La lettre juridique n°169 du 26 mai 2005 : Social général

[Evénement] Les risques émergents de santé au travail : le poids des NTIC

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par Propos recueillis par Aurélie Garat, SGR - Droit social

le 07 Octobre 2010

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) ont révolutionné les modes d'organisation et les pratiques du travail. Alors que ces nouvelles technologies ont irradié l'ensemble des relations de travail, se pose avec acuité la question de leur poids sur les risques émergents sur la santé au travail. L'ADIJ (Association pour le Développement de l'Informatique Juridique) a organisé, le 12 avril dernier, une conférence sur ce thème. Lors des débats, animés par Christine Baudoin, avocate associée du Cabinet LMT Avocats, spécialiste en droit social, ont été tour à tour exposés le point de vue de Jean-Yves Petit, Responsable du Département droit social et droit de la fonction publique à la direction juridique de La Poste et celui Pierre Mathevon, médecin au Service Central d'appui en santé au travail d'EDF et Gaz de France.
  • Le poids des NTIC sur la santé au travail : le point de vue du juriste

La première difficulté est l'identification des risques liés aux NTIC. Il n'existe, en effet, pas de traduction concrète spécifique aux NTIC dans le Code du travail. Les NTIC sont traitées, peu ou prou, comme les autres risques. Certes, il existe bien quelques dispositions éparses qui vont traiter, par exemple, des écrans de visualisations (directive (CE) 90/270 du Conseil du 29 mai 1990 N° Lexbase : L7692AUG ; décret n° 91-451, 14 mai 1991, relatif à la prévention des risques liés au travail sur des équipements comportant des écrans de visualisation N° Lexbase : L8424AIT) mais la spécificité des NTIC n'a pas été prise en compte par le législateur.

Pourtant, il est évident, aujourd'hui, que les nouvelles technologies sont facteurs de risques particuliers. Le Conseil d'Etat, dans son rapport rendu en 2005, a admis que le risque, défini comme un "danger éventuel, plus ou moins prévisible, inhérent à une situation ou à une activité" (trésor de la langue française, CNRS) était en pleine évolution en raison, notamment, du progrès technique. Ainsi que le précise la Haute juridiction administrative, "le risque lui-même évolue, sa perception se modifie et la demande d'extension de sa couverture se fait plus forte".

On aboutit, finalement, à une situation paradoxale : alors que les NTIC sont censées faciliter le travail humain, elles sont également, en pratique, un facteur d'accroissement des risques pour la santé au travail.

La première obligation de l'employeur, en matière de santé au travail, est l'évaluation des risques. L'employeur doit, notamment, mettre en place un document unique (C. trav., art. R. 230-1 N° Lexbase : L1159AWT), un plan annuel de prévention et d'action (C. trav., art. L. 236-2 N° Lexbase : L6011ACM et C. trav., art. L. 236-4 N° Lexbase : L6012ACN) et un règlement intérieur. Pourtant, dans le cadre de cette démarche préventive imposée à l'employeur, aucune obligation spécifique n'est imposée en matière de NTIC.

La prise en compte des risques engendrés par ces NTIC relève donc d'une démarche purement volontaire de l'employeur. Or, il semble important, aujourd'hui, de prendre en compte les risques des NTIC sur la santé dans le management par une analyse appropriée du milieu et de l'ambiance de travail et par une mise en oeuvre d'une démarche préventive, dans ce domaine.

Outre l'obligation d'évaluation des risques, le Code du travail prévoit un certain nombre d'actions préventives. Ainsi, aux termes de l'article L. 230-2 (N° Lexbase : L5946AC9), l'employeur doit "éviter les risques ; évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; combattre les risques à la source ; adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; tenir compte de l'état d'évolution de la technique ; remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment en ce qui concerne les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 122-49 (N° Lexbase : L0579AZH) ; prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; donner les instructions appropriées aux travailleurs".

Même si elles ne sont pas explicitement citées par le législateur, les NTIC sont directement visées par ces prescriptions. L'employeur, pour se conformer à ces obligations, pourra mettre en place deux principaux outils. Le CHSCT, d'une part, devra être envisagé comme un relais de l'employeur dans la participation à la gestion du risque. Aux côtés du CHSCT, il est possible de créer un groupe de confiance chargé d'écouter les salariés sur le lieu de travail et de faire remonter les informations utiles au CHSCT. D'autre part, la délégation de pouvoir donnée par le chef d'entreprise aura également un rôle important à jouer dans ce domaine. Celle-ci est trop souvent entendue comme un moyen de se défausser pénalement. Or, ce n'est pas, loin sans faut, sa principale utilité. La délégation donnée à une personne proche du "terrain", ayant une connaissance précise de la réalité du travail et des caractéristiques des salariés permettra de spécialiser la gestion du risque et de la rendre, en conséquence, plus efficace.

