Lecture: 9 min
N0070BWI
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse
le 26 Novembre 2015
La solution de la Cour de cassation ici reproduite met en évidence l'intérêt présenté par cet arrêt et, en particulier, les circonstances dans lequel intervient le litige et qui conduisent à envisager le présent arrêt à un triple point de vue en bouleversant l'ordre habituel de la présente chronique : la prescription, le comportement de l'assuré lors du sinistre, le comportement de l'assuré lors de la souscription. Il est d'ailleurs surprenant que cet arrêt n'ait pas les honneurs d'une publication tant il apparaît pédagogique même si les solutions qu'il pose ne manqueront pas d'être discutées.
En l'espèce, une société de réassurance souscrit des garanties couvrant en particulier la responsabilité et les frais de défense pour son activité par un procédé d'assurance en ligne comportant quatre niveaux d'intervention. Ce procédé permet à un assuré de gérer un risque en le divisant en fonction de la gravité de ses conséquences, chaque assureur assumant un niveau de gravité du risque et n'ayant vocation à intervenir que si ce niveau est atteint (1). Ce qui singularise l'espèce, c'est évidemment l'existence d'une assurance en ligne mais aussi la qualité de l'assuré, assureur d'assureurs. A l'occasion d'un sinistre, l'assureur de deuxième ligne dénie sa garantie. Son contrat renvoyait, pour la délimitation des garanties et leur mise en oeuvre, au contrat souscrit en deuxième ligne en vertu de la stipulation suivante : "les garanties du présent contrat s'exercent dans les termes et conditions de la police de première ligne ou de tout renouvellement ou remplacement de celle-ci établie aux mêmes conditions et auprès des mêmes assureurs, à l'exception de la prime, des montants de garantie et de ce qui est exposé ci-après et/ou toute modification pour autant que l'assureur en ait été informé et les ait acceptées. Les garanties du présent contrat ne peuvent en aucun cas être plus larges que les garanties de la police de première ligne".
L'assureur de deuxième ligne entendait opposer à l'assuré la prescription de son droit (2). On sait que celle-ci n'est opposable à l'assuré que si le contrat en rappelle précisément, et en vertu de l'article R. 112-1 du Code des assurances, les règles (3). Deux questions se posaient : devait-on considérer que le rappel des règles dans le contrat en première ligne associé à la clause de renvoi dans le contrat litigieux était suffisant à tenir pour l'assuré informé ? La qualité de l'assuré, réassureur informé des règles de la prescription, ne permettait-elle pas de tenir pour superfétatoire le rappel des règles relatives à la prescription ? Aux deux questions, il est répondu par la négative.
Concernant la clause de renvoi, la solution n'étonne pas. Si le procédé est admis par la jurisprudence, c'est avec des conditions (4), et c'est lorsqu'il consiste à recenser, pour un même contrat, les différentes stipulations, les documents qui le constituent. Le procédé ne peut être apprécié de la même façon pour des contrats qui sont autonomes les uns par rapport aux autres, ce qui est une caractéristique de l'assurance en ligne (5). On ne peut admettre que le formalisme informatif imposé par le législateur pour certaines stipulations soit respecté par simple renvoi général au contenu d'un autre contrat. Pour les assurances en ligne, il faudra prendre la mesure de l'exigence, mais la prudence consistera à insérer directement dans les différents contrats les clauses concernées. En revanche, la formulation de la solution semble indiquer que le renvoi général peut fonctionner pour des stipulations qui ne font pas l'objet d'exigences spécifiques. En l'absence de certitude sur ce point, il semble plus prudent de rédiger, pour chaque ligne, une police complète. On notera au passage la référence à l'intégration au "champ contractuel" par le biais des mentions obligatoires dans la police d'assurance.
Dans cette discussion relative à la prescription, l'argument tiré de la qualité des parties semble plus pertinent. La particulière compétence de l'assuré, société de réassurance, pourrait en effet dispenser son cocontractant d'une information sur la prescription. Ce n'est plus la particularité du contrat qu'il faut évoquer pour justifier le refus de cette argumentation, c'est la généralité de la règle. L'article R. 112-1 ne prévoit pas d'exception au formalisme informatif qu'il impose : "ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus". On a déjà largement souligné cette force de la protection du droit des assurances qui, à l'origine, vient profiter à tous les assurés, à l'exclusion de certains risques (6). Doit-on trouver dans cet arrêt une justification des réglementations plus récentes qui viennent protéger certaines catégories d'assurés (7) ? Rien n'est moins sûr...
