des actions des contribuables. A cet égard, le nombre de réglementations nationales relatives à la fiscalité directe, dont la question de l'incompatibilité avec le droit communautaire est soumise par le juge national à la Cour de justice, est passé d'une dizaine sur trente ans à une bonne dizaine environ par an sur ces cinq dernières années.

Qualifiée de destructrice par certains, génératrice de droits pour les contribuables, cette tendance jurisprudentielle ne semble pas devoir s'atténuer. En effet, ainsi que le note la Commission européenne, même si, en l'absence d'accord politique, les Etats membres n'agissent pas pour s'attaquer à ces obstacles fiscaux, les contribuables continueront à agir et "un grand nombre des obstacles concernés seront portés devant la Cour européenne de justice".

Les arrêts rendus par la Cour de justice en matière de fiscalité directe au cours de ces deux dernières années le montrent amplement, notamment, en ce qui concerne les réglementations françaises, dont la non-conformité avec le droit communautaire a été plusieurs fois révélée.

Il en est, ainsi, de la décision de la Cour, rendue le 4 mars 2004, condamnant la France pour son régime relatif aux revenus de placements et de contrats. La Cour a, en effet, jugé que, en excluant de manière absolue l'application du taux du prélèvement libératoire aux revenus découlant de placements et de contrats visés aux articles 125-0 A et 125 A du CGI , dont le débiteur n'est pas domicilié ou établi en France, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 (N° Lexbase : L5359BCH) et 56 du Traité CE (CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, Commission des Communautés européennes c/ République française ; lire Jean-Marc Priol, Prélèvement libératoire sur les revenus financiers et opérations transfrontalières : les articles 125-0 A et 125 A du CGI déclarés contraires aux principes de libre prestation de services et de capitaux, Lexbase Hebdo n° 111 du 11 mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0838ABN).

Ensuite, par une autre décision de la Cour de Luxembourg du 11 mars 2004, c'est le système dit de l'"exit tax" français qui a été jugé contraire à la liberté d'établissement. Ce principe s'oppose, en effet, à un régime tel que celui en cause qui prévoit la taxation des plus-values latentes lors du transfert du domicile vers un autre Etat membre (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de Lasteyrie du Saillant c/ Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5001DBT ; Dr. sociétés 2004, comm. 118, note J.-L. Pierre ; Jean-Marc Priol, Liberté d'établissement et présomption d'évasion ou de fraude fiscale, Lexbase Hebdo n° 113 du 25 Mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N1015AB9).

La tendance de ce mouvement jurisprudentiel n'a pas semblé devoir se ralentir si l'on considère que près d'une trentaine affaires ont été portées devant la Cour de justice et non des moindres avec, notamment, la question de l'application en droit communautaire du principe international de la clause de la nation la plus favorisée qui a reçu une réponse négative, pour le moment, pour défaut d'existence de situation comparable (CJCE, 5 juillet 2005, aff. C-376/03, D. c/ Inspecteur van de Belastingdienst/Particulieren/Ondernemingen buitenland te Heerlen N° Lexbase : A9934DIR) et celle du traitement transfrontalier de pertes avec l'affaire Mark & Spencer (CJCE, 13 décembre 2005, aff. C-446/03, Marks & Spencer plc c/ David Halsey (Her Majesty's Inspector of Taxes N° Lexbase : A9386DL9 ; Jean_Marc Priol, Les transferts de pertes communautaires à l'épreuve de l'examen du principe de la cohérence fiscale et du traitement fiscal équivalent, Lexbase Hebdo n° 165 du 28 avril 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N3516AI3 ; Valérie Le Quintrec, Déduction, par la société mère d'un groupe, des pertes subies par ses filiales non-résidentes et liberté d'établissement, Lexbase Hebdo n° 197 du 12 janvier 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N2960AKT), dont la faisabilité est envisagée sous réserve que les pertes ne puissent être prises en compte dans l'Etat de résidence de la société les ayant générées ou, encore, le régime du crédit d'impôt recherche en France (CJCE, 10 mars 2005, aff. C-39/04, Laboratoires Fournier SA c/ Direction des vérifications nationales et internationales N° Lexbase : A2728DHI ; Sabine Dubost, IS : l'octroi du bénéfice d'un crédit d'impôt aux seules opérations de recherche réalisées en France est contraire au principe communautaire de libre prestation de services, Lexbase Hebdo n° 159 du 17 mars 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N2039AID) reconnu contraire au principe de libre prestation de services.

