Réf. : Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-42.908, M. Claude Renard c/ Société Medtronic Xomed France, FS-P+B (N° Lexbase : A5494DMG)
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le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-42.908, M. Claude Renard c/ Société Medtronic Xomed France, FS-P+B (N° Lexbase : A5494DMG) Cassation (CA Douai, 28 février 2003) Textes visés : C. trav., art. L. 423-18 (N° Lexbase : L7795HBC) ; C. trav., art. L. 425-1, al. 8 (N° Lexbase : L0054HDD) Mots-clefs : protection contre le licenciement ; bénéficiaire ; salarié ayant demandé l'organisation des élections dans l'entreprise ; point de départ de la protection. Lien bases : |
Apport de l'arrêt
La protection de 6 mois dont bénéficie le salarié qui a demandé à l'employeur d'organiser les élections des délégués du personnel lui est acquise à compter de l'envoi de la lettre recommandée par laquelle l'organisation syndicale intervient aux mêmes fins. En outre, la date à laquelle la mise en place de l'institution est obligatoire est sans incidence sur cette protection dès lors que le délai entre la demande du syndicat tendant à l'organisation des élections et le jour où l'institution doit être mise en place est raisonnable. |
Faits
M. Renard, engagé en janvier 1990 par la société Laperre, absorbée en 1994 par la société Medtronic Xomed France, a sollicité, le 26 juillet 1995, la mise en place de l'institution des délégués du personnel au sein de la société. Cette demande a été reprise le 20 octobre 1995 par une organisation syndicale. Après un entretien préalable fixé au 13 novembre 1995, le salarié a été licencié le 8 décembre 1995, sans autorisation de l'inspecteur du travail. Pour dire que le salarié ne bénéficiait pas du statut protecteur accordé par l'article L. 425-1, alinéa 8, du Code du travail, l'arrêt attaqué a énoncé qu'il ressort du jugement rendu le 30 novembre 1995 par le tribunal d'instance de Palaiseau que la société n'avait pas l'obligation légale d'organiser cette élection avant le 1er janvier 1996. Par suite, M. Renard, qui avait effectivement demandé l'organisation de cette élection avec le concours d'une organisation syndicale, ne bénéficiait pas du statut protecteur le 8 décembre 1995, date du licenciement. |
Solution
1. Cassation au visa des articles L. 423-18 et L. 425-1, alinéa 8, du Code du travail. 2. "Attendu, cependant, que la protection de six mois bénéficiant au salarié qui a demandé à l'employeur d'organiser les élections pour mettre en place l'institution des délégués du personnel lui est acquise à compter de l'envoi de la lettre recommandée par laquelle l'organisation syndicale intervient aux mêmes fins ; que la date à laquelle la mise en place de l'institution est obligatoire est sans incidence sur cette protection dès lors que le délai entre la demande du syndicat tendant à l'organisation des élections et le jour où l'institution doit être mise en place est raisonnable". |
Commentaire
1. La protection des salariés demandant la mise en place d'élections
Si le statut protecteur contre le licenciement organisé par la loi bénéficie d'abord aux salariés investis de fonctions représentatives, il ne leur est cependant pas réservé. Il s'applique également aux anciens représentants du personnel, aux candidats aux fonctions électives et, pour ce qui nous intéresse directement ici, aux salariés qui ont demandé la mise en place d'élections, qu'il s'agisse de l'élection des délégués du personnel ou de celle des représentants élus au comité d'entreprise. Il convient, en effet, de rappeler qu'en application des articles L. 423-18 et L. 433-13 du Code du travail (N° Lexbase : L7722HBM), un salarié peut inviter l'employeur à organiser les élections précitées (1). Si l'on ne saurait toujours envisager le pire, on ne saurait méconnaître le fait qu'une telle demande peut inspirer quelque intention malveillante à l'employeur. Il faut, dès lors, se féliciter que le Code du travail étende la protection contre le licenciement au salarié qui en est à l'origine. Plus précisément, ainsi que l'affirme l'article L. 425-1, alinéa 8, dudit Code, "afin de faciliter la mise en place de l'institution des délégués, les salariés qui ont demandé à l'employeur d'organiser les élections des délégués du personnel, ou d'accepter ces élections, bénéficient de la procédure prévue aux alinéas ci-dessus pendant une durée de six mois qui court à compter de l'envoi à l'employeur de la lettre recommandée par laquelle une organisation a, la première, demandé ou accepté qu'il soit procédé à des élections" (2). Il convient, en outre, de relever qu'aux termes de l'alinéa suivant de cette même disposition, "la procédure prévue à l'alinéa précédent ne peut s'appliquer qu'à un seul salarié par organisation syndicale ainsi qu'au premier salarié, non mandaté par une organisation syndicale, qui a demandé l'organisation des élections".
