Réf. : Cass. crim., 15 décembre 2015, n° 15-85.675, F-P+B (N° Lexbase : A8866NZE)
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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy
le 21 Janvier 2016
La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a rejeté sa demande par un arrêt en date du 4 septembre 2015, après avoir relevé que la convocation adressée par télécopie en date du 10 août 2015 avait été reçue et que, surtout, l'avocat n'avait fait aucune démarche positive auprès du greffe pour déclarer sa nouvelle adresse. Malgré le pourvoi formé contre cet arrêt, la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la chambre de l'instruction a justifié sa décision "dès lors que qu'il n'est pas établi que les nouvelles coordonnées, auxquelles l'avocat du demandeur devait être joint, avaient fait l'objet de sa part d'une communication spécifique au greffier du juge d'instruction". Force est de constater que cet attendu est particulièrement intéressant puisque, sans revenir sur l'importance de la convocation de l'avocat lors du débat de prolongation de la détention provisoire (I), la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne met aucune obligation, à la charge du greffe de la juridiction, de s'enquérir des coordonnées actuelles de l'avocat (II).
I - Convocation nécessaire de l'avocat désigné
Le législateur a souhaité que la prolongation du mandat de dépôt de la personne mise en examen et placée en détention soit une étape charnière de l'instruction préparatoire. Ainsi, le juge des libertés et de la détention ne peut prolonger le mandat de dépôt de la personne mise en examen qu'après avoir procédé à un débat contradictoire, l'avocat y étant dûment convoqué, comme le prévoit l'article 145-2 du Code de procédure pénale. Rappelons à cet égard que l'article 114-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3175I3Y) fixe les modalités de convocation des parties en précisant que "les parties ne peuvent être entendues, interrogées ou confrontées, à moins, qu'elles n'y renoncent expressément, qu'en présence de leurs avocats ou ces derniers dûment appelés". Et d'ailleurs, le deuxième alinéa de ce texte ajoute que "les avocats sont convoqués au plus tard 5 jours ouvrables avant l'interrogatoire ou l'audition de la partie qu'ils assistent par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, télécopie avec récépissé ou verbalement avec émargement au dossier de la procédure". La Chambre criminelle de la Cour de cassation attache toute son importance à la régularité de la convocation de l'avocat. De récents arrêts démontrent que de vigoureuses sanctions frappent l'irrégularité affectant la convocation de l'avocat au débat contradictoire de prolongation du mandat de dépôt.
C'est ainsi que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà considéré à plusieurs reprises que l'irrégularité dans la convocation de l'avocat conduisait à l'annulation des débats de prolongation litigieux et donc, in fine, à la remise en liberté immédiate de la personne mise en examen. Il est suffisamment rare pour être relevé que les plus récents arrêts de la Cour de cassation, lorsqu'ils censurent les chambres de l'instruction pour méconnaissance des règles relatives à la convocation de l'avocat, ordonnent la remise en liberté immédiate de la personne mise en examen sans qu'il soit encore besoin de renvoyer la cause devant une autre chambre de l'instruction. Il en va notamment ainsi lorsque la personne mise en examen et placée sous mandat de dépôt a changé d'avocat et que seul l'ancien avocat, démis de son mandat, a été convoqué à l'audience (v. Cass. crim., 20 août 2014, n° 14-83.699, FS -P+B N° Lexbase : A8660MUB, Bull. crim., n° 174). Dans une très belle étude consacrée à la question, Monsieur Laurent Saenko écrivait qu'en cas d'irrégularité de convocation de l'avocat, la remise en liberté s'impose, "le mandat de dépôt attaché à l'ordonnance de prolongation étant mécaniquement atteint de nullité" (1). En définitive, toute irrégularité dans la convocation devant le juge des libertés et de la détention, ou devant la chambre de l'instruction -qui est également soumise aux délais "couperets" de l'article 194 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3906IR4)-, est souvent l'inattendue "clé des champs" (2) offerte à un client dans une information judiciaire souvent mal engagée sur le fond, d'autant plus que si un débat contradictoire de prolongation est organisé devant le juge des libertés et de la détention, c'est inévitablement que celui-ci a été saisi par le juge d'instruction et que le procureur de la République a requis en ce sens...
Toutefois, si l'irrégularité dans la convocation de l'avocat est énergiquement sanctionnée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, force est de constater que les services du greffe n'ont aucune diligence positive à accomplir pour s'assurer d'un éventuel changement de coordonnées de l'avocat.
II - Recherches surabondantes des nouvelles coordonnées
L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 15 décembre 2015 apporte, en effet, d'utiles précisions quant à la "communication spécifique au greffier du juge d'instruction" de la nouvelle adresse de l'avocat que les observateurs ont déjà rencontrées dans la jurisprudence pénale récente (v. déjà, Cass. crim., 20 mai 2014, n° 14-81.429, F-P+B+I N° Lexbase : A5780MLN ; Cass. crim., 18 mars 2015, n° 14-88.352, F-D N° Lexbase : A1910NEH). D'une part, la Chambre criminelle considère qu'il appartient à l'avocat d'avertir la juridiction d'éventuelles modifications de ses coordonnées professionnelles. Réciproquement, le greffe du juge des libertés et de la détention n'est donc pas tenu de procéder à la vérification, en temps réel, des coordonnées actuelles de l'avocat qu'il entend convoquer. D'autre part, l'arrêt est tout aussi important à propos de la teneur de l'information que l'avocat doit communiquer au greffe en cas de changement de coordonnées professionnelles. Il résulte de l'attendu conclusif de l'arrêt de la Chambre criminelle que l'avocat est débiteur d'"une communication spécifique au greffier du juge d'instruction".
Les termes employés par la Chambre criminelle de la Cour de cassation nous semblent avoir tout le sens : il faut notifier le changement de coordonnées au greffe du juge d'instruction, et toute autre notification se trouverait donc insuffisante aux yeux de la Chambre criminelle. On songe évidemment à l'insuffisance de la lettre circulaire que l'avocat adresse, au moment de son installation dans ses nouveaux locaux, au secrétariat de la présidence de la juridiction ou bien encore, à l'annuaire publié chaque année par l'Ordre des avocats et diffusé aux différents greffes de juridiction. Au vu des exigences restrictives posées par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, il appartiendra donc à l'avocat de notifier son changement d'adresse au greffe du juge d'instruction en lui adressant, par sécurité, une télécopie ou un courriel sur l'adresse structurelle du greffe, et de conserver soigneusement l'accusé de réception. Seule cette pièce fera foi d'"une communication spécifique au greffier du juge d'instruction" en cas de litige sur la convocation non parvenue. Et ce n'est évidemment que si le greffier, dûment averti de ce changement de coordonnées professionnelles, adresse une convocation à l'ancienne adresse professionnelle ou en utilisant l'ancien numéro de télécopie, que l'avocat pourra utilement se prévaloir de l'irrégularité de sa convocation devant le juge des libertés et de la détention. La clé des champs est à ce prix...
(1) L. Saenko, La liberté comme sanction, Dr. Pénal, 2014, Etude, n° 9, § 13.
(2) L'expression est empruntée à M. Albert Maron et Mme Marion Haas, in Changement d'avocat et clé des champs, Dr. Pénal, 2014, Comm., n° 132.
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