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le 07 Octobre 2010
En principe, en France, l'action en justice appartient personnellement à celui qui a intérêt à agir. Ainsi, "nul ne plaide par procureur". A contrario, cette règle signifie, en fait, que le nom de toutes les parties doit être indiqué dans le cas d'une action par procureur (cf. action en représentation conjointe ci-dessous).
Les actions collectives sont donc des exceptions à ce principe, exceptions qui prennent, néanmoins, de l'importance.
1.1 L'action d'intérêt collectif (droit de la consommation, droit financier, droit de la santé)
L'action est exercée par un groupement au nom des intérêts collectifs qu'il représente.
Une association ou un syndicat peuvent défendre l'intérêt collectif pour lequel ils se sont constitués. L'intérêt en jeu n'est pas général puisqu'il concerne un groupe défini, mais n'est pas non plus une somme d'intérêts individuels.
Ainsi, une association agréée de consommateurs ou encore d'actionnaires et investisseurs en valeurs mobilières et produits financiers peut demander en justice une réparation pour un préjudice causé à l'intérêt collectif, par exemple, par une publicité mensongère, ou de faire cesser des agissements illicites dans le but d'éviter que des membres n'en deviennent victimes.
En matière de droit de la santé, un des buts de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (loi n° 2002-303 N° Lexbase : L1457AXA) est de parvenir à instaurer une véritable démocratie sanitaire en France. Une des applications de cet objectif a été de permettre aux associations d'intervenir dans les établissements de santé, mais aussi, dans les procès pénaux.
L'article L. 1114-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4507DLI) permet, également, dans certaines conditions plus restreintes, l'intervention des associations d'usagers du système de la santé agréées au niveau national. Celles-ci peuvent exercer des droits reconnus à la partie civile dans un procès pénal concernant les infractions d'homicide involontaire et d'atteintes involontaires à l'intégrité physique de la personne et celles prévues par le Code de la santé publique qui portent un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des usagers du système de santé.
Mais cette action collective ne permet pas d'agir en justice pour défendre des intérêts particuliers. De plus, la preuve du préjudice collectif est admise difficilement par les tribunaux.
1.2 L'action en représentation conjointe (droit de la consommation)
L'action en représentation conjointe est exercée par un groupement au nom de ses membres ou par un individu au nom d'un groupe organisé de personnes se trouvant dans une situation similaire.
Cette action est ouverte à des associations agréées et reconnues représentatives sur le plan national et mandatées par des consommateurs, et à des syndicats, dans le but de défendre les intérêts individuels des salariés. Les actionnaires d'une société ont, aussi, la possibilité de désigner, parmi eux, un représentant par mandat exprès afin qu'il exerce une action en responsabilité contre les administrateurs de la société.
Les associations agissent en réparation au nom des consommateurs.
Cependant, la mise en oeuvre de cette action n'est pas sans poser des difficultés de par ses conditions. Le mandat doit être donné expressément (par écrit) par chaque consommateur. Et les consommateurs concernés ne peuvent être recherchés par publicité ou par appel à témoins. Les victimes doivent, donc, se manifester d'elles-mêmes et prendre l'initiative d'aller trouver les associations. En pratique, il y a très peu d'exemples d'application de ce dispositif.
1.3 Le soutien des associations dans le cadre des litiges de masse
Les associations jouent donc un rôle essentiel, aujourd'hui, dans les litiges de masse, même si elles n'interviennent qu'indirectement dans le procès, en se portant partie civile. Elles sont, pourtant, très présentes en amont, à savoir, dans le soutien aux victimes, par une éventuelle négociation avec le responsable afin de trouver un accord amiable ou dans le cadre du procès.
Une victime seule, sans aucun soutien, peut se trouver démunie face à la procédure à initier. Elle doit faire la démarche de prendre un avocat, qui, lui-même, pourra éprouver des difficultés pour défendre au mieux son client du fait de sa méconnaissance de la question. Les affaires peuvent en effet être très complexes et nécessiter du temps pour les avocats avant d'appréhender entièrement les problèmes factuels et juridiques, ce qui se répercute sur les honoraires à payer par la victime.
C'est pourquoi certaines associations, aidées par des avocats, expriment une réelle volonté d'organiser les poursuites de personnes victimes d'un préjudice spécifique. Elles ne peuvent regrouper les victimes mais cherchent, néanmoins, à les aider dans leur action, en leur donnant tous les éléments pour la mener à bien.
