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N4863AIX
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par Compte-rendu réalisé par Aurélie Garat, SGR - Droit social
le 07 Octobre 2010
Comment le droit du travail est-il appréhendé, dans l'économie capitaliste, par la science économique ? A cette question, il est impossible d'apporter une réponse unique. En effet, ainsi que l'explique Olivier Favereau, Professeur de sciences économiques à l'Université Paris X-Nanterre, la discipline économique est fragmentée entre divers courants.
Dans le courant "dominant", les catégories fondamentales du droit du travail ont du mal à figurer. La notion de contrat de travail, par exemple, n'est pas appréhendée par la majorité des économistes sous l'angle du lien de subordination qui est pourtant un des critères essentiels retenu par le droit du travail. Les économistes voient plutôt dans la relation de travail une relation de mandat et privilégient, finalement, l'indépendance du travailleur. Ce faisant, ils définissent la règle par son exception. De même, les notions de syndicat et de grève sont difficiles à justifier rationnellement pour le courant économique majoritaire.
Il semble donc que le droit du travail n'ait pas une place attitrée dans le courant économique dominant. Certes, l'économie peut prendre en compte des contraintes juridiques au cas par cas, mais elle ne les appréhende pas globalement.
Il existe, toutefois, un courant économique minoritaire qui accorde une fonction analytique au droit du travail. Ce dernier n'est alors plus envisagé comme une somme de contraintes, comme dans le courant dominant, mais comme un ensemble de ressources. Gérard Lyon-Caen définissait le travail, en 1951 (Les fondements historiques et rationnels du droit du travail, Gérard Lyon-Caen, Droit Ouvrier, 1951), comme l'ensemble des règles régissant l'exploitation du travail humain, les instruments de lutte contre cette exploitation et les résultats de cette lutte. Cette dialectique n'a pas changé, aujourd'hui, si l'on comprend qu'à l'époque, le terme d'"exploitation" n'avait pas la connotation qu'il a aujourd'hui et n'incluait aucun jugement de valeur. Bien plus tard, Gérard Lyon-Caen a eu l'occasion de préciser, s'agissant de cette définition, qu'il s'agit d'une construction juridique instable contenant des règles toujours réversibles, selon les époques. Ainsi, le droit du travail peut être favorable tantôt à l'employeur, tantôt au salarié (Le droit du travail : une technique réversible, Gérard Lyon-Caen, Connaissance du droit, Paris : Dalloz, 1995).
Selon Olivier Favereau, il résulte de cette analyse que le droit du travail n'a pas pour essence la protection des salariés. Il n'est pas non plus un camouflage des rapports de force. En fait, il faut reconnaître au droit du travail, et ce en accord avec le courant économique minoritaire, une fonction régulatrice de l'économie. Cette fonction est d'ailleurs indispensable si l'on admet l'idée que l'économie de marché doit nécessairement être encadrée.
Mais pour Olivier Favereau, le droit du travail va encore plus loin et a pour fonction essentielle de créer un espace commun entre les salariés et les employeurs. Pour reprendre l'expression de Gérard Lyon-Caen, il faut refuser l'idée du "conflit des logiques". Selon cette théorie, "l'univers mental des patrons et celui des salariés" est différent. Or, il est désespérant, voire même dangereux, de considérer que jamais les salariés et les employeurs ne pourront se rencontrer dans une logique commune. Certes, un même texte peut recevoir "une interprétation divergente d'un côté ou de l'autre, mais à partir d'une même logique". En fait, selon Olivier Favereau, le droit du travail a justement pour fonction de créer un espace commun entre les salariés et les employeurs.
L'entreprise doit être considérée comme un système politique. Or, dans un tel système, les différents agents économiques ne peuvent se coordonner sans dialoguer et il apparaît naturel que le droit du travail soit impliqué directement dans ce débat. Dans ce contexte, il est impossible de remplacer le droit du travail par un jeu de taxes et d'incitations qui occulterait complètement le nécessaire dialogue social entre les partenaires de l'entreprise.
Selon François Eymard-Duvernay, Professeur de sciences économiques à l'Université Paris X-Nanterre, la théorie économique reconnaît peu les droits des salariés. Ces derniers ne sont définis que s'ils ont des conséquences en terme d'utilité. Pourtant, les règles de droit viennent limiter les pouvoirs de l'entreprise et permettent ainsi de faire coopérer des acteurs ayant des intérêts divergents. L'ignorance du droit par l'économie est un phénomène dangereux. L'entreprise ne doit pas être simplement considérée comme un agent sur le marché, mais comme une institution fondée sur des règles dont la légitimité doit faire l'objet de débats.
