La lettre juridique n°203 du 23 février 2006 :

[Jurisprudence] Promesse de porte-fort, engagement accessoire ou engagement autonome ?

Réf. : Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-19.217, M. Pascal Boissy c/ Société NV Sanac Belgium, F-P+B+R (N° Lexbase : A9178DLI)

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le 07 Octobre 2010

"On ne peut, en général, s'engager [...] en son propre nom que pour soi-même" (C. civ., art. 1119 N° Lexbase : L1207ABC). La promesse pour autrui serait donc prohibée sauf exceptions. L'une d'elle est la promesse de porte-fort. Elle fait l'objet d'une disposition lapidaire dans le Code civil : celle de l'article 1120 du même code (N° Lexbase : L1208ABD). Selon elle, "on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci [...]". Il s'agit, ici, d'un engagement pour autrui. Mais, la fonction et la technique même de cet engagement ne sont pas pour autant précisées. Sa finalité première est certes connue : faire en sorte que le tiers ratifie la promesse que lui-même a faite au bénéficiaire. C'est aussi, en amont, un instrument destiné à faciliter la conclusion d'un acte juridique par une personne dépourvue de pouvoir. Cette promesse pourrait bien être, aussi, une garantie souscrite par le promettant d'exécution de l'engagement par autrui. C'est donc un engagement personnel : la promesse qu'autrui ratifiera ou exécutera une obligation entérinée. Cette obligation de résultat pèse sur le promettant et va bien au-delà de la seule obligation de moyens par laquelle le promettant s'engage à faire tout son possible pour qu'autrui contracte (V. Cass. civ. 3, 7 mars 1978, n° 76-14534, SA Vitrilux c/ Consorts Chavagneux N° Lexbase : A4367CGT, Bull civ. III, n° 108).

Le tiers n'est donc pas engagé par cette promesse. Il en est simplement bénéficiaire et n'est engagé réellement qu'au jour où il ratifie l'acte et/ou il l'exécute.

L'utilisation du porte-fort peut, néanmoins, être plus étendue et garantir l'exécution de l'obligation ratifiée par le tiers (V. en ce sens, Cass. civ. 1, 18 avril 2000, n° 98-15.360, Société Pneus station Marceau Legros et Cie c/ M. Girodie N° Lexbase : A1446AXT, Bull civ. I, n° 115). Ce porte-fort trouverait alors une terre d'élection dans le paysage français des sûretés personnelles.

C'est ce que laisse entendre la Cour de cassation par cette décision du 13 décembre 2005 : "celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d'un engagement est tenu d'une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l'exécution d'un engagement par un tiers s'engage accessoirement à l'engagement principal souscrit par le tiers à y satisfaire si le tiers ne l'exécute pas lui même".

Le porte-fort a donc plusieurs visages :

- L'engagement du porte-fort peut consister en la promesse qu'un tiers signera un engagement. C'est le porte-fort "ratification" tel qu'il ressort d'une lecture exégétique de l'article 1120 du Code civil (N° Lexbase : L1208ABD).
Cet engagement se retrouve parfois dans les clauses de substitution de certaines cessions de fonds de commerce comme l'illustre parfaitement la décision du 13 décembre dernier. Il est précisé que le promettant se substitue au tiers-cessionnaire pour signer un certain nombre d'actes, le cessionnaire, personne morale, étant au jour de la cession en cours de constitution et donc dépourvu de pouvoir ;

- Une fois l'engagement du tiers ratifié, le porte-fort pourrait aussi, selon ses termes, garantir l'exécution de l'engagement par le tiers. Ce port-fort "exécution" porterait alors sur l'exécution d'un engagement et aurait la nature d'une garantie d'exécution.

C'est ainsi que dans la décision commentée, le promettant "s'était porté personnellement garant" de la parfaite exécution des engagements ratifiés par le tiers et notamment le paiement de certains fournisseurs et clients au titre de contrats se rattachant à l'exploitation du fonds cédé.

Mais, la Cour de cassation transforme alors ce porte-fort en engagement accessoire.

A s'arrêter au sens littéral des termes, le porte-fort d'exécution deviendrait un engagement accessoire et pourrait bien être un cautionnement...

Pourtant, le porte-fort est a priori un engagement autonome. Le même engagement pourrait alors selon son étendue changer de nature: le porte fort "ratification" demeurerait autonome alors que le porte fort "exécution" deviendrait accessoire.

