Réf. : Loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie (N° Lexbase : L8800G9S)
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par Alain Pietrancosta, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne
le 07 Octobre 2010
Le titre IV de la loi CME, auquel est consacré ce commentaire, ne surprendra pas à cet égard, outre mesure, les spécialistes des questions y traitées. Ses deux chapitres, libellés en forme de commandements -"Simplifier l'accès aux marchés financiers" (Chapitre Ier) et "Renforcer la confiance des investisseurs" (Chapitre II)-, mettent à nouveau en valeur une double tendance puissamment à l'oeuvre au niveau international et spécialement communautaire. L'articulation est, au reste, empruntée aux directives européennes "abus de marché" du 28 janvier 2003 (N° Lexbase : L8022BBQ) (8), "prospectus" du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L4456DMY) (9) et "transparence" du 15 décembre 2004 (N° Lexbase : L5206GUD) (10), dont la transposition est ainsi partiellement assurée, avec neuf mois de retard pour la première, trois semaines de retard pour la deuxième et jusqu'à un an et demi d'avance pour la troisième (11). Le tout inscrit dans la perspective d'une réorganisation juridique des marchés financiers imposée par la directive MIF du 21 avril 2004 (12).
Les familiers de cette évolution y retrouvent la place centrale dévolue à l'information du public, instrument privilégié de la régulation financière et du gouvernement d'entreprise et, à l'heure actuelle, seul véritable levier de son harmonisation européenne et internationale ; mais aussi, bien que moins évidemment, l'attention portée aux besoins spécifiques des petites et moyennes entreprises. Le droit financier se voit, en effet, après le droit social, fiscal ou des sociétés (13), mis à son tour au service de l'épanouissement des PME, dont le rôle en terme de croissance et d'emplois est plus que jamais souligné au plan international et national (14). Il est sommé, notamment, de faciliter le financement de proximité, en soustrayant ses utilisateurs aux contraintes de l'appel public à l'épargne, et de créer les conditions d'une familiarisation douce avec les marchés financiers grâce au développement stimulé de la plate-forme électronique dédiée "Alternext" (15).
Une présentation sommaire sera donnée des principales dispositions législatives figurant dans ce Titre IV, respectueuse de son articulation, sachant que leurs entrée en vigueur et mise en oeuvre, lorsqu'elles ne sont pas directement retardées par la loi, nécessitent souvent le relai du règlement général de l'AMF, en cours de révision.
I - Simplification de l'accès aux marchés financiers
Ce que le législateur classe sous cette rubrique se résume, essentiellement, à la réforme de l'appel public à l'épargne (APE), imposée par la directive "prospectus". Le champ d'application (A) et le régime juridique (B) des contraintes inhérentes à ce mode de financement se trouvent, en conséquence, revus et corrigés de manière parfois substantielle (16). Quant à la simplification annoncée, outre qu'il appartiendra in fine aux utilisateurs d'apprécier, on nous permettra de suspendre le jugement à l'adoption des dispositions du règlement général de l'AMF et d'indiquer à titre provisionnel que, si la réforme comporte certains mérites évidents, la preuve n'est pas toujours faite que ce souci de simplification a systématiquement prévalu, que le résultat est à la hauteur des attentes, ni que l'on y est parvenu en tenant compte d'autres impératifs tout aussi respectables.
A - Elargissement du champ des opérations non constitutives d'appel public à l'épargne
Si la loi CME laisse inchangée la définition positive de l'APE, inscrite à l'article L. 411-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9395DYM), elle emporte une complète refonte des exclusions formulées à l'article L. 411-2 du même code (N° Lexbase : L8023HBR). La liste des opérations exclusives d'APE, jusque-là limitée à l'émission ou à la cession d'instruments financiers auprès d'investisseurs qualifiés ou dans un cercle restreint d'investisseurs, s'en voit sensiblement élargie et diversifiée pour être mise en harmonie avec les dispositions de la directive "prospectus". Il importe, toutefois, de signaler que ce travail de transposition, loin de transformer notre législateur en copiste, supposait de celui-ci certains partis pris. Clairement assumés, ces "choix d'opportunité" (17) ont consisté à sortir les opérations listées du champ de l'APE, lors même que le texte communautaire déclinait sa compétence ou ne prévoyait qu'une simple inapplication de l'exigence du prospectus.
