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le 07 Octobre 2010
"La société de fait est la situation dans laquelle une société, voulue par les participants mais entachée d'un vice de constitution, a, cependant, fonctionné avant son annulation" (P. Merle, Droit commercial. Sociétés commerciales, 9ème éd., Dalloz, 2003, n° 67). Peut être, également, qualifiée de société de fait, la société dissoute qui a continué de fonctionner.
L'application de la théorie de l'apparence par les juges administratifs en matière de vérification de comptabilité d'une société de fait permet de protéger l'administration des impôts victime de l'apparence, à l'image du droit commercial, où la jurisprudence a élaboré la notion de "société de fait", afin de limiter les cas de nullités et protéger, ainsi, le tiers de bonne foi. En effet, selon l'article L. 235-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L6349AIY), ni les associés ni la société ne peuvent se prévaloir d'une nullité à l'égard de tels tiers.
L'avis de vérification de comptabilité doit être, normalement, adressé à la société de fait et non pas personnellement aux associés, le Conseil d'Etat ayant étendu la règle contenue dans l'article L. 53 du LPF aux sociétés de fait. Ce principe était, alors, énoncé par l'ancien article 60 du CGI , qui se référait aux sociétés visées par l'article 8 et au nombre desquelles ne figuraient pas les sociétés de fait (CE, 8° et 9° s-s., 18 mai 1979, n° 09540, X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2344B8C ; CE Contentieux, 1er février 1989, n° 68348, Bracelet c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0699AQX).
La jurisprudence a, toutefois, apporté une dérogation à cette règle, lorsque la notification est adressée à la seule personne connue des services fiscaux avant la découverte de la société de fait. Ainsi, dans un arrêt en date du 24 mai 1978, la Haute juridiction avait à connaître d'une affaire où le contribuable vérifié demandait la nullité de l'acte en prétendant que l'avis de vérification aurait dû être envoyé à une société créée de fait occulte par définition. Le Conseil d'Etat jugea que l'administration n'avait pas commis une irrégularité de nature à entacher l'acte de nullité, dans la mesure où la notification de l'avis de vérification faite à l'associé, seule personne connue avant la découverte de la société créée de fait, était régulière. Et que, par ailleurs, la notification était opposable aux autres associés (CE, Contentieux, 24 mai 1978, n° 8418, Sieur Jean Gomez c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5225AID).
Le problème du contrôle du contribuable apparent peut, également, se poser dans une situation d'indivision. Dans l'hypothèse d'une indivision qui gère une entreprise industrielle ou commerciale, l'administration fiscale doit adresser un avis de vérification à chacun des coïndivisaires, à moins qu'elle parvienne à prouver l'existence d'une société de fait (CE, Contentieux, 3 avril 1991, n° 77532, Ministre délégué auprès du Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ René Dabadie N° Lexbase : A9388AQR ; CE, Contentieux, 11 février 1998, n° 160165, Ministre du Budget c/ M. et Mme Robert N° Lexbase : A6318ASS ; CE, Contentieux, 13 mars 1998, n° 163108, Ministre chargé du Budget c/ M. Carcassonne N° Lexbase : A6673ASX).
En revanche, "si l'indivision présente un caractère occulte alors que seul l'un des indivisaires exploite en apparence le fonds, il pourra valablement être seul contrôlé" (CAA Bordeaux, 1ère ch., 25 janvier 1996, n° 94BX01214, Ministre du Budget c/ Mme Marie-Hélène Thomas épouse Gaillard N° Lexbase : A8383AY7). La solution s'explique par le fait que l'indivision présente, alors, le caractère d'une société de fait.
Dans l'affaire ayant donné lieu à un arrêt du Conseil d'Etat du 13 mars 1998 (CE, Contentieux, 13 mars 1998, n° 163108, Ministre chargé du Budget c/ M. Carcassonne N° Lexbase : A6673ASX), le plaignant qui était devenu, à la suite d'une succession, propriétaire indivis avec sa soeur du stock d'une société, dont le fonds de commerce avait été attribué à cette dernière n'avait pas été avisé de la faculté qu'il tenait de la loi de se faire assister d'un conseil de son choix à l'occasion de la vérification de comptabilité effectuée par l'administration. Il réclamait, dès lors, la nullité de la procédure, au motif que l'administration avait notifié l'avis à la seule prétendue gérante de la société, sa soeur.
La cour administrative d'appel de Paris avait relevé que le requérant n'avait pas participé à la gestion et à la liquidation du stock maintenu dans l'indivision. Elle avait, ainsi, estimé que l'administration n'apportait pas la preuve lui incombant de l'existence de la société de fait dont elle se prévalait.
