Réf. : CA Versailles, 30 avril 2004, 3ème ch., n° 02/05924, UCB Pharma c/ Ingrid Criou (N° Lexbase : A0032DC8) et n° 02/05/925, UCB Pharma c/ Nathalie Bobet (N° Lexbase : A0033DC9)
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N1467ABX
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le 07 Octobre 2010
Ce médicament découvert en 1938, bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché depuis 1945 ; il est commercialisé en France depuis 1950. Il est indiqué aujourd'hui dans le traitement du cancer de la prostate. De nombreuses études l'ont évalué et ont conclu à son utilité dans les grossesses menacées. Dans la fin des années cinquante, parallèlement à l'avènement des dosages hormonaux, il atteint des records de prescription, les auteurs préconisant des cures répétées, à doses progressives de la sixième à la trente-cinquième semaine d'aménorrhée. L'indication "avortement spontané à répétition" a été supprimée en 1976 et son utilisation a été contre-indiquée chez la femme enceinte en 1977. On estime qu'entre 1950 et 1976 en France, 160 000 femmes ont été traitées par DES pendant leur grossesse. On peut évaluer ainsi que 80 000 filles et 80 000 garçons âgés aujourd'hui de 25 à 50 ans ont été exposés au DES in utero, le pic de prescription de cette molécule se situant autour des années 1970. Il a été clairement établi à ce jour que l'exposition au DES in utero est susceptible de provoquer des atteintes de l'appareil génital chez la femme en particulier avec des anomalies structurelles et morphologiques et des conséquences sur la reproduction, des risques d'adénocarcinome à cellules claires du vagin (1 pour mille des patientes exposées au DES in utero) et du col de l'utérus. Chez l'homme, cette exposition in utero est susceptible d'entraîner l'apparition de kystes épididymaires, des anomalies testiculaires et des anomalies de position du méat urinaire. Ces données ont conduit à préconiser chez la femme un suivi médical sur le plan gynécologique, pour le dépistage du cancer du col, et lors d'une grossesse.
Une information du corps médical sur l'exposition au DES in utero a été assurée par le ministère de la Santé en 1989 et 1992. Une brochure sur ce thème a été diffusée auprès des médecins généralistes, des gynécologues, des obstétriciens, des maternités, des services de gynécologie et des centres anticancéreux.
Toutefois, il semble qu'à ce jour les conséquences de cette exposition demeurent encore méconnues par une partie du corps médical. Ainsi, très peu d'effets indésirables liés à une exposition au Distilbène in utero ont été notifiés au Système national de pharmacovigilance.
L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a rencontré en septembre 2001 les représentants du "Réseau DES France" (1), constitué de bénévoles concernés par le DES. Ce dossier a été examiné par le comité technique de pharmacovigilance de l'Afssaps du 4 décembre 2001. A l'issue de cette réunion, il a été considéré qu'une nouvelle information des professionnels de santé et du public sur les modalités de dépistage et de prise en charge des patients était nécessaire. Cette information a été diffusée en novembre 2002 auprès des professionnels de santé.
Par ailleurs, il a été constaté que la prise en charge des femmes exposées in utero au DES, reste souvent inappropriée, en particulier lors de leur grossesse. Le ministre délégué à la Santé a donc saisi le directeur général de l'ANAES le 19 novembre 2001 afin de mettre en place un groupe de travail pour élaborer des recommandations de bonnes pratiques en la matière. Ces bonnes pratiques ont été publiées en mai 2003.
Condamnée en première instance, par le tribunal de grande instance de Nanterre, sur le fondement de l'article 221-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6691ABG) selon lequel "les produits et les services doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes", la société UCB Pharma avait interjeté appel de ce jugement.
En effet, selon elle, les victimes recherchaient sa responsabilité à raison de la défectuosité du DES, commercialisé sous le nom de Distilbène auquel elles avaient été exposées in utero. Or, pour l'appelante, le fait générateur de la responsabilité ne pouvait être que l'exposition au Distilbène en 1973 et, en conséquence, le principe de non-rétroactivité des lois s'opposait à l'application non seulement, du droit interne à la lumière de la directive de 1985 (directive n° 85/374 du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux N° Lexbase : L9620AUT (2)), mais aussi de l'article L. 221-1 du Code de la consommation ; l'article 17 de la directive précitée, précisant que ce texte "ne s'applique pas aux produits mis en circulation avant la date à laquelle les dispositions visées à l'article 19 entrent en vigueur", soit le 30 juillet 1988.
