La lettre juridique n°170 du 2 juin 2005 : Bancaire

[Jurisprudence] Heurs et malheurs du prêteur dans les contrats de prêts indivisibles

Réf. : Cass. civ. 1, 10 mai 2005, n° 03-11.301, Société Camping Le Galet c/ Compagnie générale de location d'équipements (CGL), F-D (N° Lexbase : A2248DI4)

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par Richard Routier, Maître de conférences à l'Université du sud Toulon-Var, Codirecteur du Master banque

le 07 Octobre 2010


Cet arrêt de la première chambre civile, rendu le 10 mai 2005, devrait inciter les dispensateurs de crédit à se méfier de l'indivisibilité des contrats. Certes, le partenariat existant entre une banque et un vendeur pour financer l'acheteur n'est pas sans avantage pour chacun des protagonistes. Le banquier peut toucher une clientèle en dehors de ses murs, et bénéficier de la sécurité de l'affectation des fonds. Le vendeur dispose d'une clientèle plus large, et donc d'un potentiel de vente plus grand, tout en ayant l'assurance d'être payé. Quant à l'acheteur, il dispose des moyens pour remplir sa principale obligation : payer le prix. Mais le banquier, qui est surtout soucieux de se prémunir d'une défaillance de l'emprunteur, et donc de l'acheteur, demeure, ainsi que le rappelle le présent arrêt, particulièrement exposé en cas de défaillance du vendeur.

En l'espèce, le dirigeant d'une société passe commande d'un véhicule auprès d'un vendeur, puis, quelques jours plus tard, signe une offre préalable de crédit accessoire à la vente émise par un établissement de crédit. Le lendemain, le prêteur verse directement les fonds au vendeur. Mais ce dernier ne livre pas le véhicule et fait l'objet d'une procédure collective. La société acheteuse refuse, alors, de rembourser le prêt, et est assignée avec son dirigeant par le banquier.

Les juges du fond accueillent celui-ci, au motif que la seule inexécution du contrat de vente ne peut priver la convention de crédit de cause ; la cause de l'obligation de l'emprunteur résidant dans la mise à disposition des fonds nécessaires à l'acquisition pour laquelle l'emprunt a été contracté. Leur décision est, cependant, cassée, pour n'avoir pas recherché s'il "existait, au regard des conditions dans lesquelles le contrat de prêt avait été conclu et exécuté par [l'établissement de crédit], une indivisibilité avec le contrat de vente".

En offrant une solution alternative au juge lorsque le droit de la consommation est inapplicable, ce qui présente un intérêt grandissant pour le financement de véhicules dont le prix est souvent supérieur au seuil de 21 500 euros (1), la décision du 10 mai 2005 de la première chambre civile devrait retenir l'attention des prêteurs.

On rappellera que l'indivisibilité (2), qui, en droit commun, n'est prévue dans le Code civil que pour les obligations (3), a déjà été étendue aux conventions par le juge. Dans un ensemble indivisible de conventions, la jurisprudence admet, en effet, que l'une puisse produire ses effets à l'égard de l'autre. La plupart du temps, c'est lorsque "chacun des contractants ne s'est engagé qu'en considérant l'engagement de chacun comme une condition des engagements des autres" (4). Mais, s'agissant d'un contrat de prêt, l'indivisibilité peut, aussi, résulter du fait qu'il n'a été consenti qu'en considération de l'objet spécifique d'un autre contrat (5).

Les juges peuvent déduire la volonté des parties qui exprime cette indivisibilité des seules circonstances de l'espèce. Par exemple, dans une affaire où les deux actes de vente et de prêt étaient "intimement liés", les juges ont pu considérer "que les parties avaient entendu subordonner l'existence du prêt à la réalisation de la vente en vue de laquelle il avait été conclu, de sorte que les deux contrats répondaient à une cause unique [et ont pu décider] à bon droit, non que l'obligation de l'emprunteur était dépourvue de cause, mais que l'annulation du contrat de vente avait entraîné la caducité du prêt" (6).

