La lettre juridique n°119 du 6 mai 2004 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Précisions sur le droit constitutionnel de la négociation collective

Réf. : Cons. const., décision n° 2004-494 DC, du 2 avril 2004, Loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : A9945DBX)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Soucieux de relancer le dialogue social, les partenaires sociaux ont adopté, le 16 juillet 2001, une position commune comportant de nombreuses propositions destinées à favoriser la relance de la négociation collective (G. Lyon-Caen, Pour une réforme enfin claire et imaginative du droit de la négociation collective, Dr. soc. 2003, p. 355. ; A. Mazeaud, Sur l'autonomie collective des partenaires sociaux depuis la position commune du 16 juillet 2001, Dr. soc. 2003, p. 361). Après de longs mois de gestation, la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social a été adoptée par le Parlement et soumise, comme l'ont été avant elle toutes les grandes lois sociales de ces dernières années, au contrôle du Conseil constitutionnel. La décision était attendue dans la mesure où les précédentes avaient parfois remis en cause certaines des mesures phares adoptées par le Parlement (notamment la décision concernant la loi de modernisation sociale du 12 janvier 2002 ayant censuré la nouvelle définition plus restrictive du motif économique). Or, non seulement aucune des dispositions concernant la partie formation professionnelle n'a été contestée par les auteurs de la saisine -on pouvait s'y attendre compte tenu de l'unanimité qui avait marqué la conclusion de l'accord national interprofessionnel ayant servi de modèle (ANI du 23 septembre 2003)-, mais encore le Conseil n'a censuré aucune des dispositions déférées, ni d'ailleurs émis de réserve d'interprétation. Nous évoquerons ici les trois points intéressants de la décision concernant l'articulation des compétences entre le législateur et les partenaires sociaux (1), la valeur du principe de faveur (2) et les limites de l'exigence de clarté et d'intelligibilité de la loi en matière sociale (3).
Décision commentée

Cons. const., décision n° 2004-494 DC, du 2 avril 2004, Loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : A9945DBX)

Texte déféré : loi n° 2004-391, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social,  du 4 mai 2004 N° Lexbase : L1877DY8)

Dispositions contestées :

1. Article 41 : ce texte modifie l'articulation des accords conclus à des niveaux territoriaux différents. L'article 132-13 (N° Lexbase : L5667ACU) actuel du Code du travail dispose qu'"une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel ne peut comporter des dispositions moins favorables aux salariés que celles qui leur sont applicables en vertu d'une convention ou d'un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large". Désormais, la loi n'impose plus un tel principe qui devra être expressément stipulé par les signataires de la convention ou de l'accord de niveau supérieur. Par ailleurs, l'obligation d'adaptation qui pesait sur les signataires de l'accord de niveau inférieur moins favorable est également écartée, à moins que les signataires de l'accord de niveau territorialement supérieur ne l'aient également stipulé expressément.

2. Article 42 : ce texte complète les dispositions de l'article L. 132-23 du Code du travail (N° Lexbase : L5676AC9). Il permet à un accord d'entreprise ou d'établissement de déroger aux dispositions d'une convention ou d'un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large sauf si cette convention ou cet accord en dispose autrement, cette faculté ne pouvant toutefois s'exercer en matière de salaires minima, de classifications et de garanties collectives dans le cadre de la mutualisation de certains risques et des fonds de la formation professionnelle.

3. Article 43 : ce texte étend aux conventions et aux accords d'entreprise ou d'établissement la faculté, jusqu'à présent réservée aux conventions et aux accords de branche, de mettre en oeuvre certaines dispositions du Code du travail et du Code rural ou d'y déroger.

Liens base :

Solution

Arguments soulevés par les auteurs de la saisine :

1. Violation de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) :

Les articles 41 à 43 seraient contraires à l'article 34 de la Constitution et priveraient de garanties légales le 11ème alinéa du Préambule de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU). Le législateur serait en effet seul compétent "pour déterminer les droits et obligations constitutifs de l'ordre public social protecteur" et "les éventuelles délégations de compétence pour y déroger devraient être précises et limitées et résulter d'une habilitation législative expresse".

Or, toujours selon les auteurs de la saisine, les articles 41 et 42, en autorisant de façon implicite et générale les accords d'entreprise et de branche à déroger aux accords de niveau supérieur, seraient entachés d'incompétence négative. L'article 43 n'aurait pas non plus suffisamment encadré les nouvelles possibilités ouvertes aux accords d'entreprise de déroger aux dispositions du Code du travail. D'une manière générale, la nouvelle architecture conventionnelle méconnaîtrait, par sa complexité, l'exigence constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi.

