La lettre juridique n°183 du 29 septembre 2005 : Propriété intellectuelle

[Evénement] Les contenus libres et biens communs informationnels - le projet Creative Commons

Lecture: 8 min

N8791AIG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Evénement] Les contenus libres et biens communs informationnels - le projet Creative Commons. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207594-evenement-les-contenus-libres-et-biens-communs-informationnels-le-projet-i-creative-commons-i-
Copier

par Propos recueillis par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 07 Octobre 2010

A la frontière du débat entre bien public/bien privé, ou bien collectif/bien individuel, naît un nouvel objet de droit : les contenus libres et les biens communs informationnels sous licence Creative Commons. Sur ce sujet de prospective juridique, l'ADIJ (l'Association pour le Développement de l'Informatique Juridique) a organisé, le 20 septembre 2005, une conférence animée par Danièle Bourcier, CERSA, CNRS-Université de Paris 2 et par Mélanie Dulong de Rosnay, CERSA, CNRS/Medialive, responsable CC-France. La première intervenante a replacé la question des biens communs et des contenus libres dans son contexte juridique, montrant par là-même la nécessité de simplifier l'accès aux droits d'utilisation attachés à une oeuvre (1) ; la seconde intervenante a tenté de démontrer le caractère modulable et complémentaire au droit commun de la propriété intellectuelle, de la licence Creative Commons (2).

1. Biens communs et contenus libres : une question juridique nouvelle ?

"Le dessein de l'art est de lutter contre les obligations" clamait Amedeo Modigliani ; c'est en suivant ce précepte que le projet Creative Commons s'est développé. Ainsi, Creative Commons propose des contrats-type pour la mise à disposition d'oeuvres en ligne. Inspirés par les licences libres, les mouvements open source et open access, ces contrats facilitent l'utilisation, la diffusion, la réutilisation et la modification d'oeuvres (textes, photos, musique, vidéos, sites web...). Les contrats Creative Commons permettent d'autoriser à l'avance le public à effectuer certaines utilisations selon les conditions exprimées par l'auteur. C'est donc bien la recherche d'une simplification des relations auteur/utilisateur-exploitant qui motive ce projet.

Malgré les prescriptions de la loi "Toubon", la terminologie anglaise a été conservée -aucune traduction française ne rendant compte de l'ensemble sémantique de l'expression-. Pour l'anecdote, elle trouve son origine dans un article de Garret Hardin, The tragedy of commons, publié en 1968 dans la revue Science, qui pour traduire l'idée d'une nécessité de correctement gérer les ressources communes qui tendent à se raréfier, empruntait cette expression au conflit biens individuels/biens communs né lorsque les pâturages collectifs furent clôs dans l'Angleterre du XVIème siècle.

Pour une illustration plus moderne de la nécessité de réguler l'exploitation d'une oeuvre au-delà du simple cadre des droits d'auteur, pensons au film Twelve monkeys retiré des salles après quelques semaines d'exploitation, car un créateur refusait que son dessin apparaisse de manière, même anodine, sur un fauteuil, dans le film. Quelles eurent été les conséquences, si l'auteur du dessin avait pu, par avance, expliciter clairement son choix pour l'utilisation de son oeuvre ?

Le projet Creative Commons est un projet d'attribution explicite de droits et de réserves par un auteur sur son oeuvre. Ainsi, le contenu d'une oeuvre fait l'objet d'une ré-appropriation par son auteur. Par l'intermédiaire de la licence Creative Commons, ce dernier décide de quelle manière il entend que son oeuvre circule (quel que soit le média), de quelle manière il entend que son oeuvre soit exploitée.

Cette attribution est génératrice de licence. Si cette licence peut prévaloir pour une utilisation papier ou internet de l'oeuvre, c'est sur internet que l'auteur affectera les droits et réserves optionnels qu'il entend attribuer à son oeuvre.

Ce système de licence induit un système de recherche d'oeuvre. Cette licence confère un tag, un logo Creative Commons qui permettra à une interrogation sur méta-données, à partir d'un moteur de recherche (comme celui de Yahoo, par exemple), de retrouver l'ensemble des oeuvres placées sous Creative Commons.

Enfin, cette licence est le témoignage explicite d'une communauté d'esprit et de pratiques. En effet, ce projet revêt une dimension internationale, puisque 75 pays travaillent actuellement à une transposition nationale du contrat de licence élaboré par l'International Commons. La France est en quatrième position des pays les plus dynamiques sur le sujet.

