Réf. : Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-40.650, M. Michel Magnier c/ Société P&O Stena Line Limited, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A2303DI7)
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le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-40.650, M. Michel Magnier c/ Société P&O Stena Line Limited, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A2303DI7) Rejet de CA Douai (Chambre sociale), 29 novembre 2002 (deux arrêts) Textes concernés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) Mots-clefs : rupture du contrat de travail ; date ; jour de l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant la rupture ; période d'essai. Lien bases : |
Faits
1. Par deux lettres datées respectivement des 2 et 7 novembre 1995, la société Stena sealink, devenue P&O Stena Line Limited, a proposé à M. et Mme Magnier le poste de "senior traffic services assistant", les avisant que leur embauche s'effectuerait le 20 novembre 1995 pour le premier et le 4 décembre 1995 pour la seconde, avec une période d'essai de 3 mois. Un contrat de travail prévoyant une période d'essai renouvelable une seule fois a été respectivement conclu par la société avec M. Garnier le 20 novembre 1995 et avec Mme Garnier le 4 décembre 1995. La société Stena Sealink a avisé M. Magnier par lettre du 15 février 1996 et Mme Magnier le 1er mars 1996 du renouvellement de leur période d'essai pour 3 mois. Elle a, ensuite, mis fin à leurs contrats de travail par lettres recommandées avec accusé de réception du 17 mai 1996 à effet du 19 mai 1996. Les deux salariés ont alors saisi la juridiction prud'homale afin d'avoir paiement de diverses sommes. 2. La cour d'appel saisie du litige ayant rejeté leur demande, les époux Magnier ont formé un pourvoi en cassation. Ces derniers reprochent principalement aux juges du fond d'avoir statué ainsi alors que, d'une part, la convention collective interdisait le renouvellement de la période d'essai et que, d'autre part et surtout, la rupture du contrat de travail ne leur avait été notifiée que postérieurement à l'échéance de la période d'essai. |
Problème juridique
Au-delà de la question relative à l'interprétation de la convention collective applicable, ici secondaire, il s'agissait de savoir à quel moment se situe précisément la rupture du contrat de travail en période d'essai. |
Solution
1. "La rupture d'un contrat de travail se situe à la date où l'employeur a manifesté sa volonté d'y mettre fin, c'est-à-dire au jour de l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant la rupture". 2. "La cour d'appel ayant constaté, par une appréciation souveraine des faits, que la rupture de la période d'essai avait été notifiée à l'adresse communiquée à l'employeur par le salarié, au moyen d'une lettre recommandée envoyée le 17 mai 1996, soit avant la date d'expiration de la période d'essai, a légalement justifié sa décision". |
Commentaire
1. L'importance de la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai
Conformément au principe de la prohibition des engagements perpétuels, l'article L. 122-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5554ACP) précise, en son alinéa 1er, que "le contrat de travail conclu sans détermination de durée peut cesser à l'initiative d'une des parties contractantes sous réserve de l'application des règles ci-après définies". Il faut donc comprendre que la rupture unilatérale du contrat à durée indéterminée n'est licite que sous réserve du respect des dispositions relatives au licenciement ou à la démission. Toutefois, et ainsi que le précise l'alinéa 2 de ce même article, "ces règles ne sont pas applicables pendant la période d'essai". Il s'en déduit que pendant la période d'essai la rupture du contrat de travail est en principe libre, c'est-à-dire qu'elle n'est pas assujettie aux règles du licenciement ou de la démission. Par suite, et sous réserve de dispositions conventionnelles ou contractuelles contraires, l'employeur n'est pas tenu de respecter un préavis, une procédure quelconque ou d'alléguer un motif. Cela étant, le droit de rompre le contrat pendant la période d'essai reste susceptible d'abus. En outre, l'employeur est tenu de respecter les règles de la procédure disciplinaire dès lors qu'il rompt l'essai en raison d'une faute commise par le salarié (Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44.750, Mme Brigitte Honoré c/ Association Accueil et réinsertion sociale, publié N° Lexbase : A4834DBN) En résumé, l'employeur est en droit de s'affranchir du respect des règles relatives au licenciement en rompant le contrat de travail pendant la période d'essai. On mesure ainsi toute l'importance de la date de la rupture, dès lors que toute rupture survenant postérieurement à l'échéance de la période d'essai s'analysera en un licenciement.