L'arrêt du 10 mai 2005, rendu au seul visa de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), place la cause au coeur de la solution. Pour les juges suprêmes, la cause dans les groupes de contrats ne doit donc pas être vue de manière contingente. Sans doute les conventions ont-elles isolément une causa proxima différente. Mais, comme il a pu très justement être relevé, elles sont aussi "unies par une causa remota identique" (7). Plus précisément, la cause d'un prêt ayant pour objet le financement d'un bien ou d'un service "n'est pas seulement la remise des fonds, mais cette remise en vue de l'opération" (8). Cela explique que tout évènement affectant celle-ci, puisse rejaillir sur le contrat de prêt. C'est le cas de la résolution, de la nullité voire même de l'illicéité (9).

On remarquera que l'indivisibilité dont il est question ici est, surtout, une indivisibilité objective, puisque l'économie générale de l'opération permet de la considérer comme une opération unique. Mais elle serait tout aussi bien subjective si le vendeur devait être vu comme ayant agi en qualité de mandataire du prêteur.

La solution de la caducité du prêt, lorsque le contrat de vente est annulé, peut-elle être, pour autant, reprise en l'absence d'annulation ? L'arrêt rapporté semble implicitement admettre que l'emprunteur puisse être libéré, mais il reste peu disert sur la forme de cette libération. D'autant que le vendeur fait l'objet d'une procédure collective. Si le contrat de vente ne peut être résolu ou résilié du seul fait de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire (10), il y a, néanmoins, inexécution de l'obligation de délivrance, et celle-ci peut entraîner la résolution du contrat de vente. En effet, l'action contre les organes de la procédure collective du vendeur tendant à la résolution de la vente en application de l'article 1610 du Code civil (N° Lexbase : L1710ABX), a déjà été admise, dès lors qu'elle ne vise pas au remboursement du prix versé (11).

Avant une telle résolution, il n'y a pas disparition du contrat de vente. Une question se pose alors : l'interdépendance existant au sein d'un ensemble contractuel reconnu indivisible peut-elle permettre de déroger au principe de l'effet relatif des contrats, et étendre les conséquences de l'inexécution en ouvrant à l'emprunteur l'exception du même nom ? À notre connaissance, la jurisprudence n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer nettement sur cette question, mais il est permis de penser que l'inexécution, par le vendeur, du contrat de vente devrait pouvoir justifier l'inexécution par l'emprunteur du contrat de prêt.

On observera que, dans la présente espèce, le financement concernait l'achat d'un véhicule pour les besoins d'une activité professionnelle, ce qui cantonnait le débat hors du champ du droit de la consommation, et ne laissait que la cause à la disposition des juges. Mais s'il s'était agi d'un crédit à la consommation, la solution aurait connu un autre régime qui mérite d'être rappelé.

À la différence du Code civil, le Code de la consommation prend expressément en compte le lien pouvant exister entre vente et crédit (12). Ainsi, lorsque "l'offre préalable mentionne le bien [...] financé, les obligations de l'emprunteur ne prennent effet qu'à compter de la livraison" (13). Le cas échéant, l'exécution du contrat de crédit est suspendue. Sa résolution intervient même de plein droit, lorsque la vente est judiciairement résolue ou annulée (14). La jurisprudence en a conclu que le prêteur commet une faute en délivrant les fonds au vendeur sans s'assurer que la livraison de la commande ait bien été effectuée.

La reconnaissance de cette faute, qui "le prive de la possibilité de se prévaloir, à l'égard de l'emprunteur, des effets de la résolution du contrat de prêt, conséquence de la résolution du contrat principal" (15), et donc de la restitution du capital prêté, est opportune. Notamment, lorsque, comme dans l'arrêt rapporté, les fonds ont été directement versés au vendeur et que l'exécution de la prestation est devenue impossible du fait de sa procédure collective. Le contrat de crédit n'est, toutefois, pas ici caduc, mais considéré comme résolu aux torts du prêteur (16).