Est, donc, désormais devenue normale l'analyse d'une réglementation fiscale nationale par la Cour de justice, afin de juger si celle-ci porte atteinte à l'une des quatre libertés fondamentales prévues par le Traité. En premier lieu, la Cour de justice recherche dans quelle mesure la réglementation nationale en cause peut constituer une atteinte à l'une des quatre libertés prévues par le Traité CE (1) et, en second lieu, si cette atteinte peut être ou non justifiée (2).

1. La sanction par le juge communautaire des situations portant atteinte à l'une des quatre libertés garanties par le Traité

Selon une jurisprudence constante de la CJCE, si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, il n'en reste pas moins que ces derniers doivent exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (voir, par exemple, CJCE, 11 août 1995, aff. C-80/94, G. H. E. J. Wielockx c/ Inspecteur der directe belastingen, § 16 N° Lexbase : A9743AUE ; CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer (Her Majesty's Inspector of Taxes), § 19 N° Lexbase : A0410AW4 ; CJCE, 29 avril 1999, aff. C-311/97, Royal Bank of Scotland plc c/ Elliniko Dimosio (Etat hellénique), § 19 N° Lexbase : A0532AWM).

En effet, bien que ce domaine ne soit pas harmonisé, les Etats membres doivent respecter le droit communautaire et, plus précisément, les "quatre libertés" fondamentales garanties par le Traité que sont la libre circulation des marchandises, des personnes, des capitaux et la libre prestation de services.

A cet égard, la Cour de justice considère que les Etats membres doivent s'abstenir de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité, mais sanctionne, également, les restrictions.

Ainsi une législation nationale qui constitue une discrimination ou une entrave est considérée par la Cour de justice comme portant atteinte à l'une des libertés fondamentales.

1) Sur le principe de la liberté d'établissement, si la Cour de justice sanctionne les restrictions imposées par un Etat membre à l'entrée du territoire, ce principe s'oppose, également, à ce que l'Etat d'origine entrave l'établissement d'un de ses ressortissants dans un autre Etat membre.

Une différence de traitement constitue une entrave, qui suffit à rendre la législation nationale incompatible avec les dispositions de l'article 43 du Traité CE .

On trouvera une illustration de l'application de ce principe dans l'arrêt "Bosal" (CJCE, 18 septembre 2003, aff. C-168/01, Bosal Holding BV c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A5824C9L ; Dr. sociétés 2004, comm. 15, note J.-L. Pierre ; Jean-Marc Priol, La limitation de la déductibilité dans un Etat membre des frais liés aux participations d'une société mère dans ses filiales établies dans d'autres Etats membres, Lexbase Hebdo n° 90 du 15 octobre 2003 - édition fiscale N° Lexbase : N9106AAI), dans lequel la Cour a sanctionné une différence de traitement comme étant constitutive d'une entrave à la liberté d'établissement.

