Réf. : Ass. plén., 16 avril 2004, n° 02-30.157, Directeur régional des affaires sanitaires et sociales des Pays de la Loire, P (N° Lexbase : A8864DBW)
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N1500AB8
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par Christophe Willmann, Maître de conférences à l'Université de Picardie
le 07 Octobre 2010
Décision
Ass. plén., 16 avril 2004, n° 02-30.157, Directeur régional des affaires sanitaires et sociales des Pays de la Loire, P (N° Lexbase : A8864DBW) Textes applicables : CSS., art. L. 512-1 (N° Lexbase : L5328ADP) et 512-2 (N° Lexbase : L5329ADQ ), D. 511-1 (N° Lexbase : L9602ADY) et 511-2 (N° Lexbase : L9603ADZ). Liens base : |
Faits
Une Caisse d'allocation familiale peut-elle exiger que le bénéfice des prestations familiales au profit de deux enfants étrangers soit conditionné par un certificat médical, délivré par l'OMI ?
- oui, selon la CAF |
Solution
- L'enfant étranger ne doit pas justifier d'un titre de séjour pour bénéficier de prestations familiales versées par la CAF (pour les enfants étrangers nés à l'étranger, le certificat de contrôle médical délivré par l'OMI). - Les étrangers résidant régulièrement en France avec leurs enfants mineurs bénéficient de plein droit des prestations familiales. |
Commentaire
L'Assemblée plénière devait statuer sur un arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 4 décembre 2001, rendu sur renvoi après une première cassation, qui a accueilli la demande d'une mère congolaise, sollicitant le bénéfice des prestations familiales en faveur de ses deux enfants à charge, pour la période antérieure à la délivrance du certificat de contrôle médical de l'Office des migrations internationales (OMI), en raison de l'entrée et du séjour réguliers de ces enfants en France avec leur mère. La question posée était la suivante : les prestations familiales en faveur des enfants étrangers vivant en France avec leurs parents en situation régulière sont-elles dues du seul fait de l'entrée et du séjour réguliers de ces enfants sur le territoire français, ou seulement à compter de la délivrance du certificat de contrôle médical par l'OMI ? L'enjeu est considérable. D'un côté, l'impératif du contrôle de l'entrée et du séjour des étrangers en France, ainsi que la préoccupation de ne pas alourdir les dépenses sociales par la prise en charge supplémentaire de nouveaux bénéficiaires, justifient une stricte appréciation des conditions d'appréciation du droit aux prestations sociales d'enfants étrangers. A cette logique institutionnelle, s'oppose un impératif de protection des droits des enfants, qui ont un droit élémentaire, quelle que soit leur nationalité, à des conditions de vie décentes, à la nourriture, aux soins nécessaires à leur santé et à leur bien-être. 1. Bénéfice des prestations sociales pour les enfants étrangers : un droit sous conditions
Bénéficient de plein droit des prestations familiales, les étrangers titulaires d'un titre exigé en vertu soit de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux pour résider régulièrement en France. Un décret fixe la liste des titres et justifications attestant la régularité de l'entrée et du séjour des bénéficiaires étrangers et des enfants qu'ils ont à charge et au titre desquels des prestations familiales sont demandées (CSS, art. L. 512-2 N° Lexbase : L5329ADQ ; loi n° 86-1307 du 29 décembre 1986, relative à la famille, art. 7 I N° Lexbase : L1880DYB). Le décret nº 87-289 du 27 avril 1987 (N° Lexbase : L1879DYA) a complété les prescriptions législatives en fixant la liste des documents exigés. L'étranger qui demande à bénéficier de prestations familiales justifie la régularité de son séjour par la production d'un des titres de séjour ou documents suivants en cours de validité : carte de résident ; carte de séjour temporaire ; carte de résident privilégié ; carte de résident ordinaire ; certificat de résidence de ressortissant algérien ; récépissé de demande de titre de séjour valant autorisation de séjour d'une durée de six mois renouvelable portant la mention : "reconnu réfugié" ; récépissé de demande de titre de séjour d'une durée de 6 mois renouvelable portant la mention étranger admis au séjour au titre de l'asile ; autorisation provisoire de séjour d'une validité supérieure à 3 mois. La disposition centrale reste celle codifiée à l'article D. 511-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9603ADZ) inséré par décret du 27 avril 1987 (N° Lexbase : L1879DYA), selon lequel la régularité de l'entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire a à charge et au titre desquels il demande des prestations familiales est justifiée par la production d'un des titres de séjour ou documents prévus à l'article D. 511-1 (N° Lexbase : L9602ADY), à défaut par la production d'un extrait d'acte de naissance en France ou d'un certificat de contrôle médical, délivré par l'Office national d'immigration à l'issue de la procédure de regroupement familial et comportant le nom de l'enfant. L'exigence de la délivrance du certificat de contrôle médical de l'OMI se justifie par la nécessité de respecter la procédure de regroupement familial. Cette procédure permet à l'Etat d'exercer un minimum de contrôle sur l'entrée en France des familles des ressortissants étrangers résidant sur le territoire national. La régularité de leur entrée est donc fondée sur l'accord préfectoral de regroupement familial, et l'autorisation de séjour à ce titre est matérialisée par le certificat délivré par l'OMI à l'issue de l'examen médical.
