La lettre juridique n°169 du 26 mai 2005 : Droit financier

[Textes] Agences de notation : faut-il légiférer ?

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N4500AII

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par Renée Kaddouch, Docteur en droit, Centre de droit financier de l'Université Paris I, Panthéon Sorbonne, Avocat à la Cour, Jeantet Associés

le 07 Octobre 2010

L'Autorité des marchés financiers (AMF), en rendant son premier rapport sur les agences de notation, a replacé celles-ci sous les feux de l'actualité. Les agences de notation ne sont pas ignorées de notre droit. Par exemple, selon l'article L. 214-44 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2576DKM), un fonds de commun de créances doit, lors du placement ou de la cotation de ses parts, pouvoir produire une notation établie par une agence. Cette obligation se comprend aisément. L'opération de titrisation consiste à transférer le risque de crédit d'un portefeuille d'actifs au marché, via un fonds commun de créances (1). Il convient, donc, d'évaluer le niveau de risque des parts émises par le fonds, et d'apprécier si sa structure permet le respect des engagements de paiement en fonction d'un calendrier contractuel.

Néanmoins, les agences elles-mêmes ne sont l'objet d'aucun encadrement législatif ou réglementaire, tant au regard de leur statut, que de leur activité. La loi de sécurité financière du 1er août 2003 (n° 2003-706 N° Lexbase : L3556BLB) a, certes, mis en place un embryon de réglementation en leur imposant de conserver, pendant trois ans, -et de la tenir à la disposition de l'AMF- l'ensemble de la documentation utilisée pour l'élaboration des notes (C. mon. fin., art. L. 544-3 N° Lexbase : L2543DKE). Le législateur a, également, chargé le régulateur de publier annuellement "un rapport sur le rôle des agences de notation, leurs règles déontologiques, la transparence de leurs méthodes et l'impact de leur activité sur les émetteurs et les marchés financiers" (C. mon. fin., art. L. 544-4 N° Lexbase : L2544DKG) (2).

C'est sur le fondement de ce texte qu'a été rendu, le 26 janvier 2005, le premier rapport de l'AMF sur les agences, limité aux agences de notation financière ou de crédit.

Ce texte s'articule autour de plusieurs axes distincts.

En premier lieu, l'autorité de régulation donne, pour la première fois, une définition de l'activité de notation de crédit. Il s'agit de "l'activité de publication d'une évaluation du risque de défaut d'un émetteur sur ses dettes financières". La notation peut porter, soit sur un émetteur (mesurant la capacité dudit émetteur à faire face au remboursement de la totalité de sa dette), soit sur une émission particulière (visant à connaître la capacité de remboursement d'une dette précise).

La notation peut être sollicitée par l'émetteur, avec son concours, ou être donnée à l'initiative de l'agence, sans que la société émettrice ne l'ait demandé (notation dite "sauvage") (3). L'AMF remarque, toutefois, que cette dernière pratique s'est marginalisée ces dernières années.

Ensuite, l'AMF analyse le rôle de la notation dans le système financier. Ainsi, il apparaît que les notes sont de plus en plus utilisées dans les contrats bancaires. A vrai dire, ce constat n'est pas nouveau. Claude Bébéar (4) révélait qu'en 2002, le nouveau président de Vivendi Universal avait convaincu Moody's de reculer l'annonce de la dégradation de la note, lui évitant, ainsi, la cessation des paiements. Le fondateur d'AXA regrettait, à cet égard, la frilosité des banquiers, lesquels suivraient systématiquement la position des agences.

Par ailleurs, le régulateur aborde la question des règles déontologiques applicables aux agences, au premier rang desquelles figure la prévention des conflits d'intérêts. L'AMF identifie comme principale source de conflits la rémunération de l'agence par l'émetteur. Ce risque serait maîtrisé par les agences dans la mesure où aucun client ne représenterait plus de 1 % de leur chiffre d'affaires mondial.

L'autorité de régulation française est, ainsi, plus timide que l'OICV (Organisation internationale des commissions de valeurs) et le CESR (The Committee of European Securities Regulators) (5) qui ajoutent la fourniture de services accessoires de conseil à la prestation de notation. Celle-ci pourrait, en effet, conduire l'agence à être plus "indulgente" lors de l'attribution de la note. Selon l'OICV, pour prévenir ce type de conflit, il conviendrait de mettre en oeuvre une séparation stricte au sein des agences entre les activités de notation et les autres activités, potentiellement sources de conflits d'intérêts. A notre avis, cette séparation, calquée sur le principe de la muraille de Chine utilisée par les banques d'affaires, ne permet pas d'éluder tout risque, si l'on en juge par la persistance des conflits au sein de ces dernières, sanctionnés par la jurisprudence (6).