Tel est, encore, le cas de l'association Réseau D.E.S. France qui a pour objet de regrouper les personnes victimes du médicament Distilbène (1). Elle a, notamment, un rôle d'information, de soutien des victimes et de coopération avec les professionnels (2).
D'autres associations vont plus loin : le Comité National contre le Tabagisme (CNTC), par exemple, se voit allouer des subventions pour financer, d'une part, ses campagnes d'information et de prévention et, d'autre part, ses actions judiciaires pour le respect de la loi "Evin" (loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme N° Lexbase : L3377A9X), notamment, en terme d'information sanitaire. Celui-ci invoque régulièrement, dans le cadre de procès pénaux de victimes, une atteinte à l'intérêt collectif qu'il défend et demande la réparation du préjudice causé résultant de la mise en échec de son activité de prévention.
C'est aussi le cas l'Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM) dirigée par Me Colette Neuville qui n'hésite pas à mettre en cause la responsabilité de dirigeants de grandes sociétés dans le cadre de litiges financiers.
Mais, les indemnités allouées à ces associations le sont le plus généralement allouées au titre d'un préjudice moral et restent symboliques et celles-ci ont, souvent, peu de moyens pour faire face à des entreprises bien davantage structurées et organisées dans leur stratégie judiciaire.
1.4 Les autres acteurs concernés par les actions collectives
D'autres structures pourraient, aussi, chercher à faire valoir leurs intérêts telles que les compagnies d'assurance ou encore les sociétés de protection juridique. Ces dernières interviennent pour le compte de personnes qui s'étaient assurées auprès d'elles pour la prise en charge des frais juridiques en cas de litige. Ces sociétés sont tentées, bien évidemment, de regrouper les plaintes ou les litiges et de chercher à aboutir à des transactions pour de nombreuses raisons.
Toutefois, le rôle de l'avocat organisateur ou maître d'oeuvre rôdé par sa connaissance et sa pratique quotidienne à ces questions de responsabilité et d'indemnisation apparaît indispensable. Qui pourrait, en effet, prétendre mieux que lui maîtriser la chaîne de la solution juridique, du conseil juridique au judiciaire et, par là-même, proposer la stratégie procédurale la plus adaptée au cas d'espèce ou encore l'issue transactionnelle la plus satisfaisante, du fait de son indépendance et de ses compétences?
Seuls un travail de collaboration étroit et une coordination entre les différents acteurs concernés pourront, donc, donner sens à cette nouvelle dimension procédurale.
2. La mise en oeuvre d'une action de groupe
L'action de groupe ("class action") permet de regrouper des victimes d'un même préjudice, sans que celles-ci se trouvent dans un groupe déjà constitué.
Deux systèmes sont concevables pour s'assurer de l'appartenance au groupe des personnes qui le composent : l'"opt in" et l'"opt out".
Dans l'"opt in", ne deviennent membres du groupe que les personnes qui en ont manifesté la volonté avant une date fixée par le jugement autorisant l'action.
Dans l'"opt out", toutes les personnes entrant dans la définition du groupe feront partie de celui-ci dès lors qu'elles n'ont pas exprimé la volonté de s'en exclure avant la date fixée dans le jugement autorisant l'action.
L'introduction dans le droit français de la "class action" n'est pas une idée neuve. Depuis plus de vingt ans, cette idée est discutée âprement par les acteurs concernés par ce projet.
L'intérêt de l'instauration de la "class action" se manifeste lors d'événements qui ont une ampleur telle qu'une organisation des victimes est nécessaire.
Malgré l'absence de législation la permettant, elle peut être envisageable en France dans des situations exceptionnelles. Tel était le cas en 1978, lors du naufrage du pétrolier Amoco Cadiz sur la côte nord-ouest du Finistère qui avait provoqué une marée noire (3).
L'instauration de la "class action" est, cependant, rendue plus difficile par certaines règles ou concepts juridiques ou culturels.
Les "class actions" aux Etats-Unis se sont développées au cours du XXème siècle dans des affaires de droit de sociétés dans lesquelles les détenteurs d'actions menaient une action commune contre les dirigeants d'une société.
