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le 07 Octobre 2010
Le législateur du 10 juin 1994 a institué, en matière de revendication, une procédure en deux temps à laquelle doit impérativement se plier le propriétaire dont le contrat n'est pas publié (Sur les deux étapes, v. not. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, n° 813-51 et s., Dalloz Action, 2ème éd., à paraître en mars 2006). Ce dernier doit, dans un premier temps, présenter, dans un délai de trois mois, une demande en acquiescement de revendication à l'administrateur, à défaut, au représentant des créanciers ou au liquidateur. Le point de départ de ce délai court du jour de la publication du jugement d'ouverture de la procédure au BODACC ou, si le bien fait l'objet d'un contrat en cours lors de l'ouverture de la procédure, dans le délai de trois mois à compter de la résiliation ou du terme du contrat (C. com., art. L. 621-115 N° Lexbase : L6967AIU, issu de la loi du 10 juin 1994). L'article 85-1 du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5382A44), dans la rédaction que lui a donnée le décret du 21 octobre 1994, précise qu'à défaut d'acquiescement du mandataire dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande en revendication, le propriétaire doit, sous peine de forclusion, saisir le juge-commissaire dans un délai d'un mois à compter de l'expiration du délai de réponse du mandataire. Cette deuxième démarche doit-elle être effectuée dans l'hypothèse où le mandataire ne répondrait pas dans le délai du mois à compter de la réception de la demande en acquiescement mais acquiescerait ultérieurement, à l'intérieur du délai d'un mois dont dispose le propriétaire pour saisir le juge-commissaire ? C'est la question à laquelle répond la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.
En l'espèce, une société, ultérieurement objet d'une procédure de liquidation judiciaire, avait revendu des biens qui lui avaient été vendus avec clause de réserve de propriété. Le propriétaire des matériels avait présenté au liquidateur judiciaire, le 17 novembre 1999, une demande en revendication du prix resté impayé. Le mandataire n'y répondait pas immédiatement et n'acquiesçait finalement à cette demande que le 5 janvier 2000. Fort de cet acquiescement, le propriétaire assignait ensuite le sous-acquéreur en paiement du solde du prix. Afin de s'opposer à cette prétention, le sous-acquéreur, suivi en cela par la cour d'appel, soutenait que le propriétaire n'avait pas saisi le juge-commissaire dans le délai du mois à compter de l'expiration du délai de réponse du mandataire de justice et, qu'en conséquence, le propriétaire était forclos en son action en revendication. Sur le pourvoi formé par le propriétaire revendiquant, la Chambre commerciale, par un arrêt de cassation du 7 février 2006, indique que la forclusion attachée à l'absence de saisine du juge-commissaire ne pouvait plus être opposée au propriétaire revendiquant dès lors que le liquidateur judiciaire avait porté à la connaissance du propriétaire son acquiescement dans le délai dont dispose ce dernier pour saisir le juge-commissaire.
Cette position prise par la Cour de cassation ne peut être qu'approuvée. Elle est, d'une part, empreinte d'un bon sens évident et est, d'autre part, conforme aux dispositions de l'article L. 621-123 du Code de commerce (N° Lexbase : L6975AI8), applicable en l'espèce.
Certes, l'article 85-1 du décret du 27 décembre 1985 prévoit qu'à défaut d'acquiescement du mandataire dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande, le demandeur doit saisir le juge-commissaire dans un délai identique à compter de l'expiration du délai de réponse du mandataire. Cependant, dès lors que le mandataire de justice acquiesce dans ce délai imparti au propriétaire pour saisir le juge-commissaire, la saisine de ce dernier devient totalement inutile. Dès lors, il aurait été absurde de contraindre le propriétaire à saisir le juge-commissaire d'une difficulté qui n'existe plus...
En outre, article L. 621-123 du Code de commerce prévoit que "[...] le liquidateur peut acquiescer à la demande en revendication [...]. A défaut d'accord ou en cas de contestation, la demande est portée devant le juge-commissaire [...]". Dès lors que l'accord est intervenu, la demande n'a, fort logiquement, plus à être portée devant le juge-commissaire. En effet, à l'intérieur du délai d'action, la saisine du juge-commissaire devenait inutile.