Pour une affaire concernant une réglementation française, on peut se référer à l'arrêt "Lasteyrie du Saillant", cité en introduction, dans lequel la CJCE a considéré que, même si l'article 167 bis du CGI n'interdit pas à un contribuable français d'exercer son droit d'établissement, cette disposition est, néanmoins, de nature à restreindre l'exercice de ce droit en ayant, à tout le moins, un effet dissuasif à l'égard des contribuables qui souhaitent s'installer dans un autre Etat membre. La même problématique est soulevée au sujet de la réglementation française de l'ancien article 119 bis, alinéa 2, du CGI opérant une retenue à la source sur les dividendes versés par une société filiale française à sa mère néerlandaise et pour laquelle le Conseil d'Etat a posé une question préjudicielle (CE, 9° et 10° s-s., 15 décembre 2004, n° 235069, Société Denkavit c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4486DEU). Enfin, on notera, toujours sur le terrain de la liberté d'établissement, une décision de la cour d'appel de Paris (CAA Paris, 2ème ch., 24 juin 2005, n° 04PA01300, Société Papillon c/ ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3180DKY), aux termes de laquelle le régime français d'intégration fiscale visé à l'article 223 A du CGI n'est pas contraire au principe de la liberté d'établissement en ne permettant pas à une filiale française détenue par l'intermédiaire d'une société étrangère de faire partie d'un groupe intégré français.

2) Sur l'article 49 du Traité CE relatif à la libre prestation de services, celui-ci s'oppose à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre Etats membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un Etat membre.

A cet égard, la CJCE a, récemment, jugé que le principe de libre prestation de services s'oppose à une législation nationale qui, en règle générale, prend en compte, lors de l'imposition des non-résidents, les revenus bruts, sans déduction des frais professionnels, alors que les résidents sont imposés sur leurs revenus nets, cette différenciation de traitement caractérisant une discrimination indirecte sanctionnée par la Cour (CJCE, 12 juin 2003, aff. C-234/01, Arnoud Gerritse c/ Finanzamt Neukölln -Nord N° Lexbase : A7806C8M).

Dans l'arrêt du 4 mars 2004 "Commission contre France" précité, la Cour a jugé que l'application du prélèvement libératoire étant réservée, en vertu de l'article 125 A-I du CGI , aux contrats financiers ou d'assurance dont le débiteur est domicilié ou établi en France, elle avait pour effet de dissuader les contribuables résidant en France de souscrire de tels contrats avec des sociétés ayant leur siège dans un autre Etat membre. Or, l'article 49 du Traité CE s'oppose à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre Etats membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un Etat membre. Il a, donc, été jugé que la réglementation en cause constituait une restriction à la libre prestation des services en vertu de l'article 49 du Traité CE.

C'est, également, parce qu'elle entrave la libre prestation de services que la réglementation française relative au crédit impôt recherche a été jugée contraire au droit communautaire dans l'affaire "Fournier" précitée. En effet, en se référant à sa jurisprudence, la Cour a jugé que le fait de réserver le bénéfice d'un crédit d'impôt aux seules opérations de recherche réalisées en France comporte une différence de traitement fondée sur le lieu d'exécution de la prestation de services.

3) Enfin, sur le fondement de la libre circulation des capitaux, la Cour de justice sanctionne les réglementations fiscales des Etats membres qui ont pour effet de dissuader les personnes d'un Etat membre d'investir des capitaux dans des sociétés ayant leur siège dans un autre Etat membre.

Ainsi, dans l'arrêt du 4 mars 2004 "Commission contre France" précité, la CJCE a jugé que la réglementation en cause entraîne, également, un effet restrictif à l'égard des sociétés établies dans d'autres Etats membres en ce qu'elle constitue à leur encontre un obstacle à la collecte de capitaux en France dans la mesure où les produits des contrats souscrits auprès de ces sociétés sont fiscalement traités de manière moins favorable que les produits provenant d'une société établie en France, de sorte que leurs contrats sont moins attrayants pour les investisseurs résidant en France que ceux de sociétés ayant leur siège dans cet Etat membre (voir, pour une situation similaire, CJCE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Staatssecretaris van Financiën c/ B.G.M. Verkooijenarrêts, § 35 N° Lexbase : A1828AWM et CJCE, 26 septembre 2000, aff. C-478/98, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique, § 18 N° Lexbase : A0249AW7). Une telle réglementation constitue une restriction à la libre circulation des capitaux en vertu de l'article 56 du Traité CE .

Dans un autre arrêt du 7 septembre 2004, concernant l'avoir fiscal finlandais (CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen N° Lexbase : A2692DD3 ; Jean-Marc Priol, Avoir fiscal et libre circulation des capitaux, Lexbase Hebdo n° 137 du 7 octobre 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N3048ABI), la Cour a jugé que les articles 56 et 58 du Traité CE s'opposent à une réglementation, en vertu de laquelle le droit d'une personne assujettie à l'impôt à titre principal dans un Etat membre au bénéfice de l'avoir fiscal, en raison des dividendes qui lui sont versés par des sociétés anonymes, est exclu lorsque ces dernières ne sont pas établies dans cet Etat.

Selon la Cour, ladite réglementation produit, également, un effet restrictif à l'égard des sociétés établies dans d'autres Etats membres en ce qu'elle constitue à leur encontre un obstacle à la collecte de capitaux en Finlande. En effet, dans la mesure où les revenus de capitaux d'origine non finlandaise sont fiscalement traités de manière moins favorable que les dividendes distribués par des sociétés établies en Finlande, les actions des sociétés établies dans d'autres Etats membres sont moins attrayantes pour les investisseurs résidant en Finlande que celles de sociétés ayant leur siège dans cet Etat membre (CJCE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Staatssecretaris van Financiën c/ B.G.M. Verkooijen, précité et CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, Commission des Communautés européennes c/ République française, précité).

En conclusion de cette première partie portant sur l'atteinte par les Etats aux libertés fondamentales du Traité, on pourra noter que l'impact des quatre libertés prévues par le Traité couvre différents domaines de la fiscalité directe ce qui, tout en attribuant de nouveaux droits aux contribuables, oblige les Etats membres à harmoniser leur législation.

2. L'impossible justification des atteintes aux quatre libertés garanties par le Traité

La CJCE considère qu'une mesure qui est susceptible d'entraver une des libertés consacrées par le Traité ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et si elle est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général. Mais, encore faut-il, en pareil cas, que son application soit propre à garantir la réalisation de l'objectif, ainsi, poursuivi et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.

A cet égard, il découle de la jurisprudence de la Cour européenne que la nécessité de préserver la cohérence d'un régime fiscal (voir, CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-204/90, Hanns-Martin Bachmann c/ Etat belge N° Lexbase : A9890AUT et CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-300/90, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique N° Lexbase : A9599AU3), la lutte contre l'évasion fiscale (voir, arrêts "ICI", précité, point 26, et CJCE, 8 mars 2001, aff. C-397/98 et C-410/98 c/ Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General, § 57 N° Lexbase : A8088AY9) et l'efficacité des contrôles fiscaux (voir, notamment, CJCE, 15 mai 1997, aff. C-250/95, Futura Participations SA et Singer c/ Administration des contributions, § 31 N° Lexbase : A0119AWC et CJCE, 8 juillet 1999, aff. C-254/97, Myers-Squibb SA c/ Premier Ministre, Ministère du Travail et des Affaires sociales, Ministère de l'Economie et des Finances et Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation, § 18 N° Lexbase : A0511AWT) constituent des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier des réglementations de nature à restreindre les libertés fondamentales garanties par le Traité.

1) La cohérence du système fiscal est toujours invoquée par les Etats membres, au motif que la Cour de justice a admis cette justification en 1992 (voir, arrêt "Bachmann", précité). Depuis, celle-ci refuse d'admettre cette justification, au motif, notamment, que pour qu'un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut que soit établie l'existence d'un lien direct entre l'avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (voir, en ce sens, CJCE, 14 novembre 1995, aff. C-484/93, Peter Svensson et Lena Gustavsson c/ Ministre du Logement et de l'Urbanisme, § 18 N° Lexbase : A7474AHB ; CJCE, 27 juin 1996, aff. C-107/94, P. H. Asscher c/ Staatssecretaris van Financiën, § 58 N° Lexbase : A1787AW4 ; arrêt "ICI", précité,  § 29 ; CJCE, 28 octobre 1999, aff. C-55/98, Skatteministeriet c/ Bent Vestergaard, § 24 N° Lexbase : A0580AWE ; CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00, X c/ Riksskatteverket, § 52 N° Lexbase : A0406A78). Pour une illustration récente, la CJCE a jugé dans l'affaire "Fournier" précitée, que dès lors qu'il n'existe aucun lien direct entre l'impôt sur les sociétés et le crédit d'impôt, l'argument tiré de la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal ne saurait prospérer.