Puis, en 1966, elles sont étendues à tout le contentieux civil : droit de la consommation sous la banière de l'avocat Ralph Nader, droit du travail, droit de l'environnement, responsabilité civile des professionnels (dont les médecins) et des fabricants, droit des produits défectueux et droit de la santé...
Au Québec, une loi du 25 janvier 1979, modifiée par le 1er janvier 2003, a instauré à son tour les class actions.
2.1 Sur quoi repose le succès des "class actions" ?
Aux Etats-Unis, le succès des "class actions" est favorisé par certains éléments, dont le recours à la publicité pour rechercher les victimes avant le procès. Des sites internet américains publient des listes de médicaments contre lesquels une plainte et le recours à une class action sont seulement à l'étude à la suite de faits pouvant la justifier et proposent un contact gratuit avec un avocat. Cette pratique peut mettre en péril la réputation du laboratoire concerné, alors qu'aucun jugement n'a été prononcé et que les faits ne sont pas vérifiés ou la causalité n'est pas établie.
2.2 A quelles conditions ?
Il est peu probable que le législateur français admette ce type de publicité préalable, d'"appel à témoins".
De plus, la class action représente un coût phénoménal pour celui qui veut l'intenter. Aux Etats-Unis, des cabinets d'avocats spécialisés prennent le plus souvent en charge les frais et sont payés au pourcentage (25 à 35 %) sur la somme totale obtenue par la décision des juges. Au Canada, un Fonds d'aide aux recours collectifs a été institué afin d'attribuer une aide financière aux requérants (remboursable en cas de succès).
En France, les victimes ne peuvent qu'agir individuellement. Pour prendre l'exemple du Distilbène, il y aurait 160 000 victimes selon l'association D.E.S.-France. Pour que toutes les victimes soient indemnisées, il faudrait autant de procès. Or, toutes les victimes n'engagent pas d'action en justice, comme le montrent le nombre restreint de décisions rendues et le nombre de dossiers judiciaires en cours : une cinquantaine. Elles doivent, notamment, supporter entièrement tous les frais de la procédure (honoraires d'avocats, frais de justice), ce qui peut en décourager certaines.
Si la France suit le modèle américain, les procédures de class action développeront sûrement la pratique des honoraires de résultat. Elle est limitée en France car elle ne peut excéder un certain pourcentage et la remise d'une somme provisionnelle du client est obligatoire. Dans ce cas, il faut s'interroger sur le succès de cette action si les avocats doivent engager trop de frais sans pouvoir être rémunérés.
Les avocats américains prennent le risque de prendre entièrement à leur charge les frais du procès avant le jugement car les dommages-intérêts peuvent atteindre des sommes qui ne sont pas envisageables en France. En effet, les dommages-intérêts ne portent pas seulement sur la réparation à hauteur du préjudice mais ils comportent aussi les "punitives damages" correspondant à une amende civile (4).
Si la France crée, comme le Canada, un fonds d'aides pour les recours collectifs, les associations auraient, sans doute, une plus grande place, mais il pourrait aussi permettre aux cabinets d'avocats d'initier une procédure avec un minimum de fonds.
Conclusion
La "class action" permet aux victimes de voir leurs forces rassemblées peser un poids véritable face aux grandes sociétés. Mais il n'en reste pas moins que cette procédure doit être bien encadrée. Le projet de loi rencontrera certainement, de ce fait, des résistances de la part des industries qui verront leur responsabilité engagée plus fréquemment par des adversaires plus imposants. Les dispositions qui seront prévues pour l'action de groupe seront, cependant, indispensables pour éviter les dérives liées à une judiciarisation croissante et qui pourraient consister, notamment, en des mises en cause trop rapides, voire abusives, de certaines entreprises. Une procédure abusive et publique d'une industrie pourrait mettre en péril sa réputation, ce qui peut avoir des conséquences très graves par la suite (baisse significative du chiffre d'affaire, licenciements...). C'est pourquoi des adaptations du doit français seront nécessaires pour bien accueillir cette réforme. La médiation qui connaît un succès grandissant devra être encouragée afin d'améliorer le règlement des litiges de masse initiés par les "class actions". Reste la question non élucidée du personnel et des instruments nécessaires qui devront être mis à la disposition du pouvoir judiciaire pour pouvoir gérer de telles actions.
Soliman Le Bigot
LBM avocats
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