Cette solution est transposable sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005. En effet, l'article 114 du décret du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3297HET) prévoit, en son alinéa 2, dans une rédaction voisine de celle de l'article 85-1 du décret du 27 décembre 1985, que, "à défaut d'acquiescement dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande, le demandeur doit, sous peine de forclusion, saisir le juge-commissaire au plus tard dans un délai d'un mois à compter de l'expiration du délai de réponse". Il peut, cependant, être souligné que l'article L. 624-17 du Code de commerce, issu de la rédaction que lui a donnée la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L4089HB3), prévoit qu'il appartient désormais à l'administrateur ou, à défaut, au débiteur après accord du mandataire judiciaire d'acquiescer à la demande en revendication. Le propriétaire devra donc veiller à ce que le débiteur qui acquiesce à la demande en revendication ait effectivement préalablement obtenu l'accord du mandataire de justice. A défaut, l'acquiescement du débiteur seul ne vaudrait pas acquiescement régulier, de sorte que le propriétaire devrait alors saisir le juge-commissaire dans le délai de l'article 114 du décret du 28 décembre 2005, soit dans le délai d'un mois à compter de l'expiration du délai de réponse.
E. Le Corre-Broly
La demande en acquiescement de revendication doit être adressée dans le délai de l'article L. 621-115 du Code de commerce (N° Lexbase : L6967AIU) (anct L. 25 janv. 1985, art. 115, devenu C. com., art. L 624-9 depuis la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L3777HBI), c'est-à-dire trois mois. Il s'agit d'un délai préfix. Il résulte des règles de la procédure civile que, lorsque l'une des parties au procès demeure dans un lieu éloigné du siège de la juridiction saisie, certains délais sont augmentés en raison de distance (V. not. Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action 2002, nº 127). L'article 643 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2909AD4) prévoit ainsi que, "lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d'appel, d'opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés d'un mois pour les personnes qui demeurent dans un département d'outre-mer ou dans un territoire d'outre-mer, deux mois pour celles qui demeurent à l'étranger". Cette disposition est-elle applicable au délai de la demande en acquiescement de revendication ? Un arrêt de la Chambre commerciale la Cour de cassation en date du 7 février 2006 statue sur la question.
En l'espèce, une société avait été mise en redressement judiciaire par jugement du 9 janvier 2001, publié le 31 janvier. Par lettre en date du 23 mai 2001, alors que le délai de l'article L. 621-115 du Code de commerce était expiré depuis une vingtaine de jours, une société de droit belge avait revendiqué certaines marchandises auprès de l'administrateur judiciaire. A défaut d'acquiescement, le revendiquant avait saisi le juge-commissaire, lequel faisait droit la demande en revendication. Le tribunal, statuant sur l'opposition formée à l'encontre de l'ordonnance du juge -commissaire, suivi en cela par la cour d'appel, a déclaré irrecevable la demande en revendication comme étant tardive. Se pourvoyant en cassation, la société de droit belge soutenait que l'augmentation des délais prévus à l'article 643 du Nouveau Code de procédure civile s'appliquait dans tous les cas où il n'y est pas expressément dérogé et, qu'en conséquence, elle devait s'appliquer à la demande en acquiescement de revendication portée devant l'administrateur, dès lors que cette procédure préliminaire constitue une étape préalable obligatoire à la requête en revendication présentée devant le juge-commissaire. Insensible à cette argumentation, la Chambre commerciale a rejeté le pourvoi, jugeant que "la prorogation de délais prévus par l'article 643 du Nouveau Code de procédure civile ne s'applique pas au délai de trois mois imparti par l'article L. 621-115 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, pour saisir le mandataire de justice d'une demande en revendication d'un bien". Cet arrêt est dans la droite ligne de la position adoptée par les juridictions du fond (CA Montpellier, 30 janvier 1990, Rev. proc. coll. 1991, 234, obs. B. Soinne ; CA Dijon, 1ère ch., sect. 2, 10 décembre 1996, Rev. proc. coll. 1997, 328, n° 31). Cette solution doit être approuvée : l'allongement des délais de distance prévu par les articles 642 (N° Lexbase : L2907ADZ) et 643 du Nouveau Code de procédure civile ne peut, en effet, pas trouver à s'appliquer, car le délai de revendication n'est pas un délai de recours ou de comparution.
La position de la Cour de cassation adoptée ici en matière de demande en acquiescement de revendication est également conforme à la position qu'elle avait adoptée en matière de requête en revendication. Pas plus qu'en matière de demande en acquiescement, la demande en revendication présentée au juge-commissaire ne permet le jeu de l'article 643 du Nouveau Code de procédure civile offrant l'allongement du délai d'un mois pour les personnes domiciliées dans les Dom-Tom, de deux mois pour celles domiciliées à l'étranger, car le délai de présentation de la requête en revendication ne constitue pas davantage un délai de comparution (Cass. com., 28 septembre 2004, n° 03-11.876, FS-P+B N° Lexbase : A4828DD8, D. 2004, AJ p. 2715 ; D. 2005, pan. p. 298, obs. P.-M. Le Corre ; JCP éd. E, 2005, chron. 31, p.31, n° 13, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2004/17, n° 210, note P.-M. Le Corre).
E. Le Corre-Broly
Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé, Directeur du Master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de Conférences des Universités
Enseignante du master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon
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