De plus, la société UCB Pharma souligne que l'interprétation conforme du droit national à la lumière de la directive précitée devrait conduire à constater l'extinction de l'obligation de sécurité puisque le délai au terme duquel cette obligation s'éteint est de dix ans : le Distilbène ayant été administré en 1973, l'action serait donc prescrite.
Enfin, l'appelante fait valoir que, quel que soit le régime de responsabilité appliqué, aucune faute ne saurait être retenue à son encontre. En effet, selon elle, à l'époque où le Distilbène a été administré à la mère de la victime, en 1973, il existait un consensus du corps médical sur l'efficacité de ce produit dans la prévention des complications précoces de la grossesse. Ainsi, en l'état des connaissances scientifiques de l'époque aucune responsabilité ne saurait être retenue contre elle. Et s'agissant des règles de responsabilité civile, le lien de causalité direct et certain n'est pas établi.
Mais, la cour d'appel de Versailles rejette les prétentions du laboratoire. En effet, elle retient que, compte tenu des circonstances dans lesquelles les victimes ont été atteintes, à savoir in utero, la responsabilité de la société UCB Pharma doit être recherché sur le fondement délictuel : "il convient de rechercher la responsabilité du laboratoire, non pas sur un fondement contractuel, mais sur un fondement délictuel ; il y a donc lieu d'écarter toute référence aux articles 1147 du Code civil et L. 221-1 du Code de la consommation pour ne retenir que l'application des dispositions des articles 1165, 1382 et 1383 du Code civil, en vertu desquels les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve".
Ensuite, il ressort des rapports d'expertise que, dès 1972, la littérature médicale énonçait que l'association entre l'administration du DES et le cancer du vagin était suffisamment significative pour en conclure qu'il fallait s'abstenir de prescrire ce type de produit aux femmes enceintes. Il est également reproché au laboratoire de ne pas avoir tenu compte de la position de la Food and drug administration américaine qui contre-indiquait, dès 1971, l'utilisation du DES chez la femme enceinte. Par conséquent, la société UCB Pharma a manqué à son obligation de vigilance et a commis une série de fautes en ne surveillant pas l'efficacité du produit litigieux et, à partir de 1971, en maintenant sa distribution et ce, malgré les avertissements contenus dans la littérature médico-scientifique.
Enfin, concernant les préjudices subis par les victimes, à savoir un adénocarcinome à cellules claires, la cour retient l'existence de présomptions graves, précises et concordantes entre l'exposition au DES in utero et le développement des cancers.
Ce n'est pas la première fois qu'un laboratoire est condamné par la cour d'appel de Versailles en raison de l'existence de présomptions graves, précises et concordantes entre l'administration d'un produit médicamenteux et les préjudices subis. En effet, mais sur un fondement différent - responsabilité du fait des produits défectueux-, la cour de Versailles avait déjà retenu la responsabilité du laboratoire GlaxoSmithKline dans l'affaire du vaccin contre l'hépatite B et de la sclérose en plaques (CA Versailles, 2 mai 2001, n° 98/06839, SA SmithKline Beecham c/ Armelle Morice N° Lexbase : A3586ATY), puis celle de l'Institut Pasteur, toujours pour le vaccins contre l'hépatite B mais avec comme conséquence le syndrome de West (CA Versailles, 12 septembre 2003, n° 97/04862, SNC Aventis Pasteur c/ Mme Colona Cesari N° Lexbase : A1108DBN). Depuis la Cour de cassation, statuant sur l'affaire Glaxo a refusé de retenir l'existence de présomptions pour démontrer l'existence d'un lien de causalité entre le produit en cause et le dommage subi (Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 01-13.063, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5811C94).
A ce jour, la société UCB Pharma n'a pas encore formé un pourvoi en cassation contre ces deux arrêts mais, selon le réseau DES France, cela ne saurait tarder puisqu'elle a déjà déposé une requête, le jour même du prononcé des deux décisions, auprès du tribunal de grande instance de Nanterre pour demander la récusation du collège d'experts nommés depuis près de deux ans dans plusieurs dossiers. Affaire à suivre ...
Anne-Laure Blouet-Patin
SGR - Droit médical
(1) http://www.des-france.org/accueil/default.asp
(2) Il est à noter qu'une erreur s'est glissée dans les arrêts de la cour d'appel de Versailles qui font référence à une "directive du 20 décembre 1985" au lieu de la directive du 25 juillet 1985.
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