Creative Commons intéresse donc l'ensemble des oeuvres, à l'exception des logiciels ; ces derniers disposant déjà d'un contrat équivalent (licence open source) qui s'est développé depuis plus d'une vingtaine d'année. Mais, à la différence des logiciels, la transposition des contrats Creative Commons, en France, se fait en accord, sous le contrôle et la validation de l'autorité de tutelle, l'International Commons.

L'économie numérique oblige à penser autrement l'exercice des droits d'auteur tout en permettant le développement de la création et de la connaissance. Comment faire pour que biens communs et biens individuels soient non rivaux, non exclusifs, cumulatifs ? C'est à cette question que tente de répondre l'adaptation des licences Creative Commons en droit français.

2. L'adaptation des licences Creative Commons au droit français : état de la discussion

Existe-t'il un système qui permette à l'avance et simplement, à un auteur, de choisir les conditions d'utilisation d'une oeuvre ? Existe-t'il un moyen de connaître les conditions d'utilisation d'une oeuvre pour un utilisateur potentiel ? La licence Creative Commons permet d'obérer la négociation entre utilisateur et auteur. Ces licences contribuent à diminuer les coûts de transaction : distribution, recherche automatique d'oeuvres, information sur le régime des droits, négociation en cas d'utilisation commerciale après l'option "Pas d'Utilisation Commerciale", rédaction d'autorisations d'utilisation ou de remix, procédure...

Le projet Creative Commons, en France, est la traduction et l'acceptation de contrats de licence établis par l'International Commons, en droit national. Initié à Standford, ce projet vise à la fois l'homologation des contrats de licence par l'organe international et le droit national, par le truchement d'un organisme centralisateur : en France, le CERSA (CNRS-Paris 2). En décembre 2003, le CERSA proposait une traduction littérale de ces contrats ; en novembre 2004, était publiée la traduction applicable en France. Cette traduction tient compte de deux contraintes fondamentales : le droit moral (ordre public - droit inaliénable) et le droit de la responsabilité (pas de clauses de garantie pour une jouissance paisible -rien ne prémunit un utilisateur contre une contrefaçon à l'origine de l'oeuvre-. On a pu recenser 53 millions de liens vers les licences Creative Commons dans le monde (750 000 en France). D'où l'intérêt croissant des auteurs et des utilisateurs, et donc a fortiori des juristes chargés de déterminer le cadre juridique de l'exploitation d'une oeuvre, pour cette transposition.

Le contrat Creative Commons est un complément au droit d'auteur tel qu'issu de la propriété littéraire et artistique en droit français. Il ne s'agit, en aucun cas, d'une substitution. Il s'appuie sur la notion de copyright ou sur le Code de propriété intellectuelle. Ce contrat organise les conditions de circulation de la "littérature grise" : à défaut, c'est le droit commun/droit d'auteur qui s'applique. L'objectif est de ne pas réserver de droit exclusif d'exploitation ; de signaler que certains droits d'exploitation, même non commerciale, sont ouverts et d'autres conditionnels.

En fait, cette licence s'adresse essentiellement aux auteurs qui désirent plus de liberté pour l'exploitation de leur oeuvre que les droits d'auteur traditionnels.

Le lecteur est invité à visiter le site http://fr.creativecommons.org/, afin de visualiser l'ensemble des conditions attachées à ce type de contrat.

Actuellement, six licences sont disponibles à partir de l'interface Creative Commons. Elles sont désignées par leur nom et les icônes représentant les différentes options choisies par l'auteur qui souhaite accorder plus de libertés que le régime minimum du droit d'auteur en informant le public que certaines utilisations sont autorisées à l'avance.

Paternité
Paternité

Pas de Modification

Paternité

Pas d'Utilisation Commerciale

Pas de Modification

Paternité

Pas d'Utilisation Commerciale

Paternité

Pas d'Utilisation Commerciale

Partage des Conditions Initiales à l'Identique

Paternité

Partage des Conditions Initiales à l'Identique

Signification de chaque option :

  • Paternité : l'oeuvre peut être librement utilisée, à la condition de l'attribuer à son l'auteur en citant son nom.
  • Pas d'Utilisation Commerciale : le titulaire de droits peut autoriser tous les types d'utilisation ou au contraire restreindre aux utilisations non commerciales (les utilisations commerciales restant soumises à son autorisation).
  • Pas de Modification : le titulaire de droits peut continuer à réserver la faculté de réaliser des oeuvres de type dérivées ou au contraire autoriser à l'avance les modifications, traductions...
  • Partage à l'Identique des Conditions Initiales : à la possibilité d'autoriser à l'avance les modifications peut se superposer l'obligation pour les oeuvres dites dérivées d'être proposées au public avec les mêmes libertés (sous les mêmes options Creative Commons) que l'oeuvre originaire.