Jusqu'à présent, la jurisprudence a toujours donné une lecture très étroite des dispositions réglementaires (CSS, art. D. 511-2 N° Lexbase : L9603ADZ). Lorsqu'une personne, de nationalité tunisienne, travaillant en France depuis un certain temps, demande le versement des prestations familiales pour ses quatre enfants mineurs nés en Tunisie, la caisse d'allocations familiales peut à bon droit refuser de verser ces prestations familiales, les enfants ne remplissant pas les conditions prévues à l'article D. 511-2 du Code de la Sécurité sociale (Cass. soc., 30 novembre 2000, n° 99-12.665, M. Abdallah Bouhnich c/ Caisse d'allocations familiales (CAF) de Paris, inédit N° Lexbase : A6823C7T), c'est-à-dire le certificat médical délivré par l'OMI. La même solution vaut pour les parents de nationalité libanaise (Cass. soc., 10 décembre 1998, n° 97-12.327, Caisse d'allocations familiales (CAF) de la région de Bayonne c/ Mme Mona Abou Habib, inédit N° Lexbase : A1899CRR). Dans la présente affaire, toutes les juridictions sollicitées s'étaient d'ailleurs prononcées en ce sens, conformément à la jurisprudence dominante. 2. Bénéfice des prestations sociales pour les enfants étrangers : un droit sans condition de nationalité La lecture étroite de l'article D. 511-2 (N° Lexbase : L9603ADZ), qui prévalait jusqu'alors, conduisait à exiger des enfants étrangers que leurs parents produisent un document attestant de la régularité de leur séjour en France (certificat médical de l'OMI). A défaut de quoi, la CAF était fondée à refuser le paiement de prestations sociales à leur bénéfice. Cette lecture des textes ne reposait pas pour autant sur un large consensus. Un certain nombre d'arguments militaient au contraire pour la reconnaissance d'un droit aux prestations familiales, au profit des enfants étrangers, sans autre condition que leur résidence sur le territoire français. Un premier argument de texte pouvait être invoqué. La loi nº 95-116 du 4 février 1995 (N° Lexbase : L3000AIX) (art. 48, codifié au CSS sous l'article L. 512-1 N° Lexbase : L5328ADP) avait à cet effet fixé le principe général selon lequel toute personne française ou étrangère résidant en France, ayant à sa charge un ou plusieurs enfants résidant en France, bénéficie pour ces enfants des prestations familiales. Le deuxième argument, d'ordre jurisprudentiel, vient d'un arrêt rendu par la seconde chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2003, selon lequel il résulte de la combinaison des articles D. 511-1 (N° Lexbase : L9602ADY) et D. 511-2 (N° Lexbase : L9603ADZ) du Code de la Sécurité sociale que la régularité du séjour d'un mineur étranger que le bénéficiaire de prestations familiales a à charge et au titre duquel il demande l'octroi desdites prestations, est justifiée par la production d'un livret ou carnet de circulation (Cass. civ. 2, 9 décembre 2003, n° 02-30.401, Caisse d'allocations familiales (CAF) du Val de Marne c/ M. Abdelaziz Aboulaynine, FS-P+B N° Lexbase : A4368DAZ). Dans cet arrêt, la Cour de cassation prenait clairement position en faveur d'un allégement des contraintes pesant sur les parents étrangers de mineurs étrangers requérant le bénéfice de prestations sociales auprès de la CAF, puisque le certificat médical délivré par l'OMI n'était pas exigé. De même, par un arrêt rendu le 4 avril 1996, la Cour de cassation décidait que le certificat de contrôle médical délivré par l'Office national d'immigration aux enfants étrangers au titre desquels sont demandées les prestations familiales n'a pour effet que d'attester la régularité de l'entrée et du séjour de ceux-ci en France (Cass. soc., 4 avril 1996, n° 94-16.086, M. Zoba Dia Sambi c/ Caisse d'allocations familiales de Pontoise, publié N° Lexbase : A2466ABX). Selon l'alinéa premier de l'article L. 