Réf. : Loi du 26 juillet 2005, n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L0828HDZ)
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le 07 Octobre 2010
I - Les cocontractants
A - Règles générales
64 - La sauvegarde et le redressement judiciaire peuvent être ouverts sans nomination d'un administrateur judiciaire. En ce cas, l'option sur la poursuite des contrats en cours appartient au seul débiteur. Il n'a plus à obtenir l'autorisation du juge commissaire. En revanche, il doit avoir recueilli l'accord du mandataire judiciaire. A défaut, le juge commissaire peut être saisi par tout intéressé.
65 - Prenant en compte les critiques adressées par une partie minoritaire de la doctrine (38), la loi limite à la poursuite provisoire d'activité la possibilité de continuer les contrats en cours. "La poursuite forcée des contrats serait en effet peu justifiée quand l'activité n'est pas poursuivie et quand le débiteur ne paye plus ses échéances" (39). En conséquence, la poursuite des contrats en cours, sauf règle spéciale, ne sera possible en liquidation judiciaire que s'il y a maintien de l'activité.
Faute de pouvoir exiger du cocontractant qu'il mette en demeure un organe sur le sort du contrat, il faut, nous semble-t-il, décider que le contrat se trouve résilié de plein droit par l'effet de la liquidation judiciaire non assortie d'une poursuite provisoire d'activité.
B - Contrat de travail
66 - La loi nouvelle modifie peu le droit applicable en matière de licenciements économiques. La réglementation posée pour les plans de redressement n'a pas vocation à s'appliquer pour la procédure de sauvegarde. Les licenciements économiques doivent obéir, dans la procédure de sauvegarde, au droit commun.
67 - Les seules modifications ont pour objet de prendre en compte la possibilité d'arrêté d'un plan de cession en phase liquidative. Les licenciements qui seraient effectués en exécution d'un plan de cession arrêté en liquidation judiciaire devront intervenir dans le délai du mois du plan. La solution a été alignée sur celle applicable pour les autres plans, et est dérogatoire à celle existant pour la liquidation judiciaire, les licenciements en cette phase devant être mis en oeuvre par le liquidateur dans le délai de 15 jours du prononcé de la liquidation judiciaire.
C - Baux des locaux professionnels
68 - La loi nouvelle supprime une difficulté de la législation antérieure, en énonçant que la disposition relative à l'option sur la continuation du bail des locaux professionnels est limitée au seul cas où le débiteur est le locataire du local concerné par le contrat de bail. Il a été dit qu'"il n'apparaît pas justifié de permettre au débiteur qui serait lui-même bailleur d'un local de profiter de ce dispositif dérogatoire au droit commun" (40).
69 - La rédaction du texte antérieur prévoyant une inopposabilité à l'administrateur des clauses prévoyant une solidarité avec le cessionnaire, pouvait laisser perplexe, spécialement en régime simplifié sans administrateur judiciaire. Judicieusement, la loi de sauvegarde des entreprises a modifié la règle et répute non écrite, en cas de cession du bail, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire, tant en procédure de sauvegarde (C. com., art. L. 622-15), qu'en procédure de redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-14). Mais, et c'est l'apport essentiel de la loi de sauvegarde des entreprises, la solution est la même en liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-12, al. 3).
70 - Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, les règles générales de continuation de contrats en cours énoncées par l'article L. 621- 28 du Code de commerce s'appliquent, par principe, au bail des locaux professionnels, sous réserve des dérogations explicitement posées. Il en est spécialement ainsi des règles relatives à la mise en demeure sur la poursuite du contrat. A défaut de réponse dans le mois, le contrat, conformément au doit commun, sera résilié de plein droit. La loi de sauvegarde des entreprises modifie très sensiblement les règles applicables. En effet, désormais, par dérogation aux dispositions de l'article L. 622-13 du Code de commerce, qui fixe le droit commun en matière de continuation des contrats en cours, la résiliation du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise ne peut être constatée ou prononcée sur l'initiative de l'administrateur ou en application des dispositions qui suivent (C. com., art. L. 622-14). Il résulte de ce texte que le mécanisme de l'option sur la poursuite des contrats en cours n'est plus applicable au bail des locaux professionnels.
