Réf. : Loi n° 2005-811 du 20 juillet 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers (N° Lexbase : L8408G9B)
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le 07 Octobre 2010
La prévention des abus de marché est assurée par une déclaration de soupçon (I), une déclaration des opérations effectuées par les initiés (II), ainsi que par la tenue d'une liste des initiés (III).
I - La déclaration de soupçon
Analogie. La loi du 20 juillet 2005 crée une nouvelle sous-section dans le Code monétaire et financier (13) relative à la déclaration d'opérations suspectes. Cette déclaration de soupçon rappelle incontestablement la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux (14). Elle s'en distingue, toutefois, sur la question des sanctions. La déclaration de soupçon d'un abus de marché est obligatoire, mais aucune sanction spécifique, administrative, civile ou pénale, n'est expressément prévue.
Domaine (15). La réforme crée une obligation de déclarer à l'AMF les opérations pour lesquelles il existerait des raisons de suspecter qu'elles constituent une opération d'initié ou une manipulation de cours au sens des dispositions du règlement général de l'Autorité des marchés financiers. Cette obligation déclarative pèse sur les prestataires de services d'investissement, à savoir les établissements de crédit, les entreprises d'investissement, mais, également, les autres membres d'un marché réglementé d'instruments financiers (16). Les prestataires de services d'investissement agréés dans un autre Etat membre de la Communauté, mais ayant ouvert une succursale ou exerçant au titre de la prestation de services sont également soumis à cette réglementation (17). Sont concernées par la déclaration de soupçon, non seulement les opérations sur des instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé, mais également les opérations portant sur des instruments financiers ayant fait l'objet d'une demande d'admission aux négociations sur un marché réglementé. Sont, par ailleurs, concernées par la déclaration de soupçon, non seulement les opérations effectuées pour compte propre, mais également et surtout les opérations effectuées pour compte de tiers. Lorsque l'opération ayant fait l'objet de la déclaration relève de la compétence de l'autorité d'un autre Etat (18), l'AMF lui transmet la déclaration (19).
Il convient d'observer que l'obligation de déclaration de soupçon est prévue par la directive 2003/6/CE (N° Lexbase : L8022BBQ) imposant aux personnes, effectuant des opérations sur instruments financiers à titre professionnel, d'avertir l'autorité de marché si ces personnes ont des raisons de suspecter une opération d'initié ou une manipulation de marché (20). Son contenu est détaillé par la directive 2004/72/CE (21). La directive précise, à cet égard, que la déclaration de soupçon doit intervenir sur la base d'un examen "au cas par cas permettant d'apprécier si l'opération peut raisonnablement être suspectée". Les professionnels devront, donc, non seulement mettre en place des procédures leur permettant de détecter automatiquement les comportements de nature à caractériser un abus de marché, mais, ensuite, procéder à une analyse des résultats ainsi obtenus, afin d'établir la pertinence des alertes mises en place. Il a été reconnu, lors des débats parlementaires, que la mise en oeuvre concrète des mécanismes d'alerte, de filtre et d'organisation de la procédure globale de déclaration de soupçon des abus de marché se traduira par une certaine complexité des systèmes d'information des intermédiaires financiers. Le CESR a, néanmoins, adopté des guides d'application de la directive (22).
Par ailleurs, il est possible de s'interroger sur la conformité au droit communautaire du second article de la loi précisant que la déclaration de soupçon s'applique aux professionnels agissant dans le cadre l'article L. 532-18 du Code monétaire et financier. En effet, ce texte concerne, non seulement les prestataires de services d'investissement agréés dans un autre Etat membre qui souhaitent "établir des succursales" en France, mais également les prestataires qui souhaitent "intervenir en libre prestation de services". La réforme soumet ces prestataires agréés dans un autre Etat membre à une déclaration de soupçon auprès de l'AMF. Pourtant, la directive 2004/6/CE prévoit que "les personnes qui effectuent des opérations à titre professionnel sont soumises aux règles de notification de l'Etat membre dans lequel elles ont leur siège social ou leur administration centrale ou, dans le cas d'une succursale, de l'Etat membre où celle-ci est située. La notification est adressée à l'autorité compétente de cet Etat membre (23)". Ainsi, à la différence du droit communautaire, le droit français soumettrait également le prestataire de services d'investissement agréés dans un autre Etat membre à une déclaration de soupçon auprès de l'AMF. Il n'est pas certain qu'un renforcement des exigences de la directive, ayant pour effet de soumettre le prestataire de services d'investissement agissant au titre de la libre prestation de service, non seulement à la réglementation de son pays d'origine, mais également à la réglementation du pays d'accueil, soit conforme avec le droit communautaire. Toutefois, cette différence entre le droit français et le droit communautaire paraît s'expliquer par la lecture faite du champ d'application de l'article L. 532-18 du Code monétaire et financier lors des travaux parlementaires à l'origine de la réforme du 20 juillet 2005. Selon ces débats parlementaires, l'article L. 532-18 du Code monétaire et financier serait limité à la création d'une succursale, et non à l'exercice de la libre prestation de service (24). La lettre du texte ne comporte pourtant pas une telle limitation.