Le respect du secret des affaires constitue la seconde source d'inquiétude. Les agences affirment respecter la confidentialité des informations transmises, même en l'absence d'accord en ce sens, sauf disposition législative contraire. Selon l'OICV, les agences auraient, d'ores et déjà, spontanément adopté des règles strictes de gestion de l'information, applicables à l'ensemble de leur personnel.

Enfin, l'AMF insiste sur la transparence des méthodes des agences. Il apparaît que le processus de notation est sensiblement le même pour chaque agence (collecte de l'information auprès de l'émetteur, présentation du dossier à un comité interne, appel par l'émetteur de la décision dudit comité, publication d'un communiqué de presse).

La méthodologie est diffusée sur les sites Internet des agences. Cependant, aucun élément objectif n'y figure. La procédure suivie est, donc, essentiellement subjective (7). Les émetteurs réclament, ainsi, plus de transparence dans la justification de la note. L'AMF souhaite, par conséquent, que les changements de méthodologie et l'explication des notes individuelles soient communiquées aux émetteurs. Le régulateur français se fait, à cette occasion, l'écho des inquiétudes manifestées par l'OICV.

En définitive, l'AMF appelle de ses voeux une régulation internationale et européenne de l'activité de rating, à l'instar des institutions communautaires. Faut-il pour autant légiférer sur la question ? Nous ne le pensons pas. Le Code de bonne conduite, élaboré par l'OICV, même s'il est perfectible, notamment au regard de l'encadrement de la méthodologie suivie par les agences, nous paraît à même d'assurer la régulation de l'activité. Il pourrait être annexé à tous les contrats conclus entre émetteurs et agences. Il aurait, ainsi, force obligatoire et pourrait être sanctionné par le juge de droit commun. La pratique de la notation sauvage est devenue trop marginale pour justifier, à elle seule, une réglementation de l'activité des agences.

Le CESR a, d'ailleurs, conclu en ce sens dans son avis rendu le 30 mars 2005 (8). Le régulateur européen a, à cette occasion, estimé que le Code de bonne conduite élaboré par l'OICV constituait une réponse suffisante, au moins dans un premier temps. Si cette auto-régulation échouait, il conviendrait, alors, d'édicter une réglementation contraignante.


(1) Sur l'ensemble de la question, lire Th. Granier et C. Jaffeux, La titrisation. Aspects juridiques et financiers, 2° éd., Economica, 2004 ;
(2) Sur cet aspect de la loi sécurité financière, v. not. A. Couret, Les agences de notation. Observations sur un angle mort de la réglementation, Rev. Sociétés 2003 p. 766 ; Ph. Portier, Dispositions de la loi de sécurité financière applicables aux agences de notation et aux analystes financiers, RD bancaire et financier 2003 p. 307 ;
(3) V. not. B. Dondero, M. Haschke-Dournaux et S. Sylvestre, Les agences de notation, Actes Pratiques, nov.-déc. 2004, p. 5, spéc. n° 78 et s.  ;
(4) Claude Bébéar, Ils vont tuer le capitalisme, Plon, 2003 ;
(5 ) Code of conduct fundamental for credit rating agencies, OICV, octobre 2004, et Call to CESR for technical advice on possible measures concerning credit rating agencies, 28 juillet 2004, RD bancaire et financier, 2004 p. 432, obs. Ph. Portier ;
(6) Trib. Com. Paris 12 janvier 2004, Morgan Stanley/LVMH N° Lexbase : A7001DAK -sur cette décision, V. not. A. Couret, Banques d'affaires, Analystes financiers et conflits d'intérêts, D. 2004 p. 335 ; adde, G. Terrier, L'affaire LVMH Morgan Stanley passée au crible, Capital Finance 2 févr. 2004 ;
(7) V. F. Basdevant, Agences de notation : éviter une dégradation de la situation, RD bancaire et financier 2004 p. 385 ;
(8) In http://www.cesr-eu.org adde, M. Lafourcade, Les agences de notation n'auront pas de label spécifique, La Tribune 30 mars 2005.

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