La lettre juridique n°178 du 28 juillet 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Pas de régularisation positive de la TVA sans la qualité initiale d'assujetti

Réf. : CJCE, 2 juin 2005, aff. C-378/02, Waterschap Zeeuws Vlaanderen c/ Staatssecretaris van Financiën (N° Lexbase : A4883DIP)

Lecture: 8 min

N6914AIW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Pas de régularisation positive de la TVA sans la qualité initiale d'assujetti. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207520-jurisprudence-pas-de-regularisation-positive-de-la-tva-sans-la-qualite-initiale-dassujetti
Copier

par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

Le fait de devenir assujetti à la TVA donne-t-il naissance à un droit à déduction devant produire ses effets sur des dépenses engagées avant la réalisation d'opérations dans le champ d'application de la TVA ? La CJCE n'envisage absolument pas une telle solution. Le 2 juin 2005, elle a, en effet, dit pour droit qu'"un organisme de droit public qui achète un bien d'investissement en tant qu'autorité publique, au sens de l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (N° Lexbase : L9279AU9), et par conséquent en qualité de non-assujetti, et qui, par la suite, vend ce bien en qualité d'assujetti ne bénéficie pas, dans le cadre de cette vente, d'un droit à régularisation fondé sur l'article 20 de cette directive, en vue d'opérer une déduction de TVA acquittée lors de l'achat dudit bien". La qualité d'assujetti acquise postérieurement à l'engagement de la dépense (1) n'efface pas l'absence de la qualité d'assujetti lors de son engagement (2).
1. La qualité d'assujetti acquise postérieurement à l'engagement de la dépense

Le Waterschap Zeeuws Vlaanderen (WZV) est un organisme de droit public néerlandais chargé de la gestion publique des eaux sur le territoire des Pays-Bas. Dans l'exercice de cette activité, le WZV agit en tant qu'autorité publique au sens de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive-TVA et n'a, donc, pas la qualité d'assujetti à la TVA. Aussi, ne peut-il ni facturer de la TVA ni en déduire, du moins lorsqu'il exerce sa mission de service public de gestion de l'eau. Il a fait édifier une station de traitement des eaux usées dont il partage l'utilisation avec deux autres organismes, également de droit public néerlandais. Ces organismes ont contribué financièrement aux investissements supplémentaires nécessités par l'utilisation de l'installation par les trois structures concernées.

Depuis 1993, le WZV répercute sur les deux autres organismes la part respective des coûts du traitement centralisé des boues revenant à chacun d'entre eux sans leur facturer la TVA. Cela, avec l'accord de l'administration fiscale néerlandaise, laquelle a posé la condition suivante : que le WZV renonce au droit à déduction de la taxe acquittée en amont. Sans cet accord, la mise à disposition de la station d'épuration moyennant contrepartie eut été taxable car le WZV agissait en qualité de bailleur, comme tout entrepreneur désireux de rentabiliser ses moyens d'exploitation, et non en qualité d'autorité publique.

En décembre 1994, le WZV a constitué une fondation pour la promotion de l'environnement, laquelle devait immédiatement devenir son cocontractant en qualité d'acquéreur et de bailleur de l'installation de traitement susmentionnée. La vente et la location étaient a priori exonérées. En effet, l'article 13 de la sixième directive-TVA relatif aux exceptions au système de TVA exonère, en son point B b), notamment, l'affermage ou la location de biens immeubles et, au point B g), la livraison de bâtiments ou d'une fraction de bâtiment et du sol y attenant. L'article 13 C autorise, cependant, les Etats membres à permettre aux assujettis exonérés de droit la possibilité d'opter. Le droit néerlandais prévoit cette option, sous condition de demande commune des cocontractants.

Il précise, également, que les organismes publics doivent être traités comme des assujettis dans la mesure où cela concerne la livraison de biens immeubles et le transfert ou la création de droits à l'égard de tels biens. L'article 4, paragraphe 3, de la sixième directive-TVA autorise les Etats membres à traiter comme un assujetti celui qui réalise une simple opération ponctuelle, dont une opération immobilière. L'article 4, paragraphe 5, alinéa 2 assimile les organismes de droit public à des assujettis si le non-assujettissement "conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance".