2. Violation du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU) :

Ces dispositions, en permettant à des accords d'entreprise de déroger, dans un sens défavorable au salarié, à des dispositions législatives ou à des accords de branche, seraient de nature à priver de garanties légales des exigences constitutionnelles, comme "le droit à la protection de la santé, à la sécurité matérielle, au repos et aux loisirs", tel qu'il résulte du 11ème alinéa du Préambule de 1946. Le respect de ces garanties ne pourrait être laissé à la libre détermination des partenaires sociaux, certainement pas au niveau de l'entreprise (§. 15).

Décision : conformité ; absence de réserve d'interprétation.

I. Sur la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution

1. L'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) donne au Parlement le soin de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, dans le respect des dispositions du Préambule de la Constitution de 1946, et notamment de son alinéa 8 aux termes duquel "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises" (§. 6 et 7).

2. Il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte. En particulier, il peut laisser les partenaires sociaux déterminer, dans le cadre qu'il a défini, l'articulation entre les différentes conventions ou accords collectifs qu'ils concluent au niveau interprofessionnel, des branches professionnelles et des entreprises. Toutefois, lorsque le législateur autorise un accord collectif à déroger à une règle qu'il a lui-même édictée et à laquelle il a entendu conférer un caractère d'ordre public, il doit définir de façon précise l'objet et les conditions de cette dérogation (§. 8).

3. Le principe en vertu duquel la loi ne peut permettre aux accords collectifs de travail de déroger aux lois et règlements ou aux conventions de portée plus large que dans un sens plus favorable aux salariés ne résulte d'aucune disposition législative antérieure à la Constitution de 1946, et notamment pas de la loi du 24 juin 1936. Dès lors, il ne saurait être regardé comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du Préambule de la Constitution de 1946. Ce principe constitue en revanche un principe fondamental du droit du travail au sens de l'article 34 de la Constitution, dont il appartient au législateur de déterminer le contenu et la portée (§. 9).

4. Il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution. A cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4 (N° Lexbase : L1368A9K), 5 (N° Lexbase : L1369A9L), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques (§. 10).

5. Les articles 41 et 42 de la loi déférée n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier, d'une part, les rapports entre les normes législatives ou réglementaires et les accords collectifs et, d'autre part, les rapports entre les accords collectifs et les contrats de travail. Ils se bornent à régir l'articulation entre les différents accords collectifs afin d'ouvrir à des accords de niveau inférieur la faculté de déroger à un accord de niveau supérieur, sous réserve que les signataires de ce dernier n'aient pas exclu cette faculté. Ces accords devront, selon les cas, soit ne pas avoir fait l'objet d'une opposition de la part d'une majorité d'organisations syndicales ou de la part des organisations syndicales majoritaires, soit avoir été signés par des organisations syndicales majoritaires, dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi déférée. La possibilité, pour un accord d'entreprise, de déroger à un accord de niveau supérieur est exclue en matière de salaires minima, de classifications et de garanties collectives dans le cadre de la mutualisation de certains risques et des fonds de la formation professionnelle. Ces nouvelles dispositions n'auront pas de portée rétroactive, comme le précise l'article 45 de la loi déférée (§. 12).

6. Compte tenu de l'ensemble de ces garanties, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.

7. Si le 2°, le 4° et le 14° du I de l'article 43 renvoient à des accords d'entreprise les modalités d'application de certaines normes législatives du Code du travail, les autres dispositions de cet article permettent à des accords d'entreprise de déroger à des règles législatives d'ordre public relatives à l'indemnité de fin de contrat ou de fin de mission et à la durée du travail. Toutefois, le législateur a défini de façon précise l'objet de ces différentes dérogations et a fixé lui-même ou renvoyé au pouvoir réglementaire, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, les conditions de leur mise en oeuvre. Ces accords ne devront pas avoir fait l'objet d'une opposition des organisations syndicales majoritaires dans l'entreprise ou devront avoir été signés par elles selon les modalités prévues par l'article 37 de la loi déférée (§. 13).

8. Dans ces conditions, le grief tiré de la violation de l'article 34 de la Constitution doit être rejeté.

9. Si les dispositions critiquées rendent plus complexe l'articulation entre les différents accords collectifs, elles définissent de façon précise les rapports entre les différents niveaux de négociation. Ainsi, le législateur qui a entendu se référer à la position commune adoptée par les partenaires sociaux le 16 juillet 2001, n'a pas méconnu les exigences d'intelligibilité et de clarté de la loi (§. 14).

II. Sur la méconnaissance du 11ème alinéa du Préambule de constitution de 1946

1. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité. Cependant, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel (§. 16).

2. Les articles 41 et 42 n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de permettre à des dispositions conventionnelles de déroger à des normes législatives ou réglementaires. Le grief invoqué par les requérants est inopérant à l'encontre de ces articles (art. 17).