Concernant la transmission de la déclaration de soupçon par l'AMF à l'autorité d'un autre Etat membre, il convient de se référer au droit communautaire pour préciser les hypothèses visées. Il ressort; ainsi, de l'article 10 de la directive 2003/6/CE que les Etats concernés sont ceux sur le territoire desquels les instruments financiers sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou sont en cours d'admission, ainsi que ceux où ont été accompli de tels actes.
Modalités (25). La loi renvoit au règlement général de l'AMF pour préciser les conditions de la déclaration de soupçon. Cette déclaration peut être verbale, bien que, dans ce cas, elle doive, néanmoins, être confirmée par écrit. La déclaration doit comporter une description des opérations suspectes (26), les raisons du soupçon, et les moyens permettant l'identification des personnes pour le compte desquelles les opérations ont été réalisées, ainsi que, plus généralement, de toute autre personne impliquée, et enfin, l'indication permettant de savoir si l'opération a été effectuée pour compte propre ou pour compte de tiers. Si l'ensemble de ces informations n'est pas disponible au moment de la déclaration de soupçon, elles pourront faire l'objet d'une déclaration complémentaire, dès que l'auteur de la déclaration initiale en aura connaissance. Seule les motifs du soupçon doivent être communiqués lors de la déclaration initiale. A cette liste d'information, l'auteur de la déclaration pourra communiquer toute autre information pertinente.
Il ressort de la directive 2004/72/CE que la déclaration écrite peut être effectuée par lettre, courrier électronique ou encore par la télécopie. La directive prévoit que, dans l'hypothèse d'une déclaration verbale, une confirmation écrite puisse être exigée par l'autorité compétente, mais le législateur français a décidé de rendre obligatoire la confirmation écrite d'une déclaration orale. On peut s'interroger sur la différence entre une déclaration écrite et une déclaration verbale obligatoirement confirmée par écrit. Une telle différence existe cependant, en particulier du point de vue de la date à laquelle il sera possible de considérer que la déclaration sera valablement effectuée. La date d'une telle déclaration peut jouer un rôle important au regard des immunités dont bénéfice le déclarant.
Confidentialité (27). La confidentialité de la déclaration de soupçon est assurée par une série de dispositions. En premier lieu (28), la déclaration de soupçon ne figure pas dans le dossier de la procédure qui est communiqué par l'AMF au Procureur de la république. En second lieu (29), l'existence, comme les suites d'une déclaration de soupçon, sont couvertes par le secret professionnel. Les dirigeants comme les salariés des entreprises à l'origine d'une déclaration ne peuvent en révéler l'existence comme les suites. Cette interdiction s'applique, tout particulièrement, à l'égard des personnes suspectées. La violation de ces obligations est punie par les peines relatives à la violation du secret professionnel. Il en est de même à l'égard des personnes agissant pour l'AMF. Le régulateur, ses membres, experts, et personnes déléguées (30), comme leurs salariés doivent également conserver la confidentialité de la déclaration de soupçon. La violation de ces obligations est pénalement sanctionnée (31). Cette confidentialité s'exerce à l'égard des membres de l'AMF, sans préjudice des obligations incombant aux autorités publiques et aux fonctionnaires (32) et des pouvoirs et obligations d'information de l'AMF (33).
Il a été observé, au cours des débats parlementaires (34) que le fait que la déclaration de soupçon ne figure pas dans le dossier transmis au procureur de la République permettra d'éviter que les personnes suspectées qui auront accès au dossier puissent ainsi prendre connaissance de l'existence et de l'auteur de la déclaration.