71 - Qu'il y ait liquidation judiciaire immédiate ou sur conversion d'un redressement judiciaire ou d'une sauvegarde, le bailleur devra, en application de l'article L. 641-12, alinéa 4, impérativement agir dans le délai de trois mois de la publication au Bodacc du jugement de liquidation judiciaire, s'il fonde sa demande de constat de la résiliation ou de prononcé de la résiliation sur des causes financières postérieures au jugement de liquidation judiciaire immédiate ou sur des causes financières postérieures au jugement d'ouverture en cas de conversion d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire en liquidation judiciaire. Les sommes dues ne devront pas être payées avant l'expiration de ce délai de trois mois pour que le bailleur puisse obtenir la résiliation ou le constat de la résiliation (41).
D - Contrat d'assurance.
72 - L'article 186 de la loi de sauvegarde des entreprises a supprimé le premier alinéa de l'article L. 113-6 du Code des assurances (N° Lexbase : L0067AAQ). Il en résulte que le contrat d'assurance est, désormais, soumis au droit commun de la continuation des contrats en cours. D'une part, le contrat d'assurance ne sera pas continué de plein droit, mais seulement sur option. D'autre part, le droit de résiliation ouvert, pour motif d'impayés avant le jugement d'ouverture, disparaît.
II - Les créanciers et le débiteur
A - La délimitation des créances antérieures et des créances postérieures
73 - La loi de sauvegarde des entreprises a remplacé l'expression de créance qui "a son origine" antérieurement au jugement d'ouverture "par créance" née "antérieurement au jugement d'ouverture". Lors des travaux parlementaires, il a été indiqué que "ces deux termes ne correspondent pas au même cas" (42). En passant de l'origine à la naissance de la créance, le curseur semble se déplacer de l'élément causal d'une créance à l'élément qui va permettre à celle-ci d'accéder à la vie juridique. Dans certaines situations, la date de naissance de la créance pourrait se situer plus tard que son origine. Ainsi, sans jugement d'annulation, la créance de restitution consécutive à l'annulation ne pourra naître, alors que son origine serait trouvée dans l'idée de remise des parties antérieure à l'acte annulé. Cette approche permettrait de ne pas avoir à déclarer des créances éventuelles, l'éventualité de la naissance ne pouvant être assimilée à sa naissance effective.
B - Le régime des créances postérieures
74 - La réforme a modifié le domaine du traitement préférentiel réservé aux créanciers postérieurs. Il est désormais prévu, aux termes de l'article L. 622-17, I du Code de commerce que "les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité, pendant cette période, sont payées à leur échéance". Les règles relatives aux créances nées après jugement d'ouverture posées dans le régime de la sauvegarde sont applicables en redressement judiciaire.
75 - Désormais, seules certaines créances postérieures nées régulièrement après jugement d'ouverture sont éligibles au traitement préférentiel. Il en ira d'abord ainsi des créances "nées pour les besoins du déroulement de la procédure". Ainsi, seront couverts, les frais et honoraires exposés par les intervenants, greffiers, mandataires de justice et conseils du débiteur. Il en sera de même des créances nées "pour les besoins de la période d'observation". Il s'agit là des dettes d'exploitation de la période d'observation. Rentre dans cette catégorie la contrepartie des contrats continués. Enfin, bénéficieront de ce régime les créances nées "en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période". Il s'agira de créances contractuelles correspondant à des contrats nouveaux, conclus après le jugement d'ouverture. Il en ira ainsi des livraisons de biens et des fournitures de services y compris la mise à disposition d'une somme d'argent (43). Il ne pourra s'agir, par exemple, des loyers d'un bail d'habitation ou d'un véhicule extra professionnel. Il ne pourra davantage s'agir de dettes délictuelles, puisqu'il ne peut y avoir ici une prestation fournie aux débiteurs.