512-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5329ADQ), le demandeur d'une prestation sociale doit être titulaire d'un titre exigé pour résider régulièrement en France. La détention d'un tel document apparaît donc comme une condition d'ouverture des droits. Mais, à l'égard de l'enfant étranger, l'alinéa 2 du même article prévoit seulement qu'un décret fixe la liste des justifications de la régularité de son entrée et de son séjour sur le territoire national. Il ne s'agit alors que d'une règle de preuve et la date de délivrance du document est, a priori, sans influence sur celle de l'ouverture des droits laquelle peut être située en amont si la preuve est rapportée de l'antériorité de la présence des enfants en France. L'Assemblée plénière de la Cour de cassation, par le présent arrêt, s'est ralliée à ce mouvement (certes minoritaire) de la jurisprudence. Le troisième argument est tiré du droit social européen, prohibant toute discrimination entre les ressortissants et non-ressortissants, dans l'exercice de leurs droits (singulièrement, le bénéfice d'une prestation). Le Conseiller rapporteur a développé en détails ce point. Selon lui, dès lors que des enfants étrangers sont déjà sur le territoire national après une entrée non clandestine (bien que distincte de la procédure de regroupement) et qu'ils vivent avec leur mère, elle-même en situation régulière, rien, en droit, ne les différencie d'enfants de ressortissants français ou communautaires au regard de la condition générale de résidence (posée par l'article L. 512-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5328ADP). Exiger la production d'un certificat de contrôle médical émanant de l'OMI (ou d'un certificat médical propre à la procédure définie par traité), c'est introduire une différence de traitement fondée sur la nationalité à l'égard des enfants et de l'allocataire lui-même, différence dont la finalité relève d'une logique de police de circulation des étrangers, qui n'est pas dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En l'espèce, l'Assemblé plénière de la Cour de cassation a, implicitement, validé le raisonnement de la Cour de renvoi. Les titres de séjour visés à l'article D. 511-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9602ADY) ne sont pas délivrés aux enfants mineurs. L'article D. 511-2 (N° Lexbase : L9603ADZ) renvoyant à l'article D. 511-1, il ne peut s'agir que des titres ou documents dont doit être titulaire le demandeur aux prestations et non les enfants eux-mêmes. En tout état de cause, l'article D. 511-2, qui ne s'applique qu'à défaut de la production d'un des documents visés à l'article D. 511-1, est inapplicable au cas particulier, les enfants en cause ne remplissant pas les conditions exigées quant au lieu de naissance et au regroupement familial. Bref, l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation, suivant l'avis du premier avocat général et le rapport du conseiller rapporteur, donne une lecture "humaniste" aux dispositions réglementaires codifiées au Code de la Sécurité sociale. Des dispositions combinées des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, le principe retenu est que le bénéfice des prestations sociales doit être assuré sans distinction fondée sur l'origine nationale. Or, subordonner l'ouverture du droit à ces prestations familiales à la délivrance d'un certificat de contrôle médical de l'OMI pour des enfants étrangers ne répond pas à un motif suffisamment impérieux. Il peut être interprété comme une restriction supplémentaire plus rigoureuse imposée à ces enfants, qui apparaît disproportionnée par rapport au but poursuivi, s'agissant surtout de prestations indispensables pour l'entretien et le bien-être desdits enfants, ainsi que le respect effectif de leur vie privée et familiale. |
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