Réf. : CAA Bordeaux, 4ème ch., 9 juin 2005, n° 02BX00997 (N° Lexbase : A2322DK9), n° 02BX01876 (N° Lexbase : A0325DKA) et n° 02BX02132 (N° Lexbase : A2327DKE), Société Rocamat Pierre Naturelle c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne
le 07 Octobre 2010
Toutefois, à la suite de plusieurs vérifications de comptabilité, l'administration fiscale avait remis en cause les bases d'imposition afférentes à la taxe professionnelle de la société Rocamat SNI et leur avait substitué, pour le calcul de la taxe professionnelle des années litigieuses, la valeur locative plancher applicable en cas de cession d'établissements en application de l'article 1518 B du CGI .
Le service avait, ainsi, rehaussé le montant de la taxe professionnelle due par la société Rocamat SNI au titre des années 1996 et 1997 dans les rôles de la commune de Talence (Gironde), ainsi que dans les rôles de la commune de Campan (Hautes-Pyrénées) et dans les rôles des communes de Vilhonneur (Charente) et de Chauvigny (Vienne) et au titre des années 1998 et 1999 dans les rôles de la commune de Vilhonneur (Charente).
Afin de contester les compléments de taxe professionnelle mise à la charge de la société Rocamat SFI au titre des années 1996, 1997, 1998 et 1999 dans les rôles des différentes communes, la société Rocamat Pierre Naturelle, société en nom collectif, venant aux droits de la société Rocamat SNI, a porté le litige respectivement devant les tribunaux administratifs de Bordeaux, Pau et Poitiers.
Les premiers juges de Bordeaux et de Pau, contrairement aux juges de Poitiers, rejetaient le surplus de la demande en décharge des compléments de taxe professionnelle dont était redevable la société Rocamat SNI.
Aussi, la société Rocamat Pierre Naturelle a interjeté appel des deux premiers jugements par requêtes enregistrées au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 23 mai 2002 et du 9 septembre 2002.
Le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi la même cour administrative par requête enregistrée le 9 octobre 2002 aux fins de voir réformer les deux jugements ayant accordé la décharge à la société Rocamat Pierre Naturelle des impositions supplémentaires de taxe professionnelle.
Dans les trois décisions présentement commentées, la cour administrative d'appel de Bordeaux a statué à l'identique, à savoir :
"Considérant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que l'opération en litige résulte de la décision unilatérale de l'associé unique des sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE ; que la transmission de l'intégralité du patrimoine de ces sociétés à la société Rocamat SNI ne présente par le caractère d'une "cession d'établissement" au sens de l'article 1518 B du CGI, laquelle impliquerait un cédant, un cessionnaire et un accord entre ces deux parties. Considérant que si une opération de dissolution sans liquidation régie par l'article 1844-5 du Code civil, telle que celle en litige, présente certaines similitudes avec une opération de fusion, elle s'en distingue, néanmoins, par le régime juridique auquel elle est soumise, et par la circonstance qu'elle n'exige ni décision de la société dissoute, ni accord préalable entre la société dissoute et la société absorbante ; qu'ainsi, l'opération en question ne peut pas non plus être regardée comme une fusion de société au sens de l'article 1518 B ; que, par suite, l'administration n'était pas fondée à déterminer la taxe professionnelle des années en litige sur la base d'une valeur locative correspondant aux minimums prévus par les dispositions précitées de l'article 1518 B".
Il ressort de ces trois décisions que le montant minimal de la valeur locative pour le calcul de la taxe professionnelle due par la société Rocamat SNI dépend de la nature juridique de l'acte réalisé par celle-ci lors de la transmission de l'intégralité des actifs et passifs des sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE à la société susvisée.
En l'espèce, il convenait de déterminer si la confusion des patrimoines des sociétés susvisées constituait juridiquement une opération de dissolution sans liquidation régie par l'article 1844-5 du Code civil ou au contraire une cession d'établissement au sens de l'article 1518 B du CGI entraînant dissolution de la société "cédante".
Il s'agit là d'un très bel exemple selon lequel le juridique conditionne le fiscal (2).
Toutefois, afin de mieux comprendre la teneur des trois arrêts commentés, il convient dans un premier temps de revenir sur les deux notions suivantes "opération de dissolution" et "cession d'établissement", qui comme le rappelle très expressément la cour administrative d'appel de Bordeaux en l'espèce, présentent, certes, des similitudes, mais se distinguent cependant (1).
1. Distinction juridique entre cession d'établissement et transmission universelle du patrimoine
Lorsqu'une personne morale, associé unique de plusieurs sociétés, souhaite détenir l'intégralité du patrimoine de ces dernières, elle peut, soit recourir à la cession de ces établissements sous forme de fusion par exemple, soit recourir à la dissolution sans liquidation prévue à l'article 1844-5 du Code Civil, plus communément appelée TUP (Transmission Universelle du Patrimoine).
Les deux opérations, fusion et transmission universelle du patrimoine, entraînent le transfert de l'intégralité du patrimoine d'une ou de plusieurs sociétés sans qu'il y ait lieu de procéder à leur liquidation.