76 - La règle première applicable aux créances nées régulièrement après jugement d'ouverture et éligibles au traitement préférentiel, reste celle du paiement à l'échéance. A défaut, il y a place à un paiement par priorité.
Le droit préférentiel accordé aux créanciers postérieurs est un privilège. Le changement opéré nous semble important. Les travaux parlementaires du Sénat sont clairs : "il serait désormais possible au créancier titulaire d'un privilège visé par la présente disposition de s'en prévaloir dans le cadre d'une autre procédure que celle au cours de laquelle il l'a acquis" (44).
Si l'on peut comprendre la disparition d'un simple droit de priorité, en cas de résolution d'un plan et d'ouverture d'une seconde procédure collective, dans laquelle le créancier initialement bénéficiaire du droit de priorité devient créancier antérieur chirographaire, cette logique disparaît si est reconnu aux créanciers le bénéfice d'un privilège véritable. Il faut donc, semble-t-il, décider qu'en cas de résolution d'un plan de sauvegarde ou d'un plan de continuation, l'ouverture subséquente d'une seconde procédure collective laissera intact le privilège.
77 - L'une des grandes innovations de la loi nouvelle est de prévoir l'obligation pour le créancier de porter son privilège à la connaissance du mandataire judiciaire dans la procédure de sauvegarde et dans celle de redressement judiciaire, ainsi que de l'administrateur judiciaire s'il en a été nommé à un. En liquidation judiciaire, le créancier devra porter son privilège à la connaissance du liquidateur. Après arrêté d'un plan, le créancier portera son privilège à la connaissance du commissaire à l'exécution du plan, mais seulement dans l'hypothèse où l'administrateur ou le mandataire judiciaire auraient cessé leurs fonctions. Il s'agit donc d'obliger les créanciers postérieurs non payés à l'échéance à déclarer leur créance, à l'instar des créanciers antérieurs (45).
Les créances impayées perdent le privilège que leur confère le présent article si elles n'ont pas été portées à la connaissance des organes ci-dessus désignés. La règle joue comme une péremption du privilège (46).
78 - Pour tenir compte de la création du privilège de la conciliation, le rang des créanciers a été modifié. Le privilège de la conciliation l'emportera systématiquement sur le privilège des créances postérieures (v. supra n° 34).
79 - Le créancier, titulaire d'une créance postérieure née régulièrement, mais non éligible, ne bénéficie pas du traitement préférentiel. Il ne pourra être payé à l'échéance. Sa créance dégénère en créance antérieure : il est confronté à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et doit déclarer sa créance (48). A la suite d'un amendement présenté au Sénat, ont été exclus du dispositif les dettes de la vie courante du débiteur personne physique ou de sa famille. Il s'agit ici de permettre le paiement des dettes telles que celles relatives aux loyers assurant le logement principal de la famille ou encore celles relatives à l'entretien ou à l'éducation des enfants.
Ces créanciers, dont la créance est née pour des besoins autres que ceux définis par le législateur, doivent être distingués des créanciers dont la créance est née irrégulièrement après le jugement d'ouverture de la procédure. Leurs créances nées irrégulièrement après jugement d'ouverture ne dégénèrent pas en créances antérieures. Elles continuent à subir le même traitement que sous l'empire de la législation antérieure.
C - Créanciers antérieurs
a - Contrôleurs
80 - La loi nouvelle tire d'abord la conséquence du fait que les professions libérales réglementées et bénéficiant d'une autorité disciplinaire sont intégrées dans le périmètre des procédures collectives. Un "rôle spécifique leur est reconnu de façon à assurer l'information réciproque de l'ordre, du tribunal et du mandataire judiciaire, et à concilier les actions susceptibles d'être engagées par les uns et les autres" (49). L'ordre sera d'office contrôleur et sera comptabilisé parmi les cinq contrôleurs que le juge-commissaire peut, au maximum, désigner. Sa désignation est indépendante de sa qualité de créancier du professionnel libéral (50).
