Réf. : Cass. com., 20 octobre 2015, n° 14-19.598, FS-P+B (N° Lexbase : A0264NUC)
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par Frédéric Subra, Avocat associé au sein du cabinet Delsol Avocats
le 26 Novembre 2015
On sait que les participations détenues par les contribuables dans les sociétés qu'ils dirigent peuvent, sous certaines conditions, être exonérées d'ISF en tant que biens professionnels. L'article 885 O ter du CGI (N° Lexbase : L8826HLH), qui est au coeur de l'arrêt commenté, pose toutefois un garde-fou : "seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel".
S'agissant des titres de participation inscrits à l'actif du bilan de la société que le contribuable entend exonérer d'ISF, la doctrine administrative pose une présomption de biens professionnels.
Par titres de participation, il convient d'entendre les droits sociaux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une certaine influence dans la société émettrice.
La définition donne la réponse : la qualification de titres de participation induit en elle-même que de tels actifs sont à caractère professionnel.
Du reste, l'administration fiscale ne pose une réserve qu'à raison des droits présumés par le CGI constituer des titres de participation, à savoir les actions acquises en exécution d'une offre publique d'achat ou d'échange, ainsi que les titres susceptibles d'ouvrir droit au régime fiscal des sociétés mères. Dans cette hypothèse, le service conserve la possibilité de "remettre en cause cette qualification dans le cas où la société détentrice des titres n'exercerait pas, en fait, une certaine influence dans la société émettrice" (BOI-PAT-ISF-30-30-40-20, n° 60, 12 septembre 2012 N° Lexbase : X5198AL4).
Il est constant qu'au cas présent, l'administration fiscale ne critiquait pas la nature des titres de la société B inscrits à l'actif du bilan de la société A dont les titres étaient exonérés d'ISF par le couple de contribuables. L'enjeu portait sur le patrimoine immobilier détenu par des sous-filiales de la société B. Autrement dit, l'article 885 O ter du CGI conduit-il à considérer les actifs détenus par des sous-filiales de la société dont les titres sont directement détenus par le contribuable ?
Oui, soutenait le ministre ! Non répond (on ne peut plus clairement) la Cour de cassation : "l'article 885 O ter du CGI, qui limite la portée de l'exonération de taxation des biens professionnels, est d'interprétation stricte, en sorte que son champ d'application ne s'étend pas aux actifs des filiales et sous-filiales des sociétés constituant un groupe et que le terme société' qu'il mentionne, renvoie seulement à la société qualifiée de biens professionnels par l'article 885 O bis du même code (N° Lexbase : L1126ITU), dans laquelle le contribuable détient des parts sociales".
Cette solution doit être saluée pour son orthodoxie juridique.
Au plan de l'herméneutique d'abord, la Cour de cassation souligne que toute exception à un principe posé par la loi (au cas présent, l'exonération d'ISF des biens professionnels) doit être interprétée strictement. L'administration fiscale, notamment dans le cadre de sa doctrine administrative, a fâcheusement tendance à l'oublier et à ajouter inconsidérément aux dispositions du CGI (1). Bienheureux les magistrats du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui la rappellent à la raison !
Au regard du droit fiscal ensuite, l'analyse de la Cour de cassation répond à la logique de l'ISF qui vise la capacité contributive du contribuable et donc la taxation des biens dont il a la disposition. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est sur ce point abondante (2). Il en résulte nécessairement que l'exonération d'une participation en tant que biens professionnels ne peut s'apprécier que par rapport aux actifs inscrits au bilan de la société directement détenue par le contribuable et il importe effectivement que ceux-là soient utiles à l'activité de celle-ci. En décider autrement reviendrait à permettre au contribuable de transférer des biens de son patrimoine personnel dans une société dont, en sa qualité de dirigeant, il a la maîtrise, et partant, à exonérer des biens non professionnels dont il conserve pourtant la disposition.
D'un point de vue strictement juridique, enfin, la Cour de cassation applique justement le principe de la personnalité morale des sociétés pour refuser une prétendue transparence des structures interposées qui permettrait d'aller rechercher les actifs sous-jacents. On sait que le CGI retient parfois une telle approche, que ce soit pour l'application des droits de mutation à titre gratuit sur les actifs immobiliers (CGI, art. 750 ter N° Lexbase : L9528IQX) ou l'application de la taxe de 3 % (CGI, art. 990 D N° Lexbase : L5483H9X). Mais en l'absence de disposition expresse en ce sens de l'article 885 O ter du CGI, le barrage de la personnalité morale s'impose et il n'y a pas place pour une quelconque autonomie du droit fiscal en la matière. La jurisprudence de la Cour de cassation est une constante sur ce point.