Dès lors que le bien financé n'a jamais été livré par la faute du vendeur, les obligations de l'emprunteur à l'égard du prêteur n'ont pas pris effet : l'emprunteur ne saurait donc être condamné à la restitution du capital emprunté ; quand bien même aurait-il la possibilité de se faire garantir par le vendeur fautif (17). Mais si l'inexécution du vendeur peut autoriser son cocontractant à se soustraire à ses obligations envers le prêteur, en raison de l'indivisibilité entre la vente et le prêt, encore faut-il en faire la demande (18).

On notera, au passage, qu'une éventuelle créance de l'emprunteur à l'encontre du vendeur, au titre de son obligation à le garantir du remboursement du prêt (19), n'aurait pas à être déclarée car elle trouve son origine, non pas dans la conclusion des contrats, mais dans la résolution du contrat de vente par le fait du vendeur et la résiliation consécutive du contrat de crédit prononcées postérieurement au jugement d'ouverture (20).

Les dispositions de l'article L. 311-20 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6714ABB) étant d'ordre public, il ne peut y être dérogé par convention (21). Mais qu'il s 'agisse de l'indivisibilité propre au droit de la consommation, ou de celle de droit commun comme dans l'arrêt du 10 mai 2005, le prêteur peut facilement s'y soustraire : les dispositions précitées ne visant que l'offre préalable d'un crédit accessoire à l'achat d'un bien déterminé, il lui suffit d'accorder un prêt personnel ou non affecté, ce qui sera retenu s'il s'abstient d'indiquer dans l'acte les caractéristiques sommaires du bien (22) ou du service (23).