La mission des contrôleurs, telle qu'elle existait avant la réforme, est maintenue. Elle a été, en outre, substantiellement enrichie par la loi nouvelle. L'article L. 622-20, alinéa 1, du Code, auquel il est renvoyé par les textes sur le redressement et par ceux sur la liquidation judiciaire, précise que le contrôleur pourra agir aux fins de défendre l'intérêt collectif qu'a en charge le mandataire judiciaire, si celui-ci n'agit pas. L'article L. 651-3, alinéa 2, dans le même esprit, rend possible par un contrôleur, en cas d'inaction du mandataire judiciaire, les actions en comblement de passif ou la nouvelle action introduite par la réforme en substitut au redressement judiciaire personnel, l'action qualifiée d'action en paiement des dettes sociales. Il en ira de même des actions en faillite personnelle ou en interdiction de gérer. Dans tous ces cas, le déclenchement de l'action supposera une décision de la majorité des contrôleurs désignés, ce qui n'est pas le cas du contrôleur de droit des professions libérales.
Logiquement, le produit de l'action initiée par le contrôleur entre dans le patrimoine du débiteur et sera réparti entre les créanciers suivant les modalités d'apurement du passif, ce que prévoit explicitement l'article L. 622-20, alinéa 3, du code.
Les contrôleurs sont écartés des candidats potentiels à la reprise en plan de cession. De la même façon, les contrôleurs ne pourront acquérir des biens du débiteur, dans le cadre de réalisations isolées.
b - Arrêt des poursuites individuelles, des voies d'exécution et interdiction du paiement des créances
81 - La loi nouvelle étend la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution, ainsi que la règle de l'interdiction du paiement des créances antérieures aux créances nées après jugement d'ouverture, mais qui ne bénéficient pas du traitement préférentiel, c'est-à-dire les créances nées irrégulièrement et celles nées régulièrement, mais ne correspondant aux critères légaux d'attribution du traitement préférentiel.
c - Interdiction de la publication des actes et décisions judiciaires translatifs ou constitutifs de droits réels
82 - La loi nouvelle réintroduit la règle de l'arrêt des inscriptions des actes et décisions translatifs ou constitutifs de droits réels ainsi que des décisions judiciaires. L'article L. 622-30, réserve cependant les actes ayant acquis date certaine au jour du jugement d'ouverture. Les actes antidatés ne pourront donc pas faire l'objet d'une transcription. Cette disposition réserve aussi le cas des décisions devenues exécutoires avant le jugement d'ouverture. La transcription de ces actes, aux fins d'opposabilité, restera donc possible.
Le retour à la législation antérieure à 1994 a été justifié par le constat d'un certain nombre de fraudes qui ont été commises, consistant à antidater des contrats de vente pour permettre à leurs bénéficiaires d'en poursuivre l'exécution après le jugement d'ouverture (51).
Le texte doit recevoir sensiblement la même interprétation, sous la seule réserve de la possibilité pour le liquidateur de publier à la conservation des hypothèques le jugement d'adjudication sur saisie immobilière intervenu avant le jugement d'ouverture, ce qui n'était pas possible sur l'empire de la loi du 25 janvier 1985 non réformée.
d - Nullités de la période suspecte
83 - Il convient d'abord de préciser que le jugement de la procédure de sauvegarde ne permettra pas de caractériser, en amont de son intervention, une période suspecte, puisque, par hypothèse, la procédure de sauvegarde est ouverte sans état de cessation des paiements.
La loi nouvelle reprend, à l'article L. 632-4, la liste des personnes pouvant engager l'action en nullité de la période suspecte en y ajoutant le ministère public.
