La lettre juridique n°654 du 12 mai 2016 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] La fiscalité des prestations compensatoires

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 15 avril 2016, n° 376785, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7103RIW)

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N2630BWC

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris et Maître de conférences à la Faculté de droit de Bordeaux

le 26 Mai 2016

Dans un divorce par consentement mutuel, quel est le régime fiscal des prestations compensatoires mixtes, comportant un capital immédiatement exigible et une rente ? La question mérite d'être posée car jusqu'à la présente décision du Conseil d'Etat en date du 15 avril 2016, la réponse n'était sans doute pas aussi nette qu'elle aurait dû l'être. De ce point de vue, l'arrêt commenté apporte une clarification qui ne peut être que saluée, d'autant que c'est la première fois que le Conseil d'Etat se prononce sur la question (CE 3° et 8° s-s-r., 15 avril 2016, n° 376785, publié au recueil Lebon). Les faits de la présente affaire sont très classiques. Des époux divorcent par consentement mutuel, et un juge aux affaires familiales homologue leur convention de divorce par jugement définitif du 27 janvier 2006. Cette convention, conclue le 24 octobre 2005, prévoyait que le mari devait régler une prestation compensatoire à l'épouse. Les modalités de paiement prévoyaient trois volets : d'une part, l'abandon d'une soulte et l'attribution de divers biens, d'autre part, le versement en numéraire d'un capital de 300 000 euros, et, enfin, le versement d'une rente de 4 000 euros par mois jusqu'au 31 mars 2013. Au cours de l'année 2006, l'ex-mari a versé à son épouse une somme de 771 629 euros. Ultérieurement, il a demandé aux services des impôts que cette somme soit déduite de son revenu imposable 2006, estimant qu'il s'agissait là de versements de sommes d'argent effectués sur une période supérieure à douze mois. Sa demande a été rejetée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 30 novembre 2011, n° 1005919), décision confirmée par la cour administrative d'appel de Versailles le 28 janvier 2014 (CAA Versailles, 28 janvier 2014, n° 12VE00680, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0675MMX).

Chacun voit bien où le débiteur de la prestation compensatoire voulait en venir : profiter du caractère mixte de la prestation compensatoire pour tenter d'en obtenir la déductibilité totale, suggérant au passage, par effet miroir, le caractère imposable au titre de l'impôt sur le revenu de toutes les sommes reçues par le créancier. Malheureusement pour lui, les textes fiscaux ne servent pas du tout la thèse qu'il défendait. Il est aisé de les rappeler.

Pour ce qui est du débiteur de la prestation compensatoire, deux textes sont à considérer. D'une part, l'article 199 octodecies du CGI (N° Lexbase : L3637HLB), qui prévoit une réduction d'impôt pour le capital versé dans les douze mois de la date à laquelle le divorce a acquis un caractère définitif (réduction égale, au maximum à la somme de 7 625 euros). D'autre part, l'article 156, II, 2° du CGI (N° Lexbase : L3998KWY), qui prévoit la déductibilité du revenu net imposable du débiteur des sommes qu'il a payées au-delà du douzième mois suivant la date à laquelle le divorce est devenu définitif. Cependant, et cet aspect est essentiel en l'espèce, il ne faut pas perdre de vue que l'article 199 octodecies dispose en son II que ses dispositions ne s'appliquent pas lorsque la prestation compensatoire est versée sous forme de rente. Une instruction fiscale du 17 juillet 2006 est clairement en ce sens (Instruction du 17 juillet 2006, BOI 5 B-21-06, n° 20 N° Lexbase : X7102ADE).

Pour ce qui est du créancier de la prestation compensatoire, deux autres textes sont à prendre en compte. D'une part, l'article 80 quater du CGI (N° Lexbase : L4000I3K) qui assimile au régime des pensions alimentaires les sommes reçues après le douzième mois suivant la date ou la décision de divorce est devenue définitive (et ceci que le divorce résulte ou non d'une demande conjointe). D'autre part, l'article 1133 ter du CGI (N° Lexbase : L2578HNS), qui prévoit la perception d'un droit fixe de 125 euros lorsque les dispositions de l'article 80 quater ne s'appliquent pas (le tout sous réserve des dispositions de l'article 1020 du CGI N° Lexbase : L2771IGQ relatif à la taxe de publicité foncière).