Ne s'écartant pas de l'analyse des juges du fond, la juridiction suprême jugea que le requérant aurait dû, en sa qualité d'indivisaire, être avisé de la faculté qu'il tenait de la loi de se faire assister d'un conseil de son choix à l'occasion de la vérification de comptabilité effectuée par l'administration et que, faute de l'avoir été, il avait été imposé au terme d'une procédure irrégulière.
2. L'administration fiscale doit démontrer l'existence d'une société de fait
La charge de la preuve d'une société de fait incombe à l'administration fiscale. Pour ce faire, elle pourra relever des indices concourants à en démontrer l'existence, telle que l'identification d'apports faits à l'entreprise par deux ou plusieurs personnes, la participation de ces personnes à la direction et au contrôle de l'affaire, ainsi qu'à la participation aux bénéfices et aux pertes (CE, Contentieux, 3 décembre 1982, n° 17829, Société civile xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2441ALY ; CE, Contentieux, 13 décembre 1982, n° 26738, Mlle Arlette Hoegy - M. Ralph Schlaepfer N° Lexbase : A1976ALR ; CE, Contentieux, 6 mars 1991, n° 61863, Baudrant c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0736AI4 ; CE, Contentieux, 13 mars 1998, n° 163108, Ministre chargé du Budget c/ M. Carcassonne, précité).
Dans un arrêt du 27 septembre 1994, la cour administrative d'appel de Paris avait, ainsi, jugé que l'administration n'avait pas apporté la preuve de l'existence d'une société de fait, en relevant, d'une part, que des héritiers en indivision avaient procédé à la liquidation d'un stock dont ils étaient propriétaires indivis et, d'autre part, que le contribuable avait imputé sur son revenu global les déficits résultant de l'exploitation de l'entreprise.
Ces éléments ont été logiquement jugés trop tenus pour les juges. La liquidation du stock par l'indivision ne suffisant pas à prouver la participation du contribuable à la gestion effective de l'affaire, car le contribuable résidait dans une localité éloignée du lieu d'implantation de l'entreprise. De même, l'imputation par le contribuable sur son revenu global des déficits résultant de l'exploitation de la société ne pouvait pas plus révéler l'existence d'une société de fait, dans la mesure où les pertes devaient être prises en charge par l'ensemble des héritiers, sans que cette circonstance traduise forcément la participation de l'ensemble de ces héritiers à la gestion de l'affaire.
L'administration fiscale, comme ce fut le cas dans ce contentieux, a, en outre, tendance à se prévaloir de l'apparence qu'aurait aménagée l'indivision en se présentant, du fait des circonstances, comme une société de fait. Il faut, alors, qu'elle démontre que les indivisaires ont réellement créé la situation apparente, dont elle fait état. Cette volonté doit apparaître nettement lors de l'examen des faits par le juge.
La rigueur, dont font preuve les juridictions administratives, est une garantie pour le contribuable, qui ne peut saisir les commissions départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (CDI). Celles-ci, en effet, ne peuvent être saisies que par les contribuables ayant fait l'objet d'un contrôle fiscal et qui sont en désaccord avec les conséquences de ce contrôle, art. L.59 A LPF N° Lexbase : L5379G7D. Surtout, les CDI, ne pouvant se prononcer que sur des questions de droit, sont incompétentes en cas de litige portant sur l'existence ou non d'une société de fait.
En conclusion, la jurisprudence étudiée nous enseigne que la théorie de l'apparence doit être maniée avec soin en matière de vérification de comptabilité. Retenir trop aisément l'existence d'une société de fait revient à priver les associés n'ayant pas été avertis du contrôle entrepris des garanties que leur procurent les textes légaux (notamment, l'article L. 47 LPF). Néanmoins, la jurisprudence se montre protectrice à l'égard du contribuable en exigeant que l'administration fiscale démontre de façon précise l'existence alléguée d'une société de fait.
Le juge administratif se montre, finalement, plus difficile que son homologue civil ou commercial quant à l'application de la théorie de l'apparence. Peut-être cela s'explique-t-il par le fait que l'on accorde moins de circonstances atténuantes à l'administration fiscale victime d'une apparence qu'à un simple particulier ?
Karim Sid Ahmed
Doctorant à l'Université de Paris I - La Sorbonne
Lire également :
- H. Temple, Les sociétés de fait, préf. J. Calais-Auloy, LGDJ, 1975 ;
- F. Deboissy, La simulation en droit fiscal, LGDJ, Bibliothèque droit privé, 1997, spéc. pp. 418-420 ;
- J.-P. Casimir, Contrôle fiscal (Droits, garanties, procédures), 7ème éd., Groupe Revue Fiduciaire, 2000, pp. 121-123.
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