Les cas d'exclusion expressément définis par la loi se font, en conséquence, plus nombreux et hétéroclites, les uns fondés sur la qualité de l'auteur de l'opération, les autres sur celle des personnes sollicitées, les derniers sur le quantum ou la nature de l'opération, ce qui correspond sans doute davantage aux besoins du marché mais rend plus difficile qu'auparavant la découverte d'un commun dénominateur à l'ensemble de ces placements restreints ou privés. Ceux-ci se trouvent, désormais, classés par l'article L. 411-2 du Code monétaire et financier en deux paragraphes I et II, qui se distinguent l'un de l'autre par l'ampleur de l'exemption accordée.
1) La première série d'exclusions couvre tant l'admission aux négociations sur un marché réglementé, que l'émission ou la cession d'instruments financiers. Cette portée maximale trouve sa justification dans le statut juridique de l'auteur de l'offre publique.
Ainsi, dans l'hypothèse d'opérations sur instruments financiers (18) "1° Inconditionnellement et irrévocablement garantis ou émis par un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ; 2° Émis par un organisme international à caractère public dont la France fait partie ; 3° Émis par la Banque centrale européenne ou la banque centrale d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen" (C. mon. fin., art. L . 411-2, I), on comprend qu'il s'agit de prendre en compte le caractère public de certaines entités émettrices ou garantes, qui réduit le risque de l'investissement et oblige déjà celles-ci à publier une information considérée comme satisfaisante.
Dans l'hypothèse d'opérations sur instruments financiers "4° Emis par un organisme mentionné au 1 du I de l'article L. 214-1" (N° Lexbase : L3145G9D), autrement dit un organisme privé de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) -SICAV ou FCP-, la sortie du champ de l'appel public à l'épargne s'explique par le souci "de mettre fin à une certaine incohérence et aux doublons, sources de coûts administratifs [...], le placement de ces instruments financiers [étant] en effet soumis à un régime spécifique qui s'impose dans les faits à celui de l'APE" (19).
2) La portée de la seconde série d'exclusions est moins étendue, limitée à l'émission ou la cession d'instruments financiers, et ne couvre donc pas l'admission aux négociations sur un marché réglementé. En conséquence de quoi, aucune condition n'est posée quant à l'auteur de l'opération. De fait, les justifications sont, ici, à chercher du côté des destinataires de l'offre et du montant ou des caractéristiques objectives de l'opération proposée.
- S'agissant des destinataires de l'offre, les exemptions introduites dans notre droit en 1998 sont maintenues et élargies, étant, en outre, précisé désormais qu'elles s'appliquent "nonobstant le recours au démarchage, à la publicité ou à un prestataire de services d'investissement" (C. mon. fin., art. L. 411-2, II, 4°) :
On relève que, conformément à la directive "prospectus", qui s'inspire là de l'exemple américain, la catégorie des investisseurs qualifiés ne se réduit plus aux seules personnes morales. Hélas, la liste des investisseurs réputés qualifiés, fournie par l'article D. 411-1 du Code monétaire et financier, issu du décret n° 2005-1007 du 2 août 2005 (20), ne fait guère allusion aux personnes physiques, pas plus d'ailleurs qu'elle n'y inclut d'office les grandes sociétés, comme le requiert pourtant l'article 2 § 1 e) de la directive.
On remarque, par ailleurs, l'extension de l'exemption légale aux "personnes fournissant le service d'investissement de gestion de portefeuille pour compte de tiers". À l'appui de cette mention spéciale, introduite par amendement parlementaire, il a été fait valoir que la protection des clients de ces intermédiaires ne serait pas remise en cause par une telle présomption, en raison de la réglementation stricte à laquelle sont soumis les gérants sous mandat ; que la clientèle concernée était généralement plus expérimentée que celle des OPCVM ; et qu'au plan commercial, il était pénalisant de dissuader les intermédiaires de démarcher des gérants sous mandat pour leur céder des titres (21).
Cette exclusion se trouve significativement remaniée sous l'influence de la directive "prospectus". Alors que la notion de cercle restreint d'investisseurs revêtait, à l'origine, une nature essentiellement qualitative (22), elle prend désormais un tour nettement quantitatif, englobant tout un ensemble de personnes (autres que des investisseurs qualifiés) inférieur à 100 (23). Certaines difficultés de qualification antérieures s'en trouveront heureusement aplanies. Quant à l'appréciation du quantum, on regrettera ici que ni la loi ni le décret d'application ne précise, à la différence de la directive, qu'il se calcule par Etat membre.
- La loi CME innove en consacrant trois nouvelles hypothèses d'exclusion fondées sur le montant global ou individuel de l'investissement proposé (C. mon. fin., art. L. 411-2, II, 1° à 3°). La nature purement quantitative de ces exemptions, d'inspiration américaine, marque une mini-révolution dans la conception française de l'appel public à l'épargne.
Le législateur français s'est, ici, engouffré dans l'espace laissé libre par la directive "prospectus", déclarée inapplicable aux offres de valeurs mobilières d'un montant annuel total inférieur à 2 500 000 euros (Directive 2003/71, art. 1er § 2). L'objectif affiché par le nouveau texte qui, on le constate, ne porte aucune considération pour le nombre ni la qualité des investisseurs sollicités, consiste à favoriser le financement de proximité, à fluidifier les modes de financement des entreprises en atténuant les effets de seuil entre le gré à gré et l'accès aux marchés. Dans cet esprit, l'AMF annonce son intention de retenir un double plafond annuel, dont il importerait de connaître, néanmoins, la portée territoriale : un premier plafond de 100 000 euros, sans autre condition ; un second plafond de 2 500 000 euros, accompagné d'une limite fixée en proportion du capital de l'émetteur (probablement 50 % (24)), afin d'empêcher les sociétés concernées de recourir trop largement à ces exemptions pour se financer (25).
Ces exclusions, tirées là encore des dispositions de la directive "prospectus" (Directive n° 2003/71, art. 3 § 2 c) et d), puisent à un esprit sensiblement différent. La superfluité de la protection apportée par le régime de l'appel public à l'épargne réside, en l'occurrence, sur le niveau élevé de l'investissement réalisé par chacun des personnes sollicitées. L'importance du "ticket d'entrée", qui devra être fixé par le règlement général de l'AMF à 50 000 euros minimum, réserve de fait l'opération à des investisseurs professionnels, ou du moins avertis, capables en conséquence d'organiser eux-mêmes, voire d'exiger de l'initiateur, les conditions de la sauvegarde de leurs intérêts. "La déréglementation de ce type d'opérations favorise, espère-t-on, le développement sur la place de Paris de ce que l'on pourrait nommer un "marché de gros" entre les professionnels" (26).
La portée de ces nouvelles exclusions, visées au 1° à 3° de l'article L. 411-2, II, est néanmoins assortie de deux tempéraments spécifiques. D'une part, le recours au démarchage, à la publicité ou à un prestataire de services d'investissement n'est pas explicitement admis, ce qui n'est pas sans créer quelque insécurité juridique. D'autre part, la sortie du champ de l'APE n'est pas totale, puisque les personnes morales concernées seront, malgré tout, considérées comme faisant APE pour l'application "des dispositions du code pénal et de l'ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable" (C. mon. fin., art. L. 411-2, III).
B - Standardisation de l'information accompagnant un appel public à l'épargne
La loi CME procède à une réécriture complète de l'article L. 412-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8024HBS) relatif au prospectus accompagnant obligatoirement un APE. Il s'agit, pour l'essentiel, de mettre le droit français en harmonie avec la directive "prospectus".
Parmi les nouveautés, relevons :
- l'inclusion, dans le champ subjectif de l'obligation d'établir un prospectus, non seulement les "personnes" mais aussi les "entités", afin principalement, d'y soumettre des organismes dépourvus de personnalité morale, à l'instar des fonds communs ;
- l'inclusion, dans le corps du prospectus, d'informations sur les "garants éventuels des instruments financiers", utiles, notamment, en cas d'opérations menées dans le cadre d'un groupe de sociétés ;
- l'établissement de règles spécifiques destinées à prendre en compte la situation particulière des marchés d'instruments financiers non réglementés mais "organisés", à l'image d'Alternext, afin d'en assurer la promotion (C. mon. fin., art. L. 412 -1 II) ;
- la suppression de l'obligation d'établir une note d'information soumise à visa AMF lors des opérations de rachat d'actions prévues par l'article L. 225-209 du Code de commerce (C. mon. fin., art. L. 451-3 (N° Lexbase : L7994HBP), qui maintient, cependant, le principe d'une information préalable du marché) ;
- la généralisation de la nécessité d'assortir le document principal d'un "résumé". Un tel résumé s'impose, dorénavant, que le prospectus soit rédigé en français ou, lorsque le règlement général AMF l'autorise, dans une langue usuelle en matière financière (en clair, en anglais). Ce résumé est rédigé dans la langue du prospectus. Lorsque celle-ci est étrangère, le résumé doit, alors, être traduit en français. Aux termes de la directive européenne, il ne devrait pas excéder 2 500 mots et être rédigé dans un langage non technique. On en comprend l'importance pratique. Quant à sa portée juridique et, peut-être, pour cette raison même, elle est soigneusement limitée puisqu'"aucune action en responsabilité civile ne peut être intentée sur le fondement du seul résumé ou de sa traduction, sauf si le contenu du résumé ou de sa traduction est trompeur, inexact ou contradictoire par rapport aux informations contenues dans les autres parties du document mentionné au premier alinéa" (C. mon. fin., art. L. 412-1, I, al. 2) ;
- l'obligation de publier une "note complémentaire" au prospectus en cas de fait nouveau ou d'erreur survenant entre le visa et la clôture de l'opération (C. mon. fin., art. L. 621-8, VIII N° Lexbase : L3977HBW) ;
- la faculté pour l'AMF de suspendre ou d'interdire une opération lorsqu'elle a des motifs raisonnables de soupçonner qu'elle est contraire aux dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables (C. mon. fin., art. L. 621-8-1, II N° Lexbase : L8006HB7) ; ou même les "communications à caractère promotionnel", qui peuvent accompagner une opération (C. mon. et fin., art. L. 621-8-2 N° Lexbase : L8007HB8) ;
- et bien sûr, la redéfinition attendue du champ de compétence de l'AMF aux fins d'approbation du prospectus.
Conformément au nouveau principe communautaire nuancé de l'"Etat membre d'origine" posé par la directive "prospectus", destiné à faciliter les offres publiques transfrontalières grâce au "passeport unique" délivré par l'autorité publique nationale compétente, cette redéfinition emporte une "dé-territorialisation" objective du champ d'action de l'AMF. Celle-ci voit, ainsi, sa compétence s'étendre automatiquement à toute opération réalisée sur le territoire de l'Espace économique européen (EEE), lorsque : 1) "l'émetteur des titres qui font l'objet de l'opération a son siège statutaire en France" ; 2) et que "l'opération porte sur des titres de capital ou des titres donnant accès au capital au sens de l'article L. 212-7 ou sur des titres de créance dont la valeur nominale est inférieure à 1 000 et qui ne sont pas des instruments du marché monétaire au sens de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers, dont l'échéance est inférieure à douze mois" (C. mon. fin., art. L. 621-8, I N° Lexbase : L8005HB4). A titre d'exemple, un émetteur français qui réaliserait une augmentation de capital, soit par appel public transfrontière à l'épargne, soit, plus simplement, par appel public à l'épargne située dans un pays étranger, devra faire viser son document d'information, non pas par la loi ou les autorités locales compétentes mais par son autorité nationale d'origine, c'est-à-dire, l'AMF, quand bien même l'épargne française ne serait pas sollicitée.
La solution n'échappe pas à la critique, notamment en ce qu'elle n'apparaît pas la plus propice à une saine émulation entre les différentes autorités nationales compétentes (27). Elle ne revêt, cependant, pas une portée absolue. D'une part, l'élection de l'autorité compétente réapparaît en cas d'offre publique de titres de créances de 1000 euros (ou plus) de nominal et d'un an (ou plus) d'échéance ; ou de titres donnant accès au capital et dont l'émetteur est différent de celui du sous-jacent (C. mon . fin., art. L. 621-8, II ; adde, pour les émetteurs ayant leur siège statutaire hors du territoire de l'EEE, C. mon. fin., art. L. 621-8, III). D'autre part, une coopération minimale entre l'AMF et ses homologues européens est organisée (sur la technique des délégations de compétences, v. C. mon. fin., art. L. 621-8, V et VI), comme est réservée à l'autorité française une faculté d'intervention en présence d'irrégularités quand même elle serait pas l'autorité compétente pour viser le projet de document (C. mon. fin., art. L. 621-8-3 N° Lexbase : L8008HB9).
Pour la seconde partie de cet article, lire (N° Lexbase : N7398AK9)
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