D'autres options sont disponibles en anglais et n'ont pas encore été traduites en droit français. Elles sont adaptées aux besoins du sampling, des pays en voie de développement, du partage de la musique, dédiées au domaine public...

Tous les contrats revêtent des conditions communes à :

  • offrir une autorisation non exclusive de reproduire, distribuer et communiquer l'oeuvre au public à titre gratuit, y compris dans des oeuvres dites collectives ;
  • faire apparaître clairement au public les conditions de la licence de mise à disposition de cette création, à chaque utilisation ou diffusion ;
  • chacune des conditions optionnelles peut être levée après l'autorisation du titulaire des droits ;
  • les exceptions au droit d'auteur ne sont en aucun cas affectées ;
  • il est interdit d'utiliser des mesures techniques contradictoires avec les termes des contrats ;
  • le partage de fichiers (peer-to-peer) n'est pas considéré comme une utilisation commerciale.

Les licences sont modulables et existent sous trois formes :

  • un résumé explicatif destiné aux utilisateurs non-juristes décrit de manière simple les actes que le public a le droit d'effectuer sur l'oeuvre,
  • un contrat destiné aux juristes,
  • une version en code informatique, permettant d'établir un lien vers le résumé et d'associer des méta-données à l'oeuvre.

Comment faire pour placer une oeuvre sous l'une des licences Creative Commons ? Toute copie ou communication de l'oeuvre au public doit être accompagnée du contrat selon lequel elle est mise à la disposition du public, ou d'un lien vers ce contrat. Le contrat Creative Commons qui a été sélectionné par l'auteur lui apparaît sous la forme d'un morceau de code html/rdf qui peut être inséré facilement sur la page web de l'oeuvre. Ce code reproduira sur le site le logo Creative Commons avec un lien vers la version résumée du contrat sélectionné. L'auteur peut insérer à côté de ce logo une phrase pour expliquer que les oeuvres placées sur son site sont sous l'une des licences Creative Commons.

Exemples sites placés sous Creative Commons:

  • Webradio d'Arte
  • Archives de la BBC
  • V2V, Foxnews
  • Blogs, tutoriels info
  • Liens enseignement, recherche..
  • Collectivités territoriales, partis politiques
  • Musique/photo (cd wired, musique-libre.org, micro-labels)

Le contrat Creative Commons est une licence modulable en fonction des intérêts du titulaire des droits d'auteur sur une oeuvre. Il organise une licence ouverte et promeut un langage d'expression des droits. Ce projet tente ainsi de mettre en place des mesures techniques d'information sur les droits. Ces licences permettent une plus large diffusion de l'oeuvre avec une diminution des coûts de transaction d'exploitation numérique. Elles favorisent l'accès au droit en encourageant une conduite légale vis-à-vis des droits d'auteur. Elles promeuvent l'expérimentation de nouveaux modèles économiques. Elles mettent en place une syndication et un partage de l'information ainsi facilité.

Quid de la controverse sur la non-exploitation commerciale de l'oeuvre : l'idée n'existe pas en droit français. La propriété littéraire et artistique distingue entre exploitation publique ou privée. La nature commerciale d'une exploitation n'est pas un critère restrictif, en France. Il est difficile de savoir à l'avance ce qui va faire ou fait ou non l'objet d'une exploitation commerciale (le site Creative Commons propose faisceau d'indices, mais c'est le juge qui aura, bien évidemment, le dernier mot).

Quid de la compatibilité de cette licence avec le fonctionnement des sociétés de gestion collective (SGC). L'utilisation d'une oeuvre par une SGC est prise en compte par Creative Commons. Mais, contrairement aux Etats-Unis, il n'y pas de possibilité statutaire de fragmenter les conditions d'utilisation d'une oeuvre.

"Les productions de l'art ont leur valeur en elles-mêmes" (Aristote, Ethique à Nicomaque), reste à internet de permettre sa diffusion et sa connaissance dans le respect des choix d'utilisation de l'auteur.

newsid:78791