La fusion visée à l'article 210-0 A du CGI constitue une diminution des sociétés en présence soit :
Deux ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine actif et passif à une société nouvelle qu'elles constituent.
Cette opération emporte transmission universelle du patrimoine de la société dissoute au profit de la société nouvelle ou préexistante.
En d'autres termes, une ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine actif et passif à une autre société préexistante.
La réalisation d'une opération de fusion exige une décision de l'assemblée générale extraordinaire de la société dissoute, ainsi qu'un accord préalable entre la société dissoute et la société absorbante.
En revanche, la transmission universelle du patrimoine au sens de l'article 1844-5 du Code civil n'entraîne pas automatiquement la dissolution de la société qui a transféré l'intégralité de ses actifs et passifs et n'exige ni décision de la société dissoute ni accord préalable entre la société dissoute et la société absorbante.
En effet, aux termes de cet article, il est précisé que la réunion de toutes les parts sociales en une seule main n'entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. Tout intéressé peut demander cette dissolution si la situation n'a pas été régularisée dans un délai d'un an. Le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de trente jours à compter de la publication de celle-ci.
Dans nos trois affaires similaires, force est de constater que la nature juridique de l'opération ayant permis la transmission de l'ensemble du patrimoine des trois sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE a un impact déterminant sur les bases d'imposition à retenir pour le calcul de la taxe professionnelle auquel a été assujettie la société Rocamat SNI.
En effet, il existe une valeur locative plancher l'année de l'opération litigieuse si cette dernière est assimilée à une cession d'établissement ou à une fusion au sens de l'article 1518 B du CGI, alors que les bases d'imposition sont nulles l'année de l'opération si cette dernière est assimilée à une transmission universelle de patrimoine au sens du Code civil.
2. Conséquences de la distinction sur la valeur locative plancher
Les juges d'appel de Bordeaux, au cas particulier, ont considéré que l'opération en litige résultait de la décision unilatérale de l'associé unique des sociétés en cause et que la transmission de l'intégralité du patrimoine de ces sociétés à la société Rocamat SNI ne présentait par le caractère d'une "cession d'établissement" au sens de l'article 1518 B du CGI, laquelle impliquerait un cédant, un cessionnaire et un accord entre ces deux parties.
Par ailleurs, ils ont précisé que si une opération de dissolution sans liquidation régie par l'article 1844-5 du Code civil, telle que celle en litige, présente certaines similitudes avec une opération de fusion, elle s'en distingue, néanmoins, par le régime juridique auquel elle est soumise, et par la circonstance qu'elle n'exige ni décision de la société dissoute, ni accord préalable entre la société dissoute et la société absorbante.
Dès lors, dans la mesure où l'opération litigieuse avait été décidée par la seule société Rocamat SNI et, donc, sans aucun accord des sociétés ayant transféré leur patrimoine, elle devait être assimilée à une opération de dissolution sans liquidation au titre de l'article 1844-5 du Code civil.
Aussi, les bases d'imposition devaient être déterminées par application des dispositions de l'article 1478 du CGI et non en vertu des dispositions de l'article 1518 B du même code.
Il convient de rappeler que la société requérante avait considéré que cette opération s'analysait au plan fiscal comme un changement d'exploitant et avait en application des dispositions de l'article 1478 du CGI, déclaré des bases d'imposition calculées d'après la valeur des immobilisations corporelles dont elle avait disposé au 31 décembre 1995.
Les seconds juges ont, donc, dégrevé les compléments de taxe professionnelle mis à tort par l'administration fiscale à la charge de la société Rocamat SNI sur le fondement de l'article 1518 B du CGI.
Il s'agissait, en réalité, d'un simple changement d'exploitant, comme l'avait d'ailleurs souligné la société Rocamat Pierre Naturelle, puisque les quatre sociétés avaient toutes la même activité d'exploitation de carrières et que la société Rocamat SNI était l'associé unique des trois sociétés précitées.
La taxe professionnelle due pour les années litigieuses relevait, donc, bien de l'article 1478 du CGI.
La société Rocamat SNI a, ainsi, pu valablement bénéficier de l'exonération de taxe professionnelle l'année où le changement d'exploitant a eu lieu soit en 1995 et a pu légitimement calculer ses bases d'imposition au titre des années 1996 et 1997 d'après les immobilisations dont elle avait disposé au 31 décembre 1995 et les recettes réalisées au cours de cette même année.
La valeur locative plancher obligatoire en cas de cession d'établissement ou de fusion ne lui était, donc, pas applicable.
Aucun arrêt du Conseil d'Etat ne semble avoir été rendu à notre connaissance en la matière.
Aussi, ces trois arrêts viennent ouvrir la voie à une jurisprudence sur le champ d'application de la valeur locative plancher en matière de taxe professionnelle en cas de transmission de l'ensemble des actifs et passifs d'une ou de plusieurs sociétés à une seule entité.
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