Le WZV et la fondation ont opté pour la TVA à l'égard de la vente et de la location. Selon le WZV, l'exigibilité de la TVA sur la vente justifiait, au regard de l'article 20 de la sixième directive-TVA, la déduction partielle de la TVA ayant grevé la construction de la station de traitement. L'inspecteur des impôts a refusé la demande de WZV au motif que, lors de la livraison de l'installation, le WZV n'avait droit à aucune régularisation au titre des règles de transposition de l'article 20 susmentionné.

Saisie, la cour régionale d'appel d'Amsterdam s'est interrogée sur le point de savoir si l'acquisition de la station et son utilisation initiale uniquement en tant qu'autorité publique dépourvue de la qualité d'assujetti excluait ou non définitivement toute régularisation positive, nonobstant la vente en qualité d'assujetti. Par ailleurs, l'accord entre le WZV et l'administration fiscale néerlandaise sur la renonciation au droit à déduction moyennant la non-réclamation de la TVA sur la mise à disposition de la station pourrait, selon la juridiction néerlandaise, caractériser l'absence partielle d'affectation professionnelle de la station. Il en résulterait alors une exclusion définitive de toute régularisation.

En résumé, une personne non assujettie à la TVA perd-t-elle définitivement tout droit à régularisation positive, y compris en cas de réalisation d'une opération imposable sur le bien précédemment exclu du système de la TVA ? Ne faut-il pas traiter le non-assujetti comme l'assujetti exonéré qui peut récupérer a posteriori la TVA non déduite lors de l'engagement de la dépense s'il affecte ses moyens d'exploitation à des opérations effectivement imposables ? Enfin, une personne morale peut-elle dissocier des biens professionnels de biens non professionnels ? La complexité des problèmes soulevés par l'affaire WZV devait se traduire par les questions préjudicielles suivantes :

"1) Lorsqu'un organisme de droit public a acquis un bien d'investissement et que celui-ci fait l'objet, moyennant une contrepartie, d'une livraison à un tiers, pour laquelle l'organisme doit être considéré comme un assujetti, celui-ci peut-il, en vertu de l'article 20 (particulièrement les paragraphes 2 et 3) de la sixième directive-TVA, bénéficier de la régularisation de la taxe sur le chiffre d'affaires payée lors de l'acquisition du bien, dans la mesure où il a utilisé ce bien dans le cadre d'opérations effectuées en tant qu'autorité publique, au sens de l'article 4, paragraphe 5, de la directive-TVA ?

2) Un organisme de droit public a-t-il le droit, en vertu de la sixième directive-TVA, d'exclure complètement du patrimoine de son entreprise un bien d'investissement dont il se sert tantôt comme assujetti, tantôt comme autorité publique, à l'instar de ce que la Cour a jugé à propos des personnes physiques assujetties ?"

En réponse, le juge communautaire affirme qu'"un organisme de droit public qui achète un bien d'investissement en tant qu'autorité publique, au sens de l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive-TVA [...], et par conséquent en qualité de non-assujetti, et qui, par la suite, vend ce bien en qualité d'assujetti ne bénéficie pas, dans le cadre de cette vente, d'un droit à régularisation fondé sur l'article 20 de cette directive-TVA, en vue d'opérer une déduction de TVA acquittée lors de l'achat de ce bien". Acquérir la qualité d'assujetti ne doit pas être confondu avec la qualité initiale d'assujetti.

2. L'absence de la qualité d'assujetti au moment de l'engagement de la dépense

La Cour de Luxembourg décide ainsi après avoir rappeler que la station d'épuration a été acquise par le WZV "afin de mener à bien sa tâche de gestion publique des eaux sur le territoire qui lui a été confié et qu'il a, dans ce cadre, agi en tant qu'autorité publique" (§ 27).