De sorte que chacun comprend aisément que le caractère mixte d'une prestation compensatoire, à la fois en capital et en rente, ne peut pas donner lieu à l'application exclusive de l'article 156, II, 2° (côté débiteur) et de l'article 80 quater (côté créancier). Au contraire, il résulte nettement de l'article 199 octodecies que l'adjonction d'une rente fait perdre le bénéfice de la réduction d'impôts pour les douze premier mois, ce qui laisse intacte la possibilité de déduire les sommes versées sous forme de rente au-delà du douzième mois. En d'autres termes, en présence d'une prestation compensatoire mixte, le débiteur ne peut cumuler les deux avantages fiscaux. A fortiori, ne peut-il pas non plus anéantir le régime prévu pour les sommes versées les premiers douze mois afin de leur appliquer ce qui est prévu pour les sommes payées au-delà. On peut le dire de façon exégétique : l'article 199 octodecies n'est pas soluble dans l'article 156, II, 2° lorsque la prestation compensatoire est mixte. Au contraire : en pareil cas, le débiteur perd un avantage (la réduction d'impôts), il ne peut étendre le domaine de l'autre avantage (la déduction d'impôts). Suivre le raisonnement tenu par l'ex-mari en l'espèce reviendrait à réécrire totalement le régime fiscal de la prestation compensatoire, au point de le rendre ultra favorable au débiteur et nettement moins rentable pour les finances de l'Etat. Nul ne s'étonnera donc de ce que le Conseil d'Etat n'ait pas voulu s'engager sur ce chemin. On observera cependant, à la lecture de la décision d'appel, que tant les premiers juges que la cour administrative d'appel ont accepté de faire bénéficier l'ex-mari des deux avantages (réduction et déduction), alors que le premier n'était clairement pas applicable. Il semble bien que le ministre, en défense, ait lui-même soutenu que le débiteur pouvait bénéficier de la réduction d'impôt, ce qui constitue clairement une erreur. Sobrement, le Conseil d'Etat remet les choses en ordre et rappelle que la réduction n'est possible qu'en l'absence de versement d'une rente.

Evidemment, on ne peut manquer de se demander si la solution est transposable à une hypothèse voisine, mais pas tout à fait équivalente, qui est celle où la prestation compensatoire a été fixée sous forme d'un capital immédiat et d'un capital échelonné. On sait que cette hypothèse n'est pas envisagée expressément par les textes fiscaux, ce qui a donné lieu à des thèses doctrinales diverses, dont une (qui rejoint celle de l'ex-mari au cas d'espèce) qui soutient que l'ensemble des sommes payées relèverait du régime des pensions alimentaires, ce qui les rendrait intégralement déductibles, que ce soit le capital payé immédiatement ou le capital échelonné (v. A. Depondt, La fiscalité et le divorce : les points d'actualité, Dr. & patr., novembre 2007, 54). Cette thèse a été critiquée en doctrine, à juste titre selon nous, un argument pouvant être trouvé à titre incident dans des dispositions du BoFip - Impôts (BOI-IR-RICI-160, § 190 et 200 N° Lexbase : X4226AL4 ; sur l'ensemble, v. S. David, Droit et pratique du divorce, Dalloz, 2016, n° 321.35). Il nous semble que la présente décision rejoint ces critiques et condamne toute idée de déductibilité globale, y compris pour le capital payé immédiatement. Même si le Conseil d'Etat n'était saisi, au cas présent, que d'une prestation compensatoire mixte "capital et rente" (et non "capital immédiat et capital échelonné"), il ne nous paraît pas douteux que la jurisprudence ici dégagée doive s'appliquer aussi, par identité de raison, à l'hypothèse d'une prestation compensatoire mixte "capital immédiat et capital échelonné".

L'attention des praticiens doit donc être grande pour que les modalités de paiement de la prestation compensatoire soient clairement distinguées et qualifiées, afin que leur régime fiscal puisse être clairement exposé aux parties. La déductibilité globale de la prestation compensatoire n'existe pas, et ceux qui y croient feraient aussi bien de croire au Père Noël...

Vous pourrez vous reporter s'agissant de cet arrêt, au sein de cette revue, sur les conclusions de Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section (N° Lexbase : N2634BWH).

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