On perçoit, à la lecture des textes qui viennent d'être évoqués, qu'il est quelque peu réducteur d'affirmer que sont protégés contre le licenciement les salariés qui demandent la mise en place d'élections. Une telle formule demande à tout le moins d'être précisée. Il est, tout d'abord, très clair qu'en application de la loi, la protection est garantie à un seul salarié par organisation syndicale, ainsi qu'au premier salarié non mandaté par une organisation syndicale, qui a demandé l'organisation des élections. Par suite, et ainsi que l'a décidé avec rigueur la Cour de cassation, le salarié demandant l'organisation d'élections n'est pas protégé si un syndicat a, peu de temps auparavant, formé une demande identique (Cass. soc., 28 octobre 1996, n° 94-45.426, Société Lorget et Seng c/ Mme Baubiet, publié N° Lexbase : A0216ACY ; Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-43.930, Mme Véronique Kloetzen c/ SCP Crozat, Barault et Maigrot, inédit N° Lexbase : A6787CRS) (3). En outre, la protection ne s'applique pas au salarié ayant, le premier et de sa propre initiative, présenté une telle demande tant qu'une organisation n'est pas intervenue aux mêmes fins (Cass. soc., 25 juin 1987, n° 84-41.600, M. de Heeckeren c/ Société Info plus, publié N° Lexbase : A0837AHH ; Cass. crim., 30 mars 1993, n° 91-84.239, Levet Gérard, publié N° Lexbase : A4395AGU, D. 1994, somm. 298, Verdier ; CE 5 novembre 1993, n° 100132, SA Socochare N° Lexbase : A1072ANZ). La Cour de cassation vient, dans l'arrêt commenté, rappeler cette solution pour le moins restrictive en affirmant que la protection de 6 mois bénéficiant au salarié qui a demandé à l'employeur d'organiser les élections pour mettre en place l'institution des délégués du personnel "lui est acquise à compter de l'envoi de la lettre recommandée par laquelle l'organisation syndicale intervient aux mêmes fins". On l'aura donc compris, sans intervention syndicale, point de protection. Sans doute conforme à la lettre du texte, cette solution laisse un sentiment de malaise dans la mesure où elle peut priver le salarié de toute protection contre le licenciement alors même que, de par sa demande, il se sera découvert auprès de l'employeur. 2. L'indifférence relative du caractère obligatoire de l'élection
L'employeur n'est tenu d'organiser l'élection des délégués du personnel qu'à la double condition que son entreprise entre dans le champ d'application des règles relatives à cette institution représentative du personnel, tel que défini par l'article L. 421-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6352ACA) (C. trav., art. L. 423-18, al. 1er) (4), et que, surtout, l'effectif de l'entreprise ou de l'établissement dépasse un certain seuil, en l'occurrence 11 salariés. Plus précisément, ainsi que l'affirme l'alinéa 2 de l'article L. 421-1, "la mise en place des délégués du personnel n'est obligatoire que si l'effectif d'au moins onze salariés est atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes". Dès lors que ces conditions sont remplies, il appartient au chef d'entreprise d'informer le personnel, par affichage, de l'organisation des élections en vue de la désignation des délégués du personnel (C. trav., art. L. 423-18). Il doit, dans le même temps, inviter les organisations syndicales intéressées à la négociation du protocole préélectoral. Le chef d'entreprise doit renouveler tous les 4 ans l'affichage de la note informant le personnel et l'invitation adressée aux syndicats. En cas de défaillance de l'employeur, et plus généralement à tout moment (5), un syndicat représentatif ou un salarié quelconque peut lui demander d'organiser les élections. Ce salarié bénéficiera alors, dans les conditions retracées précédemment, de la protection contre le licenciement. Que se passe-t-il, toutefois, si le salarié demande à l'employeur d'organiser les élections des délégués du personnel, alors que la mise en place de l'institution n'est pas obligatoire ? Telle était précisément la question qui était posée en l'espèce à la Cour de cassation et dont la réponse fait tout l'intérêt de la décision commentée.