II - Quelle(s) riposte(s) possibles ?
La décision de la Cour de cassation rappelle à l'administration fiscale l'orthodoxie juridique et fiscale quant à l'application des dispositions de l'article 885 O ter du CGI.
Dans ces conditions, à quelles ripostes devons-nous nous attendre ?
L'administration pourrait (comme bien souvent) chercher l'appui du législateur pour introduire au sein de la de disposition incriminée ce que le juge lui a refusé. Cette solution heurterait toutefois frontalement la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7970IUQ), une réforme de l'article 885 O ter du CGI avait en effet déjà été proposée en ces termes : "les éléments du patrimoine social non nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société ne sont pas considérés comme des biens professionnels et doivent être compris, pour leur valeur au 1er janvier de l'année d'imposition, dans le patrimoine du ou des propriétaires des parts ou actions, à concurrence du pourcentage détenu dans cette société. Cette règle s'applique quel que soit le nombre de niveaux d'interposition entre la société et les biens non nécessaires à son activité".
La modification envisagée avait pour but de permettre à l'administration de taxer directement ("par transparence") la fraction du patrimoine social non nécessaire à l'activité professionnelle, alors que la rédaction actuelle n'a pour effet que de limiter la fraction exonérée des droits sociaux détenus par le contribuable au titre des biens professionnels.
Or, les sages de la rue Montpensier ont censuré cette disposition au motif que le législateur "ne pouvait asseoir l'impôt de solidarité sur la fortune sur ces éléments du patrimoine de la société à concurrence du pourcentage détenu dans cette dernière alors même qu'il n'est pas établi que ces biens sont, dans les faits, à la disposition de l'actionnaire ou de l'associé" (3).
Ce faisant, le Conseil constitutionnel montre la voie du contentieux qui pourrait être initié par les services fiscaux à l'avenir et la limite de la décision commentée ; s'il s'avérait que l'interposition de structures est empreint de fictivité et que le contribuable a, dans les faits, la disposition de biens à caractère non professionnel inscrits à l'actif du bilan de sous-filiales, l'administration serait alors bien fondée à réintégrer ces derniers au patrimoine imposable du contribuable. On retrouve là le spectre de l'abus de droit pris en ses deux branches : la fictivité juridique et la fictivité économique. On sait, en effet, que l'abus de droit vise à sanctionner la création d'une situation juridique purement artificielle, qui camoufle une situation au titre de laquelle des impositions sont légalement dues et qui continue d'exister derrière les apparences juridiquement créées. Autrement dit, il n'est pas possible de suivre les conséquences d'un montage purement artificiel, sans substance juridique ou économique.
On veillera donc à ne pas créer d'interpositions qui n'en auraient que le nom, la cascade de sociétés ayant pour seule cohérence la volonté de bénéficier de la lettre du texte de l'article 885 O ter du CGI. En fiscalité, comme dans la vie, il faut se garder des artifices !
(1) Le tout récent arrêt du Conseil d'Etat du 12 novembre 2015 qui sanctionne l'illégalité de la doctrine administrative relative à l'application des abattements sur les moins-values de valeurs mobilières en est un bel exemple (CE 3° et 8° s-s-r., 12 novembre 2015, n° 390265, mentionné au tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5889NWZ).
(2) Cons. const., 30 décembre 1981, n° 81-133 DC (N° Lexbase : A8033ACI) ; Cons. const., 29 décembre 1998, n° 98-405 DC (N° Lexbase : A8751AC4) ; Cons. const., 29 septembre 2010, n° 2010-44 QPC (N° Lexbase : A4886GA9) ; Cons. const., 28 juillet 2011, n° 2011-638 DC (N° Lexbase : A5590HWX) ; Cons. const., 29 décembre 2012, n° 2012-661 DC (N° Lexbase : A6287IZU).
(3) Cons. const., 29 décembre 2012, n° 2012-661 DC, cons. 96, préc..
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