Dans ce contexte, on peut considérer que la stabilité de l'emploi permet une efficacité productive. Dans la majorité des pays, on s'accorde pour dire que le licenciement est un acte grave qui ne peut être laissé à la seule appréciation de l'employeur. En conséquence, on accorde au juge le soin d'en apprécier la cause réelle et sérieuse. Ce rôle important du juge est la contrepartie de la faiblesse de la négociation collective et de la concertation des partenaires sociaux dans le domaine du licenciement. Or, il est clair qu'en pratique, un licenciement jugé abusif risque de miner la légitimité de l'employeur et d'atteindre la coopération entre les acteurs. En revanche, un système de bonus malus n'aurait pas cet inconvénient puisque la légitimité de la mesure de licenciement serait alors simplement fondée sur le fait d'avoir payé...
Concernant le placement, l'insertion, le reclassement et le recrutement, on peut constater, selon François Eymard-Duvernay, une certaine faiblesse de l'encadrement juridique en France. L'emploi semble être un secteur réservé à l'économie. Or, l'absence de régulation juridique dans ce domaine peut être dangereuse. En effet, seul le droit peut vérifier le caractère équitable et non discriminatoire de l'évaluation et de la sélection des candidats. Le service public de l'emploi, censé intégrer l'intérêt des salariés, devrait pouvoir garantir une évaluation juste. Pour ce faire, il faudrait admettre l'idée d'une tarification en fonction des difficultés d'insertion, ce qui impliquerait une évaluation pertinente de la distance à l'emploi. Cependant, il manque encore, aujourd'hui, un véritable débat de fond sur le caractère équitable et adapté de l'évaluation des travailleurs, aussi bien lors du recrutement que pendant l'exécution du contrat de travail.
Commentant son rapport, rédigé en collaboration avec Francis Kramarz (De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, Pierre Cahuc et Francis Kramarz, La documentation française, 2004), Pierre Cahuc, Professeur à l'Université Paris I et Chercheur au Centre de Recherches en Economie et Statistique, est venu exposer certaines de ses propositions pour réduire la précarité professionnelle et les difficultés de reclassement.
Partant du constat que l'on dispose, aujourd'hui, en France, d'instruments efficaces pour mesurer et analyser la situation de l'emploi, il est possible de faire baisser le chômage. En effet, l'une des principales causes du chômage est l'insécurité des parcours professionnels.
Il faudrait donc, d'une part, mettre en oeuvre une réforme coordonnée du marché du travail en améliorant le service public de l'emploi. Le paradoxe en France est que la situation de l'emploi fait l'objet d'une très forte régulation mais que, parallèlement, les travailleurs ont un fort sentiment d'insécurité. Reprenant l'analyse faite dans le rapport Marimbert, Pierre Cahuc considère que le marché de l'emploi comprend un trop grand nombre d'intervenants et qu'il est mal coordonné. Dès lors, il faudrait instaurer un guichet unique pour les chômeurs. La création, par la loi de cohésion sociale (loi n° 2005-32, 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49), des maisons de l'emploi va dans ce sens, même si l'effort est encore insuffisant.
En outre, il faudrait modifier la gouvernance de l'assurance chômage en créant un opérateur unique. Il n'y a pas de raison que l'assurance chômage soit gérée par les partenaires sociaux au travers de l'Unedic. Il faudrait donc transférer la gestion à l'Etat et, en contrepartie, augmenter les pouvoirs des syndicats.
D'autre part, il faudrait ouvrir les secteurs, diplômes et professions actuellement fermés en révisant les règles protectrices injustifiées dont ils font l'objet.
Enfin, il faudrait procéder à une réforme du contrat de travail afin de mettre fin aux contrats à durée limitée, facteurs de précarité. Un contrat de travail unique serait instauré, sur le modèle du contrat à durée indéterminée avec une durée minimale, une prime de précarité due en cas de rupture anticipée et une contribution de solidarité en cas de rupture pour motif économique correspondant à 1,6 % des salaires versés...
Aujourd'hui, le droit du licenciement n'est protecteur qu'en apparence. En effet, contrairement à une idée reçue, les indemnisations légales du licenciement sont faibles en France par rapport aux autre pays européens. De plus, l'accord entre l'employeur et le salarié n'est pas encouragé. En outre, les règles du licenciement sont de plus en plus contournées : seuls 2 % des départs de l'emploi se font dans le cadre d'un licenciement pour motif économique. Enfin, le reclassement n'est pas mené, en règle générale, par l'entreprise mais il est le plus souvent externalisé, ce qui conduit à une déresponsabilisation des acteurs de l'entreprise. L'administration du travail exerce un contrôle, mais seulement sur les moyens mis en oeuvre pour opérer le reclassement et pas sur les résultats. Afin d'inciter les employeurs au reclassement, il faudrait instaurer un système de "sécurité sociale professionnelle" en substituant à certaines procédures lourdes, empêchant l'anticipation, une taxation des licenciements. Les entreprises seront ainsi encouragées à anticiper les licenciements pour éviter de payer cette taxe. Cette taxation des licenciements permettrait, également, de prendre en compte tous les salariés, sans faire de différence selon la taille de l'entreprise.
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