Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 15 avril 2016, n° 376785, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7103RIW)
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N2630BWC
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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris et Maître de conférences à la Faculté de droit de Bordeaux
le 26 Mai 2016
Chacun voit bien où le débiteur de la prestation compensatoire voulait en venir : profiter du caractère mixte de la prestation compensatoire pour tenter d'en obtenir la déductibilité totale, suggérant au passage, par effet miroir, le caractère imposable au titre de l'impôt sur le revenu de toutes les sommes reçues par le créancier. Malheureusement pour lui, les textes fiscaux ne servent pas du tout la thèse qu'il défendait. Il est aisé de les rappeler.
Pour ce qui est du débiteur de la prestation compensatoire, deux textes sont à considérer. D'une part, l'article 199 octodecies du CGI (N° Lexbase : L3637HLB), qui prévoit une réduction d'impôt pour le capital versé dans les douze mois de la date à laquelle le divorce a acquis un caractère définitif (réduction égale, au maximum à la somme de 7 625 euros). D'autre part, l'article 156, II, 2° du CGI (N° Lexbase : L3998KWY), qui prévoit la déductibilité du revenu net imposable du débiteur des sommes qu'il a payées au-delà du douzième mois suivant la date à laquelle le divorce est devenu définitif. Cependant, et cet aspect est essentiel en l'espèce, il ne faut pas perdre de vue que l'article 199 octodecies dispose en son II que ses dispositions ne s'appliquent pas lorsque la prestation compensatoire est versée sous forme de rente. Une instruction fiscale du 17 juillet 2006 est clairement en ce sens (Instruction du 17 juillet 2006, BOI 5 B-21-06, n° 20 N° Lexbase : X7102ADE).
Pour ce qui est du créancier de la prestation compensatoire, deux autres textes sont à prendre en compte. D'une part, l'article 80 quater du CGI (N° Lexbase : L4000I3K) qui assimile au régime des pensions alimentaires les sommes reçues après le douzième mois suivant la date ou la décision de divorce est devenue définitive (et ceci que le divorce résulte ou non d'une demande conjointe). D'autre part, l'article 1133 ter du CGI (N° Lexbase : L2578HNS), qui prévoit la perception d'un droit fixe de 125 euros lorsque les dispositions de l'article 80 quater ne s'appliquent pas (le tout sous réserve des dispositions de l'article 1020 du CGI N° Lexbase : L2771IGQ relatif à la taxe de publicité foncière).
De sorte que chacun comprend aisément que le caractère mixte d'une prestation compensatoire, à la fois en capital et en rente, ne peut pas donner lieu à l'application exclusive de l'article 156, II, 2° (côté débiteur) et de l'article 80 quater (côté créancier). Au contraire, il résulte nettement de l'article 199 octodecies que l'adjonction d'une rente fait perdre le bénéfice de la réduction d'impôts pour les douze premier mois, ce qui laisse intacte la possibilité de déduire les sommes versées sous forme de rente au-delà du douzième mois. En d'autres termes, en présence d'une prestation compensatoire mixte, le débiteur ne peut cumuler les deux avantages fiscaux. A fortiori, ne peut-il pas non plus anéantir le régime prévu pour les sommes versées les premiers douze mois afin de leur appliquer ce qui est prévu pour les sommes payées au-delà. On peut le dire de façon exégétique : l'article 199 octodecies n'est pas soluble dans l'article 156, II, 2° lorsque la prestation compensatoire est mixte. Au contraire : en pareil cas, le débiteur perd un avantage (la réduction d'impôts), il ne peut étendre le domaine de l'autre avantage (la déduction d'impôts). Suivre le raisonnement tenu par l'ex-mari en l'espèce reviendrait à réécrire totalement le régime fiscal de la prestation compensatoire, au point de le rendre ultra favorable au débiteur et nettement moins rentable pour les finances de l'Etat. Nul ne s'étonnera donc de ce que le Conseil d'Etat n'ait pas voulu s'engager sur ce chemin. On observera cependant, à la lecture de la décision d'appel, que tant les premiers juges que la cour administrative d'appel ont accepté de faire bénéficier l'ex-mari des deux avantages (réduction et déduction), alors que le premier n'était clairement pas applicable. Il semble bien que le ministre, en défense, ait lui-même soutenu que le débiteur pouvait bénéficier de la réduction d'impôt, ce qui constitue clairement une erreur. Sobrement, le Conseil d'Etat remet les choses en ordre et rappelle que la réduction n'est possible qu'en l'absence de versement d'une rente.
Evidemment, on ne peut manquer de se demander si la solution est transposable à une hypothèse voisine, mais pas tout à fait équivalente, qui est celle où la prestation compensatoire a été fixée sous forme d'un capital immédiat et d'un capital échelonné. On sait que cette hypothèse n'est pas envisagée expressément par les textes fiscaux, ce qui a donné lieu à des thèses doctrinales diverses, dont une (qui rejoint celle de l'ex-mari au cas d'espèce) qui soutient que l'ensemble des sommes payées relèverait du régime des pensions alimentaires, ce qui les rendrait intégralement déductibles, que ce soit le capital payé immédiatement ou le capital échelonné (v. A. Depondt, La fiscalité et le divorce : les points d'actualité, Dr. & patr., novembre 2007, 54). Cette thèse a été critiquée en doctrine, à juste titre selon nous, un argument pouvant être trouvé à titre incident dans des dispositions du BoFip - Impôts (BOI-IR-RICI-160, § 190 et 200 N° Lexbase : X4226AL4 ; sur l'ensemble, v. S. David, Droit et pratique du divorce, Dalloz, 2016, n° 321.35). Il nous semble que la présente décision rejoint ces critiques et condamne toute idée de déductibilité globale, y compris pour le capital payé immédiatement. Même si le Conseil d'Etat n'était saisi, au cas présent, que d'une prestation compensatoire mixte "capital et rente" (et non "capital immédiat et capital échelonné"), il ne nous paraît pas douteux que la jurisprudence ici dégagée doive s'appliquer aussi, par identité de raison, à l'hypothèse d'une prestation compensatoire mixte "capital immédiat et capital échelonné".
L'attention des praticiens doit donc être grande pour que les modalités de paiement de la prestation compensatoire soient clairement distinguées et qualifiées, afin que leur régime fiscal puisse être clairement exposé aux parties. La déductibilité globale de la prestation compensatoire n'existe pas, et ceux qui y croient feraient aussi bien de croire au Père Noël...
Vous pourrez vous reporter s'agissant de cet arrêt, au sein de cette revue, sur les conclusions de Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section (N° Lexbase : N2634BWH).
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