Antérieurement à la décision commentée, on pouvait penser que la protection du salarié demandant la mise en place d'élections ne s'appliquait que dans la mesure où l'employeur était lui-même tenu de les organiser en application de la loi (6). Telle était d'ailleurs la position qu'avait adoptée la cour d'appel saisie du litige. Relevant que la société employeur n'avait pas l'obligation légale d'organiser les élections des délégués du personnel avant le 1er janvier 1996 (7), elle en avait déduit que le salarié qui avait effectivement demandé l'organisation de cette élection avec le concours d'une organisation syndicale, ne bénéficiait pas du statut protecteur le 8 décembre 1995, date du licenciement. La Cour de cassation n'a pas souhaité s'inscrire dans cette voie. Elle retient toutefois une position que l'on peut juger équilibrée. En effet, si elle considère que "la date à laquelle la mise en place de l'institution est obligatoire est sans incidence sur cette protection", c'est à la condition que "le délai entre la demande du syndicat tendant à l'organisation des élections et le jour où l'institution doit être mise en place soit raisonnable". Cette solution doit être approuvée. Elle évite que le salarié qui demande l'organisation des élections peu de temps avant qu'elles ne s'imposent à l'employeur ne soit privé de la protection contre le licenciement. Mais, dans le même temps, elle ne permet pas à celui-ci d'en bénéficier de manière illégitime, en formulant une telle demande à une époque où elle est totalement hors de propos (8). Il reste que l'on peut s'interroger sur la notion de "délai raisonnable". Notons qu'en l'espèce, la demande formulée par le salarié en juillet 1995 avait été reprise le 20 octobre suivant.
Gilles Auzero (1) Le salarié demandeur peut donc agir de sa seule initiative, sans être nécessairement mandaté par un syndicat. Une telle demande peut également émaner, en application des mêmes textes, d'une organisation syndicale représentative. (2) V., pour la mise en place du comité d'entreprise, les dispositions en tous points similaires de l'article L. 436-1, alinéa 6 et 7 (N° Lexbase : L0044HDY). On peut rappeler que jusqu'à l'ordonnance n° 2004-602 du 24 juin 2004, relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (N° Lexbase : L5050DZ3), les salariés ayant demandé la mise en place du comité n'étaient curieusement protégés que pendant 3 mois. Ils le sont désormais pendant 6 mois. (3) Ne serait pas plus protégé le salarié qui formerait une telle demande postérieurement à la demande identique émanant d'un autre salarié. (4) V., pour le comité d'entreprise, l'article L. 431-1 (N° Lexbase : L6389ACM) auquel renvoie l'article L. 433-13 du Code du travail (N° Lexbase : L7722HBM). (5) Une telle demande peut être présentée même si, un mois avant, un procès-verbal de carence a été établi en raison de l'absence de candidature aux élections organisées à l'initiative de l'employeur (Cass. soc., 12 novembre 1987, n° 86-60.431, Mme Vallès et autre c/ Société Etablissements Cogefa, publié N° Lexbase : A2567AHK). (6) Admettre le contraire pouvait, en effet, conduire à ce que le salarié bénéficie en quelque sorte du statut protecteur à sa seule demande. (7) Sans que l'on sache pourquoi à la lecture de l'arrêt. Sans doute, la condition d'effectif n'était-elle remplie qu'à cette date-là. (8) Sans même parler ici d'une éventuelle demande frauduleuse du salarié. V., en ce sens, la décision du Conseil d'Etat en date du 19 juillet 1991, aux termes de laquelle n'entre pas dans les prévisions de l'article L. 425-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0054HDD) la demande émanant d'un salarié qui avait appris qu'il allait être licencié et formulée quelques semaines après que l'employeur ait vainement tenté d'organiser des élections (CE, 19 juillet,1991, n° 108754, SA Pizza Opéra N° Lexbase : A9992AQ7). |
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