(1) C. consom., art. L. 311-3 (N° Lexbase : L6713ABA) et D. 311-1 (N° Lexbase : L7038ABB), encore que l'application de la loi est subordonnée au montant du crédit, et non au coût total de l'opération : Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 96-11.114, Epoux Morandi c/ Société Franfinance location (N° Lexbase : A2181ACR), Bull. civ. I n° 156 p. 103.
(2) Sur cette question : J. Boulanger, Usage et abus de la notion d'indivisibilité des actes juridiques, RTD civ. 1950, p. 1 ; J. Moury, L'indivisibilité entre les obligations et entre les contrats, RTD civ. 1994, p. 259 ; S. Amrani-Mekki, Indivisibilité et ensembles contractuels, Defrénois 2002, p. 355.
(3) C. civ., art. 1217 s. (N° Lexbase : L1319ABH).
(4) CA Aix-en-Provence, 8e, 13 février 1998, n° 9311325, Mme Kerisit née Nicole Jeanne Simone Bigot c/ Société Location Moderne (N° Lexbase : A5174DH4), JCP 1998, II 10213, note C. Renault-Brahinsky.
(5) Cass. com., 4 avril 1995, n° 93-20.029, Compagnie générale de location c/ M. Kessler (N° Lexbase : A1299ABQ) et n° 93-14.585, Société Franfinance Equipement c/ M. Villette (N° Lexbase : A8279ABA), Bull. civ. IV, n° 115, p. 101 ; E. Tardieu-Guigues et M-C. Sordino, JCP éd. E 1996, II 792 ; Contrats conc. consom. 1995, n° 105, obs. L. Leveneur ; D. 1995, somm. p. 231, obs. L. Aynès et 1996, p. 141, note S. Piquet ; Gaz. Pal. 1996, p. 416, note E. Boulanger.
(6) Cass. civ. 1, 1er juillet 1997, n° 95-15.642, Société Unofi Crédit et autres c/ Mme Laborie (N° Lexbase : A0519AC9), Bull. civ. I n° 224 p. 150 ; D. 1998, p. 32, note L. Aynès ; Defrénois 1997, p. 1251, note L. Aynès.
(7) B. Teyssié, Les groupes de contrats, LGDJ (Bibl. dr. privé, t. 139) 1975, spéc. n° 66 et 176.
(8) Cass. civ. 1, 1er octobre 1996, n° 94-18.876, Banque de Neuflize Schlumberger Mallet c/ M. Denoyelle et autre (N° Lexbase : A8621ABW), Bull. civ. I n° 335 p. 235 ; Contrats concur. consom., 1997-01, n° 1, p. 10, note L. Leveneur ; Petites Aff., 13 juin 1997, p. 36, note C. Gall.
(9) Cass. civ. 1ère, 1er octobre 1996 préc.
(10) C. com., art. L. 621-28, al. 6 (N° Lexbase : L6880AIN).
(11) Cass. civ. 1, 26 novembre 1996, n° 94-13.989, Epoux Bastelli c/ M. Gourdain (N° Lexbase : A9791ABA), Bull. civ. I n° 418 p. 291.
(12) Sur cette question : M-T. Calais-Auloy, Fondement du lien juridique unissant vente et prêt dans le prêt lié, JCP éd. G 1984, I. 3144 ; S. Pairault, L'interdépendance du contrat de prêt et du contrat principal, Petites aff., 18 juill. 1997, n° 86, p. 15.
(13) C. consom., art. L. 311-20 (N° Lexbase : L6714ABB).
(14) C. consom., art. L. 311-21 (N° Lexbase : L6715ABC) ; Cass. com., 19 janvier 1993, n ° 91-13.509, M. Tribou c/ Société Auxiliaire de crédit (N° Lexbase : A5626ABY), Bull. civ. IV n° 26 ; RTD com. 1993, p. 707, obs. B; Bouloc.
(15) Cass. civ. 1, 8 juillet 1994, n° 92-19.586, Société anonyme Franfinance, nouvelle dénomination de CREG c/ Sauvage et autre (N° Lexbase : A8062AH3).
(16) Cass. civ. 1, 28 janvier 1992, n° 89-13.515, Union de Crédit pour le Bâtiment (UCB) c/ Epoux Boucayrand (N° Lexbase : A3090ACG), Bull. civ. I n° 34 p. 25.
(17) Cass. civ. 1, 7 février 1995, n° 92-17.894, Mme Libessart c/ Société Creg et autre (N° Lexbase : A6191AHR), Bull. civ. I n° 70 p. 50 ; D. 1995, somm. 314, obs. J-P. Pizzio ; Contrats conc. consom. 1995, n° 156 obs. G. Raymond.
(18) Cass. civ. 1, 26 novembre 1996, n° 94-22.075, Mme Paulette Guillon c/ Société VAG financement, société anonyme et autres, inédit (N° Lexbase : A8461C3R).
(19) C. consom., art. 311-22 (N° Lexbase : L6716ABD).
(20) Cass. com., 20 mai 1997, n° 93-20.819, Société Vogica Magenta et autres c/ Banque Pétrofigaz et autre (N° Lexbase : A1464AC9), JCP éd. E 1997, pan 758 ; Cass. com., 3 février 1998, n° 95-19.203, Monsieur Miquel, ès qualités de liquidateur de la Société Nouvel Espace Economique c/ Société Franfinance Crédit et autres (N° Lexbase : A2425ACS), JCP éd. G 1998 II 708 ; Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 01-00.449, M. Jacques Moyrand, agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Guillaume Edinges c/ M. Bruno Fiscarrald, F-D (N° Lexbase : A8227DBC).
(21) Cass. civ. 1, 17 mars 1993, n° 90-11.737, M. Rives c/ Banque La Hénin (N° Lexbase : A5063AHY), Bull. civ. I, n° 116 p. 78 ; D. 1993, IR p. 87.
(22) Cass. civ. 1, 26 novembre 1991, n° 90-13.791, Mme Verrier c/ Crédit lyonnais (N° Lexbase : A4769ACM), Bull. civ. I n° 336 p. 218.
(23) Cass. civ. 1, 17 février 1998, n° 96-13.050, Société Cétélem, société anonyme c/ Mlle Guémard et autres, inédit (N° Lexbase : A6333CU4), Rev. dr. bancaire et bourse 1998, p. 142, obs. F-J. Crédot et Y. Gérard.

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