Aux termes de l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive-TVA, le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. Selon l'article 10, paragraphe 2, de cette même directive, ce moment correspond à celui où la livraison du bien est effectuée. Encore faut-il qu'à cette date, l'auteur de la dépense ait la qualité d'assujetti-redevable. En effet, l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive-TVA prévoit que l'assujetti est autorisé à déduire la TVA qu'il a acquittée sur des biens qui lui ont été livrés par un autre assujetti, dans la mesure où ces biens sont utilisés pour les besoins des opérations taxées qu'il effectue. Avant de s'interroger à propos de l'exercice du droit à déduction, il convient d'abord de se demander si l'intéressé a agit en qualité d'assujetti.

L'ouverture du droit à déduction dépend de la réalisation d'opérations dans le champ d'application de la TVA telles que définies par l'article 2 de la sixième directive-TVA (CJCE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III, § 8 N° Lexbase : A7275AHW ; lire Kornprobst, note sous l'arrêt, Dr. Fisc., 1992, n° 1, comm. 45 ; RJF 10/91, 1325 ; Adde, Yolande Sérandour, Le droit à déduction de la TVA en jurisprudence communautaire, JCP, éd. E., 1999, p. 1954). L'exercice d'une activité hors du champ d'application de la TVA exclut tout le système de la TVA, dont le droit à déduction. Aussi, les collectivités publiques et les organismes assimilés ne disposent-ils d'aucun droit à déduction de la TVA ayant grevé leurs dépenses lorsqu'ils agissent en tant qu'autorités publiques au sens de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive-TVA . Telle était la situation du WZV.

Cependant, si un non-assujetti à la TVA devient, ultérieurement, partiellement assujetti, ne convient-il pas de réexaminer l'exclusion initiale du droit à déduction ? En l'espèce, le WZV a réalisé une opération dans le champ effectivement imposable par la cession de sa station d'épuration. Auparavant, il réalisait déjà des opérations dans le champ, mais exonérées par l'administration fiscale en mettant ses installations au service de tiers moyennant rémunération. Cette situation ne résiste pas au libellé de l'article 20, paragraphe 1, de la sixième directive-TVA en ce qu'il se réfère au droit à déduction initiale. En effet, ce texte prévoit que "la déduction initialement opérée est régularisée suivant les modalités fixées par les Etats membres, notamment : a) lorsque la déduction est supérieure ou inférieure à celle que l'assujetti était en droit d'opérer ; b) lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration [...]".

Au point 12 de l'arrêt "Lennartz" précité, la CJCE avait déjà tiré les conséquences de ce texte en affirmant qu'"il résulte du système de la sixième directive-TVA et du libellé même de l'article 20, paragraphe 2, que cette dernière disposition se borne à établir le mécanisme permettant de calculer les régularisations de la déduction initiale. Elle ne saurait donc donner naissance à un droit à déduction ni transformer la taxe acquittée par un assujetti en relation avec ses opérations non taxées en une taxe déductible au sens de l'article 17". La circonstance que l'affaire précitée concernait un particulier, et non un organisme public, ne change rien (arrêt WZV, § 39). En droit, la question porte sur la qualité d'assujetti de l'auteur de la dépense au moment de son engagement. Particulier ou organisme public, peu importe. Les articles 2, 17 et 20 ne s'attachent qu'à la qualité d'assujetti, sans distinguer entre non-assujettis. Le juge ne saurait distinguer là où la loi ne distingue pas. L'assujettissement ultérieur à la TVA n'emporte de conséquences que pour l'avenir, non pour le passé.

La CJCE balaie également l'argument tiré de l'existence d'une distorsion de concurrence. L'impossibilité de déduire la TVA d'amont place les organismes publics dans la situation d'un consommateur final. Un opérateur privé pourrait, certes, récupérer la TVA d'amont. Cependant, ce risque résulte directement de la sixième directive-TVA, laquelle s'impose au juge. Au demeurant, l'inégalité présuppose une concurrence effective. Or, en l'espèce, le WZV n'avait pas de concurrent en matière de gestion publique des eaux sur le territoire des Pays-Bas.

newsid:76914

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus