La lettre juridique n°641 du 28 janvier 2016 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Site internet des avocats : les dispositions de l'article 10.5 du RIN sur le nom de domaine sont validées par le Conseil d'Etat

Réf. : CE 6 s-s., 23 décembre 2015, n° 390792 (N° Lexbase : A0123N3X)

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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris

le 28 Janvier 2016

Ces trente dernières années, le nombre d'avocats en France a été multiplié par cinq et la communication de ces 60 000 professionnels a singulièrement évolué, s'adaptant aux constants progrès techniques et à une concurrence de plus en plus vive au sein de l'ensemble des professions juridiques. Elle passe désormais par l'obligé site internet, voire un blog en ligne, dont la création et l'usage sont strictement règlementés par le Conseil national des barreaux (CNB). Ce dernier a vocation à unifier les usages et règles des barreaux français et s'assure de leur respect notamment grâce au RIN (N° Lexbase : L4063IP8) qui regroupe l'ensemble des principes essentiels de la profession et des exigences déontologiques des avocats. C'est ainsi par exemple qu'un avocat participant à un blog ou à un réseau social en ligne doit respecter les principes essentiels de la profession, que le site de l'avocat ne peut comporter aucun encart ou bannière publicitaire, autres que ceux de la profession, pour quelque produit ou service que ce soit et doit être déclaré auprès de l'Ordre dont il dépend. Ce sont les dispositions de l'article 10.5 du RIN (RIN, anc. art. 10.6) qui règlementent la communication de l'avocat sur internet, dans leur version issue de la décision du Conseil national des barreaux du 13 novembre 2014. Cet article dispose dans ses alinéas 2 et 3 : "le nom de domaine doit comporter le nom de l'avocat ou la dénomination du cabinet en totalité ou en abrégé, qui peut être suivi ou précédé du mot 'avocat'. L'utilisation de noms de domaine évoquant de façon générique le titre d'avocat ou un titre pouvant prêter à confusion, un domaine du droit ou une activité relevant de celles de l'avocat, est interdite [...]". Ces deux alinéas étaient vivement querellés par un avocat qui sollicitait donc du Conseil d'Etat leur abrogation pure et simple, en vain puisque l'arrêt du 23 décembre 2015 a validé les dispositions contestées.
  • Les faits

L'avocat requérant s'était au préalable vu opposer un rejet de sa demande d'abrogation par le CNB et avait donc saisi le Conseil d'Etat par requête du 8 juin 2015, en demandant l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision de rejet du 17 avril 2015 (CE 4 s-s., 17 avril 2015, n° 374325 N° Lexbase : A9580NGW).

Il demandait également au Conseil d'Etat de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle visant à déterminer si l'article 24 de la Directive 2006/123 du Parlement européen et du Conseil, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4) (dite Directive "Services") n'était pas incompatible avec les dispositions du RIN qui interdisent aux membres d'une profession règlementée d'exploiter un nom de domaine autre que celui correspondant à leur nom ou dénomination exacte, éventuellement complété de l'intitulé de leur profession.

Il est à noter que ce confrère, décidemment quérulent, n'en était pas à son coup d'essai, puisqu'il avait déjà quelques mois plus tôt formé une demande identique portant sur la rédaction antérieure de cet article du RIN, à l'époque en effet numéroté 10.6.

Le Conseil d'Etat a statué sur ce premier recours dans son arrêt du 9 novembre 2015 (CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 384728 N° Lexbase : A3616NWT) et validé les dispositions du RIN relatives au nom de domaine sous leur forme antérieure.

On devinera que le Conseil d'Etat n'a pas manqué de reprendre une argumentation analogue, dans sa présente décision du 23 décembre 2015 qui tranche les quatre difficultés soulevées.

  • Sur la compétence du CNB

La décision du 23 décembre 2015 confirme tout d'abord avec force que le Conseil national des barreaux, investi d'un pouvoir règlementaire par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ) (loi du 31 décembre, art. 53), pouvait légitimement édicter les règles contestées.

Elle rappelle en tant que de besoin l'article 15 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, sur la déontologie de l'avocat (N° Lexbase : L6025IGA) qui dispose que "la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession..."

Le CNB qui s'est vu confier par la loi la mission de veiller au respect de l'intérêt général de la profession a donc une compétence normative lui permettant de prendre des mesures relatives à la publicité et aux exigences déontologiques, au titre de cette mission d'harmonisation des règles et usages de la profession avec les lois et règlements en vigueur.

  • Sur la légalité des règles concernant le nom de domaine

Puis, le Conseil d'Etat précise que les dispositions relatives au nom de domaine de l'avocat n'ont pas eu pour objet ou pour effet de subordonner à des conditions nouvelles l'exercice de la profession d'avocat.

La publicité de l'avocat par internet doit en effet être règlementée notamment afin d'éviter l'appropriation directe ou indirecte, via un nom de domaine générique, d'un domaine du droit ou d'activité que se partage la profession.

Par ailleurs, les règles édictées par les deuxième et troisième alinéas de l'article 10.5 sont conformes aux principes fondamentaux et essentiels de la profession d'avocat.

Le Conseil d'Etat reprend à cet égard sa jurisprudence antérieure (CE 1° et 6° s-s-r., 19 octobre 2012, n° 354613 N° Lexbase : A7317IUK) : ces règles ne méconnaissent pas la liberté d'exercice et ne remettent en cause ni la liberté de communication des avocats, ni leur liberté d'entreprendre, ni leur droit de propriété, comme cela avait été prétendu vainement par l'avocat requérant.

Aucune atteinte disproportionnée à ces droits et libertés n'est ainsi relevée par l'arrêt.

  • Sur l'application de la Directive "Services" aux noms de domaine

Le Conseil d'Etat tranche également le point du champ d'application aux noms de domaine de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur.

Il était soutenu l'incompatibilité du RIN avec cette Directive "Bolkestein" de 2006 dont rappelons que l'article 4 est venu définir la "communication commerciale", comme "toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l'image d'une entreprise, d'une organisation ou d'une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée [...]"

Son article 24, spécifique aux "Communications commerciales des professions réglementées" prévoit que "1. Les Etats membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées.

2. Les Etats membres veillent à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visent notamment l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession. Les règles professionnelles en matière de communications commerciales doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnées".

Le Conseil d'Etat nous précise donc que les informations relatives aux noms de domaine ne constituent pas une communication commerciale au sens du paragraphe 12 de l'article 4 de la Directive "Services".

Dès lors, les règles encadrant la dénomination des sites internet des personnes ou des entreprises relevant de profession règlementées ne sont pas régies par les dispositions de la Directive.

La CJUE n'est donc pas saisie de la question préjudicielle soulevée.

  • Sur le principe d'égalité avec les confrères étrangers

Le Conseil d'Etat balaye enfin tout aussi aisément le grief qui était fait au deuxième alinéa contesté de méconnaître le principe d'égalité avec les confrères européens autorisés à s'installer en France sous leur titre d'origine, ainsi qu'ils en ont la possibilité conformément à l'article 83 de la loi du 31 décembre 1971.

En effet, le nom de domaine de l'avocat doit comporter le nom de l'avocat ou de son cabinet et peut être suivi ou précédé de la mention "avocat", ce qui ne fait donc pas obstacle à ce que les avocats ressortissants de l'Union européenne fassent mention dans le nom de domaine qu'ils choisissent de leur titre professionnel d'origine.

Si cette décision de la Haute juridiction administrative n'est guère surprenante, elle permet de remettre la lumière sur la nécessité d'une communication maîtrisée des avocats par internet, media incontournable aujourd'hui, soit grâce à un site soit via les réseaux sociaux.

La réforme, opérée par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX), dite loi "Hamon", et le décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014, relatif aux modes de communication des avocats (N° Lexbase : L5614I4P), a permis de mettre la France en conformité avec l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 avril 2011 (CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3), a minima objecteront certains, et le Règlement intérieur national en tient désormais compte.

Le respect des principes essentiels passe donc par le choix d'un nom de domaine cohérent et sincère dans son information, conforme aux prescriptions de l'article 10.5 du RIN.

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