Réf. : CE 9° et 10° s-s, 10 août 2005, n° 259741, M. Sarteur c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A3775DKZ)
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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris
le 21 Octobre 2014
L'article 14 de la CESDH interdit toute discrimination dans la jouissance des droits et liberté reconnus par la convention. En effet selon ce texte "la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation". Pour pouvoir invoquer cette disposition, une personne doit démontrer qu'un droit dont l'existence est reconnue par la convention européenne est affecté par la discrimination prétextée. Cependant, selon la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), le contentieux fiscal échappe au champ des droits et obligations de caractère civil de l'article 6 de la convention (N° Lexbase : L7558AIR) (CEDH, 12 juillet 2001, Req. 44759/98, Ferrazzini c/ Italie N° Lexbase : A7683AWH ; lire Table ronde : libertés fondamentales, non-discrimination, conventions fiscales bilatérales, Lexbase Hebdo n° 78, du 3 juillet 2003 - édition fiscale N° Lexbase : N7973AAK).
1.1 L'avancée initiée par le Conseil d'Etat
Suivant les conclusions rendues par son commissaire du Gouvernement, François Séners, le Conseil d'Etat a posé comme principe que les dispositions combinées de l'article 14 de la convention et 1er du premier protocole additionnel, selon lequel "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens", peuvent être utilement invoquées pour soutenir que la loi fiscale serait à l'origine de discriminations injustifiées entre contribuables (CE du 12 avril 2002, n° 239693, avis "Financière Labeyrie" N° Lexbase : A6303AY4 ; lire L'intérêt de retard est-il... légal ? : quelques remarques sur une matinée-débats consacrée à l'avis "Financière Labeyrie" du Conseil d'Etat, rendu le 12 avril 2002, Lexbase Hebdo n° 28, du 20 juin 2002 - édition fiscale N° Lexbase : N3232AAX ; lire également Jean-Marc Priol, Taxes foncières : invocabilité de l'article 14 de la CESDH, Lexbase Hebdo n° 76, du 19 juin 2003 - édition fiscale N° Lexbase : N7855AA8). Ainsi, le juge ouvrait une nouvelle possibilité de contester la loi fiscale, puisque le respect du principe d'égalité devant les charges publiques ne peut être revendiqué devant le juge de l'impôt contre des impositions régulièrement établies. On sait que ce contrôle de la constitutionnalité ne peut être effectué que par voie d'action devant le Conseil constitutionnel.
1.2 Les limites
En l'espèce, la question posée aux Sages du Palais Royal, à laquelle une réponse négative a été donnée, portait sur l'application du principe de non-discrimination à la différence de traitement en matière d'intérêts de retard, selon que le débiteur est l'Etat ou le contribuable. On sait que le taux de l'intérêt de retard dû par le contribuable qui ne s'acquitte pas dans les délais de sa dette fiscale est fixé à 9 % l'an et que le taux des intérêts dits moratoires lorsqu'ils sont dus, par exemple, par l'Etat à un contribuable qui a obtenu un dégrèvement à la suite d'une procédure contentieuse est fixé à 2,05 % l'an. Le Conseil a donc refusé que l'article 14 puisse concerner une discrimination, qualifiée de "verticale" entre l'Etat et les citoyens et limitait son application à la discrimination qualifiée d'"horizontale" entre contribuables placés dans la même situation. Selon lui, contrairement aux conclusions de son commissaire, les dispositions de l'article 14 de la CESDH et de l'article 1er de son premier protocole additionnel sont sans portée dans les rapports institués entre la puissance publique et un contribuable à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de l'impôt.
2. Application concrète des dispositions de l'article 14 de la convention
Avant l'entrée en vigueur de l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 1994, l'article L. 209 du LPF prévoyait que les contribuables qui avaient contesté une cotisation d'impôt direct établie à la suite d'un redressement pour laquelle ils avaient obtenu le sursis de paiement, devaient payer des intérêts moratoires à l'Etat, lorsqu'une juridiction rendait une décision qui leur était défavorable. Une interprétation littérale de cette rédaction conduisait à exclure du champ d'application du texte, et donc écarter l'exigibilité d'intérêts en cas de décision défavorable, les contribuables qui, ayant demandé le sursis, ne l'avaient pas obtenu faute d'avoir présenté des garanties suffisantes. Or, dans cette situation le comptable ne pouvait prendre à leur encontre que des mesures conservatoires, sans pouvoir procéder à des mesures d'exécution lui permettant de recouvrer la créance fiscale. La loi de finances rectificative pour 1994 a donc précisé que les intérêts moratoires prévus par l'article L. 209 du LPF s'appliquent, le cas échéant, dès lors que le contribuable avait présenté une demande de sursis de paiement, sans qu'il soit besoin de distinguer selon qu'il a effectivement obtenu ou non ce sursis.
Saisi par un contribuable, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur cette différence de traitement induite par l'ancienne rédaction de l'article L. 209. Dans un considérant de principe, le juge énonce "qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire", au sens des dispositions de l'article 14 de la CESDH, "si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi". Or, comme prend soin de le préciser l'arrêt, les intérêts moratoires prévus à l'article L. 209 du LPF ont pour objet de réparer le préjudice subi par le Trésor du fait du paiement tardif de l'impôt. La différence de traitement existant entre les contribuables ayant constitués des garanties et ceux qui ne l'ont pas fait ne justifie pas, eu égard à cet objet, une telle différence de traitement. Autrement dit, la simple réparation du préjudice financier de l'administration ne justifiait pas que les contribuables soient traités différemment selon qu'ils avaient obtenu ou non le sursis de paiement en raison de la présentation dans les délais de garanties suffisantes.
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