3. L'article 43 ne permet pas aux accords collectifs de déroger aux règles d'ordre public en matière de santé et de sécurité au travail. Ni la durée maximale hebdomadaire de travail, ni la définition du travailleur de nuit, qui résultent des articles L. 212-7 (N° Lexbase : L5854ACS) et L. 213-2 (N° Lexbase : L5864AC8) du Code du travail, ne sont concernées par l'extension du champ de la négociation d'entreprise. L'objet et les conditions des nouvelles possibilités de dérogation aux règles relatives à la durée du travail, et notamment au droit au repos, sont définis de façon suffisamment précise. Dans ces conditions, l'article 43 ne prive pas de garanties légales les exigences constitutionnelles (§. 18).

Commentaire

1. L'articulation des compétences du législateur et des partenaires sociaux

Le premier mérite de cette décision du 29 avril est d'avoir précisé l'articulation constitutionnelle du domaine réservé au législateur, par l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) et à la négociation collective, conformément aux dispositions de l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU). La présence, dans le bloc de constitutionnalité, de ces deux dispositions constitue une clef de compréhension de cette décision de conformité. En confiant aux partenaires sociaux le soin de déterminer en partie les règles applicables aux relations professionnelles, le Parlement exerce bien sa propre compétence et met en oeuvre, dans un même temps, les dispositions de l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel, rappelons-le, "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".

Le Conseil constitutionnel avait eu l'occasion d'affirmer, à plusieurs reprises d'ailleurs, qu'il appartenait au législateur de déterminer les conditions et garanties de la mise en oeuvre de ce principe (décision n° 77-79 DC du 5 juillet 1977 N° Lexbase : A7955ACM ; décision n° 93-328 DC du 16 décembre 1993 N° Lexbase : A8287ACW ; décision n° 97-388 DC du 20 mars 1997 N° Lexbase : A8440ACL ; décision n° 99-423 DC, du 13 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : A8786ACE). Mais, pour que cette délégation puisse respecter les dispositions de l'article 34 de la Constitution, encore faut-il qu'elle ne se traduise pas par un abandon pur et simple de compétence. Le Parlement doit donc non seulement conserver une partie de sa compétence, mais il doit préciser le domaine des questions déléguées et organiser les principes d'articulation entre la loi et les conventions collectives. C'est le premier enseignement que l'on peut tirer de cette décision, et qui ressort très nettement du considérant 8 qui en précise les conditions.

Le législateur ne peut pas déléguer purement et simplement sa compétence sans l'avoir exercée préalablement. En d'autres termes, l'indicatif présent de l'article 34 impose au législateur d'exercer impérativement sa compétence. En revanche, il lui est loisible de renvoyer aux partenaires sociaux le soin de "préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte", les partenaires sociaux jouant alors le rôle du pouvoir réglementaire lorsqu'il met en oeuvre les principes fondamentaux définis par la Loi. Si le Parlement doit veiller scrupuleusement aux modalités d'articulation entre les principes qu'il affirme lui-même et les dispositions conventionnelles, il dispose d'une marge de liberté plus grande pour laisser aux partenaires sociaux le soin de déterminer le niveau auquel il convient de négocier ainsi que les principes d'articulation entre ces différents niveaux.

Or, les dispositions contestées concernaient bien les principes d'articulation entre accords et conventions collectives, et non directement l'articulation entre les conventions collectives et la loi. Ce n'était donc pas directement sa propre compétence que le Parlement remettait en cause, mais simplement les niveaux de négociation. Seul l'article 43 de la loi concernait en réalité directement les rapports entre les conventions collectives et la loi. Or, pour ces dispositions, le Conseil constitutionnel considère que le Parlement a entouré les facultés de dérogations ouvertes de garanties suffisantes.

En premier lieu, le Conseil rappelle que la loi doit "définir de façon précise l'objet et les conditions de cette dérogation". C'est d'ailleurs ainsi que procède le législateur depuis 1982, lorsqu'il a autorisé la conclusion d'accords dérogatoires et qu'il procède dans l'article 43 déféré, puisque le texte liste les questions qui peuvent donner lieu à la conclusion d'accords dérogatoires (indemnité de fin de contrat ou de fin de mission et durée du travail). En second lieu, le Conseil relève que ces accords dérogatoires sont soumis à un régime juridique destiné à garantir le respect de la parole majoritaire. Uniquement contrebalancés par l'existence de l'hypothétique droit d'opposition depuis 1982, les accords dérogatoires sont désormais encadrés par un régime plus efficace puisque la loi déférée a opté soit pour une opposition au critère de majorité assoupli (majorité des suffrages exprimés), soit pour une majorité de conclusion.