Immunités (35). L'immunité de l'auteur de la déclaration de soupçon, ainsi que de ses dirigeants ou salariés, est assurée, autant sur le plan pénal et, en particulier, de la violation du secret professionnel, que sur le plan civil, dans le mesure, toutefois, où cette déclaration est effectuée de bonne foi. Cette immunité joue même si la preuve du caractère fautif ou délictueux des faits à l'origine de la déclaration n'est pas rapportée ou si ces faits font l'objet d'une décision de non-lieu ou de relaxe et n'ont donné lieu à aucune sanction. Par ailleurs, sauf concertation frauduleuse avec l'auteur de l'opération ayant fait l'objet de la déclaration, la déclaration de soupçon dégage son auteur, ses dirigeants et salariés, de toute responsabilité pénale ou administrative au titre des opérations effectuées (36).
Ces immunités sont conformes à la directive 2004/6/CE prévoyant, à son article 11, que la déclaration de soupçon ne peut exposer le déclarant de bonne foi à des sanctions. Elles conduisent, cependant, à s'interroger sur l'hypothèse d'une déclaration effectuée de mauvaise foi. La possibilité de mettre en oeuvre la responsabilité civile du déclarant suppose que le secret puisse être levé. Rien n'est prévu à cet égard, sauf à considérer que la déclaration de soupçon faite de mauvaise foi ne bénéficie pas du secret. Une telle interprétation est, toutefois, improbable.
En définitive, la principale observation suscitée par cette obligation de déclaration concerne les sanctions d'une absence de déclaration. L'obligation de déclarer s'impose au professionnel, mais aucune sanction n'est expressément prévue. Certes, aucune sanction administrative, civile ou pénale en particulier pour délit d'initié ou manipulation de cours ne pourra être encourue par le déclarant. A contrario, de telles sanctions pourraient être encourues en cas de défaut de déclaration. Toutefois, la réforme ne prévoit aucune automaticité des sanctions dans l'hypothèse d'une absence de déclaration. La réforme ne paraît donc pas devoir modifier l'état du droit positif à cet égard. Les éléments constitutifs des infractions devront être caractérisés à l'égard des professionnels concernés afin d'engager leur responsabilité.
II - Déclaration des opérations effectuées par les initiés
Situation issue de la loi sur la sécurité financière. La loi de sécurité financière du 1er août 2003 (N° Lexbase : L3556BLB) a obligé les dirigeants, et les personnes ayant des liens personnels étroits avec les dirigeants, à déclarer les opérations réalisées sur les titres de leurs entreprises faisant appel public à l'épargne. Selon cette loi, la communication de ces opérations à l'AMF devait émaner de l'émetteur qui devait également se charger de les rendre publiques (37).
La situation issue de la loi sur la sécurité financière n'était que partiellement conforme au droit communautaire et, en particulier, à la directive 2003/6/CE (38) et à la directive 2004/72/CE, qui vise également les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes au sein d'un émetteur, c'est-à-dire un membre des organes d'administration, de gestion ou de surveillance de l'émetteur, mais aussi tout autre responsable de haut niveau qui dispose d'un accès régulier à des informations privilégiées concernant directement ou indirectement l'émetteur et du pouvoir de prendre des décisions de gestion concernant l'évolution future et la stratégie d'entreprise de cet émetteur, et, enfin, tout personne étroitement liée à une personne exerçant des responsabilités dirigeantes au sein de l'émetteur.
Extension du champ d'application (39). La réforme étend principalement le champ d'application du dispositif issu de la loi de sécurité financière. Désormais, la déclaration s'applique également aux personnes qui, au sein de l'émetteur, ont le pouvoir de prendre des décisions de gestion concernant son évolution et sa stratégie. La définition de ces personnes relève du règlement général de l'AMF. Elle s'applique, par ailleurs, aux personnes qui ont un accès régulier à des informations privilégiées concernant directement ou indirectement l'émetteur.
Il a été observé, lors des débats parlementaires, que le terme de responsable de haut niveau prévu par la directive n'est pas directement repris (40). Toutefois, le champ plus large de toute personne exerçant un pouvoir de décision sur l'évolution et la stratégie de l'émetteur, ou disposant d'un accès régulier à des informations privilégiées, recoupe le domaine prévu par la directive. Le projet de modification du règlement général de l'AMF reprend les précisions de la directive (41), en incluant, notamment parmi les initiés, le directeur financier et le responsable de l'information financière.
Modalités d'application (42). Désormais, la communication à l'AMF des déclarations relatives aux opérations réalisées doit émaner directement des personnes concernées et non de l'émetteur. Par ailleurs, l'AMF se charge désormais de rendre ces opérations publiques. Ces personnes concernées communiquent seulement à l'émetteur une copie de la déclaration effectuée à l'AMF. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles l'assemblée générale des actionnaires de l'émetteur sera informée des opérations réalisées seront déterminées par le règlement général de l'AMF et non par un décret en Conseil d'Etat.
Lors des débats parlementaires, le destinataire de la communication a fait l'objet de discussions (43). Il a finalement été décidé que la communication devait être adressée directement par les personnes concernées à l'AMF et non à l'émetteur. En effet, l'extension à des tiers à l'émetteur de l'obligation de communication rend moins légitime la centralisation de l'information par l'émetteur. Surtout, cette centralisation de l'information aurait fait peser sur l'émetteur un "risque important dans le cas de défaillance dans la collecte des informations portant sur les transactions de personnes très diverses et sur lesquelles il ne peut exercer qu'un contrôle très variable".
III - Liste des initiés
Tenue et mise à jour d'une liste (44). La réforme impose la création d'une liste des personnes ayant accès aux informations privilégiées d'un émetteur. L'obligation concerne, non seulement, les émetteurs dont les instruments financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé, mais également, ceux dont les instruments financiers ont fait l'objet d'une demande d'admission aux négociations sur un marché réglementé. Cette liste doit mentionner les personnes travaillant au sein de l'émetteur qui ont directement ou indirectement accès aux informations privilégiées. Cette liste doit, également, mentionner les tiers ayant accès à ces informations dans le cadre de leurs relations professionnelles avec l'émetteur. Cette liste, régulièrement mise à jour, doit être tenue à la disposition de l'AMF dans des conditions déterminées par son règlement général. Dans les mêmes conditions, ces tiers disposant d'informations privilégiées doivent établir une liste des personnes travaillant en leur sein et ayant accès aux informations privilégiées concernant directement ou indirectement l'émetteur, ainsi que des tiers ayant accès aux mêmes informations dans le cadre de leurs relations professionnelles avec eux. Cette liste doit, également, être mise à jour et tenue à la disposition de l'AMF.
Cette liste prévue par le droit communautaire a pour objectif de faciliter, à l'occasion d'enquêtes, l'identification des personnes susceptibles d'avoir commis un délit d'initié. L'article 5 de la directive 2004/72/CE précise que les listes d'initiés incluent les personnes qui ont accès à des informations privilégiées concernant directement ou indirectement l'émetteur, de manière régulière ou occasionnelle et mentionnent l'identité de toute personne ayant accès à des informations privilégiées, le motif pour lequel elle est inscrite sur la liste, les dates de création et d'actualisation de la liste d'initiés. Il est également précisé que la liste doit être rapidement actualisée en cas de changement du motif pour lequel une personne a été inscrite sur la liste, lorsqu'une nouvelle personne doit être ajoutée à la liste en mentionnant si et quand une personne inscrite sur la liste cesse d'avoir accès à des informations privilégiées. Ces listes doivent être conservées pendant au moins cinq ans après leur établissement ou leur actualisation. Le projet de modification du règlement général de l'AMF (45) reprend les précisions de la directive, en offrant, notamment, la possibilité de créer une liste des initiés permanents et une liste des initiés occasionnels.
Concernant les tiers, les débats parlementaires ont été l'occasion de préciser que sont visés, en particulier, les prestataires de conseil tels que les avocats, les commissaires aux comptes ou les banques de financement et d'investissement. En revanche, les débats parlementaires excluent de cette liste les analystes, les collaborateurs des agences de notation et les journalistes financiers qui ne sont pas réputés disposer d'informations privilégiées.
Frédéric Leplat, Avocat au barreau de Lille, Maître de conférences à l'Université de Rouen
Yves Brulard, Avocat au barreau de Bruxelles, associé Hoche.
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