II - Déclaration des risques
Dans cette espèce décidément riche, l'assureur de deuxième ligne dénie sa garantie en invoquant la nullité pour fausse déclaration intentionnelle. Sur ce thème, l'arrêt commenté procède par affirmation d'une solution connue (8) qui prend un sens particulier au regard des spécificités de l'affaire. L'assureur se fondait sur la signature d'une "déclaration de garantie, pré-rédigée en anglais, aux termes de laquelle il a déclaré, en cochant la case Aucune', qu'aucun assuré n'a connaissance ou d'information sur un quelconque acte, erreur, ou omission pouvant donner lieu à une réclamation en vertu de la police ; qu'il était mentionné dans la déclaration : veuillez cocher cette case Aucune' si cette déclaration est vraie, sinon veuillez donner tous les détails'". Or il apparaît évident que l'assuré avait déjà, à ce moment, connaissance des difficultés ayant conduit au sinistre. Au fond, tout le litige tient sur l'interprétation de l'alinéa 4 de l'article L. 112-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L9858HET). On sait que cette disposition interdit à l'assureur de se prévaloir d'une réponse imprécise si une question est exprimée en termes généraux. Or, en l'espèce, si la question est exprimée en termes généraux, la réponse est précise mais inexacte. La cour d'appel de Versailles, sensible à cette subtile différence, a prononcé la nullité du contrat (CA Versailles, 18 mars 2014, n° 12/08013 N° Lexbase : A0683MHR). Sur ce point, sa décision est cassée, la Cour de cassation semble refuser de rentrer dans cette distinction. En décider autrement, reviendrait, il faut en convenir, à demander à l'assuré de compenser les faiblesses du questionnaire. La cour d'appel le proposait notamment par l'émission de réserves. On sait que la jurisprudence est globalement opposée à cette tendance qui reviendrait à recréer une exigence de déclaration spontanée.
III - Sinistre
On se doute bien que ce qui vaut pour le rappel des règles relatives à la prescription vaut aussi pour une clause de déchéance qui doit figurer en caractères très apparents dans la police (9). Alors que l'argumentation est la même, on ne voit pas pourquoi la formulation de la solution n'est pas identique en particulier concernant l'intégration de la clause de déchéance aux stipulations contractuelles.
La jurisprudence a admis que cette sanction peut jouer quand elle est prévue dans des conditions générales auxquelles les conditions particulières renvoient (10). Pour des raisons déjà indiquées, ce qui vaut pour un contrat ne vaut pas nécessairement d'un contrat à l'autre. Les juges du fond pouvaient ainsi décider que le contrat d'assurance en deuxième ligne ne comportait pas de clause de déchéance pour déclaration tardive du sinistre.
IV - Exclusion légale des risques
Le propriétaire d'une officine de pharmacie est mis en examen du chef de différentes infractions liées à son activité professionnelle et astreint à différentes obligations, en particulier ne pas exercer son activité. Le temps qu'il trouve un remplaçant, l'officine doit fermer pendant six semaines. Le propriétaire demande l'indemnisation de la perte subie au titre de son contrat multirisques professionnel couvrant en particulier "la dépréciation de la valeur vénale de l'officine assurée au lieu d'assurance lorsque celle-ci est la conséquence d'un fait ayant causé un dommage à autrui suivi d'un scandale notoire ou pour lequel la responsabilité de l'assuré ou de ses préposés est recherchée par la voie d'une instance civile ou pénale ou même d'une information ouverte contre l'un d'eux pour erreur ou faute professionnelle dans la préparation, le conditionnement, la vente de médicaments et aussi d'un accident de laboratoire, garantis au titre du présent contrat". L'assureur dénie devoir sa garantie au motif que son assuré aurait commis une faute intentionnelle ou dolosive. Il est évident qu'une telle clause est nécessairement stipulée dans la limite de l'exclusion légale prévue par l'article L. 113-1 qui n'autorise pas, contrairement à d'autres exclusions légales (11), de stipulation contraire. Les juges de cour d'appel estiment que son argumentation est fondée (CA Paris, Pôle 2, 5ème ch., 16 septembre 2014, n° 11/19307 N° Lexbase : A5385MWD). Cet arrêt est cassé par la Cour de cassation.
La solution ne surprendra pas. En effet, la Cour de cassation a eu plusieurs fois l'occasion de préciser le rapport entre faute pénale et faute intentionnelle en indiquant que la faute intentionnelle n'exclut de la garantie due par l'assureur à l'assuré condamné pénalement que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l'infraction (12). Cette solution, qui relativise la portée d'une condamnation pénale de l'assuré au regard de son droit à garantie, doit conduire les juges à la prudence lorsque l'assuré est simplement poursuivi pour des faits susceptibles d'entraîner sa condamnation pénale, comme en l'espèce. L'arrêt se présente donc comme un rappel à la rigueur dans la façon de caractériser la faute intentionnelle ou dolosive.
On peut ici comprendre la double référence faite dans l'arrêt à la faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré. Cependant, il ne faut certainement pas y voir la volonté d'adopter pour les deux types de fautes la même position sur le lien entretenu avec les qualifications pénales. Cela reste encore un point à préciser.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450070