Il faut, en outre, tenir compte des pouvoirs nouveaux reconnus aux contrôleurs. Un contrôleur semble avoir qualité pour agir en nullité de la période suspecte, en cas de carence du mandataire judiciaire, car cette action participe de la défense de l'intérêt collectif des créanciers.
84 - Sous l'empire de la législation antérieure, l'article L. 621-107, I, 7° ne vise que les mesures conservatoires, non les saisies définitives. L'article L. 632 -2, issu de la rédaction que lui a donnée la loi de sauvegarde des entreprises, a ajouté un cas de nullité, en frappant les avis à tiers détenteur, les saisies-attribution et les oppositions. La modification des textes a été justifiée par la volonté de faire respecter le principe d'égalité entre les créanciers. Il s'agit d'une nullité simplement facultative, qui supposera donc la connaissance de l'état de cessation des paiements par le créancier pratiquant la voie d'exécution.
A été ajouté, par la loi nouvelle (C. com., art. L. 632-1, 8°), aux actes susceptibles d'être annulés de droit au titre de la période suspecte, les levées, autorisations et revente d'options, nommées stock-options, dans le langage journalistique. Il a été dit, à propos de ce cas de nullité, que "les propriétaires d'actions pourraient avoir accès à des informations avant les marchés sur l'état des difficultés de l'entreprise et seraient donc susceptibles d'en abuser et d'affaiblir encore davantage l'entreprise" (52). Il s'agit d'éviter que les dirigeants puissent procéder à des opérations sur leurs stocks-options pendant la période suspecte (53).
e - Déclaration des créances
85 - Les règles relatives à la déclaration des créances posées pour la procédure de sauvegarde sont, sous quelques réserves non négligeables, applicables à la procédure de redressement judiciaire et à celle de liquidation judiciaire.
La déclaration de créance a un domaine très général. "Tous les créanciers dont la créance est née avant le jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent leur déclaration de créance au mandataire judiciaire". La loi nouvelle apporte à ce principe deux exceptions : les créanciers d'aliments sont dispensés d'avoir à déclarer leurs créances. En outre, les créanciers admis au passif de la première procédure ayant abouti à un plan de sauvegarde ou de continuation sont dispensés de déclarer leurs créances et sûretés et prévoit l'admission de plein droit des créances inscrites dans le plan résolu, déduction faite des sommes déjà perçues (54).
86 - Jusqu'à la loi nouvelle, les créanciers dont la créance était née après le jugement d'ouverture n'étaient pas astreints à déclarer leurs créances au passif. La règle se trouve modifiée par la réforme. En effet, certaines créances qui sont nées après le jugement d'ouverture, mais que le nouvel article L. 622-17-I n'intègre pas dans son périmètre pour leur assurer un traitement préférentiel, obligent leurs titulaires à déclarer leurs créances au passif. Il devra s'agir de créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture (v. supra n° 79). Le législateur (C. com., art. L. 622- 24, al. 5) leur accorde un délai de deux mois pour déclarer leurs créances, dont le point de départ est particulier : l'arrivée de la date d'exigibilité de la créance. Une difficulté peut alors se présenter pour les créanciers dont les créances contractuelles naissent successivement, tel le bailleur. Pour éviter à ce type de créancier d'avoir à déclarer de multiples créances, à chaque échéance, un amendement présenté par la commission des lois du Sénat a été adopté. Les créanciers dont les créances résultent d'une obligation à exécution successive déclarent l'intégralité des sommes qui leur sont dues dans les délais prévus à l'article L. 622-24 (55).
87 - La loi nouvelle introduit un délai de déclaration de créance au profit de la victime d'une infraction, qui se sera constituée partie civile. L'article L. 622 -24, alinéa 6, du Code de commerce prévoit que ce délai de déclaration de créance "court à compter de la date de la décision définitive qui en fixe le montant".
f - Action en relevé de forclusion
88 - La loi nouvelle conserve la technique classique du relevé de forclusion pour les créanciers retardataires. L'article L. 622-26, alinéa 2, décale le point de départ du délai de relevé de forclusion à la publication au Bodacc du jugement d'ouverture. En outre, le délai est raccourci et passe d'un an à six mois. Par exception, le délai est porté à un an pour les créanciers placés dans l'impossibilité de connaître l'existence de leur créance avant l'expiration du délai de six mois précité.