L'employeur devra également veiller à la mise en oeuvre d'une "démarche qualitative santé". Celle-ci passe par une information des acteurs sur la législation en vigueur et sur l'utilisation des équipements (C. trav., art. R. 233-2 N° Lexbase : L9595ACD) ainsi que par une formation à la sécurité, prenant en compte notamment, les spécificités des NTIC (C. trav., art. R. 233-3 N° Lexbase : L9596ACE). Enfin, il ne faut pas négliger l'importance du choix de l'équipement en termes de santé. Ainsi, dans une entreprise telle que La Poste, les équipements achetés doivent répondre à des exigences très strictes en termes d'ergonomie.

La nécessité d'une telle démarche d'évaluation et de prévention des risques, notamment liés aux NTIC, apparaît aujourd'hui comme une évidence, surtout si l'on prend en compte l'expérience très positive en la matière de nombreuses grandes entreprises. La Poste, par exemple, a ainsi su se placer dans une perspective de long et moyen terme et a vu le coût de la prévention être contrebalancé par une nette diminution de l'absentéisme et par un meilleur rendement au travail. En outre, le développement d'une responsabilité sans faute des employeurs devrait pousser à une telle démarche. Il est, en tous cas, dommage que certaines entreprises attendent le déclenchement d'une situation de crise pour mettre en oeuvre une véritable politique de prévention.

Le chef d'entreprise a intérêt, non seulement à respecter les obligations légales, mais aussi à optimiser les ressources, quitte à devancer le législateur en instaurant une véritable politique d'évaluation et de prévention des risques émergents liés aux NTIC.

  • Le poids des NTIC sur la santé au travail : la vision du médecin

Sous l'appellation de "risques émergents de santé au travail" ou risques psycho-sociaux, on regroupe beaucoup de choses telles que le suicide ou le harcèlement. Malgré le caractère un peu flou de cette notion, il faut s'entendre sur le fait qu'un état de stress chronique peut entraîner de nombreuses pathologies telles que le cancer, les troubles endocriniens, respiratoires... A contrario, il est prouvé que ces divers troubles sont nettement atténués en situation de bien-être.

Aujourd'hui, le stress est partout : 10 à 12 000 articles sont publiés, chaque année, sur le stress dans le monde. Or, pour éviter de regrouper sous la même appellation des situations qui n'ont rien à voir entre elles, il faut distinguer les causes, les conséquences et le processus du stress. Aujourd'hui, le lien entre le stress et le travail est connu et validé scientifiquement. Il peut être défini comme un déséquilibre entre les ressources dont on dispose et les exigences auxquelles on est soumis.

Ces risques émergents, liés notamment aux NTIC, s'opposent aux risques traditionnels qui sont facilement identifiables et réglementés et pour lesquels on dispose d'un corpus de connaissances considérable et d'un système adapté. L'augmentation des maladies professionnelles et des accidents du travail correspond à une réaction de notre espèce à ce que nous avons construit et que nous devons reconstruire.

En effet, la santé n'est pas un état statique mais une construction dynamique permanente. Or, pour les risques émergents liés aux NTIC, une formulation traditionnelle est impossible. La formulation d'une représentation de ce qui se joue n'est possible que lorsque le vécu des salariés fait l'objet d'une discussion, d'un débat. Dans ce contexte, les questionnaires de stress et de bien-être au travail doivent se situer au coeur de la prévention.

En définitive, le travail contient une composante objective, mais aussi une composante subjective et sociale. Il est impossible de réduire le travail à sa dimension purement objective, même si celle-ci est la plus facilement identifiable. En effet, le travail ne doit pas être séparé de l'humain qui le fait. Or, la gestion du risque en entreprise n'intègre pas ou peu, aujourd'hui, ce caractère irréductiblement humain du travail. Dès lors, on aboutit à des politiques de management en la matière tout à fait insuffisantes. Il faudrait repenser le mode de gestion de ces risques émergents en intégrant cette dimension humaine et subjective du travail.

Enfin, s'agissant de la composante sociale, le travail doit faire l'objet d'une régulation sur le plan collectif. En effet, à trop vouloir individualiser la gestion du risque, on risque d'aboutir à un système discriminatoire. S'il est nécessaire, pour établir des règles et identifier les problématiques liées à la santé, d'instaurer un dialogue avec les individus, la gestion du risque doit, quant à elle, se faire à un niveau collectif. C'est la garantie d'un maintien de l'égalité entre les salariés.

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