De plus, l'argument fondé sur la nécessité de sauvegarder la cohérence d'un régime fiscal doit être examiné au regard de l'objectif poursuivi par la réglementation fiscale en cause (voir, arrêt précité, "Lasteyrie du Saillant", § 67).

Il est, donc, quasiment impossible pour les Etats membres de justifier leur régime par la nécessité de garantir la cohérence fiscale.

Toutefois, la CJCE a été amenée à assouplir ce critère suivant les conclusions de son Avocat général dans l'affaire "Marks & Spencer" précitée. En effet, l'Avocat général, notant la marge très réduite des Etats membres, a proposé, suivant en cela, la position de l'Avocat général, dans l'affaire "Mannen" précitée, un assouplissement des critères posés par la Cour par le biais du retour au critère de la finalité de la réglementation en cause. Dans l'affaire "Marks & Spencer", le retour au critère de la finalité permettrait, selon l'Avocat général, de justifier dans certains cas, en l'absence de compensation transfrontalière, les pertes dans un groupe de sociétés.

Si un assouplissement est intervenu en ce qui concerne cette justification, les autres justifications avancées par les Etats membres devant la Cour ne sont pas retenues.

2) Il en est, ainsi, de la perte de recettes fiscales, souvent invoquée. Mais, elle est refusée par la CJCE, au motif qu'elle ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure, en principe, contraire à une liberté fondamentale (arrêt "ICI", précité, § 28, et CJCE, 8 mars 2001, aff. C-397/98 et C-410/98, Metallgesellschaft Ltd et autres c/ Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General, § 59 N° Lexbase : A8088AY9 ; arrêt "De Lasteyrie du Saillant" précité). Dès lors, le simple manque à gagner subi par un Etat membre du fait du transfert du domicile fiscal d'un contribuable dans un autre Etat membre, dans lequel la réglementation fiscale est différente et, le cas échéant, plus avantageuse pour ce contribuable, ne saurait, en soi, justifier une restriction du droit d'établissement.

3) Quant au principe de territorialité, on peut considérer que la Cour avait ouvert une porte dans l'arrêt "Futura participations". Cependant, la Cour a, récemment, jugé qu'un argument tiré du principe de territorialité, tel qu'il a été reconnu dans l'arrêt "Futura Participations" et "Singer" concernait l'imposition d'un seul contribuable, qui exerçait des activités dans l'Etat membre où il avait son établissement principal, ainsi que dans d'autres Etats membres à partir d'établissements secondaires. Par suite, cette justification n'est pas admise par la Cour (arrêt "Bosal", précité).

Pour une autre illustration de ce refus, on peut se référer à l'arrêt "Manninen" précité, dans lequel la CJCE a rejeté l'argument fondé sur la conformité de la législation nationale au principe de territorialité, soulevé par le Gouvernement français, au motif que ce principe ne saurait justifier un traitement différent des dividendes distribués par des sociétés établies en Finlande et ceux versés par des sociétés ayant leur siège social dans d'autres Etats membres, si les catégories de dividendes concernées par cette différence de traitement partagent la même situation objective.

La conformité au principe de territorialité a, également, fait l'objet d'un rejet par la Cour dans la récente affaire "Fournier" précitée et par l'Avocat général dans ses conclusions rendues dans l'affaire "Marks & Spencer", également précitée.

4) Enfin, quant à la prévention d'un risque d'évasion fiscale, cet argument qui devrait en principe être accepté est, également, refusé en pratique.