89 - La loi nouvelle crée un nouveau cas de relevé de forclusion (56). Il est prévu que le juge commissaire relèvera de la forclusion les créanciers s'ils établissent que leur défaillance est due à une "omission volontaire du débiteur" (C. com., art. L. 622-26, alinéa 1). Un texte identique existe dans le Code de la consommation, à l'article R. 332-18, alinéa 2 (N° Lexbase : L3754DYP). Il restera à interpréter ce texte. La difficulté résultera de l'exigence de démontrer, de la part du débiteur, la volonté de ne pas indiquer l'existence de tel ou tel créancier.
L'omission volontaire du débiteur est un cas autonome de relevé de forclusion. Si la démonstration est rapportée de l'omission volontaire du débiteur, le juge commissaire perd son pouvoir d'appréciation. Il y a place à relevé de forclusion indépendamment de la question de savoir si la défaillance est ou non due au fait du créancier.
g - Absence d'extinction de la créance résultant de son absence de déclaration
90 - La réforme écarte l'extinction de la créance non déclarée dans les délais. Il s'est agi, par cette suppression, de mettre fin à une particularité du droit français et de tirer les conséquences de l'article 5 du Règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000, selon lequel "l'ouverture de la procédure d'insolvabilité n'affecte pas le droit réel d'un créancier ou d'un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles [...] et qui se trouvent au moment de l'ouverture de la procédure sur le territoire d'un autre Etat membre".
91 - Pendant la procédure collective, il est exclu que le créancier qui n'a pas déclaré dans les délais, puisse bénéficier des droits attachés à l'admission de la créance. Il ne pourra donc pas participer aux répartitions ou même au versement des dividendes du plan de sauvegarde ou de continuation (57). Ce créancier ne pourra être payé qu'une fois toutes les sujétions de la procédure collective disparues. Son droit de créance est inopposable à la procédure. Après clôture de la procédure, la créance n'est pas éteinte. Le créancier sera donc autorisé à poursuivre, selon les voies du droit commun, le recouvrement de sa créance, contre le débiteur personne physique (58), si, du moins, il se trouve dans les cas exceptionnels de reprise des poursuites individuelles en cas de clôture pour insuffisance d'actif (59). Son droit de poursuite reste également intact si le débiteur obtient une clôture de la procédure par extinction du passif. Son droit de poursuite est également maintenu après clôture des opérations du plan de sauvegarde ou du plan de continuation. Dans ces deux cas, il faudra tenir compte de l'éventualité de la prescription ou de la forclusion encourue par le créancier, qui n'aura pas bénéficié de l'effet interruptif de la prescription lié à la déclaration de la créance au passif.
92 - Les conséquences de l'absence d'extinction des créances non déclarée dans les délais sont particulièrement sensibles dans les rapports créancier/caution (60). L'absence d'extinction de la créance autorisera, en effet, le créancier à poursuivre la caution. Le créancier établira ses droits devant le juge du cautionnement, exactement comme s'il n'y avait pas eu de procédure collective. Il reste que le créancier ne saurait, au motif qu'il ne participera pas à la procédure collective, poursuivre la caution personnelle personne physique avant l'issue de la période d'observation. La caution, qui ne pourra plus tirer argument de l'extinction de la créance principale, sera cependant en droit de soulever le jeu de l'article 2037 du Code civil (N° Lexbase : L2282AB7) (61), si, du fait de la non-participation du créancier aux répartitions, il en résulte, par subrogation, un préjudice pour elle. Il en sera ainsi lorsque le créancier aura perdu pendant la procédure collective la possibilité de faire jouer un droit préférentiel, du fait de l'absence de déclaration au passif de sa créance.
h - Règles particulières aux créanciers titulaires de sûretés spéciales et de contrats publiés
93 - La loi du 10 juin 1994 a créé le mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion au profit des créanciers titulaires de contrats de crédit-bail publiés ou de sûretés publiées. Ces créanciers doivent être personnellement avertis en lettre recommandée d'avoir à déclarer leurs créances. A défaut, ils n'encourent pas de forclusion. La loi nouvelle étend l'obligation d'avertissement à tous les créanciers titulaires de contrats publiés.