Il convient dans un premier temps de souligner que la rupture du contrat de travail en période d'essai n'est soumise à aucun formalisme particulier (1). En conséquence, la rupture peut être verbale (Cass. soc., 25 mai 1989, n° 85-43.903, Société Doumerc pneus c/ M. Joly, publié N° Lexbase : A3884AGX). Toutefois, en pratique, la notification de la rupture intervient fréquemment par lettre recommandée. Si une telle formalité n'a d'autre portée que celle de constituer un moyen de preuve, la jurisprudence a dû prendre position sur la date de la rupture notifiée par lettre recommandée. Or, jusqu'à la décision commentée, la Cour de cassation considérait, avec une belle constance, que la volonté de rupture de l'employeur ne pouvait produire effet qu'à partir du moment où elle avait été portée à la connaissance du salarié. Par suite, n'était pas régulière la rupture notifiée par lettre recommandée reçue par le salarié après l'expiration de la période d'essai (Cass. soc., 16 novembre 1993 , n° 88-45.383, M. Balthazard c/ Association Marie-Thérèse, publié N° Lexbase : A6236ABL ; Cass. soc., 14 mars 1995, n° 91-43.658, M. Bourhis c/ Mme Marchon, publié N° Lexbase : A1881AAW ; Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-42.581, Association pour l'insertion des grands handicapés respiratoires et moteurs c/ M. Goumand, publié N° Lexbase : A7545AHW). La Cour de cassation affirmait, dans cette dernière décision, que "la rupture d'un contrat de travail, lorsqu'elle est notifiée par lettre recommandée, se situe à la date de la présentation de cette lettre à l'adresse de son destinataire". On mesure le changement apporté par l'arrêt commenté qui constitue de ce point de vue un véritable revirement de jurisprudence. Désormais en effet, "la rupture d'un contrat de travail se situe à la date où l'employeur a manifesté sa volonté d'y mettre fin, c'est-à-dire au jour de l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant la rupture". 2. La rupture du contrat de travail subordonnée à la seule manifestation de volonté de son auteur
La rupture du contrat de travail appartient, faut-il le rappeler, à la catégorie des actes juridiques unilatéraux. Or, certains de ces actes "n'ont d'existence juridique que sous la condition d'avoir été portés, par une notification, à la connaissance de la personne envers laquelle ils sont appelés à produire effet. De tels actes sont qualifiés réceptices, par opposition aux actes non réceptices, dont l'effet n'est subordonné qu'à la manifestation de volonté de leur auteur (et, éventuellement, à l'observation des formes requises)" (J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil, Les obligations, 1/ L'acte juridique, 11ème éd., 2004, A. Colin, § 494). Il est, par suite, enseigné qu'est réceptice le licenciement d'un salarié et, plus généralement, tout acte par lequel l'une des parties à un contrat exerce une faculté unilatérale de rupture (J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, ibid.). Au vu de la solution retenue dans la décision commentée, on peut se demander si, désormais, la rupture du contrat de travail ne devient pas (ou plus exactement ne redevient pas) un acte non réceptice, étant entendu que la seule manifestation de volonté de l'employeur suffit à rompre le contrat de travail. Si une telle affirmation peut être admise, elle doit cependant être limitée à la rupture du contrat de travail pendant la période d'essai. Il importe en effet de souligner que la solution retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt du 11 mai 2005 doit être cantonnée à cette hypothèse, sans pouvoir être étendue au licenciement.
La généralité des termes du motif de principe de la décision commentée pourrait laisser à penser que la solution retenue par la Cour de cassation vaut pour toutes les ruptures du contrat de travail à l'initiative de l'employeur et doit dès lors être admise pour le licenciement. Une telle déduction nous paraît cependant devoir être rejetée. En effet, outre le fait qu'il s'agit d'un arrêt de rejet que l'on ne saurait par suite trop solliciter, le licenciement a ceci de fondamentalement différent avec la rupture en période d'essai qu'il est soumis à un formalisme rigoureux en application de la loi. Il n'est à ce titre guère besoin de rappeler toute l'importance que revêt la notification de la rupture. En d'autres termes, le licenciement reste un acte réceptice et la notification conserve en la matière toute sa valeur et son importance. En conséquence, en matière de licenciement c'est la présentation de la lettre de notification à l'adresse de son destinataire qui continue de constituer la date de la rupture.
Gilles Auzero (1) Sous réserve là encore de dispositions conventionnelles ou contractuelles contraires. |
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