A l'analyse, l'engagement du porte-fort "ratification" a toujours été de cette nature (V. en ce sens, Cass. civ. 1, 25 janvier 2005,  n° 01-15.926, F-P+B N° Lexbase : A2829DGU, Bull civ. I, n° 43). Le promettant ne peut se prévaloir d'une irrégularité affectant l'acte que le tiers est censé ratifier. La règle de l'opposabilité des exceptions ne saurait, en toute logique, s'appliquer (CA Douai, 2 décembre 1999, Banque et droit, sept-oct. 2000, p. 42).

Et, l'engagement du porte-fort "exécution" a, semble-t-il jusqu'à cette décision, conservé sa nature d'engagement autonome (V. en ce sens, M. Storck, JCL civ., art. 1120, Fasc. 7-B, n° 6). S'il devait s'analyser en une garantie, ce serait donc plutôt comme une garantie autonome. Il est effectivement totalement indépendant du contrat visé par la promesse.

Dès lors, la Cour de cassation a-t-elle réellement voulu modifier la nature de cet engagement dans la décision du 13 décembre 2005 ? Ou, de façon moins ambitieuse confirmer -ce qui était déjà souligné par la doctrine-, à savoir qu'une telle promesse, accompagnée d'une garantie d'exécution par le promettant des engagements à souscrire par le tiers, tendrait à épouser certaines caractéristiques d'une véritable sûreté (V. par exemple, Ph. Malaurie et L. Aynes, Droit civil, Les obligations, éd. Défrenois, 2004, n° 821) plus proche du cautionnement que de la garantie autonome.

Si cet engagement devient accessoire, la règle de l'opposabilité des exceptions trouve alors à s'appliquer et le porte-fort va en quelque sorte être assimilé ou même être substitué à un cautionnement par les tribunaux (V. en ce sens, Cass. civ. 1, 27 février 1990, n° 88-16.726, Consorts Albert c/ Pinto de Mota N° Lexbase : A9452C3H).

Ainsi assimilé, il risque de perdre alors tout son intérêt pratique.

En effet, à l'origine cet engagement d'exécution renforce la position du créancier, bien souvent déjà garanti par un cautionnement. Mais le créancier devient alors, si l'on s'en remet à l'attendu de principe du 13 décembre 2005, immédiatement affaibli par le caractère accessoire du porte-fort ; le promettant pouvant se prévaloir des irrégularités du contrat, objet de la promesse, pour se délier de son engagement.

Ce procédé n'est pas sans risque et le porte-fort d'exécution ne peut devenir un "ersatz" du cautionnement.

D'ailleurs, il est difficilement concevable que le promettant s'engage en cas d'inexécution par le tiers à se substituer à celui-ci.

L'obligation du porte-fort est une obligation de faire : le promettant s'engage à ce que le tiers ratifie ou exécute.

Cette obligation suit donc le régime juridique de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM), selon lequel "toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur".

Dès lors, si autrui n'exécute pas l'engagement, le promettant tenu d'une obligation de faire devra résoudre cette inexécution par l'allocation de dommages-intérêts versés au créancier. Il n'a pas lieu de se substituer au tiers pour exécuter son engagement. Il peut seulement indemniser le bénéficiaire de la promesse.

Mais cet engagement n'a pas non plus pour objectif le paiement de la dette du débiteur. L'engagement du porte-fort a pour objet, non le paiement d'une somme d'argent mais une obligation de faire qui, de notre avis, n'est pas soumise à l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT).

Par conséquent, le porte-fort d'exécution peut devenir une véritable sûreté mais doit rester autonome. Il serait plus proche de la garantie autonome. L'engagement du promettant doit conserver cette nature et ne peut en changer en fonction de la nature du fait juridique -ratification et/ou exécution- que le tiers doit accomplir.

C'est d'ailleurs en ce sens que s'est prononcée la première chambre civile dans un arrêt du 25 janvier 2005 (Cass. civ. 1, 25 janvier 2005, précité). La promesse de porte-fort d'exécution est toujours, pour elle, un engagement autonome.

Marie-Elisabeth Mathieu
Maître de conférences à l'Université d'Evry - Val d'Esssone
Membre du Centre de formation professionnelle notariale de Paris
JeantetAssociés

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