La loi nouvelle n'évoque plus une inopposabilité de la forclusion. Mais le dispositif reste inchangé. Le délai de déclaration de créance court pour ces créanciers à compter de la notification de l'avertissement, ce qui n'est là que la reprise de la solution posée par la Cour de cassation (62).
i - Vérification des créances
94 - La loi nouvelle conserve la possibilité d'une dispense de vérification des créances chirographaires, en la limitant à l'hypothèse de la liquidation judiciaire. Il est réservé l'hypothèse d'un débiteur personne morale lorsqu'il y a lieu de mettre à la charge des dirigeants sociaux tout ou partie de l'insuffisance d'actif ou du passif conformément aux articles L. 651-1 et L. 652-1. Il s'agit, d'une part, de l'action en comblement de passif, et d'autre part, de l'action en paiement des dettes sociales créée par la loi nouvelle.
95 - La loi nouvelle institue, dans la liquidation judiciaire simplifiée, un principe de dispense de vérification des créances. Il ne sera procédé à la vérification que des seules créances susceptibles de venir en rang utile dans les répartitions. Cependant, les créances salariales doivent obligatoirement être vérifiées. La dispense de vérification de la créance n'a nullement pour effet d'entraîner l'extinction de la créance, laquelle n'est ni admise ni rejetée.
j - Créances salariales
96 - La loi nouvelle a étendu le domaine du super privilège des salaires à des personnes qui ne sont pas des salariés. Il s'agit des façonniers, qui sont des propriétaires d'un fonds de commerce ou d'un fonds artisanal qui exécutent un travail de transformation sans être propriétaires des matières transformées, pour le compte d'une entreprise industrielle ou commerciale qui est leur donneur d'ordres. En application de l'alinéa 2, les sommes dues aux façonniers par leurs donneurs d'ordres bénéficient, lorsque ces derniers font l'objet de l'ouverture d'une procédure collective, du super privilège des salaires, sous réserve que leurs créances soient constituées, à concurrence au minimum de 75 % de salaires et charges y afférentes, et pour la seule partie desdits salaires et charges.
La loi nouvelle ayant étendu le bénéfice des procédures collectives aux professionnels libéraux, logiquement, les salariés de ces derniers seront couverts par l'AGS.
En sauvegarde, l'AGS n'interviendra que pour les créances postérieures au jugement d'ouverture. L'AGS n'aura pas à supporter les condamnations auxquelles le débiteur pourrait s'exposer en raison des litiges relatifs au contrat de travail en cours au jour du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde. C'est la raison pour laquelle elle n'aura pas à être mise en cause.
En sauvegarde, l'intervention de l'AGS sera subordonnée à la démonstration faite par le mandataire que l'insuffisance de fonds disponibles est caractérisée (C. trav., art. L. 143-11-7 N° Lexbase : L9557GQZ). L'AGS peut contester cette insuffisance. L'avance des fonds doit alors faire l'objet d'une autorisation du juge-commissaire.
La loi nouvelle a étendu le domaine de la subrogation de l'AGS dans les droits des salariés.
Pour toutes les sommes avancées, l'AGS sera désormais subrogée dans les droits des salariés. Par cet amendement, il s'est agi d'améliorer le taux de récupération de l'AGS, qui n'atteignait en 2003 que 34,9 % des sommes avancées.
Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé des Universités
Directeur du Master droit de la banque de la faculté de droit de Toulon
Formateur - Consultant
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