Il est d'ailleurs intéressant de relever que c'est l'adjonction de ces deux séries de garanties qui permet au Conseil de valider l'article 43, puisqu'il relève que "dans ces conditions, le grief tiré de la violation de l'article 34 de la Constitution doit être rejeté".

2. Le principe de faveur n'a qu'une simple valeur législative

Sur ce point, la décision du Conseil constitutionnel confirme une jurisprudence bien établie.

En premier lieu, le Conseil confirme son refus de consacrer le principe de faveur comme principe fondamental reconnu par les lois de la République, refus déjà exprimé en 1997 à l'occasion de l'examen de la loi relative à l'épargne salariale (décision n° 97-388 DC du 20 mars 1997 N° Lexbase : A8440ACL X. Prétôt, Dr. soc. 1997, p. 476), et confirmé en 2003 à l'occasion de l'examen de la loi Fillon II (décision n° 2002-465 du 13 janvier 2003 N° Lexbase : A6295A4W Dr. soc. 2003, p. 280, chron. X. Prétôt ; Ch. Radé, Le renforcement de l'autonomie des partenaires sociaux après la décision du Conseil constitutionnel concernant la loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, Lexbase Hebdo n° 54 du jeudi 16 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5514AAH ; B. Mathieu, La promotion constitutionnelle de la liberté contractuelle en matière de droit du travail, D. 2003, chron. p. 638). Les arguments avancés n'ont d'ailleurs pas changé. Sans entrer dans le détail de l'argumentation, le Conseil, qui n'examine que les lois antérieures à 1946, seules à même -par la force des choses- d'avoir été visées par le Constituant de la Quatrième République, considère que la loi du 24 juin 1936, qui a fait pour la première fois application du principe de faveur, n'a pas entendu consacrer de principe général, mais une simple solution technique à un problème particulier d'articulation des sources.

S'il ne constitue pas une règle de valeur constitutionnelle au sens où elle contraindrait le Parlement, elle constitue bien, ce que l'on savait depuis longtemps d'ailleurs, un principe fondamental du droit du travail au sens de l'article 34 de la Constitution, qui entre donc pleinement dans le champ de compétence du législateur, comme d'ailleurs l'ensemble des questions intéressant les relations professionnelles (décision n° 67-46 L du 12 juillet 1967 N° Lexbase : A7854ACU ; décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989 N° Lexbase : A8199ACN).

Le Parlement peut donc a priori librement disposer de ce principe, même si on sait, par le biais du grief de l'incompétence négative, que le Conseil constitutionnel parvient à contrôler les conditions dans lesquelles il y dérogerait en subordonnant la validité d'une telle loi au fait qu'elle doit définir "de façon précise l'objet et les conditions de cette dérogation". C'est ce que rappelle très fermement le Conseil dans son dixième considérant : "il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution ; (...) à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques".

3. La loi sociale peut être complexe, pourvu qu'elle demeure intelligible

Les auteurs de la saisine considéraient également l'ensemble du dispositif comme trop complexe et, partant, comme contraire à l'exigence de clarté et d'intelligibilité de la loi, principe consacré depuis 1999 (décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 N° Lexbase : A8784ACC ; décision n° 2001-453, du 18 décembre 2001, Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 N° Lexbase : A6230AXZ ; décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale N° Lexbase : A7588AXC).

Or, la réponse du Conseil est sur ce point très éclairante. Sans nier la complexité des nouveaux principes d'articulation mis en place (comment le pourrait-il !), le Conseil relève que les dispositions litigieuses "définissent de façon précise les rapports entre les différents niveaux de négociation" et se réfère directement "à la position commune adoptée par les partenaires sociaux le 16 juillet 2001". En d'autres termes, le législateur peut être complexe pourvu qu'il soit clair. Il s'agit donc d'une exigence formelle qualitative, et non de l'obligation de respecter un modèle législatif hérité, sans doute, d'une lointaine tradition remontant à Portalis ou Domat...

On pourra également s'étonner que le Conseil prenne la peine de rappeler que le parlement a entendu donner suite à la position commune du 16 juillet 2001 pour justifier la complexité de la loi, comme si cette complexité était acceptable parce qu'elle avait été négociée... Mais au-delà de cette évocation destinée à rappeler la synergie entre la négociation collective et le législateur, gage de relations sociales pacifiées, il faut se féliciter que le contrôle exercé par le Conseil sur l'inintelligibilité de la loi soit aussi restreint. Toute autre solution conduirait à renforcer encore un peu plus le contrôle sur le législateur et briderait l'initiative parlementaire, à une époque où elle n'en a nullement besoin.

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