En effet, la Cour a considéré que pourrait répondre à une raison impérieuse d'intérêt général une législation qui aurait pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale. Dès lors, une restriction à la liberté d'établissement résultant d'une disposition destinée à faire échec à une véritable fraude à la loi fiscale pourrait être envisagée dans le respect de cette liberté. En effet, dans un tel cas, il s'agirait d'une application dans le domaine fiscal de ce que la Cour a considéré comme l'"exercice abusif" d'un droit conféré par le droit communautaire (CJCE, 7 juillet 1992, aff. C-370/90, The Queen c/ Immigration Appeal Tribunal et Surinder Singh, ex parte Secretary of State for Home Department N° Lexbase : A9785AUX).

En pratique, la Cour refuse d'admettre cette justification, au motif que les législations n'ont pas pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la législation fiscale nationale. La Cour a, ainsi, jugé que dans l'affaire "Lasteyrie de Saillant", pour ce qui concerne la justification tirée de l'objectif de prévenir l'évasion fiscale, mentionnée par la juridiction de renvoi dans la question préjudicielle, qu'il convenait de relever que l'article 167 bis du CGI n'avait pas pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la législation fiscale française, mais visait, de manière générale, toute situation dans laquelle un contribuable détenant des participations substantielles dans une société soumise à l'impôt sur les sociétés transfère, pour quelque raison que ce soit, son domicile hors de France (voir, en ce sens, arrêts "ICI", § 26, ainsi que "X et Y", § 61). Or, le transfert du domicile d'une personne physique en dehors du territoire d'un Etat membre n'implique pas, en soi, l'évasion fiscale. Une présomption générale d'évasion ou de fraude fiscale ne saurait être fondée sur la circonstance que le domicile d'une personne physique a été transféré dans un autre Etat membre et justifier une mesure fiscale portant atteinte à l'exercice d'une liberté fondamentale garantie par le Traité (voir, en ce sens, CJCE, 26 septembre 2000, aff. C-478/98, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique, § 45 ; arrêt "X et Y", précité, § 62). On notera, toutefois, sur le sujet de l'évasion fiscale, une récente décision du Conseil d'Etat (CE, 3° et 8° s-s., 18 mai 2005, n° 267087, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Sagal N° Lexbase : A3517DI4) sur la procédure d'abus de droit français (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L5565G4U) et aux termes de laquelle cette procédure n'est pas contraire à la liberté d'établissement (Traité CE, art. 43) dans le cas d'une société mère française ayant bénéficié du régime favorable mère-fille sur les dividendes reçus de sa participation dans une société luxembourgeoise alors que cette dernière n'avait aucune substance.

En conclusion, si les Etats membres tentent d'avancer nombre de justifications aux atteintes portées par leurs législations aux libertés fondamentales, celles-ci sont difficilement admises par la CJCE.

Enfin, on notera que dans certaines affaires, dans lesquelles le juge français a estimé qu'une réglementation était contraire au droit communautaire, la question de la justification de l'atteinte à une liberté n'a pas toujours été abordée faute d'avoir été soulevée par l'administration fiscale. Ainsi, dans ses conclusions dans l'affaire "Coréal gestion" (CE Contentieux, 30 décembre 2003, n° 249047, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SARL Coréal Gestion N° Lexbase : A6490DAM ; CE Contentieux, 30 décembre 2003, n° 233894, SA Andritz c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6487DAI ; lire N. de Vernejoul, Sous-capitalisation et déductibilité des intérêts : les incidences pratiques des deux dernières jurisprudences, DF 2004, n° 16, p. 743 et s. ; J.-L. Pierre, Déductibilité des intérêts versés par une société française à une société mère étrangère, Dr. soc. 2004, n° 3, comm. 50), le commissaire du Gouvernement G. Bachelier appelait de ses voeux un assouplissement des conditions d'admission des justifications par la CJCE observant que dans "l'affaire Coréal Gestion, le ministre n'avait pas cherché à avancer la moindre justification".

newsid:85613

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus